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L'IVG, un droit mis en danger

Le droit à l’interruption volontaire de grossesse existe en France depuis la loi Veil de 1975. Mais la montée en puissance de mouvements comme la Manif pour tous, les Survivants, ou encore de certaines associations catholiques nous indique qu’une partie du peuple français, et ce, quarante et un ans plus tard, n’est toujours pas prête à accepter ce que cette loi prône: le droit au choix.
Un malentendu originel
Désormais complètement légal (dans un délai de 12 semaines de grossesse), l’avortement est accessible à toutes les femmes en France. Dès lors, les « pro-life », qui n’ont toujours pas digéré cette loi, semblent s’être donnés pour objectif de sauver des vies en dissuadant par diverses techniques de manipulation des femmes d’avoir recours à l’IVG, notamment en les attirant insidieusement vers le choix de la grossesse.
L’angoisse principale des « anti-choix », comme on peut tout aussi bien les nommer, semble être que la femme qui avorte ne soit pas consciente de ce que ce geste représente, car ce dernier aurait été banalisé par sa légalisation. L’argument de « l’avortement de confort » est, entre autres, régulièrement repris dans les médias, alors même que les « pro choix » n’ont jamais nié le fait que l’avortement soit une épreuve difficile à traverser. En 1975 déjà, et devant les députés, Simone Veil revenait sur ce point en déclarant: « Je le dis avec toute ma conviction : l’avortement doit rester l’exception, l’ultime recours pour des situations sans issue. (…) aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l’avortement. Il suffit d’écouter les femmes. »
Une façon très particulière de conseiller…
Les pro-life sont nombreux et organisés. Ils se sont emparés des moyens de communication modernes avec succès. IVG.net est le site le plus connu du genre. Ses méthodes relèvent de la désinformation et de la dissimulation: il s’agit d’apparaître sous la forme d’un site officiel et neutre, en se gardant bien de préciser ses influences, et tout en travaillant à ce que les femmes intègrent qu’en allant se faire avorter, elles sont en passe de commettre un crime.
Il s’agit tout d’abord de bien choisir son vocabulaire, ce qui consiste par exemple à parler d’enfant, plutôt que d’embryon. Le partenaire masculin sera évidemment immédiatement qualifié de père. C’est ensuite une rhétorique bien ficelée qui est déployée : s’attarder sur la taille du fœtus, sur le fait que son cœur bat déjà, ou encore sur le fait qu’à x semaines, les oreilles sont déjà formées (rendez-vous compte). IVG.net sait aussi très bien cibler ses victimes. En effet, comme les adolescentes enceintes peuvent être particulièrement tentées par l’IVG, le site s’attache à renseigner les jeunes filles à propos des différentes aides qui permettent d’élever un enfant: « Alors le RSA, je sais pas si vous vous imaginez mais c’est quand même une bonne petite somme qui vous arrive tous les mois et avec ça vous avez de quoi nourrir votre enfant ».
AfterBaiz.com ou encore testpositif.com sont des sites plus récents qui cherchent à « réinformer sur la sexualité ». Ils visent les jeunes avec leurs couleurs vives et un ton décomplexé. Notons que le fondateur d’AfterBaiz.com est le directeur artistique de la Manif pour tous. Quant aux Survivants, leur rhétorique fait de chacun de nous des « rescapés » puisqu’un enfant sur cinq ne voit pas le jour pour cause… d’IVG.
Enfin, la désinformation pro-life va jusqu’à la diffusion de fausses photos de bébés avortés. IVG.net se décline en chaîne YouTube (SOS ivg), use et abuse de la publicité sur les réseaux sociaux (page Facebook « IVG: vous hésitez ? Venez en parler ! »), et propose également un numéro vert mis à la disposition des femmes se posant des questions sur l’interruption volontaire de grossesse. Quel que soit le média, des méthodes similaires sont employées, comme le prouve Guillaume Meurice lorsqu’il décide d’appeler ce numéro vert pour sa chronique sur France Inter.

