Culture

Lolita et la culture du voyeurisme

En 1955, Vladimir Nabokov trouve enfin une maison d’édition qui veuille bien prendre en charge la publication de son roman Lolita après le refus de 6 éditeurs américains qui craignent des poursuites judiciaires et morales. Censuré en France jusqu’en 1958, Nabokov sait qu’il tient entre ses mains une bombe, tant son récit est sulfureux et choquant. Écrit à la première personne du singulier, l’ouvrage se construit comme la confession de Humbert Humbert, pédophile de 37 ans qui nourrit une relation incestueuse avec sa belle-fille de 12 ans, Lolita. A la levée de la censure, le roman de Nabokov s’exporte dans le monde entier : 180 j​ours en tête des ventes aux Etats-Unis avec 100 000 exemplaires vendus en trois semaines, Lolita s’est aujourd’hui écoulé à 15 millions d’exemplaires à travers le monde et figure dans la majorité des classements des meilleurs romans du XXe siècle. Acclamée pour son style littéraire, l’œuvre continue néanmoins de susciter d’importants débats moraux et philosophiques. Car la figure de Lolita a dépassé les cadres de la littérature pour devenir une icône sexualisée, souvent déconnectée de son statut de victime dans le récit de Nabokov. Cette réduction en objet de désir reflète une tendance culturelle plus large ou les questions d’abus et de consentement sont occultées au profit d’une fascination pour le scandale et l’interdit qui passe notamment par une sexualisation des jeunes femmes dans les médias. Le mythe de Lolita devient ainsi celui d’une tentatrice, transformant une histoirie d’abus sexuel en une fable ambiguë, voire glamour, qui nourrit la fascination voyeuriste du public.  Lolita, le regard voyeur du spectateur à l’épreuve.  Le voyeurisme est un élément central du roman de Vladimir Nabokov et l’histoire tout comme le processus de lecture en permettent l’exploration inconfortable. Par voyeurisme, on entend caractériser la personne qui tire un plaisir et une excitation sexuelle de la vue de la nudité et des rapports sexuels d’autrui. Ainsi, Humbert Humbert est le portrait type du voyeur. Au détour d’un parc, “assis sur un banc dur”, il observe des “nymphettes folâtrer en liberté”. Ces moments de solitude sont l’occasion de rêveries extatiques comme lorsqu’il observe cette “petite beauté antique parfaite vêtue d’une robe en tartan” qui devient le moteur imaginaire de son excitation : elle “posa avec fracas sur le banc à côté de moi son pied lourdement armé pour aussitôt plonger en moi ses minces bras nus et resserrer la courroie de son patin à roulettes, et je fondis sous le soleil, avec mon seul livre pour feuille de vigne, tandis que ses bouclettes châtain retombaient partout sur son genou écorché, et l’ombre des feuilles que je partageais palpitait et se dissolvait sur son membre radieux tout près de ma joue caméléonique”. Rappelons qu’il s’agit d’une enfant. Comme Lolita, elle est moins perçue aux yeux du narrateur comme une personne à part entière que comme un simple objet de désir, un agencement de traits physiques. Ce regard déshumanisant illustre la dynamique de pouvoir et d’exploitation inhérente au voyeurisme : il n’existe pas de consentement et Humbert Humbert reconnaît lui-même “une multitude de ces menues idylles à sens unique”.  Plus tard, il émigre aux Etats-unis où il rencontre Charlotte Haze, mère de Dolorès, sa fille de 12 ans surnommée Lolita. Pour se rapprocher de celle qu’il désire plus que tout, il se marie avec Charlotte avant de la voir mourir, devenant le beau-père de sa bien-aimée, Lolita. Son regard précédemment voyeur devient alors le moteur d’une domination physique sur la jeune fille de 12 ans. Nabokov écrit : “Elle resta blottie contre moi, à regarder la télévision, tandis que je me rongeais les sangs pour savoir comment et quand je pourrais l’avoir”. À une autre moment, il relate : “Il m’a fallu des heures pour la calmer, pour lui expliquer que ce que les adultes faisaient n’avaient rien de mal, en soi, si personne ne l’apprenait.” avant d’écrire “Ce n’était pas de l’amour, comme elle me l’a dit bien plus tard. Elle pleurait parfois la nuit, et j’étais son bourreau”. Mais si Humbert Humbert à travers ses propres aveux reconnaît son rôle de voyeur puis d’agresseur, la brutalité de ses actes est souvent masquée par une prose complexe souvent qualifiée de poétique et qui fait du lecteur un voyeur à part entière.  