Le doigt à l’honneur
Avec son voyage à Saint-Martin (Antilles) en Septembre dernier, notre président a eu l’excentricité de remettre à l’honneur un symbole à priori aux antipodes du cadre politique : le doigt d’honneur.
Avec son voyage à Saint-Martin (Antilles) en Septembre dernier, notre président a eu l’excentricité de remettre à l’honneur un symbole à priori aux antipodes du cadre politique : le doigt d’honneur.
Loin des tweets de Donald Trump ou des millions d’abonnés que peuvent avoir des influenceurs, le gouvernement tente aujourd’hui tant bien que mal de se faire une place sur les « nouveaux » réseaux sociaux.
Le 28 Novembre dernier, lors d’un discours dans une université burkinabée, le président Emmanuel Macron crée la polémique en tenant des propos maladroits au président du Burkina Faso, Roch M.C. Kaboré. Simple erreur de communication ou humiliation volontaire, la question a depuis agité l’opinion.
Le 4 août 2017, en plein été, la France s’émeut de la naissance d’un panda au zoo de Beauval. Cette naissance est on ne peut plus miraculeuse que cette espèce en voie de disparition a une période de libido très restreinte : 3 jours par an. Le 4 décembre 2017, nouvelle vague d’émotion : le petit panda a été baptisé par sa co-marraine, Brigitte Macron, lors d’une cérémonie officielle. La médiatisation et le caractère diplomatique de l’évènement questionnent le réel centre d’attention : est-ce le bébé panda ou est-ce la Première Dame ?
Il l’a dit, il le fait. Emmanuel Macron a averti l’ensemble des journalistes : « un président préside et j’aurai cette distance avec la vie médiatique. La trop grande proximité avec les journalistes a été le problème des derniers quinquennats. Quand on préside, on n’est pas le copain des journalistes », en avril dernier dans l’Emission Politique sur France 2. Bim, prends ça François (et les autres). Après avoir été porté aux nues par les médias, Emmanuel Macron amorce un bras de fer inédit avec l’ensemble de la profession. Petit condensé d’une gueule de bois journalistique.
La « transparence organisée » des deux derniers quinquennats
Cette volonté de mise au ban de la presse française trouve ses fondements dans la gestion médiatique des deux derniers présidents. Nicolas Sarkozy maintenait une proximité certaine avec la meute des éditocrates : textos mielleux, visiteurs du soir et tutoiement : Sarkozy gambadait main dans la main avec les barons des médias. Exemple : cette séquence, relevée dans Les Nouveaux Chiens de Garde, elle illustre les relations incestueuses qu’entretiennent médias et politiques.
F. Hollande pour sa part, se délectait des petites accointances avec les journalistes, de ses ‘off’ et autres confidences. Dans les couloirs du Parti Socialiste, on le surnommait « le petit rédacteur en chef du Canard ». Mal lui en a pris puisque beaucoup considèrent que le livre de Gérard Davet et Fabrice Lhomme, Un Président ne devrait pas dire ça, fut le dernier clou du cercueil du président sortant. Epanchements à la tête de l’Etat ? Seulement soixante-et-une rencontres, souvent chez les journalistes, pour plus d’une centaine d’heures d’entretiens, et ce pendant 5 ans. Une broutille.
La volonté d’Emmanuel Macron de rester le « Maître des horloges » à l’heure de l’information en continu puise sa source dans un autre quinquennat : celui de Jacques Chirac. Le Grand Jacques avait pour conseiller spécial en communication Jacques Pilhan, théoricien de la « parole rare ».
L’influence des influenceurs
L’entourage proche d’Emmanuel Macron peut ainsi justifier sa vision ascendante de la communication. Il est principalement composé d’anciens DSK-Boys (& Girl) avec entre autres Benjamin Griveaux, Ismaël Emelien et Sibeth N’Diaye. Après avoir sué sang et tripes pour positionner leur champion en vue de l’élection présidentielle de 2012, ils ont assisté à la mise en charpie médiatique du trublion du Sofitel. Qualifiée par les journalistes de « mormons » ou de « control freaks », cette dream-team partage avec Emmanuel Macron une méfiance incurable à l’égard de la presse.
