Culture

Qui me lira ?

Le livre est un objet bien particulier. Attachant, symbolique, intime, il raconte parfois plus d’une histoire : la sienne et la nôtre. Partage, échange et lecture semblent alors former un cocktail qui va de soi. S’inspirant des campagnes de partage de livres qui agissent au Royaume Uni, The Fair, une société basée à Pékin, lance l’initiative Mobook : plus de 10 000 livres sont éparpillés près des transports en commun dans les grandes villes de Chine, prêts à être cueillis par d’avides lecteurs… Mais la réception manque curieusement et véritablement de poésie !
L’échec Mobook : une histoire qui finit mal
L’association Books on the Underground, fondé au Royaume-Uni, nous reconnecte avec la notion d’échange interpersonnel, émanant du livre. Le principe est simple : des livres sont déposés dans le métro presque tous les jours par des membres de l’association. Cette dernière est soutenue par de nombreux auteurs, éditeurs, mais aussi réalisateurs et acteurs. La participation d’Emma Watson à cette campagne en est l’exemple le plus récent. En novembre 2016, l’actrice a déposé dans le métro londonien une centaine d’exemplaires du même livre, Mom & Me & Mom de Maya Angelou, accompagnée d’une petite note explicative écrite de sa propre main. L’initiative est admirable mais surtout elle fonctionne ! Les passants étaient intrigués, l’échange s’est alors fait en toute habileté.

Mais lorsque le partage dépasse les frontières de l’Europe pour atteindre la Chine, le résultat s’avère moins positif, et de loin. Effectivement, The Fair lance sa propre campagne de bookcrossing dans les villes de Shanghai, Pékin, et Guangzhou, avec pour projet de l’étendre encore plus. Passant de 100 livres déposés par Emma Watson dans les métros londoniens à 10 000 livres répartis dans les transports publics de Chine, cette volonté d’incitation à la lecture prend une toute autre forme. Non seulement les passagers ne se sont pas emparés des livres mais surtout des plaintes ont fusé de toute part ! Et ce pour de multiples motifs : le manque de place dans le métro, le manque d’originalité, et la provenance trop occidentale de ce modèle… En résulte une campagne d’abord très réussie qui se transforme en un fiasco total.
La Chine, dépourvue de lyrisme ?
La démarche de bookcrossing, mise en place plus intensivement en Chine, en devient presque excessive et contraste avec la subtilité des actions menées par l’association anglo-saxonne. En cachant uniquement cent livres dans le métro et en invitant au partage, Emma Watson confère un aspect unique à chaque exemplaire et à la personne qui le trouvera. Poétique et attrayante, cette démarche communicationnelle joue sur l’effet boule de neige : un petit noyau de livres et de lecteurs qui se propage et s’agrandit. Dès lors, le côté brusque et soudain de la campagne Mobook détonne avec l’atmosphère offerte, originellement, par cette initiative. Le cœur du problème est rapidement identifié : l’idée est bonne, mais la cible ne lui correspond pas. D’une part, les métros circulant dans les grandes villes de Chine sont surpeuplés et ne permettent pas une activité de lecture paisible. Les réactions, intransigeantes et austères, dénoncent le « trouble de l’ordre public » ; et de ce fait de nombreux livres sont récupérés par le service de nettoyage du réseau de transports.

D’autre part, la Chine est l’exemple même d’une société qui ne lit plus (ou très peu), notamment parce qu’elle privilégie la technologie. Un sondage mené par l’Académie Chinoise de la Presse et de l’Édition montre qu’un citoyen du pays a lu en moyenne moins de 5 livres au cours de l’année 2015, chiffre radicalement supérieur aux États-Unis, au Canada mais aussi en Corée du Sud, avec 11 livres lus par an, et 9 au Japon. Le concept marketing de Mobook est estimé illusoire et vain, dans la mesure où les communicants autour du sujet, tel que l’acteur Huang Xiaoming, ne lisent vraisemblablement pas non plus. La démarche tourne alors au ridicule et n’est plus considérée que comme une activité marketing, visant à promouvoir la société The Fair. Ce manque d’intérêt et ces conditions sont décidément peu propices à l’expansion et à la réussite d’une telle campagne.
Livre versus smartphone : une page qui se tourne ?
Autre facteur, autre problématique : la technologie a pris la relève depuis de nombreuses années dans de nombreux domaines. Le livre pourrait-il être dépassé ? Si le monde de l’édition tend à nous prouver que non, l’obsession pour les smartphones semble pourtant justifier en partie l’échec de Mobook. Les transports sont, par excellence, des lieux propices à la lecture et nous voyons constamment des voyageurs plongés dans leurs livres. Mais désormais les portables occupent bien souvent les mains des passagers, et cela se fait particulièrement ressentir en Chine. Les citoyens, le nez rivé sur leurs smartphones, préfèrent suivre les réseaux sociaux, regarder des émissions ou jouer à des jeux vidéos. La lecture se raréfie car elle n’est ici plus vue comme un plaisir, mais uniquement comme un moyen de réaliser des objectifs professionnels ou intellectuels.

