Publicité et marketing

Comment s'exporte le Made In France à Shanghai ?

 
Figure incontournable, le Made in France n’a jamais été  autant  dans les esprits depuis qu’Arnaud Montebourg s’en est institué le fervent défenseur. On se souvient en effet de l’ancien ministre du redressement productif posant fièrement en marinière Armor Lux à la une du Parisien Magazine du 19 octobre 2012, montre Herbelin au poignet et blender Moulinex en main, le tout sur fond bleu blanc rouge.
Lorsque l’on parle Made in France, on pense luxe, automobile, vin et gastronomie. Mais Chanel et Peugeot sont loin d’être les seules marques représentantes du Made in France, et l’on peut également citer Saint Michel, les couteaux Laguiole, ou encore les fromages d’Isigny.
Cependant, si le « produire français » existe depuis longtemps, la notion a  évolué et est aujourd’hui porteuse de certaines valeurs. En effet si le Made in France, comme son nom l’indique, fait référence à une production française, le terme est aujourd’hui également devenu synonyme d’authenticité, de qualité, d’élégance et de savoir-faire. Le Made in France est donc un idéal de consommation pour certains, mais c’est avant tout une histoire d’identité nationale.
Qu’en est-il du Made in France à l’étranger ?
Si le Made in France a une signification particulière pour les citoyens français, il en prend une toute autre lorsqu’il s’agit du déplacement des produits hors de leur berceau de production. Lorsqu’il s’exporte, le « Made in » devient en effet vecteur d’une certaine ethnicité : un produit Made in France n’aura pas tant de caractère ethnique en France, or il en sera différemment d’un produit Made in France dans un pays étranger. 
Si le Made in France est en vogue, ce n’est également pas sans raisons. La crise économique a  encouragé un retour à l’artisanat et le Made in France jouit ainsi d’une image positive à l’étranger, avec des produits associés à une notion de qualité, elle-même liée à ces valeurs artisanales. Cette notion, très appréciée des étrangers, se décroche de la production de masse (Made in China) et donne dès lors tout son sens au Made in France, qui ne prend sens qu’au regard du label Made in China connu de tous.
Comment les marques utilisent-elles le Made in France à des fins communicationnelles et marketing ?
Si les marques françaises ont su se démarquer sur leur territoire avec une frange de la population accordant de plus en plus d’importance au « consommer français », comment s’exporte le Made in France ? Prenons l’exemple de Shanghai. En plein boom économique, de plus en plus de marques françaises n’hésitent pas à s’y implanter. La ville est en effet très attrayante pour nos marques et entreprises Made in France : en plein essor, celle-ci dispose encore d’une certaine liberté d’idées, et suscite le désir des marques. En bref : une ville où l’opportunité est à portée de main. Aujourd’hui, la french touch est partout présente dans la métropole et les marques françaises ont bien cerné l’enthousiasme que génère ce je-ne-sais-quoi français qui parvient particulièrement bien à trouver son public.
On peut ainsi citer l’exemple de la marque DS (groupe automobile PSA) avec l’ouverture de ses showrooms et le design de ses véhicules basés sur le luxe à la française. Aujourd’hui, pas moins de vingt-six points de vente ont été ouverts dans les villes chinoises, telles que Pékin, Canton et Shenzen. 

Toujours dans le domaine de l’automobile, citons le cas de Renault qui a accompagné le lancement de sa Renault Zoe d’une campagne print mettant en scène le produit en  plein cœur de Shanghai. On peut voir ici le rapprochement entre le dynamisme de la ville (vitesse des passants, espace saturé d’enseignes) et le dynamisme du produit, le côté innovant de la voiture (100% électrique, 0 émission, 0 bruit) en lien avec la ville de Shanghai, ville de l’innovation.

Si l’on s’intéresse maintenant au luxe, c’est au tour d’Yves Saint Laurent d’utiliser la ville de Shanghai pour le lancement de son parfum Black Opium. Dans le spot publicitaire dédié au parfum, tout nous paraît grand et saturé en lumière, à l’image de la ville : grandes routes, grand hall d’hôtel et grand tunnel.

Au tour désormais de la mode : la marque nippone Uniqlo a également lancé un nouveau partenariat mondial avec la marque française au style chic très parisien Inès de la Fressange, et cela pour la saison automne hiver 2014-2015, témoignant à nouveau de l’attrait suscité chez les étrangers par le style à la française. 
Avec ces nombreux exemples, la ville de Shanghai, forte d’une image dynamique, d’innovation et de vitesse où tout est encore possible, apparaît alors pour les marques comme the place to be. Ces dernières ont su s’y installer, faire vendre leurs produits et se pérenniser en tant que marques porteuses des valeurs Made In France là où on ne l’aurait pas forcément deviné. On en viendrait presque à se demander si le style américain ne se serait pas essoufflé. 
Pauline Flamant
Sources :
Influencia.net
news.autojournal.fr
lesechos.fr
Crédits images : 
rézolumiere.ning.com
Renault
Youtube.com

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Société

« Made in France », dernier produit ethnique du monde marchand ?

 Pour terminer ce dossier, Emmanuelle Lallement, maître de conférence au CELSA, a elle aussi accepté de partager son point de vue avisé d’ethnologue.

Marinière et Toyota, identité nationale et consommation
En 1984,  la chanson de Jacques Dutronc « Merde in France » s’entendait sur toutes les radios. En 2013, c’est plutôt le « Made in France » qu’on entend ou plutôt qu’on peut voir un peu partout : non seulement sur des sites marchands comme « 100% made in France » mais aussi sur des sites institutionnels comme « Madine France » ainsi qu’à la Une de journaux (on a tous en tête la Une du Parisien du 19 octobre 2012 sur laquelle Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif, arbore une marinière Armor Lux et une centrifugeuse Moulinex) et de nombreux titres (« Le made in France fait-il (encore) vendre » s’interroge La Tribune le 14 mars dernier, « Le made in France à l’assaut des touristes » titre quant à lui Le Figaro le 6 mars, alors que Libération, en pleine campagne présidentielle, se demandait en décembre 2011 : « Le made in France, débat made in esbroufe ? »). Jusqu’au parc des expositions de la Porte de Versailles qui accueillait en novembre le MIF (salon des produits made in France) et le Carrousel du Louvre qui expose en avril de cette année le Made in France, salon de la haute-façon française. Des exposants de produits très divers peuvent ainsi se rassembler sous la même bannière, celle du produit français et de ses déclinaisons régionales, locales, ainsi que de ses représentations symboliques de l’artisanat, de l’authentique, du fait main, du savoir-faire, du traditionnel.