Les premiers mois de ce quinquennat ont donc été marqués par une volonté de « mettre de la distance, être dans l’économie de la parole », selon Arnaud Benedetti, co-auteur avec Dominique Wolton de Communiquer c’est Vivre. Il y décèle un ardent désir « d’écrire le récit présidentiel et d’éviter la cacophonie gouvernementale ». Le tintamarre s’oppose donc à un unique émetteur de message, en vue de verrouiller la communication et éviter la prolifération. Barack Obama semble inspirer cette stratégie, le pape du cool, bénéficiait d’une communication cadenassée et léchée comme un blockbuster hollywoodien. Il n’est pas impossible que l’ombre du fils de pub Jacques Séguéla plane sur la start-up nation, celui pour qui le ‘off’ était un « poison mortel. » Celui qui a suivi plus de vingt campagnes internationales ajoute, d’humeur taquine : « Le pouvoir est une œuvre solitaire. Un président normal, ça ne peut pas exister. »
Trigger Warning : La France est le 37ème pays du classement RSF sur la liberté de la presse
Cette distanciation médiatique a souvent pris la forme de méthodes dignes du bon vieux temps de l’ORTF. Un chapelet d’incidents sont venus renforcer l’image autoritaire de Jupiter, petit florilège. L’impétueuse Sibeth N’Diaye a ainsi contacté un redchef pour lui expliquer les règles du journalisme à la sauce macron : « c’est pas du journalisme, c’est du travail de sagouin », à propos d’un titre qu’elle jugeait peu flatteur. Yann Barthès s’est fait agonir de « gros connard » par l’attaché de presse de Macron Man. La raison ? Paul Larrouturou, journaliste à Quotidien, avait eu l’outrecuidance de géhenner Jupiter lors de l’entre-deux tours en lui demandant « La Rotonde, c’est votre Fouquet’s ? » Au premier Conseil des Ministres, les plumes et les caméras, qui captent traditionnellement les premiers pas du gouvernement ont été évacués manu militari de la Cour de l’Elysée. Le torchon (l’expression, pas Libé) brûle déjà entre les deux camps lorsqu’à la suite dudit Conseil, le Château annonce qu’à l’avenir les journalistes seront triés sur le volet pour suivre les déplacements du Président. C’est la goutte d’eau pour les canards qui se fendront d’une lettre ouverte intitulée « Monsieur le président, il n’appartient pas à l’Elysée de choisir les journalistes ». En fait si.
Agence France Elysée Presse
Stéphane Fouks, vice-président de Havas, livre son analyse : « ils ont compris que ce qui comptait, c’était l’offre, c’est-à-dire de prendre la main sur le contenu, les messages, l’image ». C’est ça la nouveauté : cette façon d’être à l’origine des images, en les fabriquant soi-même.
Deux piliers soutiennent cette stratégie. Le premier, une équipe dévouée de stakhanovistes, qui enchaine les Facebook Live, bénéficiant d’accès que les médias n’ont pas. Lors de la visite des Invalides avec Donald Trump, BFM TV avait dû reprendre, déconfite, les images fabriquées par la team com. La systématisation de la pratique du pool, laquelle est habituellement utilisée pour des raisons pratiques, comme la visite d’un sous-marin. Avec Manu, c’est pool party. En aout, une visite présidentielle a fait grincer les dents des journalistes les plus chevronnés : « Là, sur une base de loisirs, le pool, c’est n’importe quoi, il y a de la place, ce n’est pas un lieu sensible, mais c’est comme ça, avec Macron. » L’avantage de court-circuiter les médias c’est que l’on réduit le bruit de Shannon et Weaver et on élude la nécessaire séduction des gatekeepers de Lewin. Le second pilier, plus insidieux, est le « contrat d’exclusivité moral » passé pendant la campagne avec Bestimage, l’agence photo de Mimi Marchand, la reine des paparazzis. Ses photographes sont omniprésents dans les pools constitués et suivent à la trace le couple présidentiel pour assurer le storytelling. De la sorte, l’avant dernier numéro de Paris Match n’a consacré que 18 pages (19 avec la Une) au couple présidentiel. La matière première photographique étant fournie par Bestimages. Le cadenassage se poursuit de jours en jours : le 15 novembre, c’est une équipe de C à Vous qui s’est vue blackbouler loin du président après avoir essayé de poser une question. La raison invoquée ? La veille, ils avaient couvert le rassemblement d’Insoumis qui accueillaient le Président avec des casseroles. On attend le retour sur Terre de Jupiter.