Ainsi, le récit à la première personne place le lecteur dans une position embarrassante et inconfortable qui se retrouve malgré lui plongé dans l’esprit du narrateur. En nous faisant lire ses pensées, il nous rend dans une certaine mesure complices de ses atrocités. La lecture du roman devient une expérience intrinsèquement transgressive car le récit brise tous les carcans et les tabous sociaux et moraux. La prose poétique caractérisée par la multiplication des images et métaphores contraste avec la noirceur des actes décrits qui ne sont jamais clairement formulés. Nabokov force par cette manière le lecteur à ressentir un mélange d’attirance et de répulsion rendant la lecture inconfortable mais profondément introspective. Ainsi, Lolita nous invite à réfléchir sur la manière dont nous consommons des récits de transgression et sur notre propre rôle dans la perpétuation de certaines formes de voyeurisme. Nabokov nous pousse dans nos retranchements, nous force à examiner nos instincts et nos propres biais en tant que lecteurs. Le voyeurisme littéraire que le roman nous impose n’est pas une fin en soi mais un outil critique pour interroger la manière dont nous regardons le monde et les autres.  “Lolita, méprise sur un fantasme” On emprunte ici le titre à un excellent documentaire éponyme réalisé par Olivia Mokiejewski et diffusé sur Arte en 2021. Il y est question de la genèse du chef-d’œuvre de Nabokov et de sa lecture actuelle. Car la trajectoire de Lolita depuis sa parution est déconcertante : orpheline de 12 ans violée par son beau-père et fantasme pédophile de ce dernier, Dolores Haze est devenue une icône pop mondiale, perçue comme le fruit défendue qui ne demanderait qu’à être croqué. Pour preuve, l’expression ‘’être une Lolita’’ renvoie davantage à une jeune fille aguicheuse qu’au statut de victime. Cette transformation en dit long sur le caractère voyeur de nos sociétés contemporaines qui tendent à hypersexualiser la jeune fille légitimant ainsi la pédophilie et l’inceste dans ce qui est parfois considéré comme la plus belle histoire d’amour du XXè siècle.  Difficile en effet de rapprocher la Lolita de Stanley Kubrick de celle de Vladimir Nabokov. Avec le film, en salle dès 1962, l’histoire est grandement épurée : les problématiques de pédophilie sont très largement édulcorées, la relation entre Dolores et Humbert devient plus ambivalente et la nymphette de Nabokov devient même provocante et complice. Les affiches de promotion qui accompagnent le film participent de ce contresens (Figure 1) : on y voit Lolita, une sucette à la bouche en train de nous regarder derrière ses lunettes de soleil en forme de cœur. Ce traitement visuel participe de la transformation d’une histoire d’abus sexuel en fable ambigue, voire glamour. Rappelons tout de même que Lolita a 12 ans quand elle est violée par son beau-père. Cette hypersexualisation, outre ce qu’elle a de profondément choquant, reflète un voyeurisme collectif totalement décomplexé qui se traduit notamment par la consommation et la sexualisation de jeunes femmes dans les médias au cœur de récits intimes et transgressifs. Le film de Kubrick cimente l’image de Lolita dans la culture populaire et en fait une ‘’tentatrice’’ plus qu’une victime comme le rappelle Nabokov lui-même en 1975 : “Lolita n’est pas une jeune fille perverse” avant d’ajouter “c’est une enfant que l’on débauche et dont les sens ne s’éveillent jamais sous les caresses de l’immonde monsieur Humbert”.        