En 2013, le bleu-blanc-rouge semble donc être à la mode et se décline sur une variété de produits, de l’alimentaire à la voiture, du vestimentaire au design. Pourvu que la moitié de sa production soit faite en France ou que le produit puisse se vanter de représenter le savoir-faire dit français, il peut prétendre au made in France. C’est ainsi que la Toyota Yaris peut se prévaloir de ce label, car fabriquée en partie à l’usine de Valenciennes… Et que le slip français est devenu une marque, entre clin d’œil, coup marketing et surf sur la tendance. Pour qui s’intéresse aux constructions sociales et communicationnelles des cultures et des identités, un tel usage inflationniste et un tel succès du qualificatif « français »  constitue un matériau de choix.
Certes le « made in France » est une opération d’abord politique. S’il existait déjà depuis les années 1980 avec des formules du type « Fabriquons français » ou plus tard dans les années 1990 avec le slogan « Nos emplettes sont nos emplois », c’est depuis la création du ministère du redressement productif avec sa tête Arnaud Montebourg que la formule fait florès. Et c’est d’ailleurs lui qui l’incarne, faisant de cette initiative une opération de communication politique mi-réussie, mi-tournée en dérision : sa marinière, dont les rayures bleues et blanches ne manquent pas de faire écho symboliquement aux lignes bleu, blanc, rouge du drapeau français, lui ont valu beaucoup de commentaires. À noter d’ailleurs que les logos qui accompagnent le « made in France » font unanimement usage du symbole du drapeau, lui-même associé quelquefois avec une cocarde, une Marianne, un champ de coquelicots, une photo d’un village typiquement français… En quelque sorte une saturation de signes qui vient rappeler qu’il s’agit bien là d’une représentation de l’identité nationale. Il faut consommer français, tel est le mot d’ordre. La consommation patriotique est un enjeu économique, un levier de redressement productif et de fierté nationale.
Pourtant cette formule[1] apparaît dans le même temps dépolitisée. C’est parce que la France doit mener une bataille économique sans merci dans le contexte de la concurrence internationale et de la globalisation qu’elle doit marquer ses produits et plus encore que les marquer, les « marketer » en tant que français. On est donc bien loin du débat politique sur l’identité nationale quand Nicolas Sarkozy avait créé le ministère de l’immigration et de l’identité nationale, mêlant ainsi un sentiment avec un fait, la nationalité. On était à l’époque, en 2009, dans ce que les anthropologues ont appelé la construction d’une identité nationale d’Etat[2], la redondance venant souligner le caractère politique et instrumentalisé de l’identité en question. Aujourd’hui personne ne voit dans le made in France une quelconque résurgence, ni la moindre allusion, ne serait-ce ironique, à l’identité nationale française telle qu’elle était apparue dans ce débat.
Globalisation et ethnicisation généralisée  du monde marchand
Mais alors que nous dit donc ce « made in France » de nouveau ? Dans quelle mesure cette formule utilisée pour désigner des produits, des fabrications, des mises en scène et des discours variés nous dit-elle quelque chose de notre monde contemporain ?
D’abord on peut supposer que le « made in France » ne prend sens que parce les expressions « made in china », « made in Taïwan », « made in Japan » et autres origines nationales de production, constituent depuis déjà longtemps le paysage de la consommation. Le « made in France » n’existerait sans doute pas, ne serait-ce dans sa forme linguistique anglophone qui vient bien signifier le contexte mondialisé, sans les autres nombreux « made in ». C’est d’ailleurs par l’emploi de cette formule anglophone bien intériorisée ici et ailleurs, le « made in », que la formule paraît correctement positionnée dans l’univers marchand, bien plus qu’un simple « fabriqué en France ».
Plus encore, si l’on considère la consommation comme un acte qui a du sens et produit du sens, l’acte de consommer un produit dont l’origine en constitue l’identité, réelle ou supposée, voire lui donne un nom, ainsi qu’un caractère propre, lui confère alors une signification particulière. N’est-il pas par conséquent un produit ethnique ? La fabrique de l’ethnicité, c’est à dire du caractère ethnique donné, construit, accolé à un groupe, à un objet, un individu, a elle aussi quitté le seul domaine politique pour devenir une modalité de production des identités dans le monde marchand. Elle est une des règles de communication dans la grammaire actuelle de la marchandise. Les rayons alimentaires de nos supermarchés, les cosmétiques, la mode vestimentaire, la décoration, tous les secteurs ont leur sous-rubrique « ethnique ». Et si tout le monde n’achète pas de l’ethnique, il est en revanche un spectacle pour tous. Mais qu’est-ce qu’un produit ethnique si ce n’est un objet qui a subi un déplacement, réel ou symbolique, voire imaginaire, d’un lieu où il était familier à un lieu où il est étranger[3] ? C’est ce déplacement même qui lui donne son caractère ethnique, qu’il n’a pas dans son contexte d’origine. Inutile en effet de caractériser culturellement un objet dans son contexte culturel d’usage : le cassoulet n’est pas vraiment ethnique à Toulouse mais l’est peut-être à Chicago, de même le mafé l’est sans doute davantage à Paris qu’à Dakar…
Le « made in France » vient illustrer ces déplacements significatifs de la globalisation, en l’occurrence ici le déplacement du « produit français », ou supposé tel, du lieu où sa familiarité rend inutile d’en préciser l’origine, à un lieu ou sa spécificité peut être signifiée : français plutôt qu’allemand, plutôt que chinois, etc. Et même s’il reste dans nos frontières nationales dans le cadre de la consommation dite patriotique, le « made in France » apparaît comme un produit ethnique car il est construit selon la logique implicite de l’ethnicité. Le produit dit français peut ainsi être doublement français, par son origine peut-être mais surtout par sa communication sur le mode ethnique. Et cela même en France, au regard d’autres produits internationaux eux-mêmes localisés et souvent ethnicisés, pris en quelque sorte dans la ronde des échanges internationaux et interculturels.
L’identité française ainsi marketée devient ethnicisable à souhait et se décline alors aisément en marques, produits et régionaux et locaux, en savoir-faire spécifiques et souvent de « niches », dans ce concert global des identités nationales marchandes. Elle est peut être la seule modalité par laquelle elle peut encore, ou doit, exister.
 
Emmanuelle Lallement 
Paris, le 8 avril 2013

 

[1]  Au sens que lui donne Alice Krieg-Planque : « Ensemble de formulations qui, du fait de leur emploi à un moment donné et dans un espace public donné, cristallisent des enjeux politiques et sociaux que ces expressions contribuent dans le même temps à construire », La notion de « formule » en analyse du discours. Cadre théorique et méthodologique, PU de Franche-Comté, coll. « Annales littéraires », 2009, 144 p.

[2]  Voir le colloque « Identités nationales d’Etat » organisé à l’IRD en octobre 2007 par l’Association Française des Anthropologues.

[3]  Voir les travaux de Jean Bazin sur l’ethnie, notamment « À chacun son Bambara », in Jean-Loup Amselle et Elikia M’Bokolo (éd.), Au cœur de l’ethnie. Ethnies, tribalisme et État en Afrique, Paris, La Découverte, 1985

