L’homme politique se doit d’être l’asymétrique
On se sent de plus en plus citoyen à mesure que les dimanches de vote approchent. On écoute les propositions des candidats et au passage, on regarde comment ces gens se montrent. A ce propos, je vous recommande la lecture du dernier livre de Jacques Séguéla, le publicitaire de la « force tranquille ». D’abord parce que c’est assez amusant de voir comment on peut parler en slogans, c’est-à-dire en mettant des allitérations et des formules chocs à tous les coins de pages et ensuite parce qu’on y trouve des jolies perspectives communicationnelles.
« Gauche droite, tous pareils ! … », On a tous déjà entendu ça. Quoi qu’il en soit, dans le domaine de la com’ politique Séguéla transpose ce constat en écrivant que « Tous les candidats se ressemblent, mêmes complets gris, bleus ou noirs, mêmes tics, mêmes phrases, mêmes pensées, triste reflet de l’uniformité humaine. » (p. 97). Cruel constat. Plus tôt, il a cette formule surprenante au premier abord « Les mots porteurs ont une durée de vie que la surmédiatisation abrège. Hier, les slogans duraient des siècles : « Liberté, Egalité, Fraternité ». Aujourd’hui, ils survivent le temps d’une campagne, et encore ! » (p. 93).
Ces passages résument une grande partie de ce que l’on voit aujourd’hui dans les médias. Les candidats cherchent à créer l’asymétrie pour être vus, reconnus et sortir du lot aux yeux des électeurs.
Rapide revue loin d’être exhaustive des asymétries possibles :
On peut décider de parler avec un accent et des lunettes caractéristiques (Eva Joly), avec des allures d’orateur charismatique et bourru surmontées d’une dose de mépris pour les journalistes (Jean-Luc Mélenchon) sur Twitter (Nadine Morano), depuis sa cuisine (Hervé Morin) ou en flirtant avec la xénophobie (Marine le Pen).
On peut aussi proposer de nouveaux mots. Sans parler de la « bravitude », en 2007, Ségolène Royal revendiquait son « Désir d’avenir ». Le mot « désir » n’avait jusque là jamais été utilisé en politique et connote quelque chose de vraiment impliquant, presque animal.
François Hollande opte d’abord pour l’image sage et réfléchie face aux attaques déstabilisantes de Martine Aubry lors des primaires socialistes. Le candidat veut aussi montrer qu’il incarnerait une Présidence plus rationnelle que celle qu’il dénonce aujourd’hui en exhibant sa simplicité. Le plus urgent pour lui est de prouver qu’il a du caractère pour sortir de cette mollesse qu’on lui reproche (notamment avec le discours du Bourget du 22/01/2012).
Créer l’asymétrie pour sortir du lot, c’est-à-dire exister aux dépens des autres. Cela implique donc d’interpeler et de discréditer les autres… Tous le tentent (ou presque) via les petites phrases pour déstabiliser et critiquer par médias interposés. Pourtant, c’est sans doute un débat de fond qu’il faudrait à la France. D’ailleurs, laissons les derniers mots à Séguéla. Après avoir parlé de cruauté et de calomnie : « De quoi dégoûter les Français. Dans ce carnage médiatique, la surprise pourrait bien venir de celle ou celui qui saura incarner une France digne. » (p. 134)
Thomas MILLARD
Crédits photo et source : Le pouvoir dans la peau, Jacques Séguéla, octobre 2011