Figure 1 : Affiche du film Lolita de Stanley Kubrick. Il faut dire que dès la publication de son roman, le récit de Humbert Humbert est malmené et transformé, dans les représentations tout au moins. Ne trouvant aucune maison d’édition qui daigne publier son roman, Vladimir Nabokov s’en remet à Olympia Press, spécialisé dans l’édition d’œuvres sulfureuses, ce qu’ignore alors l’auteur. Au milieu des livres ‘’qui ne se lisent qu’à une main’’, Lolita passe alors pour un roman pornographique. Encore aujourd’hui, les éditions les plus récentes prêtent à confusion : la jeune femme représentée sur le couverture du roman aux éditions Folio se rapproche davantage de la Lolita de Kubrick que de celle de Nabokov. Mais le film du réalisateur américain n’est pas à mettre à la poubelle et les choix de Kubrick accentuent le rôle du voyeurisme en tant que thème central : le spectateur est placé dans une position inconfortable, observant une relation inappropriée sans que les abus soient ici clairement dénoncés. La caméra devient par moment le prolongement du regard de Humbert Humbert, impliquant directement le spectateur qui participe de la transformation de gestes innocents de Lolita (mangeant une sucette ou jouant au tennis) en objet de désir. En ce sens, le film renforce l’ambiguïté morale de l’œuvre et rend le spectateur encore plus complice que le lecteur. Le regard d’Humbert, celui de la caméra et du public se croisent, transformant Lolita en une réflexion sur la puissance destructrice du voyeurisme, à la fois individuel et collectif.  De sa publication à son adaptation cinématographique jusqu’à ses éditions littéraires les plus contemporaines, Lolita a ainsi profondément bouleversé notre manière de voir et de lire des récits transgressifs. Devenue une icône pop et glamour très largement sexualisée, la trajectoire du récit de Nabokov est le symbole d’un voyeurisme collectif et individuel mais aussi un outil de réflexion pour comprendre les mécanismes de consommation et de valorisation de l’intimité. Miroir tendu à notre société, Lolita révèle notre complicité dans la consommation d’intimités volées. L’œuvre et ses adaptations confrontent le lecteur et le spectateur à ses propres désirs, tout en dénonçant les conséquences destructrices de ce regard. Dans un monde saturé d’histoires et d’images personnelles, Lolita est une mise en garde contre la banalisation du voyeurisme et la réification des individus. Enfin, à ceux qui militent pour sa suppression ou sa censure, Vanessa Springora rappelle : “Il ne s’agit pas d’un récit autobiographique, il n’y a aucune apologie de la pédophilie, je ne vois aucune raison de ne pas le publier. Passer à côté d’un chef-d’œuvre littéraire de cette nature, ce serait une folie.” Pour aller plus loin et poursuivre une réflexion qu’on sait incomplète, on conseille la lecture hautement pertinente, intéressante et grandement enrichissante de l’œuvre de Nabokov, Lolita. On conseille également l’excellent documentaire mentionné ci-dessus de la journaliste Olivia Mokiejewski disponible dans plusieurs bibliothèques. La lecture du récit de Nabokov par Stanley Kubrick peut aussi faciliter la mise à jour des mécanismes élucidés dans cet article. Enfin, pour étoffer et étayer notre réflexion, on conseille ces articles plus ou moins exhaustifs et qui ont servi à la fabrication de cette rétrospective : “Lolita, méprise sur un fantasme”, sur Arte : l’histoire d’un désastreux contresens (Le Monde) ; “Lolita”, histoire d’une “méprise” (Philosophie magazine) ; “Lolita, méprise sur un fantasme” : la folle histoire du roman incompris de Vladimir Nabokov (Femme Actuelle). Martin Clavel
Société

