Société

The Voice et le storytelling

Le storytelling, largement théorisé aujourd’hui, est souvent réduit à des fins marketings, ou politiques. Or, cet « art de raconter les histoires » est omniprésent, et dans The Voice, c’est assez flagrant.
Effectivement, si l’on fait un peu de calcul, l’émission The Voice dure (sans compter les publicités) environ deux heures pour les auditions à l’aveugle. Or, chaque émission des auditions à l’aveugle comporte 13 candidats, qui ont 2 minutes top chrono pour convaincre leur coach. Ce qui revient en tout à 26 minutes de pures prestations musicales.
Que se passe t-il donc dans l’heure et demi qu’il reste ?
Eh bien, entre autres, du storytelling.

The Voice : quelle télé réalité ?

Aujourd’hui très difficile à définir, la télé-réalité est pourtant un réel concept qui met à jour plusieurs éléments constitutifs, notamment décrit par Valérie Patrin-Leclère, maître de conférences au CELSA. The Voice appartient entièrement à cette catégorie, tout en s’en différenciant sur quelques points.
De prime abord, il y a une mise en situation de personnes volontaires et sélectionnées selon leur qualité – ici, le chant – qui ont envie de se montrer et qui sont filmées sur une période longue. C’est donc un programme excluant. Ensuite, le déroulement du programme repose sur une dynamique d’un jeu où l’on assiste à l’élimination progressive des candidats, jusqu’à un gagnant. Ce dernier, dans le cas de The Voice, obtient non une promesse de gain (quoique), mais une promesse de succès et de réussite dans le secteur de la musique, en ayant l’opportunité de sortir un album, mais aussi de participer à une tournée. Au cours de ce processus d’élimination, le téléspectateur va être invité à y prendre part, grâce un système de vote. Enfin, la diffusion va être faite par épisode s’étendant sur plusieurs mois.
Le modèle économique de cette émission est très intéressant, car, à l’instar de la Star Academy, The Voice se définit par sa diversification. Effectivement, au- delà de la publicité foisonnante, et des audiences mirobolantes (6.03 millions de personnes, soit 30.1% de part d’audience selon Médiamétrie pour le 2 avril), cette émission se décline en produits siglés, albums, tournées (The Voice Tour), …etc.

Toutefois, il est clair que The Voice se différencie de la télé-réalité clichée type Les Marseillais. Effectivement, cette émission renvoie davantage à la « télé coaching », aussi appelée, « la télé bonne fée ». A cet égard, elle n’a pas pour vocation de faire souffrir les candidats, mais plutôt de les aider.

Entre narrativité et récit

Concentrons-nous sur ce storytelling qui est omniprésent dans cette émission. Dans un premier temps, il est intéressant d’expliciter la nuance entre le récit et la narrativité. Philippe Marion, professeur à l’Université Catholique de Louvain, explique qu’un récit est un « bouleversement volontaire d’équilibre ». Autrement dit, pour qu’il y ait récit, il faut qu’il y ait un équilibre initial, une rupture, puis un équilibre final. Au contraire, la narrativité se contente d’un fragment de récit. Ce qui est intéressant dans The Voice, c’est que cette frontière devient plus confuse.

Les témoignages/commentaires pour les séquences des auditions à l’aveugle – la découverte des candidats – sont posés comme des récits, coincés dans un schéma répétitif  : un équilibre initial (le « avant the Voice ») : le candidat explique son métier, sa vie, depuis quand il chante. Il y a généralement un témoignage rapide des proches. Puis, la rupture (le « The Voice »), et enfin, l’équilibre final : ce que The Voice lui apporterait. Pour autant, cet équilibre final n’est qu’une condition, un souhait. Dès lors, on pourrait plutôt considérer ces témoignages comme de la narrativité, dans le sens où ils ne sont qu’une partie du récit. Il manque la transformation, qui perdure tout le long de la totalité des épisodes du programme.

Par conséquent, chacune des ces narrativités, chacun de ces storytellings, construit un seul et même récit : celui de l’émission The Voice. C’est sur cette économie du commentaire que The Voice bâtit la continuité des séquences. Autrement dit, l’équilibre final équivaut au dernier épisode de la saison, clôturant ainsi ces premiers témoignages.

