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#MorandiniGate : buzz ou moralité ?

Cet été, les révélations sur la web-série de Jean Marc Morandini n’ont pas pu vous échapper ! Face à un intense acharnement médiatique, JMM n’a pas réussi à garder son sang-froid. Entre une brève conférence de presse et une forte propagande sur son blog, le journaliste n’a pas appliqué les règles de base d’une communication de crise : prise de conscience de la gravité des actes, évocation du fond de l’affaire et réponse aux interrogations du public. Cette communication ratée a renforcé sa culpabilité aux yeux de l’opinion. Si Europe 1 a évincé le présentateur, iTélé a annoncé son retour sur la chaîne avec une émission quotidienne intitulée « Morandini Live ». Quand justice, morale et audiences s’emmêlent.
Rédaction : 1 ; Direction : 0 !
Le retour de Morandini a éveillé de fortes tensions au sein de la rédaction d’iTélé. Les journalistes voient cette arrivée comme destructrice pour l’éthique du journalisme et pour l’image de la chaîne. En effet, l’image d’une chaîne d’info sérieuse ne semble pas coïncider avec un présentateur accusé de corruption de mineurs. En plus d’une grève et d’une motion de défiance, les journalistes ont déployé une communication massive. Le Monde a notamment publié une tribune de la Société des journalistes, implorant Morandini de renoncer à sa venue. Mais une guerre moderne ne serait pas communicationnelle si elle n’était pas numérique. Le hashtag #JeSoutiensItélé est vite devenu TT (toptweet) France, relayé par de nombreux journalistes et téléspectateurs. L’implication du public a pris une telle ampleur qu’une pétition contre JMM a été lancée.

Face à cet engouement, le groupe a répliqué avec son argument principal: #JeSoutiensLaPrésomptionDinnocence. S’il a été retweeté par Morandini, ce hashtag n’a finalement pas connu un grand succès…
Le privilège de l’audience
La nouvelle image que devait bâtir la chaîne en se rebaptisant Cnews est entachée par la polémique. Face à des employés et à un public mécontents, la communication de la direction se fait attendre. Au lieu d’apaiser les tensions, elle s’est opposée au reste du monde. La guerre numérique pouvait paraître bon enfant, mais la proposition d’une clause de conscience, si elle avait pu constituer une communication efficace (la direction se montrant alors compréhensive), sonne comme une injure pour les journalistes, invités à accepter ou à démissionner. Celle-ci fut alors perçue comme une simple formalisation juridique de la provocation de Serge Nedjar, patron d’iTélé : « Si vous n’êtes pas contents, vous n’avez qu’à partir».
La stratégie du groupe – ne jamais baisser la garde, donne l’impression d’un refus de régler le conflit. Mais pourquoi défendre un présentateur tant rejeté par l’opinion ? Pour défendre l’ami de Vincent Bolloré, pour essayer de faire de l’audience quitte à sembler immoral ? Une telle polémique pourrait effectivement attirer les téléspectateurs, curieux de voir si JMM saura rebondir ou bien s’il subira l’humiliation. L’audimat serait donc privilégié au détriment de l’image de marque. Pari très risqué pour iTélé !
(In)succès
Lundi 17 octobre, point culminant du scandale : nouvel article des Inrocks révélant une nouvelle affaire de corruption de mineurs impliquant Morandini, nouveau déchaînement médiatique, grèves et bataille numérique. Bref, de quoi déstabiliser JMM pour sa première. Si le présentateur le précédant a laissé l’antenne sans lui adresser un mot, il n’a rien laissé paraître. Néanmoins l’émission a donné à la twittosphère de quoi alimenter les conversations, du sujet sur la série New York, unité spéciale (sur la lutte contre les agressions sexuelles) aux problèmes techniques et aux nombreuses allusions à ses détracteurs. Stéphane Plaza s’est fait lyncher pour avoir fait sa promo à travers l’émission, tandis que les annonceurs, refusant d’être associés à l’animateur, ont laissé les coupures pub démunies.