Pléthore de prix littéraires : que disent-ils de l’édition d’aujourd’hui ?

“C’est comme un rapt, on est pris dans quelque chose qui nous dépasse”, déclarait Nicolas Mathieu sur le plateau de La Grande librairie à propos de son Prix Goncourt fraîchement reçu. Voilà qui illustre de nombreux questionnements à propos des prix littéraires. Quels sont les enjeux de cette surmédiatisation ? Quelles mutations de la figure de l’écrivain(e) à l’ère d’une culture de masse, tantôt bafouée, tantôt recherchée par un monde de l’édition soumis à des contraintes économiques croissantes ?

Culture

Prix Nobel de littérature : Bob Dylan souffle le chaud et le froid

Le 13 octobre dernier, pour la remise du prix Nobel de littérature, le bâtiment de la Bourse de Stockholm débordait de reporters venus du monde entier, impatients de connaître le nom de l’heureux élu. C’est alors que Sara Danius, secrétaire de l’Académie suédoise, fit son entrée et prit la parole. : « Bob Dylan ». Un silence de plomb s’empara de la salle. Chacun comprit que la nouvelle ferait sensation dans son pays. Et la secousse fut bien réelle…
Fierté de millions de fans aux quatre coins du monde, félicitations de grandes figures politiques et artistiques, doutes et agacement chez plusieurs pontes de la littérature mondiale — cela faisait longtemps qu’un prix Nobel de littérature n’avait pas autant fait « jazzer ». Tous en ont parlé, excepté le principal intéressé qui resta muet pendant deux semaines, irritant ses détracteurs.
Bob Dylan est définitivement une personnalité atypique du monde de la culture : il a conservé durant toute sa carrière une indépendance dans sa communication, comme en atteste ce feuilleton particulier. À travers son silence, puis des remerciements tardifs dans un entretien au Daily Telegraph, et enfin un communiqué de l’Académie nous apprenant son absence à la remise des prix, la légende continue de cultiver sa distance, au risque de perdre son monde…
Une nomination controversée
Une chose est sûre, le prix de l’audace revient à l’Académie suédoise. En choisissant Bob Dylan, légende folk des sixties, porte-drapeau du mouvement des droits civiques aux États-Unis, poète du rock ’n’ roll adulé par des générations de mélomanes, elle s’attendait à créer une onde de choc bien supérieure à celles des années précédentes. Le ton était assumé : le prix Nobel serait médiatique. Elle savait que choisir une grande figure de la musique du XXème siècle pour un prix littéraire de premier plan était osé et que le débat sur les frontières des genres serait forcément abordé, tandis que des rangées de dents grinceraient chez les intellectuels conservateurs.
Comme souvent aujourd’hui, l’œil du cyclone fut sur les réseaux sociaux. Twitter était en ébullition : dans le camp des supporters, bon nombre de personnalités politiques y sont allées de leurs hommages (toujours utiles pour montrer leur fibre culturelle) et de nombreux artistes et figures littéraires ont tenu à défendre le choix polémique de l’Académie. Ci-dessous par exemple, les tweets d’Obama et celui de l’écrivain britannique Salman Rushdie, auteur du best-seller mondial, Les Versets sataniques.

 
 
 
 
 
 
 
 
 

 
 
 
 