Société

Le made in France actualisé par l’imaginaire et le symbolique

 
Et le cinquième jour, cinq rédactrices ayant spécifiquement travaillé sur le sujet, acceptèrent de nous livrer une partie de leur recherche. Elles ont choisi ici de partager une approche plus psychologique. Les discours et les imaginaires autour du Made in France sont tels qu’il n’est plus seulement culturel. Il devient cultuel.
Si le « panier patriotique est à la mode » ; il semble être une arme efficace dans un monde de plus en plus obsédé par les problèmes de l’origine et de « traçabilité » des produits que l’on consomme. L’apophtegme « Heureux qui peut savoir l’origine des choses » formulé par Virgile permet de s’interroger sur cette aporie cyclique, voire systémique, liée au fonctionnement du genre humain. De facto, la problématique de l’origine, qui semblait tarauder les anciens, se retrouve aujourd’hui au cœur des enjeux politiques et socioéconomiques.
Les problématiques de la transparence sont de plus en plus présentes à travers les discours et imaginaires, dans le cadre du phénomène de « désenclavement planétaire » impulsé par la mondialisation, « l’ère du Soupçon » semble alors en marche. Cette logique de mondialisation des échanges a conduit à estomper toute forme de traçabilité des produits, autrement dit, à gommer les traces qui permettaient de remonter à l’origine de tout produit.
Dès lors, la question des labels et de l’étiquetage viendrait rectifier ce manque de confiance des consommateurs vis-à-vis des produits qu’ils achètent. A l’instar du label « Agriculture Biologique », les labels du « made in France » permettent aux produits français de retrouver un certain prestige dans la sphère de la consommation. Ces nombreux labels portant haut les couleurs « bleu, blanc, rouge » de la France, viennent rassurer les consommateurs en crise de confiance.
L’humanité est entrée dans un cercle infernal de la crise de confiance après avoir fait reculer les frontières du saisissable. Aujourd’hui, il s’agit de revenir sur une forme de décodage voire de « décryptage » d’un monde qui nous est devenu proprement insaisissable tout en essayant de révolutionner matériellement nos habitudes. Les politiques redécouvrent petit à petit qu’il est nécessaire de se concentrer sur l’échelle nationale, régionale voire locale pour rectifier le tir : la formule « nos emplettes sont nos emplois » entre dans de nombreux discours et permet de cautionner un retour aux sources.
Il est par conséquent très important de replacer le « made in France » dans la dynamique plus globale du « made in » en tant qu’expression imprégnée dans l’imaginaire collectif qui permet d’informer les consommateurs sur les produits. Aujourd’hui, nous vivons dans un monde communicationnel, personne n’ignore qu’il fait partie d’un monde à l’échelle planétaire où circulent des imaginaires de toutes sortes et notamment autour de ces formules tendances que sont les « made in ».
Les discours et imaginaires autour du « made in France » se multiplient de façon croissante puisque cette expression devient un enjeu clé pour le redressement économique de la France. Derrière le « made in France » semblent se cacher des représentations sociales et des discours de type polémique. Dans le contexte politique actuel, il est possible de considérer un double aspect du phénomène « made in France » avec d’une part le versant positif de la valorisation des produits français et d’autre part le versant négatif autour d’un débat sur l’identité nationale avec de nombreux décrochements politisés et dépolitisés virant parfois à l’extrême, à l’instar de discours quasi discriminants à l’égard d’autres « made in».
Mais penchons nous plus précisément sur les imaginaires.
Le Made in France s’intègre au sein d’un imaginaire collectif, dont la construction semble relever d’un enjeu identitaire fort. Le discours d’escorte autour de cet objet-volant-très-identifié joue un rôle majeur dans son existence. Mais ce discours contribue aussi largement à la réputation de l’image française, ou plus exactement à l’imaginaire autour de la marque France.
Le poids de l’imaginaire
Dans le « magazine de la grande consommation en France », lsa-conso.fr, le député européen et coprésident de l’Observatoire société et consommation (Obsoco), Robert Rochefort, indique préférer l’emploi du terme de citoyen plutôt que de patriote, quant à la promotion de l’achat français : « La notion de patriotisme me gêne. Elle nous renvoie à une notion guerrière qui rappelle notre passé. Je ne réclame pas des Français patriotes, mais citoyens, qui réfléchissent sur leurs actes et leurs conséquences » . La nuance n’est pas anodine ; rejet de toute ambiguïté nationaliste, elle éclaire le Made in France d’une lumière valorisante, celle de la responsabilité. L’acte d’acheter du Made in France deviendrait presque celui d’un achat équitable. Du reste le fonctionnement est bien celui d’une labellisation comme garante d’un commerce à valeur morale ajoutée. R. Rochefort exprime par ailleurs clairement la nécessité de créer un imaginaire fort autour des produits français. Dans ce contexte, les produits régionaux n’apparaissent plus tant comme des concurrents aux produits nationaux, c’est-à-dire comme une dérive du Made in France, mais comme l’un de ses outils majeurs. Plus on se localise, plus l’on est à même de puiser dans le terroir, dans une imagerie du typique. Les marques peuvent jouer de la « French touch » ou plus généralement de la qualité du savoir-faire, mais elles parlent davantage au marché interne, au public interne, en s’appuyant aussi sur l’argument régional. « Si vous communiquez sur les pêches made in France, continue R. Rochefort, vous n’apportez pas grand-chose. En revanche, si vous affichez les mérites des pêches du Languedoc-Roussillon, vous entrevoyez le soleil ».
Dimension spirituelle du « made in France »
On peut se poser la question de la profondeur subjective de la « marque France » lorsque celle-ci est activée par les consommateurs du monde entier. Les clichés se propagent en « peer to peer », au bouche à oreille, dans les médias, issus de l’éducation ou de l’expérience du tourisme de chacun, et tissent le réseau d’une pensée imaginaire et symbolique.
Une spécialité nationale précise est souvent rattachée à chaque pays : les produits industriels pour l’Allemagne, ceux high-tech pour le Japon et les USA, le style et le design, l’art de vivre et les plaisirs gustatifs pour la France et l’Italie. On scrute tout d’abord la valeur intrinsèque des produits, dans une logique rationnelle. La pensée imaginaire intervient si l’on mêle ces étiquettes à des valeurs, des qualités ou des défauts congénitaux – négligence, raffinement, humour par exemple. Cette pensée-là détermine une logique de préférence des produits davantage émotionnelle. Cependant la marque France peut aussi être considérée à travers le prisme de l’anthropologie, relevant d’une pensée profonde, « symbolique », pour Eric Fouquier, où mythes et contes interviennent. La réaction des consommateurs contemporains se comprend aussi dans les racines de leurs attitudes.
C’est pourquoi le produit authentifié Made in France est aussi un objet mental. Il joue effectivement sur le psychique, ce dont témoigne par exemple telle chinoise déclarant « devenir » parisienne en portant un sac Kelly ou Birkin. Les produits ainsi rattachés à un imaginaire se muent en opérateurs psychiques. D’une certaine manière, un touriste ému devant la tour Eiffel peut l’être tout autant à distance, chez lui, transformé par des produits typiquement français.
Le Made in France procède donc non seulement d’une rationalité, en tant que label, mais aussi de deux processus propres à la pensée magique , que l’on peut lui appliquer : le premier est le mode mana, (force spirituelle d’un système d’échange réciproque, énergétique, qui forge le collectif « sorte d’éther, impondérable, communicable, et qui se répand de lui-même. Le mana est en outre un milieu, ou plus exactement, fonctionne dans un milieu qui est mana » ) qui consiste à se référer au « génie français », à la source de la fabrication des produits ; le mode fétiche en second lieu présente les produits français comme des anticorps, sorte de pansements face aux blessures créées par la « civilisation hypermoderne ».
La référence au fétiche renvoie à un objet matériel, à l’efficacité salvatrice. Ernesto de Martino montre que le fétiche sert à traiter ce qui est le « drame existentiel » de ce monde, c’est-à-dire le « sentiment de perte ou d’atténuation de la réalité et de l’unité personnelle de l’individu », il sert à surmonter l’épreuve d’un « défaut de présence », lorsque la personnalité du sujet s’efface par manque d’énergie, assaillie par les forces hostiles d’un monde, « société liquide » selon Bauman, dont il ne devient plus que l’écho. Il sert ainsi à raffermir la volonté d’être là en tant que présence. De fait, le film Midnight in Paris (2011) de Woody Allen met en exergue la magie de cette ville française emblématique, qui agit comme un baume sur les angoisses du personnage principal, écrivain désemparé, décalé par rapport au monde moderne dans lequel il vit.
Conclusions
Trois observations émergent lorsqu’on étudie la valorisation de la marque France : l’image technologique de la France est à peu de chose près inexistante, contrairement à son image d’élégance qui est, quant à elle, extrêmement puissante. Le duo beauté/qualité, au cœur de la stratégie du luxe, est enfin le point fort du Made in France, par opposition au Made in China.
L’analyse du made in France enrichie de cette approche symbolique implique de ne pas limiter la consommation à la seule pratique utilitariste. Cette pensée profonde, sous-jacente, mobilise des mécanismes subjectifs, si bien que faire appel à la morale altruiste ne suffit plus dès lors que les produits remplissent des fonctions symboliques. Cela invite de plus à reconsidérer des objets qui dépassent leur seule fonction pratique, ce qui offre une prise de position intéressante aux stratégies marketing et commerciales. Ainsi le directeur du style chez Hermès explique-t-il que « s’habiller n’est pas futile, cela dit ce que nous rêvons être… Les valeurs qui nous inspirent : introspection, rejet du spectaculaire, qualité de travail, atemporalité, goût des choses qui durent, supplément d’âme… » .
 