Sur son blog, JMM s’est trop vite réjoui des premières audiences, sûrement dues à une simple curiosité. Dès le lendemain, les audiences ont chuté. La stratégie de la direction a donc échoué, s’attirant au passage les foudres du public et de ses propres salariés. Mais depuis ce jour, la com’ de la direction a pris un tournant inattendu : émission introuvable sur le site d’iTélé, suspension provisoire du programme et nouvel habillage remis à plus tard. Bref, la chaîne semble prouver son incapacité à gérer la crise.
Comment faire croire aux employés qu’on les comprend en éliminant le problème seulement pendant la durée de la grève ? Les tensions entre salariés et directeurs ne vont certainement pas s’estomper de sitôt.
La question reste de savoir si la présomption d’innocence est applicable à une personnalité publique ou si la moralité devrait l’emporter. Quoi qu’il en soit, la réputation d’un homme semble pouvoir déteindre sur l’image d’une chaîne, et la polémique n’amène jamais de bons résultats. Entre le Morandinigate et la nouvelle grille des programmes, Cnews n’en a pas fini avec les polémiques. Affaire à suivre…
Charlotte Delfeld
Sources :
– Delcambre, Alexis et Picard, Alexandre. « I-télé: Morandini à l’antenne, malgré la grève ». Le Monde. Publié le 18/10/2016. Consulté le 18/10/2016.
– Kucinskas Audrey. « Affaire Morandini : comment l’animateur gère sa crise grâce à son blog ». L’express. Publié le 09/08/2016. Consulté le 15/10/2016.
– Le Point. « Affaire Morandini : la guerre des hashtags ». Publié le 15/10/2016. Consulté le 16/10/2016.
– Morandini, Jean Marc. « Le Monde publie une tribune de Jean-Marc Morandini qui répond à la société des journalistes de iTélé». Publié le 14/10/2016. Consulté le 16/10/2016.
Crédits photos:
– Closer
– Twitter : @canal+groupe / @Marcfauvelle / @francoisgapihan

Sarkozy D8
Flops

« Campagne Intime, Nicolas Sarkozy » : simple documentaire ou véritable outil de communication ?

 
La diffusion de « Nicolas Sarkozy, Campagne intime » sur D8, mardi dernier, aura fait couler beaucoup d’encre. Le programme, présenté comme un documentaire inédit sur la campagne présidentielle de l’ancien chef de l’Etat, a en effet suscité de nombreuses réactions sur la toile. Décrié sur les réseaux sociaux, ressassé et analysé par les chaînes d’information et dans la presse, le programme a tout de même rassemblé 1,5 millions de téléspectateurs et enregistré 5,2% de part d’audience, à tel point qu’il devient légitime de se demander quel a été le véritable enjeu de sa diffusion. Stratégie de communication ou simple documentaire à regarder avec recul et second degré ? La question se pose, d’autant plus qu’il s’agit bien ici d’un reportage ambivalent.

Information ou communication ?
« Campagne Intime » retrace les mois de campagne précédant l’élection présidentielle de 2012 avec un objectif affiché : montrer ce que ni le public ni les journalistes n’auraient vu jusqu’ici.
Caméra à l’épaule, Farida Khelfa a en effet suivi le couple présidentiel dans des moments de vie quotidienne, ou intime, comme le titre du programme l’indique. Il est néanmoins possible de se demander si l’intimité n’est pas ici la grande absente, car bien qu’il soit présenté comme un film à caractère documentaire, le programme fait montre d’une subjectivité affichée. La réalisatrice, ex-mannequin et amie de Carla Bruni Sarkozy, nous donne ainsi à voir l’image d’un couple quasi parfait : elle, soutien sans faille toujours prête à pousser la chansonnette, lui, père attendrissant et homme politique engagé.
Une vision sans recul et pour le moins subjective qui nous laisse penser qu’il pourrait bien s’agir d’un outil de communication politique. Difficile en effet d’envisager qu’un homme politique puisse réellement être naturel face aux caméras, et c’est en cela qu’il devient légitime de se demander si la communication n’aurait pas ici pris le pas sur l’information.