En face, la fronde n’était pas en reste. En France comme à l’étranger, ce choix populaire a été fustigé, considéré comme dégradant pour la littérature — c’est ce que laisse entendre le ton cynique de l’écrivain américain, Gary Shteyngart. Le critique littéraire suédois, Per Svensson a même qualifié le prix de « populiste » et « trumpifié ». Les motivations de l’Académie ont aussi été au cœur des critiques, Irvine Welsh, auteur écossais de Trainspotting, en était même venu à traiter les membres de l’Académie de « vieux hippies séniles ».
Cette levée de boucliers peut s’expliquer de plusieurs manières. Elle relève d’abord de l’attachement à une définition conservatrice et scripturale de la littérature. Un autre aspect est aussi à prendre en compte : la nomination du compositeur interprète a une vocation d’ouverture du monde de la littérature sur celui de la musique et de reconnaissance de la communication entre les arts. Cela s’avère problématique si on considère la littérature comme un champ délimité, comme l’entendait Pierre Bourdieu, avec ses propres acteurs, les écrivains se partageant le réservoir de prestige propre au champ.
Un grand levier de distinction, le prix Nobel de littérature, dans les mains d’une personnalité de la musique. C’est un corps étranger qui prend sa part du gâteau, la menace d’une nouvelle concurrence, celle des compositeurs et paroliers qui pourraient à l’avenir encore éclipser les écrivains et faire décroître leur emprise sur le champ. Il apparaît aussi en filigrane, un certain mépris pour la figure du chanteur de 75 ans, illégitime car trop populaire, trop vedette, trop showbusiness, à la différence des écrivains discrets qui préféreraient l’érudition aux projecteurs.
« Why try to change me ? »
Bob Dylan est pourtant loin d’incarner ce stéréotype. Depuis toujours, il a semblé fuir les contraintes de la société pour garder sa liberté d’homme et d’artiste. Pour preuve, après sa nomination, ce silence-radio face aux médias ainsi que sur sa ligne téléphonique, à en croire Odd Zschiedrich, chancelier de l’Académie suédoise, qui n’aurait pu joindre que son agent et le responsable de sa tournée. Seule réaction (pour peu qu’elle soit interprétée ainsi) : le mystérieux chanteur a terminé chacun de ses concerts avec une chanson de Frank Sinatra, intitulée « Why try to change me ? ».
Il est vrai qu’on lui a toujours connu une grande discrétion, parfois déroutante pour les fans et leurs attentes. Celles-ci sont en effet élevées de nos jours, surtout en matière de communication. La figure du chanteur « hyper-communicant », qui élargit et fidélise sa fanbase sur les réseaux sociaux, et multiplie les coups de promotion et les interviews à chaque sortie d’album, est devenue un must. On peut objecter que Dylan est un chanteur de l’ancienne école, nombre de ses fans ne sont donc pas aussi connectés que ceux des pop stars actuelles, et lui-même n’a plus à faire ses preuves. Il demeure cependant, que sur un épisode comme celui du Prix Nobel, la médiatisation qui entoure les grands chanteurs impose une communication publique minimale que Bob Dylan a mise en évidence en ne la respectant pas.
Est-ce là un signe d’impolitesse ou d’arrogance, comme on l’en accusa ? Le chanteur français et son ami de longue date, Hugues Auffray, confia à L’Express : « Ce silence est conforme à sa personnalité. Il ne cherche pas du tout à plaire. C’est un type discret depuis toujours. (…) Il parle à peine, n’a pas un mot pour son public, mais les gens reviennent toujours car ils se trouvent en face de quelque chose qui les dépasse ».
Le 16 novembre dernier, l’Académie suédoise annonçait que Bob Dylan ne se rendrait pas à la remise des prix, à cause « d’autres engagements ». Un nouveau rebondissement donc, qui n’étonne qu’à moitié.
Pouvait-on vraiment imaginer l’énigmatique Bob Dylan au milieu de cette cérémonie, sous les grands lustres de l’Hôtel de Ville de Stockholm, délivrant son discours devant tout un monde institutionnel avec lequel il n’a rien à voir ?
Aux dernières nouvelles, la secrétaire de l’Académie, Sara Danius, affirmait que Bob Dylan envisageait de venir chercher son prix à Stockholm seulement au printemps prochain. L’affaire laisse donc une impression singulière, celle d’un feuilleton dommageable pour Bob Dylan, qui aurait mérité d’être fêté pour l’ensemble de son œuvre, comme l’histoire avait commencé, et non critiqué pour son manque de clarté sur cet épisode particulier.
Hubert Boët
Sources :
– Hermance Murgue, « L’intrigant silence de Bob Dylan après son prix Nobel » L’Express.fr, rubriques Actualité> Culture> Musique, publié le 25/10/2016, consulté le 18/11/2016.
– Claire Fallon, « 27 Tweets That Perfectly Capture How Baffling Bob Dylan’s Nobel Prize Win Is » TheHuffingtonPost.com, rubrique Arts & Culture, publié le 13/10/2016, consulté le 21/11/2016
– Stéphane Koechlin, « Bob Dylan, toujours dans le vent », ANousParis.fr, rubrique Musique> Artistes, publié le 4/11/2016, consulté le 18/11/2016
– Bruno Lesprit, « Bob Dylan, pris par « d’autres engagements », n’ira pas
chercher son prix Nobel » LeMonde.fr rubrique culture, publié le 16/11/2016, consulté le 18/11/2016
– Culturebox (avec AFP) « Prix Nobel : Bob Dylan se rendra à Stockholm… au printemps » Culturebox.francetvinfo.fr, rubrique musique, publié le 18/11/2016, consulté le 21/11/2016,
Crédit image : 