Alicia Poirier N’Diaye, Sibylle Rousselot
Avec Marine Miquet, Alice Nieto et Pauline Saint Macary
Extrait du TIR (Travaux d’Initiation à la Recherche) made in France 2013
Sources pertinentes :
FOUQUIER, Eric. 2011. « La France, ses produits et la pensée magique ». Revue française de gestion, vol. 37, N°218-219, pp. 93-105
Mauss,1950, cité par Ducard 2003
Ernesto de Martino, 1999
Lemaire, Directeur du style, Libération, Next, Avril 2011

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Culture

La French Touch est-elle Made in France ?

 
Continuons notre dossier spécial made in France avec Le Gorille – le webzine musical du CELSA – qui nous parle de la French Touch. Cette dernière montre à quel point la construction d’un imaginaire est décisive, et que les Français eux-mêmes sont souvent les premiers à convaincre.

Produite en France, par des DJs et des graphistes français, il aura fallu la reconnaissance internationale pour que ce phénomène musical qu’est la French Touch soit pris en considération comme une production culturelle française à part entière.
Longtemps absente de la scène électronique, de son histoire et de son imaginaire, la France a finalement trouvé une place de choix, à partir des années 1990, à travers le mouvement French Touch.
Éloigné des codes de la musique française, la French Touch est un mouvement polymorphe qui naît au début des années 1990 et s’illustre par une facilité à s’exporter au-delà des frontières hexagonales. Elle est le fruit d’un ensemble d’artistes, issus de la même génération, qui investissent le champ de la musique électronique en renouvelant et en enrichissant son approche. De fait, outre la production musicale, le phénomène utilise avec habileté le domaine de l’image. Martin James, journaliste anglais considéré comme le premier à avoir utilisé l’expression « French Touch », précise :
« Pour beaucoup, il n’existait aucune règle précise quant à ce genre musical qui, selon moi, n’en était d’ailleurs pas un. Je définirais plutôt la French Touch comme un phénomène post-genre, caractérisé par ses références culturelles et son origine urbaine ou nationale, plutôt que par une forme musicale, une imagerie ou un comportement de type tribal comme en retrouve sur d’autres scènes musicales plus spécifiques. »
Une même génération d’artistes, celle des digital natives, se rencontre ainsi sous le chapiteau de la musique électronique. Les années 1990 sont celles de la culture du mix, du copié-collé, du détournement et sont marquées par l’utilisation d’un outil omniprésent : l’ordinateur. Ainsi, musiciens, labels, graphistes participent ensemble à la création de nouvelles écritures nourries par l’univers culturel anglo-saxon
La synergie entre musique et graphisme s’explique alors par la nature même de la musique électronique et par une philosophie commune qui s’incarne dans le rejet du star-system et de ses codes marketing. Ainsi l’esthétique de la French Touch a pour principe l’absence de représentation des artistes afin de donner une identité visuelle à une musique abstraite. En un mot, les protagonistes ont voulu mettre en avant la musique plutôt que la personnalité des artistes. Musicalement, la French Touch, c’est également une certaine chaleur donnée à la House à travers la prééminence de samples disco et funk, entre autres. Nick Clift, Directeur Marketing chez Astralerks Records, explique :
« Les Français savent donner du style, de la fraicheur, de l’énergie à la musique qu’ils produisent ! »

(Hold Up – Super Funk 1997)
Parallèlement, l’émergence du home studio participe pleinement de cette effervescence dans une atmosphère originelle déjantée, clandestine, droguée aussi. Cet esprit indépendant et l’affranchissement vis-à-vis des majors que permettent les nouvelles structures – le home studio en tête – donnent ainsi naissance à une liberté créative qui représente une part constitutive dans la mise en place d’une nouvelle esthétique, musicale et graphique. Entre 1993 et 2001, sous l’impulsion de la French Touch, les ventes du Bureau export de la musique française sont multipliées par 26, passant de 1,5 million à 39,3 millions de disques.
Si la chaleur apportée à la musique électronique par nos compatriotes DJ constitue l’élément caractéristique de la French Touch, le mouvement se caractérise également par un élan d’innovation en termes de communication artistique. En effet, la synergie entre graphisme et musique fut à l’origine d’une nouvelle manière de communiquer la musique.
Le savoir-faire French Touch : la communication 360˚ avant l’heure
Avant les années 1990, la production d’un projet autour d’un artiste était éclatée entre une multitude d’acteurs, chacun apportant sa patte à l’objet final. L’artiste écrivait ses titres et l’album était produit sous la contrainte financière imposée par le label. A la sortie de l’album, la production de clips et de visuels était l’apanage des services artistiques internes aux maisons de disque. La mise en scène des spectacles restait quant à elle secondaire, seules la musique et la personnalité de l’artiste ayant une réelle importance.
Si les graphistes américains et anglais investissent le support « pochette » dès le début des années 1970, il faut attendre en France les années 1990 et les débuts de la musique électronique pour que les hommes d’images commencent à quitter leur support privilégié, à savoir l’affiche.
C’est alors que se met en place une collaboration étroite entre les musiciens et les graphistes de la French Touch, pour accompagner chaque sortie musicale d’un univers pictural et scénique unique. L’identité visuelle, créée à partir des codes de la culture pop, est désormais déclinée sur tous les supports de communication permettant ainsi d’entourer l’artiste d’une image de marque cohérente et immédiatement identifiable.
En 1999, Antoine Bardou-Jacquet, l’un des deux fondateurs de l’atelier de graphisme indépendant H5, expliquait :
« Alors que dans une agence de pub ou une major tu ne rencontres pas l’artiste mais plein d’intermédiaires, des chefs de projet, de marketing, nous on travaille avec les labels dans la proximité, la confiance, la spontanéité. »
Et les ventes s’en suivent ! Adam Scott, disquaire indépendant à New York :
« Les Français font de très belles pochettes, c’est pour ça qu’ils vendent beaucoup d’albums »
L’album Super Discount d’Etienne de Crecy reste à ce titre l’un des exemples les plus marquants de la décennie 1990 et du savoir faire français en termes de communication par l’image. L’agence de graphisme H5, en collaboration avec le label indépendant Disques Solid, habille l’album d’une pochette forte en couleur qui détourne les codes de la société de consommation pour un impact visuel maximum – pochette qui servira plus tard de tatami à deux judokas un peu allumés sur le clip « Prix Choc » et qui sera revisitée en rose pour le second volume Super Discount 2.