De plus, si le but de ce documentaire n’est pas clairement établi, le choix de sa période de diffusion pourrait aussi être questionné. Dans le cas où l’on serait face à un reportage purement informatif, quel pourrait être l’intérêt pour la chaîne de le diffuser maintenant ?
L’hypothèse de l’outil de communication semble d’autant plus plausible si l’on tient compte du contexte politique actuel. Ainsi, dans le cadre d’une stratégie politique, il semblerait opportun pour Nicolas Sarkozy de véhiculer l’image d’un homme proche du peuple et digne de confiance, alors même que la communication du président actuel semble lui faire défaut et ne cesse de faire augmenter son impopularité. La chaîne affirme néanmoins qu’il ne s’agit pas ici d’une stratégie de communication ni d’une commande des équipes de Nicolas Sarkozy, accentuant ainsi l’ambivalence du programme.
Un relai médiatique pour le moins surprenant
 Qualifié de « film de propagande, tourné avec le cœur et filmé avec les pieds » par Médiaslemag, « Campagne Intime » aura donc été vivement critiquée et tournée en dérision par les téléspectateurs et les journalistes.

Pourtant, le dispositif médiatique mis en œuvre autour du reportage semble lui conférer la légitimité et le sérieux d’un véritable événement politique. Un teasing important a ainsi été mis en place sur la chaîne D8, mais le reportage a surtout fait l’objet d’une analyse postérieure sur la chaîne d’information i>télé. Un débat a ainsi été proposé en seconde partie de soirée, décryptant le documentaire et rappelant les analyses proposées lorsqu’un événement politique important survient.
Et les chaînes publiques n’étaient pas en reste puisqu’au lendemain de sa diffusion, France 2 commentait le programme dans son journal de 13 heures, mettant en exergue son caractère exclusif. Le reportage a été relayé et commenté par les chaînes d’information, au même titre que les évènements politiques majeurs. Ce qui peut sembler paradoxal puisque toute ambition politique est ouvertement niée.
Nicolas Sarkozy, le retour ?
En conclusion, il semble important de souligner l’ambivalence d’un tel documentaire qui, malgré une volonté affichée de simplement faire découvrir au public la face cachée d’un homme politique, participe au retour de Nicolas Sarkozy dans la conscience collective. En témoigne notamment la réapparition du hashtag #SarkoNostalgie le soir même de la diffusion du reportage.
Un caractère ambivalent qui pourrait notamment expliquer les critiques virulentes des téléspectateurs et autres journalistes, habitués à ce genre d’exercice communicationnel. En effet, l’initiative de dévoiler les coulisses d’une campagne n’a rien de novateur. Bon nombres d’hommes politiques avaient déjà jugé judicieux de se mettre en scène durant leur campagne. Car il s’agit véritablement ici d’un exercice de mise en scène au travers duquel l’acteur principal cherche à véhiculer une certaine image ; en l’occurrence celle d’un homme serein, engagé et authentique aussi bien en politique que dans l’intimité.
Les enjeux communicationnels d’un tel outil semblent ainsi avoir été identifiés par le public, conscient que ce qu’on lui donne à voir ne reflète pas nécessairement une réalité objective, mais qui semble pourtant se prêter au jeu, comme en témoignent les scores d’audiences.
Néanmoins, le documentaire « Nicolas Sarkozy, Campagne intime » semble se différencier nettement de ses prédécesseurs dans la mesure où l’enjeu politique et communicationnel n’y est pas assumé. Il semble donc légitime de se demander s’il s’agissait ici de préparer un possible retour en politique de l’ex président.
 Amandine Verdier
Sources :
Europe1.fr
Nouvelobs.com
Huffingtonpost.fr