S’il n’applique pas les préconisations de Bourdieu, Emmanuel Macron en suit la pensée : « Le pouvoir symbolique exceptionnel confère aux grandes autorités de l’État la capacité de définir, par leurs actions, leurs décisions et leurs interventions dans le champ journalistique (interviews, conférences de presse, etc.), l’ordre du jour et la hiérarchie des événements qui s’imposent aux journaux. »
Anonyme
Sources :
Balbastre Gilles, réal. Les Nouveaux Chiens de Garde. JEM Productions, 2012. DVD, 104 minutes
Bourdieu Pierre. L’emprise du journalisme. In: Actes de la recherche en sciences sociales. Vol. 101-102, mars 1994. L’emprise du journalisme. pp. 3-9
Lewin, Kurt. « Forces behind food habits and methods of change ». Bulletin of the National Research Council. 108: 35–65
Claude E. Shannon,, « A Mathematical Theory of Communication », Bell System Technical Journal, vol. 27, no 3, juillet 1948, p. 379-423
« Com’ verrouillée, médias critiqués… Macron force les journalistes « à avaler leur chapeau » », par Antoine Rondel, LCI, rubrique Elections, le 24 mai 2017
« Culture du secret et papier glacé : la communication selon Macron » par Par Zineb Dryef et Laurent Telo, M le Magazine du Monde, rubrique Reportage/Actu, le 18 mai 2017
« Emmanuel Macron et sa communication : « Il est passé d’une séduction intense à « Je traite les journalistes comme de la m*rde » » par Sasha Beckermann, Closer, rubrique Politique, le 20 août 2017
« Macron, l’emploi des mots, le toc des photos », par Raphaël Garrigos et Isabelle Roberts, Les Jours, rubrique In Bed With Macron, le 23 novembre 2017
« « Monsieur le président, il n’appartient pas à l’Elysée de choisir les journalistes » », par 15 rédactions françaises, Le Monde, rubrique Idées, le 18 mai 2017
Crédits photo :
1. Olivier Laban-Mattéi
2. Sipa
3. AFP / Loïc Venance
4. Reuters / Philippe Wojazer
La suppression de l’Impôt sur la Fortune (ISF) a été annoncée par Emmanuel Macron alors candidat pour l’élection présidentielle en février 2017. Cet impôt, auparavant nommé Impôt sur les Grandes Fortunes était apparu sous la présidence de François Mitterrand avant d’être abrogé puis réintroduit en 1988. Il est aujourd’hui question de l’instauration d’un Impôt sur les Fortunes Immobilières (IFI) prévue dans le projet de budget de 2018. L’instauration de ce nouvel impôt fait suite au constat de l’inefficacité de l’ISF : en 2016, il avait provoqué l’exil de deux familles par jour. Même si la rationalité économique souligne que cette taxe coûte plus à la collectivité qu’elle ne rapporte, la froideur de cet argument ne semble pas suffire à justifier sa suppression.
L’impôt a ses raisons que la raison ignore
En effet, s’il existe une raison économique qui justifie le retrait de cet impôt, la façon de le suggérer n’a pas été des plus pertinentes. On peut identifier deux raisons expliquant l’échec de la communication autour de la suppression de l’ISF.
D’une part, la fiscalité tient d’une matière extrêmement technique. Elle est sujette à l’instrumentalisation par l’ensemble du personnel politique, c’est ce que l’on a pu constater durant la campagne présidentielle de 2017.
Ici, le problème est pris à l’envers. Au lieu de faire revenir les riches, il s’agit de ne pas les faire partir : cela serait possible en mettant l’accent sur la dimension contributive de l’impôt pour l’ensemble de la société. Or, Emmanuel Macron s’adresse plus aux individualités qu’à la collectivité. En opposant ceux qui réussissent et « ceux qui ne sont rien » (29 juin 2017, Discours d’inauguration d’un incubateur de start-up) le président valorise l’individu dans son aboutissement personnel en le distinguant clairement du reste de la société.
D’autre part, la mauvaise perception de l’ISF est la conséquence directe d’une défaillance de l’Etat. L’appareil public ne parvient pas à présenter comme nécessaire la participation de l’ensemble des individus dans le financement de l’activité publique.
Il est avéré que de faire comprendre aux citoyens que leur participation à l’impôt sert la collectivité et permet un plus grand assentiment à ce dernier. L’impôt permet de financer par exemple un système éducatif de qualité, et une population plus qualifiée -et de la même façon plus productive- est plus à même à participer à la vie démocratique, ce qui constitue une externalité positive pour la société.
On retrouve ici une des contradictions fondamentales de la communication macronienne. S’affrontent une volonté de satisfaire les classes moyennes et la suppression des contrats aidés ou la réduction des Aides Personnalisées au Logement (APL). La « pensée complexe » qu’avait faite valoir l’Elysée pour justifier l’absence du président dans les médias sert finalement des intérêts simples.
Marqué du sceau « Ami des nantis »
Si la réforme de l’ISF pose problème, c’est également du fait de l’importante valeur symbolique de cet impôt. En plus du modèle « jupitérien » de la présidence Macron qui implique une grande prise de distance médiatique, le fait que cette réforme prenne tant de place dans l’espace médiatique conforte le président dans une déconnexion par rapport à la classe moyenne qui est loin des réalités que connaissent ceux qui sont assujettis à cet impôt.
