Société

Sugar Man, la recette d’un succès au cinéma

 
Si Sugar Man raconte la trop tardive notoriété de l’artiste Sixto Rodriguez, ce documentaire connaît lui un véritable succès. Les critiques sont élogieuses et les spectateurs au rendez-vous. L’Oscar 2013 du meilleur film documentaire qu’il a reçu parfait cette belle trajectoire, alors qu’il semblait à l’origine destiné à un public restreint. Une succes story laissée aux mains du hasard ? Pas si sûr ! Ce film illustre parfaitement certaines tendances de l’industrie culturelle. La preuve ici qu’il n’y a pas que du sucre dans Sugar Man.
Ingrédient n°1 : le documentaire
Le temps où documentaire rimait avec « longues séquences animalières sur France 5 à l’heure la plus creuse de la nuit » est révolu. Et pour cause, il est devenu un genre cinématographique à succès. En investissant le grand écran, et c’est bien ce dont rêvent de nombreux réalisateurs, le documentaire devient vecteur d’émotions. Lorsqu’il est animalier, il propose des sujets universels, des images belles et spectaculaires. Souvenez vous du Peuple migrateur en 2001, lui aussi récompensé aux Oscars et plébiscité par le public. Quand il s’agit d’affaires humaines, il doit décrypter et nous ouvrir les yeux sur un système opaque pour nous faire réagir. Inside Job, oscarisé en 2011, éclairait et dénonçait ainsi les rouages d’un système financier planétaire, qui a engendré cette crise économique dont on peine à sortir.

Dans la sauce, on veut des histoires !
Sugar Man, c’est encore une autre recette. C’est le nec plu ultra de ce qu’on appelle, pardon d’utiliser encore cette expression, le storytelling. L’histoire vraie d’un homme simple, élevée au rang de mythe. Un homme qui aurait du être une star mais qui, au lieu de ça, a vécu dans l’ignorance de son succès et dans la plus grande modestie. Le documentaire vient alors réhabiliter Rodriguez et sa musique qui cartonne également. Car c’est bien la première visée d’un documentaire : s’approcher du réel, le dépeindre. Mais pour attirer le public, la réalité se doit d’être romancée et embellie. C’est l’un des rares reproches qui a pu être adressé au film par quelques critiques (voir Le Monde). L’histoire de Sugar Man est véritable mais l’omission de certains éléments rend le récit plus parfait. Si le réalisateur avait mentionné le succès du chanteur en Australie et en Nouvelle-Zélande dans les années 70, ce documentaire aurait été plus réaliste, mais aussi moins spectaculaire. N’est ce pas alors la fonction première du documentaire qui est ici bousculée ? A chercher plus d’authenticité, la construction médiatique ne fait peut être que s’en éloigner.
Ajouter une stratégie bien léchée
Au delà de sa belle réalisation sur laquelle on ne s’étalera pas ici (car elle est l’objet de quasiment toutes les critiques du film), le succès de Sugar Man s’explique aussi par un bel accompagnement marketing. Comme l’explique la productrice Michèle Halberstadt dans le Monde, le film a bénéficié de la technique « platform release » : le film sort d’abord « dans un nombre restreint de salle pour susciter le désir ». En France, après une projection VIP avec stars et show case de Rodriguez lui même, il n’a d’abord été visible que dans quelques salles parisiennes. Quelques villes de province ont pu ensuite le projeter, et il ne cesse encore de voir sa diffusion et son succès augmenter. « D’un opus branché, on est passé à une œuvre populaire, que le grand public veut voir par curiosité ».
Assaisonnement subtil, entre élitisme et populaire
Cette technique marketing est aussi révélatrice d’un phénomène sociologique observable, car elle s’adapte à une population aux goûts culturels de plus en plus éclectiques. Comme le disait le sociologue Olivier Donnat, on est passé de l’exclusion à l’éclectisme. Plus besoin aujourd’hui de rester cantonné à un genre selon son appartenance sociale ou son niveau d’étude pour construire sa légitimité culturelle. Pour résumer, c’est s’intéresser un peu à tout qui est bien vu aujourd’hui, et les frontières entre culture d’élite et culture populaire sont de plus en plus floues. Cette hybridité culturelle peut déclencher une deuxième dynamique : le besoin des élites de se démarquer à tout prix. Une œuvre, devenue populaire, peut alors être réévaluée par les critiques intellectuelles. The Artist ou encore les Intouchables, acclamés à leur sorties par la presse, ont vu leur qualité souvent remise en cause après avoir été massivement récompensés. Il n’est pas toujours bon d’aimer ce que tout le monde aime.
Ainsi peut on déjà s’attendre à ce que Sugar Man, chouchou de la presse, soit de plus en plus critiqué à mesure que son succès s’accroit. Commence alors le décryptage du documentaire : on cherche à connaître la vérité qui se cache derrière ce qui est censé déjà être la réalité.
Un mélange production-critique-public à consommer sans modération !
 
Agathe Laurent
Sources :
« Sugar Man » : les raisons d’un succès bien huilé, LE MONDE | 07.04.2013
« Sugar Man » : un « storytelling » soigneusement agencé, LE MONDE | 07.04.2013
« Sugar Man », le conte de Noël d’un rockeur miraculé, LE MONDE | 25.12.2012
Le succès grandissant des documentaires au cinéma, Le Point
– THÉORIE DU FILM DOCUMENTAIRE (PENSER LE CINÉMA DOCUMENTAIRE : LEÇON 3)
– Le phénomène « Sugar Man »
– Critiques de presse sur AlloCiné des films SugarMan, the Artist, les Intouchables
– Sociologie de la communication et des médias, Eric Maigret