Et du côté de la loi ?
Ce site s’adressant aux femmes sur le mode de l’intimidation et de la déresponsabilisation était jusqu’en janvier 2016 le premier référencé sur Google avec le mot clé « IVG ». C’est grâce à l’implication du webzine Madmoizelle, et à l’action de Najat Vallaud-Belkacem que le site a perdu sa première place : c’est désormais le site officiel du gouvernement qui apparaît en premier. Néanmoins, IVG.net reste dans le top 3 des recherches et repasse parfois momentanément en tête. La guerre du référencement n’est donc pas terminée.
Un délit d’entrave à l’IVG existe déjà depuis 2014. Ainsi, le fait de chercher à empêcher une femme d’accéder à un établissement médicalisé pour pratiquer une IVG ou s’informer est passible de deux ans de prison et de 30 000 euros d’amende. Afin d’aller plus loin et d’empêcher ces sites internet d’exister en tout légalité, Laurence Rossignol, ministre des Familles, de l’Enfance et des Droits des Femmes, a proposé d’instaurer un délit d’entrave « numérique » à l’IVG début 2016, visant directement les sites de propagande pro-vie. Après que le Sénat a écarté cette extension du délit d’entrave par un avis défavorable en commission, les citoyens se sont mobilisés et rassemblés autour d’une pétition en sa faveur. Le 28 novembre, alors que l’extension doit enfin être débattue au Parlement, le président de la Conférence des évêques de France (CEF), Mgr Georges Pontier, demande officiellement à François Hollande de s’opposer à cette réforme, sans succès, car le texte a été adopté par l’Assemblée nationale le 1er décembre avec le soutien de l’ensemble de la gauche et d’une majorité de centristes, et ce malgré l’opposition de la droite qui en appelait à la liberté d’expression. Le 7 décembre, c’est au tour du Sénat d’adopter la proposition, avec 176 voix pour et 123 contre. Il reste désormais à voir comment ce projet va se concrétiser et comment vont réagir les responsables des sites visés.

En 2016, l’IVG n’est pas encore un droit acquis
Vous l’aurez compris, l’IVG est un droit qui, même en France, a encore bien besoin d’être protégé et défendu contre la désinformation. La manipulation guette chaque femme rendue vulnérable par une grossesse non souhaitée. Elle est un mal pour un bien selon les anti-IVG. En effet, manipuler une femme, c’est bien peu de choses, face au sentiment du devoir accompli, face à toutes ces vies « sauvées ».
Est-ce accomplir quelque chose de « bien » que de dissuader une femme d’avorter, est-ce que l’embryon doit être sauvé à tout prix, au risque de gâcher la vie d’une femme qui n’a pas l’envie, la force ou bien les ressources nécessaires pour élever un enfant ? Quid des enfants rejetés, malaimés ?
Toutes ces questions ne semblent pas être au cœur des préoccupations des regroupements pro- vie, qui, bien loin de se mourir, sont de plus en plus visibles. Le combat pour le choix n’est pas terminé. Rappelons par exemple que François Fillon, vainqueur des primaires de la droite il y a quelques jours, estime que l’IVG n’est pas un droit fondamental. La vigilance reste de mise afin qu’à l’avenir le site officiel du gouvernement ou celui du planning familial ne deviennent pas des repères d’anti-choix.
Pour une information non-partisane et respectueuse: ivg.social-sante.gouv.fr ou planning-familial.org
Camille Frouin
Sources :
• RICHE Sophie, « La nouvelle stratégie des anti-IVG », madmoizelle.com, 29/06/2016, consulté le 26/11/2016
• BALLET Virginie, « IVG: le « délit d’entrave numérique » écarté par le Sénat », libération.fr, 29/09/2016, consulté le 26/11/2016
• CHAMBRAUD Cécile et DUPONT Gaëlle, « Le débat sur l’avortement se crispe », 29/11/2016, consulté le 29/11/2016
• ivg.net
• afterbaiz.com 
• testpositif.com
• Vidéo YouTube France Inter, 12/10/2016 « Avec les anti-IVG – Le Moment Meurice »
Crédits :
• Twitter @lessurviivants
• Facebook , capture d’écran « IVG: vous hésitez ? Venez en parler ! »