Une question, quelque peu inquiétante, se pose : est-ce réellement la campagne Mobook qui est à l’origine de ce flop, ou bien le livre lui-même ? Murong Xuecun, écrivain chinois renommé, souligne le manque d’intérêt pour la lecture de la part de ses concitoyens. Néanmoins, il est loin de décrire une situation désespérée ; il encourage la poursuite d’initiatives de ce type, lesquelles sont, après tout, la clé pour retrouver l’essence même de la lecture, fondée sur l’échange et le partage. Alors attention ! Le livre n’a pas dit son dernier mot.
Madeline Dixneuf
Sources :
Books On The Undergroud, site officiel, consulté le 29/01/2017
http://booksontheunderground.co.uk/
French-china.org, Le partage de livre dans le métro fait un flop, publié le 17/11/2017, consulté le 29/01/2017
http://m.french.china.org.cn/french/doc_1_26361_2153068.html
ActuaLitté, Dans le métro la chasse aux livres façon Emma Watson finit mal, Nicolas Gary, publié le 19/11/2016, consulté le 29/01/2017
https://www.actualitte.com/article/monde-edition/chine-dans-le-metro-la-chasse-aux-livres-facon-emma-watson-finit-mal/68124
The Guardian, Emma Watson leaves free copies of Maya Angelou book on tube,
Alison Flood, publié le 3/11/2016, consulté le 30/01/2017
https://www.theguardian.com/books/2016/nov/03/emma-watson-free-copies-maya-angelou-books-on-tube-harry-potter
Crédits photos :
Actualitté.com
Facebook Books on the Underground
Au boudoir écarlate, sur ecommerce & co
French.China.org

The New york Times
Société

L’information en italique

 
Nous ne lisons pas de la même manière sur le papier que sur l’écran, c’est pourquoi le développement des sites d’information en ligne, au détriment du journal, soulève de nouvelles réflexions quant à la mise en page du discours proposé. Une typographie ou une couleur influent sur notre interprétation finale d’un texte, et ces structures que nous ne voyons pas sont autant de voiles qui façonnent le discours et l’orientent.

La semaine dernière, le quotidien « The New York Times » modifiait certains éléments, discrets mais significatifs, de son site internet, ouvrant la voie à un questionnement sur ces structures invisibles qui conditionnent notre lecture à notre insu. Jusqu’ici était utilisée la police Georgia, en gras, qui ressortait avec d’autant plus de force qu’elle avait été créée pour l’écran. Désormais, il s’agit de Cheltenham, une police d’imprimerie, en rappel à l’édition papier — mais en italique. Plusieurs études ont été consacrées à l’utilisation de l’italique, qui serait à manipuler avec précaution : sa densité et son mouvement seraient apparemment plus difficiles à saisir, mais forceraient aussi le lecteur à une concentration supérieure, qui lui permettrait de mieux retenir les données en italique. Ian Adelman, le directeur de digital design du site explique ce changement par le désir d’insuffler au lecteur un sentiment d’urgence dans sa lecture, mais aussi de réaffirmer l’image du journal : moins désuet, mais toujours traditionnel.
 Ainsi, un élément aussi impalpable et fugace que la typographie d’un article porterait-il en lui le manifeste du journal tout entier, dans son rapport à l’information, au lecteur et au monde ?
Agnès Mascarou
Sources :
fastcodesign.com
slate.com
nytimes.com
Crédit photo :
nytimes.com