Une : Illustration de Zep
Image des tweets : screenshots de Twitter, 24/11/2016

Eddy Bellegueule
Culture

En finir avec Eddy Bellegueule : petit aperçu d’une littérature polémique

 
Tel est le titre du premier roman d’Edouard Louis, paru aux Editions du Seuil en février 2014.
Qui est Eddy Bellegueule ? Comment en finir ?
Âgé de 21 ans lorsqu’il fait paraître ce premier titre, Edouard Louis, étudiant à l’Ecole Normale Supérieure, ne pense guère au succès. Ce dernier, victime de nombreuses injustices, ainsi qu’il le décrit dans son roman, ne semble d’abord écrire que pour figer et enterrer définitivement la vie qui l’a précédé. Et le titre, à cet égard, apparait révélateur. Qui est, originellement, cet Eddy Bellegueule, sinon Edouard Louis lui-même ? L’infinitif du verbe « finir » n’est pas sans dévoiler la finalité de l’ouvrage, à savoir confiner au passé l’identité d’Eddy Bellegueule. Car Eddy Bellegueule n’est plus. A présent, il est Edouard Louis. En témoigne l’épigraphe de l’ouvrage, tiré d’un roman de Marguerite Duras, Lol V Stein : « Pour la première fois mon nom prononcé ne nomme pas ». Le jeune écrivain peut alors s’exprimer ainsi : « Eddy Bellegueule, c’était moi. Je l’ai tué. » Le roman en ce sens a une visée performative bien que nous ne soyons plus tout à fait dans le « quand dire c’est faire » de Austin, mais dans le « quand écrire c’est faire ». En effet, ici, écrire c’est faire mourir. Ecrire, c’est tuer.
La question qui se pose alors est la suivante : si Edouard Louis enterre, par l’écriture, son passé, quelle en est la raison ? Quelle est cette injustice subie ?
Tensions
Certes, le sujet de l’ouvrage peut sembler polémique (récit d’une enfance malheureuse, d’une sexualité reniée et moquée avant d’être affirmée). Néanmoins, c’est plus la réception de l’ouvrage qui semble problématique. Et précisément, la réception du livre par la famille de l’écrivain. Le jeune Edouard Louis, bien qu’il n’ait plus de lien fort avec les membres de sa famille, ne fut pas sans susciter l’indignation et la tristesse de ses proches, et notamment celle de son petit frère : « Je n’ai pas pu lire jusqu’au bout », raconte Andy. « Mon frère, c’était mon héros, mon exemple, je ne comprends pas pourquoi il nous a fait ça. » A cet égard, deux faits semblent pour le moins importants : d’une part, la correspondance entre la famille Bellegueule et le courrier Picard, qui n’est pas sans exposer la colère et le désarroi de la famille face à un ouvrage jugé « mensonger » ; d’autre part la venue de Madame Bellegueule à Paris, lors de la dédicace de l’ouvrage par Edouard Louis à la Fnac Montparnasse. Voyant sa mère se dresser dans l’assistance, le jeune homme prend peur. Après avoir quitté la salle, l’écrivain accepte finalement de rencontrer sa mère en privé. Sans surprise, sa mère l’accuse d’avoir ridiculisé sa famille et refuse d’accepter l’idée que cet ouvrage soit un roman, le percevant davantage comme un témoignage mensonger.
Entre roman et témoignage : une communication polémique
Si l’ouvrage n’est pas sans susciter la colère familiale, c’est bien parce qu’il se situe à la charnière entre le roman et le témoignage. L’individu écrivain communique en tant que sujet mais également en tant que représentant d’une enfance difficile. Dès lors que l’on perçoit le texte comme un témoignage, l’on peut penser qu’Edouard Louis révèle les travers de son existence personnelle, les travers d’un individu en tant que sujet distinct des autres individus. A contrario, dès lors que l’on considère le texte comme un roman, l’on peut affirmer qu’Edouard Louis communique sur l’universel par le biais du particulier. En effet, son histoire personnelle ne peut que contribuer à la dénonciation d’injustices plus générales. Ici, le genre littéraire qu’est le roman devient un outil de communication presque public. Il sert à mettre au jour une réalité partagée par de nombreux individus. Cette dichotomie, entre roman et témoignage, conduit à poser une question : à quoi sert ici l’écriture ? Est-elle un moyen de communiquer, puis par là-même de dévoiler et, plus encore, d’alerter ? Est-elle un outil de performativité, agissant sur l’individu lui-même, enterrant une identité pour en façonner une autre, tuant Eddy Bellegueule pour faire naître Edouard Louis ?
Autant de questions qui peuvent trouver réponse grâce à la lecture de ce roman, En finir avec Eddy Bellegueule.
 