Par conséquent, cette suppression contribue à créer un imaginaire de la technicité et de la distance d’un président croulant sous ses propres contradictions, tiraillé entre des interventions millimétrées dans les médias et un goût pour les phrases volées à l’occasion de ses différentes interventions.
Cette réforme renforce l’inquiétude que les richesses se concentrent à l’extrême, la répartition de celles-ci redevenant très inégalitaire. Effectivement, selon Thomas Piketty dans son livre Le Capital au XXIème siècle, depuis la fin du XIXème la part de la richesse accaparée par le 1% des plus riches a doublé pour atteindre aujourd’hui 20%. L’acrimonie sociale est aujourd’hui particulièrement vive contre des objets qui rentrent dans l’imaginaire collectif de la richesse : avec ce nouvel impôt, les yachts, voitures de luxe et lingots d’or seront épargnés de taxe.
Le « président des riches » sacrifie sur l’autel de la rationalité économique la paix sociale : la haine contre cette richesse ostentatoire devient palpable.
La présidence des riches, par les riches et pour les riches
La défense de cette réforme revêt dans le discours présidentiel un aspect purement dogmatique. La parole du président devrait permettre que la surpression de l’ISF donne la possibilité aux français les plus fortunés d’investir dans les entreprises pour servir la croissance. Bien que sa posture donne de l’importance à son discours, être président ne semble plus suffire pour donner un effet concret à cette volonté. Il peut exister en plus de cela un effet d’aubaine qui détournerait la réforme de son essence : les plus riches ne sont en rien contraints d’investir leur argent dans les entreprises.
Il n’en demeure pas moins qu’Emmanuel Macron se pose dans une position autoritaire, comme si sa stature présidentielle à elle seule suffisait à donner du corps à son discours. Or, la position présidentielle n’est plus aujourd’hui un facteur de légitimation du discours, d’autant plus à l’heure de la démystification de la fonction politique. Ce sentiment est conforté par l’alimentation d’une « pensée complexe », l’intellectualité de la pensée du président serait un facteur de légitimation de son discours. La verticalité de sa parole contraste franchement avec les qualificatifs de « fouteurs de bordel » adressés aux salariés de GMS au début du mois d’octobre 2017.
Et pendant que la suppression de l’ISF nourrit cette passion bien française de dégout envers la richesse, l’extrême droite arrive en Autriche avec un président plus jeune qu’Emmanuel Macron, conséquence directe d’une distance grandissante entre ceux qui font les politiques et ceux que cela concerne. Juste sanction ou mauvaise colère?
Corentin Loubet
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Sources:
AFP. La suppression de l’ISF, une réforme sans garantie de résultat, Le Dauphiné . Publié le 23/09/2017 . Consulté le 19/10/2017
« A peine présenté, le nouvel ISF de Macron menacé par le «syndrome des yachts» » , Le Parisien. Publié le 28/09/2017. Consulté le 19/10/2017.
Michel Ricard, ISF : l’art délicat de la communication, Le Point. Publié le 04/10/2017. Consulté le 20/10/2017.
Jérome Leroy; Macron : une pensée complexe au service d’intérêts simples, Causeur. Publié le 16/10/2017 , Consulté le 19/10/2017.
Pierre Rosanvallon, Relégitimer l’impôt. CAIRN . Publié en 2007 . Consulté le 20/10/2017.
Denis Jeambar; Emmanuel Macron, ce président qui sait tout sur tout. Publié le 16/10/2017. Consulté le 24/10/2017.
Ludovic Galtier. Pourquoi la réforme de l’ISF pose problème. RTL. Publié le 19/10/2017 . Consulté le 23/10/2017
Arnaud Benedetti, Emmanuel Macron s’adresse aux individus plutôt qu’à la nation . Le Figaro. Publié le 16/10/2017. Consulté le 24/10/2017
Thomas Vampouille. Nous pas comprendre le président Macron, Marianne. Publié le 29/06/2017. Consulté le 28/10/2017
Economie des Politiques Publiques, Antoine BOZIO et Julien GRENET, Collection Repères, Edition La Découverte, P. 71-71
Thomas PIKETTY, Le Capital au XXIème siècle, Stock, 2013
Crédit photo
Une : YVES VELTER / GAZ OF HESITATION / 2013
Photo 1 : GIANGIACOMO SPADARI / ELEMENTI MECCANICI / 1971
Photo 2 : FRANK FREED / HAVE AND HAVE NOT / 1970
Photo 3 : ANNE CHRISTINE POUJOLAT / AFP / 2017
Les fake news (ou littéralement fausses nouvelles) : qui n’en a pas entendu parler ? Elles ont déterminé et requalifié le vote de nombreux électeurs, que ce soit durant les présidentielles américaines ou durant la campagne du Brexit.