Et à ceux qui douteraient de l’existence d’une véritable intention stratégique, les petits génies du marketing qui composent le duo Daft Punk répondent lors d’une interview donnée au magazine Coda en Juillet 1998 :
« On a travaillé de très près sur les pochettes, les vidéos. Ca a été notre plus gros boulot de l’année 97. Finalement, les moments de création qu’on a eus en 97, c’était par rapport à toute la production audiovisuelle. »

Et c’est ainsi qu’on retrouvera sur les trois premiers albums studio du groupe un seul et même logo, abrasif à souhait et décliné en couleurs et en matière pour une image de marque toujours intacte aujourd’hui !
Nul n’est prophète en son pays : la French Touch et le jeu de miroir du Made in France
Inspirés des productions House de Chicago et Detroit, les DJ français s’approprient donc la frénésie mécanique propre à cette musique. Ainsi, la French Touch est fondée sur un paradoxe : voilà une production perçue comme française, dont les DJ sont Français, dont les graphistes sont formés dans des écoles françaises mais dont les racines se trouvent principalement outre-Atlantique et outre-manche. De plus, même les influences plus larges dépassent le cadre hexagonal. Eric Morand, co-fondateur du label F Communications (dont le logo détourne le macaron France destiné aux voitures) raconte :
« Mes parents écoutaient Brel et Brassens. Moi, je n’écoutais que de la disco américaine, plutôt soul… »
Toutefois, cela n’empêche pas les journalistes les plus cocardiers d’y trouver quelque fierté mais aussi une certaine confusion :
« On a affaire à une musique dont les bases sont essentiellement françaises : la disco (sic), le trip-hop… La musique électronique française s’exporte précisément parce que ses bases sont aussi bien en France qu’aux Etats-Unis ou en Angleterre. C’est la première fois qu’on assiste à ce phénomène » comme le souligne le journaliste musical Christophe Basterra.
Au-delà même de la question des influences, les caractéristiques propres à la musique électronique interpellent. Si les canons de la musique française sont ceux admirablement tenus par Jacques Brel, Serge Gainsbourg, Léo Ferré, Alain Bashung, Claude Nougaro et autres tauliers, alors Laurent Garnier, Quentin Dupieux*, Étienne de Crécy ou Thomas Bangalter sont loin de correspondre aux standards hexagonaux. D’un point de vue linguistique, voilà une musique sans parole à proprement parler, et quand parole il y a, elles sont le plus souvent chantées en Anglais. Profitant d’une musique où le texte tient un rôle mineur, la French Touch ne rencontre donc pas la barrière de la langue. La barrière linguistique, la French Touch la rencontre paradoxalement en France où on ne peut proposer une musique « made in France » sans respecter un cahier de charges et la question des quotas à une époque où les clips étaient davantage diffusés à la télévision que sur internet :
« Quand on faisait une vidéo et qu’il fallait qu’elle passe sur M6 ou sur MCM, il y avait les histoire de quotas de chansons françaises. Or, pour nous qui faisions des chansons destinées à un public international, il fallait qu’il y ait un petit peu de Français. Sinon, on était classés, nous artistes français, dans la même catégorie que les artistes américains. Pour Flashback, on a fait un clip qui est entre le clip et le court-métrage avec des dialogues en français pour entrer dans les quotas français ; ce qui a permis à la vidéo d’être diffusée efficacement » détaille Eric Morand du label F Communication.
Cette barrière de la langue fut justement l’un des obstacles du rock français dont l’export (cf vidéo) pâtit de textes uniquement destinés au public francophone. La patte française de la French Touch aura donc été cette capacité à s’affranchir des contraintes françaises pour mieux les affirmer à l’étranger. Alors que le Made in France cible un marché essentiellement national et trouve d’autant plus d’échos que résonnent les clairons patriotiques en ces temps de troubles, le phénomène French Touch a progressivement permis à la France de s’imposer sur l’échiquier de la culture pop. La French Touch ou l’entrée de la musique française dans la mondialisation :
«  À la fin des années 1990, qu’on soit à Tokyo, à Paris, à New-York, à Londres ou à Singapour, on est une génération qui a les mêmes repères, qui sait utiliser les nouvelles technologies : les frontières se sont abattues » juge  Jérôme Viger-Kohler, organisateur des premières soirées French Touch en France.
Contrairement au Made In France, dont la présence en tant que label est censée garantir un certain succès au produit estampillé, il aura fallu que le phénomène French Touch triomphe d’abord à l’échelle internationale avant que les médias français cocardiers s’en gargarisent pour vanter les mérites de leurs compatriotes dans un pays qui s’est toujours montré soucieux de son rayonnement international et d’un éventuel déclin de son influence culturelle :
« Au début, c’était le Tiers monde aussi, maintenant c’est le Koweit (rires). On a vu que ces gens là étaient reconnus à l’étranger mais n’avaient pas leur place dans les clubs parisiens à l’époque. C’était complètement absurde puis on est passé du truc branché chez nos voisins en Angleterre, en Allemagne, aux Etats-Unis ou au Japon à quelque chose qui a pris en France » poursuit Jérôme Viger-Kohler.
Nul n’est prophète en son pays…
 
Gianluca Pesapane
Antoine Benacin
Visitez le site du Gorille, le webzine musical du CELSA
Sources :
French Touch, le catalogue de l’exposition des Arts Décos
Reportage « French Touch », TV5
L’émission French Touch de Pop etc. sur France Inter

Société

Le Slip Français, les dessous du Made in France

 
Avec Margaux le Joubioux et Angélina Pineau, voyons comment le désormais célèbre Slip Français a su profiter des discours politiques sur le Made in France et créer de toute pièce son propre label. 
Depuis la dernière campagne présidentielle, Le Slip Français a largement investi le paysage médiatique et les réseaux sociaux. Jusqu’alors, les sous-vêtements masculins ne s’exhibaient guère ni dans les magazines, ni sur les écrans. Véritable étendard du label Made in France, qu’a révélé cette webmarque, à travers sa défense de la production hexagonale et son potentiel communicationnel aussi transgressif que réactionnaire ?
 
Le Slip Français : qu’a-t-il de plus que les autres ?
A première vue, Le Slip Français n’est pas différent de ceux qui ornent les rayons des magasins. Son signe distinctif : un drapeau tricolore présent sur chacun des modèles de la marque. Le Slip Français revendique ses origines et fait de ce symbole un gage de qualité. En plus d’être 100% coton, l’entreprise s’engage, à l’heure de la délocalisation, à produire l’ensemble de ses slips en France. Au coeur de la Dordogne, à Saint-Antoine plus précisément, on s’active afin d’honorer les commandes de plus en plus nombreuses. Depuis la création de l’entreprise en septembre 2011, ce sont plus de 20 000 pièces qui ont été fabriquées pour un chiffre d’affaires de 300 000 €.
Mais créer des produits de qualité ne suffit pas, et les textiles Made in France sont  facilement classés dans la catégorie des produits doucement surannés voire carrément ringards. Afin d’éviter d’être rangé aux côtés des charentaises et de la marinière Armorlux, Le Slip Français a fait de la communication son meilleur atout.
La clé du succès a été de revendiquer le côté « franchouillard » et « slip à papa » de leur gamme de produit. Le slip était un apparat un peu honteux qu’il était préférable de dissimuler. Réapproprié par une minorité d’hommes prescripteurs de tendance, le slip s’exhibe et devient une arme de séduction massive. Quelle est cette minorité ciblée par la marque ? Il s’agit de jeunes urbains âgés de 20 à 35 ans (ou leurs compagnes) dotés à la fois d’un solide pouvoir d’achat et d’un sens de l’autodérision qui les encourage à se distinguer via leurs vêtements. En un mot : les hipsters.
 
La communication numérique

Mais le but n’est pas de créer de la nostalgie sinon du rétro. Pour éviter de finir dans les catalogues La Redoute ou les magasins Damart, les commandes ne s’effectuent que sur Internet. Cette stratégie 100% numérique a le mérite, outre celui de réduire considérablement les frais de production et de distribution, d’inscrire la marque dans les usages de son époque. Elle permet une très grande réactivité. En effet, leur site internet, tout comme les pages sur les réseaux sociaux démontrent une parfaite compréhension des règles en vigueur sur le web 2.0. Comme en témoigne l’appel aux dons sur My Major Company afin de créer le « slip qui sent bon ».