Le storytelling comme clé de la réussite

Du côté du public : Tel le rêve américain, ce sont ces témoignages d’anonymes galopant vers la célébrité qui motivent les audiences. Le storytelling porte en lui le rêve caché de tout à chacun : la réussite. Nous pouvons tous nous reconnaître dans ces histoires personnelles, c’est le pouvoir d’identification du récit. À titre d’exemple, le dernier gagnant de The Voice (ci-dessus), Lilian Renaud, était fromager en Franche-Comté. Ces « success(ful) stories » ont un certain écho dans une France aujourd’hui imprégnée de défaitisme. Au-delà des pures prestations musicales, on regarde The Voice pour croire en la réussite, car c’est une émission qui parvient à vendre du rêve.
Du côté du candidat : Le storytelling, comme en politique ou en marketing est utilisé dans The Voice afin que chaque candidat anonyme venant dans le même but et ayant la même qualité – savoir chanter – puisse se différencier.
Comme nous l’avons dit plus tôt, le public est pris en compte dans le processus d’élimination. Dès lors qu’il est question de vote, il est implicitement question de campagne, et, ce storytelling est la première communication des candidats envers son public. Il va permettre de toucher, en racontant une anecdote autobiographique, et en jouant sur le registre dramatique. À cet égard, pour ces candidats, le storytelling ne consiste pas seulement à raconter une belle et émouvante histoire : c’est surtout une forme de communication destinée à mobiliser les émotions, et persuader le téléspectateur de voter pour lui et pas un autre.
On peut parler en un sens de « campagne » car cette phase de témoignages est réalisée dans les 4 premiers épisodes, avant même que les votes du public soient pris en compte. C’est le prémisse dans l’aventure The Voice qui introduit cette idée de compétition.
Bien évidemment, ce n’est pas une manipulation diabolisée, mais une dimension bien réelle du récit, inévitable lorsqu’il est question d’élimination. C’est le jeu.
Clémence Midière
@clemmidw
Sources:
Valérie Patrin-Leclère – Cours du CELSA
Philippe Marion – Conférence « Les territoires de la médiagénie » CELSA
Médiamétrie (audience)
Crédits photos:
MyTF1.fr

Play to Cure cancer
Société

Si jouer pouvait guérir

 
On nous annonçait il y a encore quelques jours que les jeux vidéos n’avaient pas d’impact négatif sur « les performances scolaires et cognitives » de ses joueurs. Aujourd’hui, le Cancer Research UK (institut de recherche mais aussi association caritative) fait mieux, en vous proposant de les aider à vaincre la maladie en installant un jeu intergalactique sur votre Smartphone.
Play to Cure – Genes in Space : un moyen de mettre à contribution le moins scientifique d’entre nous dans le traitement de données utiles à l’analyse des gènes responsables des dysfonctionnements cellulaires à l’origine du cancer.
Le message du Cancer Research UK est simple : nous pouvons tous contribuer à faire avancer la recherche sur le cancer – avec ou sans blouse -, et plus étonnamment, avec ou sans don*.
L’occasion de donner bonne conscience aux plus réticents à apporter leur contribution financière à la recherche, ou réelle campagne de sensibilisation ?

« The more players we have, the quicker we get the results, bring forward the day, when all cancers are cured »
 
Eléonore Péan
Sources :
CancerResearchUK.org
LaReclame.fr
* une application gratuite, disponible uniquement en anglais à l’heure actuelle

Société

The Sevens by Secret Location : Mystère et boule de com'

 
Lorsque l’on entre, ou je dirais même plus, lorsque l’on pénètre dans le site de Secret Location, on ne comprend pas tout à fait ce qu’il est en train de se passer. Une vidéo s’affiche en plein écran sans que l’on n’ait rien demandé, et l’on est immédiatement plongé dans un film à l’univers insolite, mettant en scène une jeune fille et des formes géométriques qui gravitent mystérieusement autour d’elle. Puis l’on se retrouve à devoir, nous, simple visiteur, interagir avec ce personnage aux super-pouvoirs mystiques à travers des jeux, et ce sans trop saisir le pourquoi du comment. L’immersion est déstabilisante mais entière, l’atmosphère est inquiétante mais prenante. Le pari de Secret Location est réussi : le visiteur vit une implication psychologique et émotionnelle totale.