Mais la véritable question n’est pas tant de savoir si nous sommes tous individuellement égaux face à ces fake news que de comprendre pourquoi celles propagées lors de la campagne présidentielle française n’ont pas su trouver prise. Pourquoi n’avons-nous pas mordu à l’hameçon comme des millions d’électeurs avant nous ailleurs dans le monde ? Est-ce une question de culture, ou bien d’autres paramètres d’ordre technique sont-ils à prendre en compte ? D’où vient cet écart entre la perception de l’information américaine ou britannique et la perception française, si tant est que nous puissions définir l’information selon une pseudo-identité culturelle ?
Internet, cette nouvelle tyrannie ?
Ces fausses nouvelles sont notamment le résultat connexe de plusieurs causes. Spirale du silence, tyrannie des agissants, audiences invisibles et filter bubbles (« bulles de filtre ») en sont les principales composantes qui, lorsqu’elles sont mises bout à bout, font d’Internet un espace de liberté, certes, mais où toutes les opinions ne sont pas également percevables.
Si la théorie sociologique et de science politique de la spirale du silence* est assez connue et a façonné dans les années 1970 l’idée que nous nous faisons de ce que l’on nomme les « mass-médias », il peut sembler intéressant ici de s’intéresser à la notion de « tyrannie des agissants ». Dominique Cardon, qui a développé le concept, décrit le phénomène en ces termes : « On est tous égaux a priori, mais la différence se creuse ensuite [ …] entre ceux qui agissent et ceux qui n’agissent pas. Internet donne une prime incroyable à ceux qui font.
Et du coup, il peut y avoir une tyrannie des agissants. » Pendant l’élection de Trump, on a pu se rendre compte des effets néfastes du phénomène de la tyrannie des agissants dans la mesure où ceux qui se sont le plus exprimés sur les réseaux sociaux sont ceux proférant des propos racistes ou misogynes. Cette tendance ne fait que renforcer la force des fausses nouvelles et de la désinformation car ces individus « agissants » gagnent en visibilité tandis que les tentatives de ré-information des médias traditionnels sombrent dans une partie silencieuse des électeurs qui, sans être agissants, ne relaient ces informations qu’avec leur propre audience.
Prise de conscience réelle ou indifférence manifeste ?
Lors de la campagne en faveur du référendum pour quitter l’Europe, les « Brexiteers » (ceux qui souhaitaient voir le Royaume-Uni sortir de l’UE) ont eu recours à un certain nombre de ces fausses nouvelles sur lesquelles ils sont ensuite rapidement revenus**.
Pour ce qui est des présidentielles américaines – bien que les experts de la CIA, du FBI et de la NSA ne se prononcent pas encore sur les potentiels effets de cette campagne de désinformation sur l’élection de D. Trump – il est certain que la divulgation d’informations compromettantes pour la candidate démocrate via le site Wikileaks à quelques jours de l’élection présidentielle n’a pu jouer qu’en sa défaveur. Mais en France, cela n’a pas entraîné de tournant majeur dans la campagne présidentielle. Car le candidat de En Marche !, bien qu’il ait lui aussi dû faire face à une massive et soudaine campagne de désinformation, et ce à quelques jours de l’une des élections les plus importantes de notre Vème République, est aujourd’hui président. En effet, l’évocation de l’existence d’un compte offshore (relayée sur Twitter et lors du débat par des membres de l’alt-right US, Jack Posobiec et William Craddick), ainsi que le hacking par des partisans du régime russe et la fuite (encore via Wikileaks) de documents de campagne, parfois en provenance de Macron lui-même, aurait pu nuire à son élection – mais il n’en fut rien. Aussi, en dépit du MacronGate et de la naissance du hashtag #MacronLeaks sur Twitter, l’impact a été considérablement moindre.
