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Le prince (presque) charmant qui roulait en Renault

 
A priori, rien de bien méchant. Un prince (presque) charmant est un film français (réalisé par Philippe Lellouche) et, eu égard au titre et l’affiche, une comédie romantique. Premier plan, on suit une Audi TT (gris mât) lancée à pleine vitesse sur le périphérique. Jean-Marc (Vincent Perez) est aux commandes… et au téléphone, sa secrétaire, très angoissée par sa conduite, se propose alors de prendre le volant, ce que Jean-Marc refuse, en bon PDG macho et méprisant. Le sujet du film est posé. Il s’agit bien d’une histoire d’amour. Non pas entre Jean-Marc et sa secrétaire. Entre Jean-Marc et une autre femme alors ? Manqué ! La princesse du « prince (presque) charmant » est une voiture. L’Audi TT ? Encore raté. C’est une « Zoé », la petite dernière de chez Renault. Analyse.
Le consommateur est aujourd’hui devenu un ambassadeur publicitaire de premier choix en générant ce qu’on appelle du « earned media », c’est-à-dire une communication, souvent suscitée mais non contrôlée par la marque, notamment sur les réseaux sociaux. Tous les personnages du film, consommateurs fictifs et plus ou moins directs de « Zoé », Jean-Marc en tête puisqu’il en est l’heureux propriétaire, défendent ainsi unanimement ses bienfaits. Marie, ses parents et même le paysan du coin, à chaque fois, le même discours bien rodé : « c’est une voiture électrique, donc respectueuse de l’environnement, donc écologique ». Des louanges qui nous feraient presque oublier que l’énergie nucléaire (source n°1 d’électricité en France) n’est pas vraiment la princesse charmante des écologistes (des vrais)…
Jackpot donc. Renault se passe d’inventer un scénario pour vendre « Zoé » selon les règles du « story telling », Philippe Lellouche et Luc Besson (également scénariste) s’en chargent. Avec en prime, comme dans tout bon film publicitaire, des acteurs dont le capital séduction n’est plus à prouver, j’ai nommé Vahina Giocante et Vincent Perez. Toute l’intrigue se construit pour placer « Zoé » au premier plan. L’Audi TT de Jean-Marc tombe en panne d’essence et manque de bol, toutes les stations sont grève. Naturellement, Jean-Marc (qui est très riche) se rend chez un concessionnaire où il choisit et achète une nouvelle voiture dont il exige « le plein ». Amusé, le vendeur lui explique qu’il s’agit d’une voiture électrique, nommée « Zoé ».
A l’acquisition succède l’utilisation. Aux côtés de Jean-Marc, on découvre l’intérieur de « Zoé » (très design avec sièges inclinables et déodorisant senteur lavande) mais aussi comment la recharger (à l’aide d’un adaptateur branché sur le devant), quelle est son autonomie, etc. Surtout, on admire « Zoé » traversant de beaux paysages français, vue du dessus, de devant, de derrière, de l’intérieur. On renoue ici avec les codes esthétiques traditionnels de la publicité automobile lorsque, aussi étonnant que cela soit, voiture et nature rimaient ensemble (là on peut se le permettre à nouveau vu que « Zoé » est « écolo »).
Les avantages du produit « Zoé » sont mis en scène à plusieurs reprises, dans le jargon publicitaire on parle de « bénéfice produit ». Ainsi se construit la scène de la station d’essence en grève avec le routier qui dit à Jean-Marc « eh toi ! Tu fais la queue comme tout le monde ! » et ce dernier de lui répondre « Eh non ! Parce que MOI j’ai pas besoin de carburant, ma voiture elle est électrique ! » A travers ce qui semble être un gag, sont en fait comparés les bénéfices de la voiture essence avec ceux de celle électrique. On en retient qu’en cas de pénurie d’essence, Zoé est PLUS utile que n’importe quelle essence.
Les « bénéfices consommateurs » (ce que le produit promet d’apporter au consommateur) ne sont pas en reste. Grâce à « Zoé », Jean-Marc devient quelqu’un de bien (ou du moins passe pour tel). On retrouve l’idée, abondamment reprise dans les publicités de voitures, d’une consommation qui nous transforme, l’accent étant mis sur le bénéfice consommateur et sur la vente d’expérience qui l’accompagne. La preuve en est : lorsque Jean-Marc rencontre Marie, il est dans sa voiture, paumé dans la cambrousse, la batterie à plat, il pleut des trombes et Marie (qui passait par là) trouve refuge dans sa voiture.
Cette dernière est conçue à la fois comme un véhicule mais aussi et surtout comme un « espace » intime privilégié, « le seul endroit où je peux être moi-même » dit Jean-Marc qui y dort à plusieurs reprises et y petit-déjeune même avec Marie. Notons que depuis le lancement de l’« Espace », le groupe Renault a fait de cette notion un élément clé de son image de marque. Personnifiée, la voiture est à l’image de son propriétaire et apparaît comme une source d’affirmation de soi. Dès le début, avec son Audi TT, Jean-Marc s’affiche comme raide dingue de sa voiture, lui seul peut la conduire (« il faut être un sacré jockey pour la conduire »), « tu vas te marier avec ta voiture » se moquent même ses proches. Avec « Zoé », c’est une tout autre image qu’il renvoie à son entourage, celle d’un homme plutôt branché, écolo et attentionné. Poussons le vice jusqu’au bout, serait-ce là un petit message bien senti envoyé par Renault à ses concurrents via l’idée du « je consomme ce que je suis » à savoir, un connard en Audi TT gris mât, un mec bien en « Zoé » blanche ?
Soyons lucide, le cinéma français ne rime pas qu’avec « art et essai » et subventions publiques. Economiquement parlant cela serait impossible et la publicité aide régulièrement à financer des films de qualité (le programme Audi Challenge Award est en un bon exemple). Pour autant, quelques soit le produit vendu, écolo ou pas, moche ou beau, rose ou vert, l’indépendance et la qualité du cinéma français me semblent ici sérieusement menacées.
NB : Dialogues reproduits non contractuels.
 
Flora Trolliet

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