Mais cette stratégie numérique n’entrave en rien la volonté de l’entreprise d’avoir de solides partenariats dans le monde réel. Ainsi, pour la Saint-Valentin, Le Slip Français s’est associé à Princesse Tam Tam et cet été, Claudie Pierlot proposera une gamme de culottes aux couleurs tricolores. L’élargissement progressif de sa production est une nouvelle étape pour la marque qui envisage déjà de devenir « le Petit Bateau du web ».
 
Forte présence dans les médias incarnée par un leader incontesté
Cette stratégie est portée par le directeur et fondateur de la marque, Guillaume Gibault. Diplômé d’ HEC, il est beau garçon, télégénique et a fondé une approche du Made in France aussi légère que décalée. Son ambition semble être à la hauteur de son potentiel communicationnel. Ce jeune entrepreneur réinvestit avec succès le concept du Made in France développé par ses pairs politiques, de Delors à Bayrou, pour en faire un label attractif et innovant. À défaut d’en être le ministre, Guillaume Guibault défend un redressement productif plus opportuniste et potache que réactionnaire.
 
Entre l’Ode et l’élégie : une forme de lyrisme patriotique

Alors comme ça, tu te dis capable de vendre n’importe quoi Made in France ? Même du slip ? » Chiche.
Cette odyssée du slip devait bien reposer sur le mythe du pari amical pour pouvoir se transformer en ode patriotique. Le jeune gaulois Guillaume Gibault a bien choisi un ton « patriotico-patrimonial » teinté d’humour mais aussi de nostalgie pour sa webmarque le Slip Français. Des slips à noms de sous-marins de DCNS (Le Redoutable, le Vaillant, l’Intrépide, Le Triomphant), de maîtres du ring (Le Marcel, L’Emile, L’Eugène, L’André), jusqu’aux caleçons à la terminologie rétro-hipster (Le Félix, Le Léon, Le René, Le Charles), Le Slip Français n’a pas fini d’user de la métaphore virile ni de la rhétorique gaullienne, avec une tendance prononcée pour le  « Vive la France ! » Emblème historique et militaire, la cocarde vient compléter le liseré bleu-blanc-rouge sur l’élastique. La marque propose enfin aux sans-culottes de l’Hexagone un habillement qui puisse satisfaire leurs ambitions patriotiques ! Acheter et porter le Slip Français peut en effet être interprété comme un acte civique de défense de certaines valeurs. Le produit correspond très bien à la tendance qui irrigue de plus en plus la consommation : « Je suis ce que je consomme. »
 
100% Storytelling
« On raconte une Histoire, et raconter une histoire, c’est ça qui me plaît, encore plus que le produit lui-même » déclare Guillaume Gibault au journal Libération qui a publié son portrait en septembre 2012. En effet, le succès du Slip Français repose sur la performance du storytelling à la Française : des sous-vêtements 100% coton et surtout 100% « made in l’Hexagone profond ». En rattachant la production à un toponyme, d’abord national avec le fameux label Made in France, puis départemental (la Dordogne) et villageois (la production à Saint Antoine), la marque en appelle à l’imaginaire territorial relativement efficace en temps de crise économique, sociale et identitaire. Elle crée chez le consommateur un sentiment d’appartenance à un corps collectif, mais également à un territoire et un savoir-faire qu’il s’agit de défendre. Source d’affirmation de soi et de sa communauté, le Slip Français répondrait à notre cher Maslow qu’il suffiraitt d’un slip pour satisfaire les besoins des consommateurs. Il répondrait également à un sentiment d’insécurité dans un monde où les repères s’évaporent. Le Slip Français a pris acte d’un double sentiment d’infériorité individuel et national, au niveau industriel, auquel il a répondu par des produits qui exaltent la fierté virile mais aussi collective. L’achat d’un produit de la marque relèverait alors d’avantage de considérations éthiques qu’économiques.
 
Une réécriture subversive
Le Slip Français s’amuse également à détourner des discours politiques pour se les réapproprier au moyen d’une rhétorique subversive efficace. La marque s’inscrit « volontairement » dans une revendication identitaire explicite, tout en déployant avec virtuosité et ironie une stratégie de réappropriation du symbolique. On se souvient des affiches électorales soudainement détournées sur Internet avec le gimmick « slip ». « En slip, tout est possible »  « La France forte en slip », « Le changement de slip, c’est maintenant », « Prenez le pouvoir en slip ». Le terme « slip » s’y détachait visuellement et graphiquement dans le but de produire une rupture cognitive dans le parcours de lecture. La distance humoristique a ainsi permis de s’affranchir de toute dimension politique pour retisser du sens. La métamorphose se produit grâce à cette transgression du « sacré » dont se revendiquent les slogans politiques. De façon paradoxale, la mise en spectacle de ce mot, plutôt familier aux côtés de termes politisés, a eu pour conséquence de dépolitiser ces slogans réinvestis par le marketing. Cette réécriture profite également de leur forme indirectement performative pour constituer les slogans publicitaires de la marque.

Plus que jamais la rhétorique affichée de la marque Le Slip Français transforme un produit en symbole de la reconquête du potentiel industriel français. Mais sous ses allures d’appel à la mobilisation générale, la marque est également le signe d’un grand opportunisme marketing qui a su réinvestir la majorité de ses fondements : la construction d’un imaginaire, l’innovation et la transgression.
Margaux le Joubioux, Angélina Pineau
 
 

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Publicité et marketing

La gastronomie française ou le positionnement de marque

Pour débuter ce dossier sur le Made in France, Com’ des chefs, le pôle gastronomie du CELSA nous propose son point de vue sur ce label ambigu. Parce qu’il fait partie du patrimoine immatériel français dans le cas de la gastronomie, il est réputé authentique. Cette authenticité, enviée par certaines marques, devient alors un véritable positionnement stratégique de marque.
Historiquement, la cuisine pré-existe à la gastronomie. La singularité française provient de la richesse de ses sols et de la diversité des produits qui en découle, mais aussi de l’aspect politique de la bonne cuisine française. Elle était celle des châteaux, des cours royales et des moines rabelaisiens. Nicolas Fouquet réunissait les grands chefs pour Louis XIV comme le célèbre François Vatel. Ce dernier symbolise la perfectionnisme gastronomique français dans la mesure où il n’a pas hésité à mettre fin à ses jours voyant que le poisson du dîner du roi avait du retard.
De manière générale, la gastronomie serait l’appréciation de la nourriture, mais elle renvoie en fait à l’écriture sur la cuisine. Elle est l’art de faire un bon repas et naît à partir du moment où les écrits sur la cuisine se développent au XVIIIe siècle. Selon l’historien Pascal Ory, elle serait donc à la cuisine ce que le critique est à la littérature.
Ainsi la gastronomie française s’est construite sur tout un imaginaire collectif, lui donnant un rôle essentiel de relais de l’idée nationale auprès des villages que rien n’unissait encore. Avec entre autre le désenclavement des campagnes, l’unification de la langue dans une lutte contre les patois, la gastronomie participe à l’élaboration de la nation française. La gastronomie française est donc (comme la nation) un discours unificateur, sujet à une instrumentalisation politique, idéologique ou culturelle.
Dès lors, le Made in France en gastronomie est d’autant plus important qu’il permet d’ancrer une marque dans une tradition vieille de plusieurs siècles et reconnue dans le monde entier. Le film de Sofia Coppola (Marie Antoinette) et ses scènes de banquets fastueux témoigne bien de l’imaginaire bien présent autour de la cuisine française.