Et pourtant Secret Location n’est ni le nom d’un film, ni celui d’un jeu vidéo nouvelle génération. Il s’agit en réalité d’une agence de communication interactive basée à Toronto, devenue experte dans la création de supports interactifs pour développer l’image de ses clients. The Sevens, l’expérience interactive que l’on découvre sur le site Internet de l’agence a été conçue pour divertir et attirer l’attention du visiteur tout en faisant la démonstration de ses capacités à la fois techniques et d’innovation.
Tout a commencé il y a quatre ans lorsque James Milward, le président et fondateur de Secret Location, transforma le site web de l’agence en portfolio interactif, construisant ainsi une histoire dans laquelle le visiteur était happé. Les résultats ne se firent pas attendre : 120 000 personnes visitèrent le site web durant les trois premiers mois après sa mise en ligne. Mais les visiteurs crurent tous que le numéro de téléphone qui apparaissait faisait partie de l’histoire alors qu’il s’agissait simplement de celui de l’agence. Cette vaste erreur fut l’impulsion créatrice de The Sevens car elle permit à Milward de réaliser le potentiel qu’un numéro de téléphone pourrait engendrer dans une nouvelle version du site qui l’intégrerait, cette fois-ci volontairement, dans une expérience trans-média.
Milward a donc fait appel aux talents du scénariste et réalisateur José Avelino Gilles Corbett Lourenço pour concevoir The Sevens. L’experience commence avec la vue d’un homme assis à son bureau puis le bruit d’un téléphone qui sonne. Le visiteur est alors invité à cliquer sur ce téléphone, ce qui l’amène à suivre Julie, le personnage principal, une jeune fille visiblement dotée de pouvoirs surnaturels lui permettant de diriger à distance des formes géométriques holographiques. La narration est entrecoupée par trois fois de scènes interactives dans lesquelles le visiteur doit résoudre des énigmes. Tant qu’elles ne sont pas résolues, le film se répète en boucle, l’histoire tourne en rond. Dès lors que le visiteur résout le dernier palier de l’énigme, il est amené à utiliser son téléphone pour s’immerger davantage dans l’histoire et arriver à son dénouement.
Secret Location, avec ce site web inventif a su saisir les tendances communicationnelles d’aujourd’hui. Outre une technique finement maîtrisée avec l’intégration des jeux dans l’écran sans que le film ne s’interrompe, The Sevens propose surtout une sorte de mise en abîme intéressante. En effet, si la plupart des sites d’agences de communication se contentent tristement d’une simple sélection de travaux et d’une liste de renseignements, Secret Location a choisi de promouvoir son travail à travers un site, qui en lui-même est déjà une prouesse d’inventivité et une vitrine des talents de l’agence.
Par ailleurs, Secret Location surfe sur la vague des publicités interactives. Même si, pour la plupart, elles demeurent anecdotiques et sans véritable fond narratif, l’agence canadienne est allée plus loin qu’un basique storytelling, en impliquant émotionnellement le potentiel client le long d’une aventure immersive qui présente un véritable fil conducteur et une atmosphère bien à elle. De plus, l’approche pluri-média de l’agence s’inscrit elle aussi dans l’air du temps, et lui permet de rendre l’expérience encore plus vivante. Secret Location poursuit l’interactivité encore plus loin, puisque l’agence sortira chaque mois un nouvel épisode, imaginé à partir du feedback des visiteurs. Ces derniers sont en effet invités à partager sur le site leurs idées concernant le prochain chapitre. Il s’agit donc d’une expérience participative et temporalisée, à la manière d’une série TV, de quoi rendre le visiteur accroc!

Pour l’avenir, on peut imaginer que l’agence renforcera son approche transmédia en multipliant les supports médiatiques impliqués dans la narration, avec par exemple d’autres sites web, l’infiltration des réseaux sociaux voire même la création d’applications pour smartphones. Secret Location devra cependant veiller à ne pas perdre de vue l’utilité principale d’un site web, celle d’informer le visiteur de manière claire et efficace. Attention donc à ne pas trop complexifier le processus, car si l’expérience est innovante et originale, elle peut s’avérer déplaisante et laborieuse pour celui qui sera pressé ou qui n’arrivera pas à résoudre les énigmes.
Ce qui est certain c’est que l’agence a vu juste. En se spécialisant dans la communication interactive alliant jeu vidéo et film, elle se trouve au coeur d’une tendance communicationnelle en plein essor, qu’on pourrait nommer la « communication-expérience ». L’idée d’un univers immersif impliquant le visiteur jusqu’au cou permet de susciter chez celui-ci une émotion bien particulière : celle de se sentir unique, impliqué et surtout évadé. Secret Location a compris le désir du consommateur actuel, ce désir de s’élever du quotidien, et d’accéder au rêve, même lorsqu’il fait un simple acte de consommation. Le client d’aujourd’hui ne veut plus uniquement acheter, il veut être transporté, appartenir à une communauté et vivre une EXPERIENCE à part entière.
Hélène Carrera
Sources
Kesakoleblog
Thesecretlocation
Fasttocreate
Glossyinc