Juliette Courtillé
Sources :
Courrier-picard.fr
Bibliobs.Nouvelobs.com
www.seuil.com/livre-9782021117707.html
LePoint.fr
Crédit photo :
« En finir avec Eddy Bellegueule », aux éditions du Seuil. © John Foley/Éditions du Seuil / Montage Le Point.fr

Masterpiece
Culture

Masterpiece : la télé réalité qui tourne la page ?

 
Qui n’est jamais tombé en zappant sur une des innombrables émissions de télé-réalité mettant en scène danseurs, chanteurs, cuisiniers, experts en tous genres, ou autre phénomène abrutissant ? A y réfléchir, on aurait l’impression d’avoir fait le tour…L’Italie nous prouve le contraire avec un programme de reality-show encore inédit qui mêle deux terrains que l’on imaginait jusqu’ici peu cohabiter.
En effet, « MasterPiece, talent scrittori » (littéralement « Chef d’œuvre, écrivains de talent »), la première télé-réalité consacrée aux écrivains, se met en quête de dénicher le succès littéraire de demain. Le premier épisode diffusé le 17 novembre dernier, sur la célèbre chaîne Rai3, a permis de faire connaissance avec les 12 premiers candidats sélectionnés.
Un principe de télé-réalité pas si extraordinaire…
Si MasterPiece se détache des nombreuses autres émissions, c’est uniquement par son angle d’attaque, la littérature, car le principe d’organisation et de fonctionnement reste similaire à celui des habituelles télé-réalités. Les candidats ont répondu en masse à l’appel et c’est parmi plus de 5000 manuscrits envoyés, que la Rai a sélectionné les 70 finalistes. Et les téléspectateurs seront à peine surpris en constatant que les concurrents recouvrent des profils très variés, allant de la serveuse, à l’adolescent prodige, ou encore l’ouvrier, la retraitée, jusqu’à l’handicapée…Un large panel qui se veut refléter la société « globale » et dans lequel nous sommes susceptibles de nous identifier. Jusqu’ici, l’émission ne dépasse en rien ses consœurs internationales.
Le direct est bien évidemment de mise : les textes rédigés par les candidats sont retransmis et visibles par les téléspectateurs qui peuvent suivre l’évolution du processus d’écriture. Et MasterPiece ne serait pas un véritable talent-show sans sa salle de confessionnal, haut lieu de la révélation, de l’exacerbation des sentiments : des doutes sur son manuscrit, un reproche envers un autre candidat, la réaction à son élimination, rien n’échappe au téléspectateur, invité là encore à rentrer dans la sphère intime de ceux qu’il se plaît à examiner, de l’autre côté du petit écran.