La période de réserve pré-élection*** a empêché les journaux français de s’emparer de l’affaire et réduit l’effet de tyrannie des agissants. Cette période de réserve ne s’étend cependant pas au reste du monde (notamment à la presse belge et suisse) qui ont pu, en s’exprimant, jouer de l’impuissance des candidats à se défendre. Mais cette période, qui aurait pu défavoriser des candidats incapables de se défendre, n’a finalement rien changé. En outre, des dispositifs avaient été élaborés par les membres de campagne de Macron pour parer à ce genre d’éventualité de hacking, membres tout aussi avertis que n’importe lequel des citoyens face au risque de surgissement des fake news dans la mesure où les dernières élections avaient été polluées par ce genre de scandale (The New York Times, pour n’en citer qu’un), et c’est probablement ce qui joué en notre faveur à tous… Mais pouvons-nous vraiment blâmer les Américains et leur reprocher d’être tombés dans le piège des fake news ? Non ; pas plus que nous pouvons nous croire plus malins pour avoir su le contourner. Ainsi, nous pouvons donc légitimement penser que c’est uniquement cette prise de recul, mêlée à d’autres paramètres encore indistincts (comme peut-être des critères plus sociologiques et peut-être culturels ), qui a permis une certaine lucidité sur le phénomène, lucidité que les Américains, face à la brutalité de ce surgissement nouveau des fake news, n’avaient pas encore pu acquérir.
L’égalité face aux fake news : le vrai cœur du problème ?
Comme le souligne The New York Times, le contraste est particulièrement frappant avec les Etats-Unis : l’annonce du hacking des documents de campagne de Macron n’a été accueillie que par « silence, dédain et mépris ». S’il est sûrement trop tôt pour pouvoir savoir si nous sommes tous soumis au même régime face au phénomène de la désinformation, cela a le mérite de soulever un autre problème. A ce sujet, une citation de Hannah Arendt fait particulièrement sens : « Quand tout le monde vous ment en permanence, le résultat n’est pas que vous croyez ces mensonges, mais que plus personne ne croit plus rien. Un peuple qui ne peut plus rien croire ne peut se faire une opinion. Il est privé non seulement de sa capacité d’agir mais aussi de sa capacité de penser et de juger. Et avec un tel peuple, vous pouvez faire ce qu’il vous plait ». Alors il peut paraître bon de rappeler, comme un avertissement, que l’indifférence dont nous avons fait preuve est peut-être bien plus dangereuse que ces fake news en elles-mêmes.
Lina Demathieux
Linkedin : https://www.linkedin.com/in/lina-demathieux-775745135/
*développée par la sociologue allemande Elizabeth Noelle-Neumann
**contrairement à ce qu’on a répété pendant toute la campagne par exemple, Londres ne versait non pas 350 millions de livres par semaine à Bruxelles, mais 136 millions.
***: selon la CNCCEP (Commission nationale de contrôle de la campagne électorale), pendant deux jours, « toute activité à caractère électoral doit cesser » . En effet, la CSA explique que durant cette période, «il est interdit à tout candidat de porter à la connaissance du public un élément nouveau de polémique électorale à un moment tel que ses adversaires n’aient pas la possibilité d’y répondre utilement avant la fin de la campagne électorale». « La campagne s’arrête pour que les citoyens aient un temps de réflexion et ne reprend qu’au moment où les votes sont clos.»
Sources :
MOULLOT Pauline, « Fausses informations, vraies conséquences », Libération http://www.liberation.fr/planete/2017/02/17/fausses-informations-vraies-consequences_1549282 Paru 17/02/17, consulté le 12/05/17
DONADIO Rachel, « Why the Macron Hacking Attack Landed With a Thud in France », The New York Times https://www.nytimes.com/2017/05/08/world/europe/macron-hacking-attack-france.html?_r=0 Paru le 08/05/17, consulté le 12/05/17
SHLINDER R. Robert, « Putin Declares War on the West », Observer http://observer.com/ 2017/05/vladimir- putin-kremlin-wikileaks-france-germany-election-interference/ Paru le 08/05/17, consulté le 12/05/17
KOTELAT Didier, « Les « Macron Leaks », itinéraire d’une opération de déstabilisation politique », RTS INFOS https://www.rts.ch/info/monde/8599552-les-macron-leaks-itineraire-d-une-operation-de-destabilisation-politique.html Paru le 06/05/17, consulté le 13/05/17
MATHIOT Cédric, « Fake news, retournez d’où vous venez ! », Libération http://www.liberation.fr/elections-presidentielle-legislatives-2017/2017/05/10/fake-news-retournez-d-ou-vous-venez_1568574 Paru le 10/05/17, consulté le 13/05/17