Flops

« Vous trouvez ça normal ? »

 
Non, nous ne vous parlerons pas ici de l’émission de vendredi dernier présentée par Bruce Toussaint sur France 2. Ce qui nous intéresse aujourd’hui, c’est le buzz créé la semaine dernière suite à la parution d’une certaine publicité dans le TéléObs de la semaine précédente.
Pris dans la frénésie du scoop et la nécessité de couvrir un maximum d’informations, les journaux et leurs journalistes ne peuvent pas toujours éviter certaines maladresses qui seront toujours accueillies avec bienveillance dans cette section. Cette semaine, c’est Le Nouvel Observateur qui passe à la casserole.
Sauvez un bébé, mangez une baleine
Il y a quelques jours paraissait dans le supplément du Nouvel Obs daté du jeudi 6 décembre, une publicité qui a embrasé la toile et qui a dû marquer un grand nombre d’entre vous. En haut, une baleine plongeant dans l’eau dont seule la queue est visible ; en bas, un embryon. Les deux sont séparés par un carré de texte qui vient clarifier ce parallèle étonnant. L’accroche « Vous trouvez ça normal ? » introduit donc une comparaison entre les baleines en voie de disparition et un embryon. La publicité laisse entendre avec le slogan « On arme des bateaux pour défendre des baleines alors qu’on laisse l’embryon sans défense » que sa survie à lui n’est pas plus assurée que celle du cétacé. Deux alternatives sont proposées au lecteur en bas de l’affiche. Celui qui « trouve ça normal » est invité à aller s’informer sur le site du commanditaire de la publicité, la Fondation Jérôme Lejeune. À l’inverse, celui qui « ne trouve pas ça normal » est redirigé vers une pétition.
On ne s’attachera pas ici à développer les tenants et les aboutissants du slogan ou à décrypter le vocabulaire employé. Notre position sera de revenir sur une campagne dont le propos a été sorti de son cadre principal.
Le buzz a été déclenché le dimanche 9 décembre par le tweet de la journaliste Sandrine Bajos, spécialisée dans les médias, qui s’étonne de voir une « pub anti IVG dans le supplément télé du Nouvel Obs ». Beaucoup ont été consternés devant un tel décalage avec les valeurs du Nouvel Observateur. Rappelons que cet hebdomadaire avait été le premier en 1971 à publier le manifeste des 343 salopes, dans lequel plusieurs personnalités affirmaient avoir eu recours à l’IVG alors même qu’il s’agissait d’une pratique illicite. Elles insistaient par là sur la nécessité de légaliser l’IVG. Devant la multiplicité des réactions, Le Nouvel Observateur, à travers son directeur Laurent Joffrin, s’est publiquement excusé, invoquant une « erreur de fonctionnement interne » qui aurait conduit à cette publication. Explication obscure mais crédible. Le Nouvel Obs n’aurait pas eu grand intérêt à sciemment nier son ethos.
Il est certain que le thème de l’IVG est toujours sensible et le rôle de FastNCurious n’est pas de débattre là-dessus, mais revenons sur un point. Si la fondation Jérôme Lejeune, par les valeurs de bioéthique qu’elle défend, est contre l’IVG, la campagne « Vous trouvez ça normal ? » n’est pas en premier lieu une campagne anti-IVG. Elle s’inscrit en effet dans une lutte contre un projet de loi qui vise à « autoriser sous certaines conditions » l’utilisation de l’embryon dans la recherche (introduisant par là un changement de conception d’avec la terminologie actuelle « interdiction avec dérogation »). D’ailleurs, l’affiche du Nouvel Observateur est la seule qui peut être mal comprise (décidément, le Nouvel Obs doit subir le mauvais œil, et ses rédacteurs avoir la main malheureuse pour mettre un texte aussi polémique dans leur chemin de fer !). Les deux autres publicités, qui peuvent se retrouver sur le site de la Fondation, ont des slogans bien plus explicites et qui ne concernent absolument pas l’IVG dans leur discours (même s’il est de notoriété publique que la Fondation Lejeune est également un organisme assez actif dans la lutte contre l’avortement, ou plutôt, « pour la vie »). Mais terminons en insistant sur le fait que, si certains sont montés au créneau l’interprétant tout d’abord comme une pub anti-IVG, c’est par extension du propos. La campagne a un but bien plus général que celui de revenir avant tout sur l’IVG.
L’art du petit flop
Ce n’est pas la première fois que Le Nouvel Observateur se retrouve, malgré lui au coeur de controverses de la sorte, plus ou moins triviales selon le sujet.
On se souvient par exemple de la vive polémique provoquée suite à la publication d’un billet – là aussi vite retiré – intitulé « Cette grosse qui remue me révulse : je ne supporte pas la pub Castaluna »
L’auteur de l’article, une journaliste de la maison, était tombé dans des clichés humiliants contre les rondes avec sarcasme et franche cruauté. Le web s’était emparé du sujet, chacun y allant de son cri de cœur, qu’il soit gros… ou pas.
Dans la série humour noir : le 5 octobre 2011, scoop sensationnel du Nouvel Obs : Bill Gates est mort. L’information, d’abord publiée sur le site en ligne du journal, est rapidement relayée sur le web avant que les rédacteurs se rendent compte qu’il s’agissait en fait de la mort de Steve Jobs… L’erreur est corrigée dans la foulée, mais la boulette restera dans les mémoires.
Allez, une dernière pour la route (et parce qu’on les aime bien, au Nouvel Obs), nous retiendrons ce petit moment de malaise qu’avait subi Laurent Joffrin sur le plateau de Yann Barthès le 11 novembre 2011. Ce dernier lui avait présenté les petites annonces (coquines, dira-t-on pour rester politiquement corrects) parues dans son magazine. A la suite de quoi, les annonces ont été retirées définitivement. Une pensée nostalgique pour Irina s’impose : on ne verra plus ses propositions de massage naturiste publiées dans l’hebdomadaire.