Les épreuves ne manquent pas pour démarquer les participants et une nouvelle fois, l’inspiration envers les formes actuelles de télé-réalité est flagrante : les candidats sont notamment invités à vivre une « expérience en immersion » de type mariage ou retrouvailles avec des amis, qu’ils doivent ensuite retranscrire par écrit. A l’issu des différentes épreuves, le jury devra éliminer celui ou celle qui lui aura semblé le moins compétent. Et pour trancher, trois personnalités reconnues dans l’univers du livre*. A côté de cela, le suspense tient le spectateur en haleine avec la fameuse épreuve du « repêchage » permettant à l’un des candidats désignés pour l’élimination, de se rattraper illico presto. Une motivation, quand on sait que le grand gagnant verra son texte édité à 100 000 exemplaires par la maison d’édition Bompiani. Verdict en février pour Masterpiece.
La Télé-réalité : un genre fourre-tout ?
Ainsi donc, la télé-réalité aura épuisé une bonne partie de nos centres d’intérêts pour se consacrer à présent à la littérature. Mais peut-on vraiment parler de tout à l’occasion d’un talent-show ? Le principal défi ici pour les réalisateurs est d’entremêler l’intime de l’écriture et la brutalité du direct. L’époque de l’écrivain solitaire, tapis dans sa chambre au-dessus de sa machine à écrire, semble alors révolue, pour laisser place au désir de notoriété convoité par tous. A l’époque de la mise en avant de soi, le talent ne s’arrête plus aux frontières du local. De la réflexion, à la mise en ordre, jusqu’à la mise à l’écrit du texte, la promesse de tout nous dévoiler peut nous laisser dubitatifs. Nous attendons de pénétrer la pensée de l’écrivain en herbe, de comprendre ses mécanismes intellectuels avant de découvrir l’objet matériel, achèvement ultime l’émission. « Le vrai défi était là » nous confirme Andrea de Carlo : ne pas brusquer le processus par essence lent et réfléchi de l’écriture par les exigences du direct, avide de faux-pas et de rebondissements suivant les ficelles d’une trame se disant spontanée.
De la promotion de l’auteur à la promotion de la lecture…
Ce qui vaut ici la peine d’être noté repose sur la confrontation du succès de l’individu face à celle de l’activité de la lecture. En clair, nous avions jusqu’ici l’habitude d’être servis par des émissions de télé-réalité répondant aux aspirations majeures d’une société –pour ne prendre qu’un exemple, nous pourrions ici citer la passion bien française pour la cuisine, que l’on retrouve à foison dans nos télés avec MasterChef, TopChef, Le meilleur pâtissier, etc… Dans le cas de MasterPiece, la logique inverse paraît servir la population italienne. Et pour preuve, dans un pays où seulement 46% des italiens ont déclaré avoir lu au moins un livre sur toute l’année 2012, faute n’est pas d’essayer d’y remédier. Les promoteurs de MasterPiece espèrent donc inciter les italiens à la lecture. Allier littérature et divertissement : un inédit qui aura le mérite de montrer si le succès associé aux gagnants des reality-show peut véritablement faire se précipiter les italiens vers les librairies.
Quant à l’arrivée d’un reality-show de ce type en France faisant côtoyer un Marc Lévy à Nabilla, ceci est une autre histoire…
 
Laura Pironnet
*Il s’agit de Giancarlo De Cataldo, auteur de Romanzo Criminale et scénariste, Andrea de Carlo -également écrivain, récompensé- et Taiye Selasi, auteure et photographe britannique.
Sources :
L’Express
Vanitiy Fair.it
Crédits photos :
Candidats finalistes : Rai3
Jury : Europa Quotidiano