NOSSITER Adam, SANGER E. Davaid and PERLROTH Nicole, “Hackers Came, but the French Were Prepared”, The New-York Times https://www.nytimes.com/2017/05/09/world/europe/hackers-came-but-the-french-were-prepared.html Paru le 06/05/17, consulté le 13/05/17
ALBERT Eric, « Les approximations des partisans du « Brexit » sur la contribution du Royaume-Uni à l’UE », Le Monde http://www.lemonde.fr/referendum-sur-le-brexit/article/2016/06/04/les-approximations-des-partisans-du-brexit-sur-la-contribution-du-royaume-uni-a-l-ue_4935129_4872498.html Paru le 04/06/16, consulté le 13/05/17
DEBORDE Juliette, « Ce qu’on peut dire (ou pas) sur les réseaux sociaux ce week-end », Libération http://www.liberation.fr/elections-presidentielle-legislatives-2017/2017/05/05/ce-qu-on-peut-dire-ou-pas-sur-les-reseaux-sociaux-ce-week-end_1567279 Paru le 05/05/17, consulté le 16/05/17
Comment la presse veut survivre face aux « fake news », Challenges https:// challenges.fr/media/presse/comment-la-presse-veut-survivre-face-aux-fake-news_460190 Paru le 13/03/17, consulté le 13/05/17
Z, « A Lire Absolument. Comprendre le phénomène des « fakes news » – Spirale du silence, tyrannie des agissants et Pensée tribale : « La langue des dictateurs » (comment les élites bernent le peuple) » , Le blog de la résistance https://resistanceauthentique.net/2017/02/17/comprendre-le-phenomene-des-fakes-news/ Paru le 17/02/17, consulté le 13/05/17
https://fr.wikipedia.org/wiki/Spirale_du_silence Consulté le 15/05/17
BELAICH Charlotte, « «Période de réserve» : de quoi peut-on parler ce week-end ? », Libération http://www.liberation.fr/elections-presidentielle-legislatives-2017/2017/04/21/periode-de-reserve-de-quoi-peut-on-parler-ce-week-end_1564254 paru le 21/04/17, consulté le 18/05/17
Crédits photos :
Photo de couverture : http://www.snopes.com/2017/04/24/fake-news-french-elections/
Car de déplacement des pro-Brexit lors de la campagne : https://static.independent.co.uk/s3fs-public/styles/article_small/public/thumbnails/image/2017/02/08/09/ gettyimages-576855020-0.jpg
Tweet de Jack Posobiec: http://md1.libe.com/photo/1019546-posobiec.png? modified_at=1494051841&width=750
Infographie : https://visionarymarketing.fr/blog/wp-content/uploads/2017/04/new-piktochart_22000118_3ad8a8beb17567d28f1b9f95e2a2d6f88b3e09b1.png
De plus en plus d’entreprises et d’hommes politiques se dirigent vers le big data – désignant l’analyse de volumes de données (data) à traiter de plus en plus considérables et présentant un fort enjeu marketing – et la géolocalisation afin d’affiner leur stratégie commerciale ou d’affûter leurs stratagèmes politiques.
En outre, les algorithmes – équations complexes programmées pour s’effectuer automatiquement à l’aide d’un ordinateur pour répondre à un problème spécifique – connues uniquement de leurs propriétaires, régissent aujourd’hui le fonctionnement de la plupart des réseaux sociaux et sites d’information. Filtrant notre information, cloisonnant les électeurs dans des cases ou influençant nos comportements d’achat, il est temps de se pencher sur l’éthique et la transparence de ces pratiques.
Le langage vulgaire, jusqu’alors plutôt mobilisé dans le cadre de conversations informelles et par des citoyens « lambda », tend aujourd’hui à se généraliser dans les hautes sphères de la société. Rappelons qu’à travers l’expression « langage vulgaire » j’entends un langage peu châtié. En effet, personnalités médiatiques mais également hommes politiques s’autorisent de plus en plus de familiarités voire de grossièretés assumées.
Le point d’amorce de cette tendance peut sans doute être attribué au mythique « Casse toi pov’ con ! » prononcé par Nicolas Sarkozy au Salon de l’Agriculture en 2008, alors qu’il exerçait la plus haute fonction de l’Etat. Si à l’époque, cette apostrophe avait suscité un tollé médiatique, pas sûr que l’on s’émeuve autant du manque de correction dans les discours publics d’aujourd’hui.
Des (mauvais) leaders d’opinion
Rappelons qu’en termes d’image et d’exposition médiatique, les hommes politiques ont une certaine responsabilité vis-à-vis du grand public. Sans tomber dans une caricature du schéma élite/plèbe, il faut garder à l’esprit que leur parole influence le reste de la population et véhicule, voire constitue un certain modèle. Ces personnalités sont porteuses d’un discours légitime (ou du moins censé l’être) destiné à être diffusé publiquement, et donc à être écouté par un grand nombre de la population. En cela, toutes les figures médiatiques doivent jouer un rôle exemplaire par leur rhétorique.