Ouvrez l’œil camarades! Notre petit doigt nous dit que vous n’avez pas fini de rire devant les petites boulettes de notre journal de la semaine !
Qui aime bien châtie bien
Mais que cet article, traité non sans une certaine provocation, ne soit pas mal interprété ! Le Nouvel Obs, malgré ses petites gaucheries (un comble pour un journal qui se revendique de gauche !), n’en reste pas moins une presse de grande qualité qui se bat pour sa réputation, et ce, non sans quelques réussites. Nous irions même jusqu’à ajouter que certaines des petites bévues du journal (les plus légères du moins) en font un écrit à échelle humaine avec ses qualités et ses défauts, qu’il faut savoir les prendre avec un peu d’humour. Pour les polémiques, comme les deux premières que nous avons évoquées, retenons simplement qu’elles ne sont pas assez fortes pour entacher la renommée de l’hebdomadaire auprès de son public régulier et qu’elles procèdent plus d’erreurs de gestion que de véritables actes significatifs.
Souhaitons au Nouvel Observateur que le scandale suite à l’affiche de la fondation Lejeune ne se reproduise pas ni ne lui nuise, mais qu’il continue à nous amuser avec ses petites bourdes ponctuelles. Elles sont d’autant plus de raisons de nous rappeler qu’il faut rester critique et distant quant à l’information que l’on reçoit.
 
Pauline St Macary & Sophie Pottier
Sources
Huffington post
Ozap
Tribune de Genève
Programme-TV.net
Voustrouvezçanormal.com