« Nous faisons tout pour que les sportifs, les spectateurs, les visiteurs se sentent bien aux Jeux olympiques, quelles que soient leur nationalité, leur appartenance ethnique ou leur orientation sexuelle », tempérait Vladimir Poutine, en bon prince, le 28 octobre dernier, devant Thomas Bach, président du Comité international olympique.
Oui. Ce même Poutine, qui quelques jours auparavant, affirmait pourtant que si les « sportifs qui ont une orientation sexuelle non traditionnelle […] sortent dans la rue pour en faire la propagande, ils devront en répondre devant la loi ».
D’emblée, une question se pose : qu’entend précisément le Président de la Fédération de Russie en ajoutant les termes « faisant la propagande de relations sexuelles non traditionnelles» à la loi fédérale sur la protection des enfants contre les informations nuisibles à leur santé et à leur développement ? Évoquer la tradition et la propagande paraît excessif et lourdement connoté pour parler d’innocentes manifestations d’amour de la part d’individus de même sexe. Et après une – très courte – réflexion, il peut même sembler risible d’imaginer que deux femmes s’embrassant dans les jardins de Pavlovsk puissent chercher à mettre en œuvre une stratégie de persuasion en vue de propager une façon d’aimer nuisible à la santé, au développement des enfants, et non conforme à l’usage ancestral russe de surcroit.
Cette pointe d’ironie n’est bien évidemment là que pour mettre en avant l’ambivalence de cette loi, qui témoigne d’une certaine habileté d’un point de vue communicationnel : en accentuant le flou autour des termes choisis, Poutine permet à ce texte ambigu d’être interprété de manière très large, de sorte qu’il puisse s’appliquer à quantités de cas de figure, pouvant aller des cours d’éducation sexuelle donnés aux jeunes, en passant par le simple baiser remarqué au détour d’une ruelle et jusqu’à l’organisation de mouvements tels que les gay prides.
Quoi de plus efficace que de faire une analogie entre une prise de position résolument discriminatoire et un risque pour l’avenir de la nation – la jeunesse ? Que dire de l’évocation d’un moyen de persuasion tel que la propagande dans un pays qui, il n’y a même pas un siècle en arrière, en subissait tous les méfaits sous la dictature stalinienne ?
La stratégie employée par le Président de la Fédération russe, qui mise manifestement sur le danger que peut représenter l’homosexualité, s’avère ainsi presque rhétorique ; rappelons qu’en-dehors des termes « relations sexuelles non traditionnelles », jamais le mot « homosexualité » n’est cité dans le texte. Pascal le premier disait qu’« il y a une éloquence du silence qui pénètre plus que la langue ne saurait faire ».
Plus frappant encore est l’enracinement de la tradition dans les mœurs russes, puisque 88% de la population soutient Poutine et plus de la moitié des citoyens juge nécessaire de pénaliser l’homosexualité, d’après un sondage de l’institut Vtsiom. En somme, 12% de sympathisants à la cause LGBT en Russie, 12 petits pourcents de personnes désormais privées de parole, comme l’affirment ces couples de lesbiennes photographiées par Anastasia Ivanova.
Kate et Nina : « En public, nous essayons de ne pas cacher nos sentiments, et nous sommes déterminées à nous tenir la main et nous embrasser librement. Mais la situation des droits des homosexuels en Russie est mal partie. La façon dont nous vivons fait de nous des hors-la-loi. »,
From Russia with Love, série photo d’Anastasia Ivanova.
Une voix leur est heureusement offerte à l’international, où les réactions vont quasi-unanimement à l’encontre de cette décision, non seulement en raison de la violation de la liberté d’expression que cette législation induit, mais aussi en vertu de l’incitation à l’intolérance qui découle de la lecture des amendements. Ainsi, Amnesty International qualifie cette loi de « clairement discriminatoire » ; Human Rights Watch y voit « une violation flagrante de l’obligation juridique internationale de la Russie de garantir la non-discrimination et le respect de la liberté d’expression » ; le gouvernement canadien ne mâche pas ses mots en déclarant que cette loi est « mesquine et odieuse » ; Obama, pour sa part, est catégorique, il n’a « aucune patience pour les pays qui tentent de traiter les homosexuels ou les lesbiennes ou les personnes transgenres de façon à les intimider ou à les mettre en danger ».
L’organisation des Jeux Olympiques de Sotchi 2014 est donc questionnée, puisque la Russie, pour accueillir cet évènement, se doit de respecter la Charte olympique, qui veut que « toute forme de discrimination à l’égard […] d’une personne fondée sur des considérations de race, de religion, de politique, de sexe ou autre est incompatible avec l’appartenance au mouvement olympique », d’où la subite tempérance de Poutine évoquée en début d’article. Face à cela, les campagnes solidaires abondent, à l’instar de la Human Rights Campaign, qui met en avant des célébrités gay-friendly arborant un t-shirt clamant fièrement et en russe : « L’amour peut vaincre la haine ».
Jamie Lee Curtis, Ricky Martin et Wentworth Miller, pour la Human Rights Campaign, sur Instagram.
Également remarquable, cette campagne de la Fondation Émergence va même jusqu’à créer sa propre promotion des Jeux de Sotchi 2014. Vous avez dit provoc’ ? Peut-être, mais dans ce cas-ci et tout comme Brecht, on pense que « la provocation est une façon de remettre la réalité sur ses pieds ».
Campagne Sotchi 2014 de la Fondation Émergence
David Da Costa
Sources:
Lemonde.fr
Huffingtonpost.fr
Fondationemergence.org
Crédits photos : From Russia with Love, photographies d’Anastasia Ivanova.