Pourtant, des expressions sèches et désinvoltes telles que « ça va pas la tête » ou « c’est n’importe quoi » sont devenues monnaie courante au sein l’espace public, il semble même qu’on assiste à une normalisation de la pure et simple grossièreté. Dernièrement, c’est Alain Rousset, président socialiste de la Nouvelle-Aquitaine, qui a fait parler de lui en scandant « Celui qui s’exprime là-dessus depuis cinq ans, devrait la fermer ». Ces propos au sujet de la courbe du chômage et de la croissance, ont retenu l’attention des médias parce qu’on les supposait adressés à François Hollande. Rousset dira ensuite qu’il songeait au Ministre de l’Economie, Michel Sapin – comme si l’identité du destinataire modifiait quoi que ce soit au caractère déplacé d’un tel discours.
La vulgarité langagière revêt également des formes plus insidieuses ; on songe aux remarques méprisantes d’hommes politiques envers certaines franges de la population (souvent les mêmes), comme ce fut le cas d’Emmanuel Macron en mai 2016 à l’encontre des grévistes qui le prenaient à parti. L’ex ministre de l’Economie n’a pas su garder son sang-froid et s’est permis de répondre : « Vous n’allez pas me faire peur avec votre tee-shirt : la meilleure façon de se payer un costard, c’est de travailler ». Une injonction qui révèle sans délicatesse un certain mépris de classe…
Enfin, n’oublions pas le déchaînement sémantique à coups d’insultes et de sifflements qu’ont respectivement subis Cécile Duflot et Pamela Anderson lors de leur passage à l’Assemblée Nationale en juillet 2012 et en janvier 2016. Un laps de temps de plus de trois ans qui suffit à illustrer une forme de décadence qui se diffuse au sein de toutes les strates de la société. Le tweet de Frederic Nihous, membre du parti Chasse, Pêche, Nature et Traditions (CPNT) à l’égard de Pamela Anderson suffit à décrire la situation : « Une dinde gavée au silicone parade à l’assemblée contre le gavage des oies… Quelle farce ! Qui en sera le dindon ? ».
Quand l’exception devient la norme
Le manque de correction n’est pas un fait entièrement nouveau, si ce n’est qu’il se diffuse désormais dans toutes les couches de la société à grande vitesse. En mai 1991, Edith Cresson, alors Première Ministre de Mitterrand, proférait en ces termes : « La Bourse ? J’en ai rien à cirer ! ». Il ne s’agissait encore que d’un cas isolé. Aujourd’hui, la tendance générale à la dérision et à la peoplisation est vectrice d’une normalisation de ce type de langage, et pire encore, d’une acceptation tacite de la vulgarité et des insultes comme outils de communication.
Plusieurs facteurs expliquent ce phénomène. D’abord, il s’agit d’une forme de démagogie de la part de certaines élites politiques, le registre familier est utilisé dans le but de plaire au peuple. Il s’agit de se fondre dans la masse, de se mettre à leur niveau, un moyen de susciter l’identification, des plus condescendants finalement. Plus largement, on peut associer la recrudescence du langage familier au déclin des idéologies et à la perte de substance du débat politique. On assiste aujourd’hui à un véritable abaissement du débat public, dans lequel les idées et les propositions, si elles ne sont pas inexistantes, sonnent creux. Il est vrai qu’à force de chercher à formuler différemment des propositions similaires, mais surtout moins innovantes les unes que les autres, les mots vous manquent.
Alain Juppé, dont on connaît l’attachement aux lettres et à la culture, nous a même gratifiés d’un « Je les emmerde » en réponse à une observation de Franz-Olivier Giesbert, à l’intention de ceux qui le jugent trop « conventionnel », dans un documentaire diffusé sur France 3 en octobre 2016. Alors qui peut affirmer que ce n’est pas le début de la fin ?
Déborah MALKA
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Sources :
LEGOUTE Delphine, « Alain Rousset conseil à son ami François Hollande de… la fermer », Marianne, mis en ligne le 01/11/2016, consulté le 6/11/2016
BLAVIGNAT Yohan, « Emmanuel Macron : le meilleur moyen de se payer un costume c’est de travailler », Le Figaro, mis en ligne le 25/05/2016, consulté le 6/11/2016
PECNARD Jules, « Venue défendre les oies à l’Assemblée, Pamela Anderson provoque la cohue », Le Figaro, mis en ligne le 19/01/2016, consulté le 6/11/2016.
« Alain Juppé emmerde ceux qui le trouvent très conventionnel », France Info, mis en ligne le 03/10/2016, consulté le 6/11/2016
Crédits :
afp.com – Georges Gobet