Le label Made in France, une étiquette ambiguë
Avec la gastronomie, le Made in France devient véritablement patrimoine immatériel. Le vin, le fromage, le pain, les pâtisseries font incontestablement partie de la culture française. Pour ce type de produits, le besoin de se rattacher à un label se fait peu sentir puisqu’ils sont la tradition.
Mais certaines marques ont bien compris la dimension politique (au sens large) actuelle de la nourriture et ont choisi de surfer sur la tendance du made in France. Par exemple, Michel et Augustin, marque au nom très français, n’ont pas à proprement parler le label Made in France mais ils se revendiquent « experts du goûts » et soulignent sur leur package l’origine hexagonale de leurs produits. Ils jouent en fait sur l’authenticité. Même sans label, c’est bien cet argument développé en introduction du dossier qui est mis en avant. L’authenticité, la promesse de vérité et de proximité est argument de vente, elle est présentée comme une garantie d’un bon goût, car d’un goût d’une qualité française.
Au contraire, la marque Charles et Alice (yaourts aux fruits) possède bien le label Made in France mais le met peu ou moins en avant, sur son site comme sur son packaging.
Finalement, le Made in France est avant tout devenu un choix de positionnement par rapport aux autres produits, aux concurrents.
En effet, l’imaginaire autour de la cuisine française possède une force de persuasion indéniable. Nous l’avons vu, il est le fruit d’une culture vieille de plusieurs siècles. Et surtout, il s’est popularisé et ne concerne plus uniquement une élite châtelaine, ou uniquement les femmes. La gastronomie est devenue une culture populaire, comme le démontre le succès des émissions comme Top Chef, Un dîner presque parfait ou Master chef. Les marques ont bien compris cet engouement, largement exploité dans leurs stratégies marketing.
Ladurée ou le made in France comme success story
La Success Story de Ladurée est là pour en témoigner. Fondée en 1862 par Ernest Ladurée ce n’est au départ qu’une petite boulangerie qui va devenir l’un des premiers salon de thé de la capitale, puis proposer ses célèbres macarons. Il compte aujourd’hui 800 employés dans le monde et compte 14 maisons dans 5 pays, dont 6 en France. Si son PDD refuse de donner son chiffre d’affaires actuel, il est estimé à près de 80 millions d’euros en 2010.
 

Le logo de Ladurée perçu de l’étranger s’ancre dans le Made in France, pourtant aucun label n’y figure, ni même un drapeau tricolore. En effet Ladurée cherche plutôt par son esthétique à s’ancrer dans le Paris du Second Empire. Ce sont des feuilles de lauriers qui viennent rappeler le règne de Napoléon III, avec en dessous un “Paris” qui fait gage de qualité dans le milieu du luxe, parce que oui, Ladurée est une marque de luxe.
Car c’est aussi ce que véhicule cette marque française au grand savoir-faire : la légitimité de prix très élevés. C’est ce que Ladurée cultive avec ce style propre au Second Empire, et ces différents symboles qui savent rappeler régulièrement au consommateur qu’il s’agit d’une expérience unique.
Rien de mieux que d’apparaître dans le film de Sofia Coppola déjà cité plus haut pour s’inscrire dans une tradition de luxe, d’excellence et de raffinement typiquement français aux yeux du monde entier.
Sur le site internet http://www.laduree.fr/ c’est aussi le parisianisme et le caractère français de la marque qui sont mis en valeur. La page d’accueil est une immersion dans la boutique parisienne, nous sommes sur les Champs Elysées et pouvons interagir avec les divers éléments présents.
Made in France ou Made in Local ?
Mais si ce n’est pas le Made in france en lui-même qui est à l’honneur dans une marque aussi importante que Ladurée, et plutôt un certain raffinement lié à la parisienneté, il faut dès lors se poser la question de la résurgence du local.
La notion de terroir est de ce point de vue un élément fondamental. Elle revient sur le devant de la scène depuis une dizaine d’années. Il s’agit de redonner sa place au savoir-faire des régions. Face à des produits alimentaires lissés par la mondialisation, et toutes les angoisses qu’elle provoque, le consommateur se tourne vers ce qui est fiable : le local.
La marque Reflets de France et son histoire sont à cet égard particulièrement significatifs. Elle est créée en 1997 par le groupe Pomodès qui veut redécouvrir les recettes propres à chaque région de France. Aujourd’hui la marque fait figure de succès en tant que marque de distributeur facteur de fidélisation de la clientèle de Promodès et Carrefour.  Ses consommateurs types sont les plus prisés par les grandes marques nationales : jeunes, urbains et intéressés par une assiette plus ancrée dans la culture française.
Un enjeu de légitimation de l’entreprise et du prix
L’enjeu est important, aussi bien pour les entreprises que pour les régions. Pour Pomodès, et pour les grands groupes distribution, il s’agit de légitimer territorialement une gamme de produits mais aussi un groupe de distribution d’échelle nationale qu’il faut réhumaniser. Considérant l’explication de la fonction de la légitimité selon Laufer : « une organisation a besoin de se justifier comme étant au service du groupe et d’assurer ses responsabilités en tant qu’acteur ayant une influence sur la société », c’est bien ce qui résulte de cette préférence du consommateur pour le local, qui lui fait acheter français et positionne la marque comme acteur responsable sur le plan social et environnemental. Les recettes de nos grands-mères n’ont jamais pollué la planète et en plus, créent de l’emploi. C’est aussi une question de rapprochement avec le consommateur, qui est à même de prouver son attachement à la culture locale en achetant en moyenne un produit deux fois plus cher que la gamme traditionnelle des distributeurs. Cela n’est pas sans rappeler le mécanisme à l’œuvre chez les produits bio, mais il est rare de rencontrer un produit qui fasse les deux.
Les produits Reflets de France et autres mets des locavores, avec leurs appellations d’origine contrôlée et certifications origine France en tous genres, sont exemptés de toute justification sur le plan environnemental, et on ne compte plus sur la toile le nombre de blogs de nos amis écolos cherchant désespérément comment manger local et bio avec les mêmes produits. Le site des 2 Vaches pose ainsi dans un article datant du 29 janvier la question du choix entre bio et local, qui pour le cas des produits laitiers est vite résolue puisque la production de lait est concentrée dans 4 régions en France. D’où cette simple question : le « France washing » n’est-il pas la suite du green-washing et aussi un aveu d’échec de ce dernier ?
Anne-Gaëlle Nicole, Judicaëlle Moussier
 
Sources :
http://www.lecommercedulevant.com/affaires/h%C3%B4tellerie-amp-tourisme/none-liban/david-holder-%C2%AB-les-libanais-m%E2%80%99ont-donn%C3%A9-envie-d%E2%80%99ouvrir-%C3%A
http://www.francetvinfo.fr/video-le-made-in-france-devient-tendance-dans-l-alimentation_159583.html
http://institut-gestion.univ-larochelle.fr/IMG/pdf/Les_MDD_du_terroir_facteurs_de_Legitimation_le_cas_Reflets_de_France.pdf
http://www.strategies.fr/actualites/marques/179067W/2-6-4133/le-renouveau-du-made-in-france.html

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Société

Le vin français, le 100% made in France

 Dès ce matin, nous débutons notre dossier avec l’association de dégustation de vins du CELSA – Wine not ? – qui nous livre son point de vue sur ce symbole du patrimoine immatériel français.
Dans le contexte de mondialisation d’aujourd’hui, le « made in France » est revenu au goût du jour.  Ce fut même un des arguments le plus utilisé lors de la campagne présidentielle de 2012.
Cependant, on remarque que les deux chantres du « made in France », Arnaud Montebourg et François Bayrou, ont semblé avoir oublié lors de leurs argumentaires engagés de mentionner l’importance qu’occupe le vin dans ce processus. Et pourtant, je ne pense pas qu’il puisse exister quelque chose de plus français que le vin français lui-même justement.
Le vin, un des symboles de la culture française
La France est bien souvent considérée dans le monde comme le pays du vin, où les paysages et terroirs viticoles sont aussi bons que variés. C’est d’ailleurs en France que la consommation de vin par habitant est la plus forte, puisqu’elle s’élève à 52,6 litres par an et par habitant en moyenne[1]. Ce n’est pas un hasard : le vin fait partie de notre culture, il a participé au développement de notre économie dans l’histoire et au rayonnement de notre pays à travers le monde. Aucun autre pays au monde ne possède autant d’appellations, de producteurs et de terroirs si divers. Le climat fait que la France est comme la terre promise du vin, on y trouve presque de tout.
Le terroir, cette « usine » qu’on ne peut pas délocaliser
Le vin, c’est du raisin, du soleil, de l’eau, de l’homme, mais aussi un terroir. Tous ces éléments sont très importants à la fabrication du vin, mais le terroir, qui se concrétise dans l’appellation d’origine contrôlée, est sûrement l’un des plus importants. En effet, à l’achat d’un vin, c’est souvent à cela que l’on se réfère, on peut vouloir un bordeaux, ou plutôt un bourgogne, etc – attention ici, je prends la notion de terroir dans son sens (très) large.
Ce terroir il est donc impossible de le délocaliser. Jamais on n’a vu, et jamais on ne verra du Côtes-du-Rhône fait en Chine. D’abord parce qu’il est quasiment impossible de retrouver exactement le même terroir à plusieurs endroits, bien que certains puissent avoir de nombreux points communs. Puis parce que l’on n’en a tout simplement pas le droit. En attestent, par exemple, les longues disputes qui ont eu lieu lorsque les producteurs champenois se sont insurgés contre ceux qui inscrivaient la mention « Champagne » sur leur bouteille pour qualifier le vin mousseux qu’ils produisaient.
Pour pallier à cette impossible délocalisation, dans ce contexte de mondialisation, certains essaient tout de même de reproduire des vins similaires dans d’autres conditions, en utilisant notamment les mêmes cépages. Par exemple, les californiens et les sud-américains utilisent beaucoup de cabernet sauvignon afin de produire des vins qui pourraient se rapprocher le plus possible des châteaux bordelais. A défaut de délocalisation il reste donc toujours l’imitation.
Chaque terroir illustre une appartenance régionale qui ne fait que renforcer l’appartenance nationale, déjà mentionnée par le « Product of France » qui se doit d’apparaître sur n’importe quelle bouteille de vin français.
Le poids du vin dans l’économie française
 Le vin est donc impossible à délocaliser, et est en plus un des produits français qui s’exporte le mieux. En ces temps de crise, il m’apparait tout de même étonnant que M. Montebourg ne lui ait pas donné une part plus importante. En effet, le vin supporte l’effort national : le chiffre d’affaire des exportations de vin s’élevait à 11,5 milliards en 2012 ce qui en fait le second secteur d’exportation français[2]. De plus, le vin est non seulement le deuxième poste excédentaire de la balance commerciale française talonnant ainsi l’aéronautique, mais il représente aussi 83% de l’excédent dans le domaine de l’agroalimentaire[3].
Il s’exporte quand même mieux que le slip français… Rappelons-nous de cela pour que l’un des rares secteurs qui n’est que faiblement touché par la crise ne se laisse pas aller lui aussi.
 
Le Conseil interprofessionnel des vins du Roussillon s’est d’ailleurs permis d’interpeller directement en 2012 les membres du gouvernement en leur offrant une bouteille, et en leur rappelant bien que le vin « made in France » tel qu’ils le disent eux même, mérite d’être soutenu de par son importance dans l’exportation, et le fait qu’il représente 250 000 emplois[4]. Et l’on se souvient bien de la campagne de 1980 : « nos emplettes sont nos emplois ».
Le vin « made in France » devient un véritable atout commercial, on consomme « responsable », et on consomme « local ». Cela rassure le consommateur, et lui enlève un sentiment de culpabilité qui pourrait le retenir de faire l’acquisition d’un produit.
Le vin illustre ainsi très bien l’art français, l’art au sens de savoir-faire. Ce n’est bien sûr pas le seul représentant de ce savoir-faire, mais son poids n’est plus à prouver. Dans un contexte où la France perd peu à peu de sa splendeur et grandeur passées, montrons que l’excellence française existe encore tout en contribuant à la relance économique interne du pays. Car dans ce produit impossible à délocaliser, toute la valeur ajoutée reste localisée en France.
La réussite du modèle « made in France »
Le vin pour le « made in France » est donc le symbole d’une réussite économique de ce modèle, et une image positive de l’excellence du savoir-faire français à travers le monde. Les deux intérêts du modèle « made in France » sont bien réunis.
Pourtant nos gouvernants ne semblent pas vouloir pleinement supporter et encourager la réussite de ce secteur, comme en témoignent les candidatures des vignobles de Bourgogne et de Champagne au patrimoine mondial de l’Unesco au profit de la sombre grotte du Chauvet…
On se rappelle bien aussi de Nicolas Sarkozy oubliant de passer du côté des vins lors du salon de l’agriculture. François Hollande, lui, semble avoir au moins compris l’importance de la filière, puisqu’il a promis qu’il ne « diaboliserait pas le vin ». Mais bon, on connaît bien la conception qu’ont les politiques de la notion de « promesse ». Il aura au moins rassuré quelques vignerons surpris pour la première fois depuis cinq ans par la visite du président au salon de l’agriculture.
La mondialisation nous confronte directement aux autres pays, et au dessus de nos têtes pèse la menace de voir s’abattre sur nous l’uniformisation du vin comme une épée de Damoclès. L’identité géographique du vin supposée par son terroir s’impose donc comme un argument très important de la diversité du vin face à cette crainte d’uniformisation. Il s’agit simplement de la mettre en valeur. C’est là toute la beauté d’un produit 100% made in France.
François Philipponnat – Wine Not ?

[1]  http://lexpansion.lexpress.fr/economie/les-plus-gros-buveurs-de-vin-du-monde-sont_287321.html

[2] Source : France Agrimer

[3] http://www.leparisien.fr/flash-actualite-culture/vins-et-spiritueux-made-in-france-nouveau-record-des-exportations-en-2012-14-02-2013-2567575.php

[4] http://www.reussir-vigne.com/actualites/communication-jouer-la-carte-du-made-in-france&fldSearch=:GP0H055C.html

 

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Société

Le Made in France façon FastNCurious

 
En Janvier dernier, FastNCurious s’intéressait aux Revenants, dans le cadre de sa nouvelle rubrique, les « Dossiers ». Nous avions vu dans quelle mesure Canal+ et Haut & Court façonnaient un modèle de série française. Cela ouvrait la voie à un sujet plus large sur les productions made in France. Ce mois-ci, nous vous proposons notre second dossier qui vient prolonger cette réflexion et nous nous intéresserons donc au Made in France dans son ensemble.
Le made in France a, avant tout, une définition juridique. C’est une appellation, un label, sur l’origine d’un produit. A son origine, il ne désigne rien d’autre qu’une étiquette « fabriqué en France ». L’appellation se positionne en effet par rapport au bien connu made in China. Elle marque donc le retour au local, la réponse à la mondialisation. Elle serait un réflexe identitaire, une mise en avant de la culture française comme unique et solide. Mais cette définition est partielle. En effet, ce label a rapidement pris une toute autre envergure.
A priori, le made in France est culturel. Uniquement et sincèrement culturel ? Non. C’est avant tout un objet de communication. Communication politique, médiatique, marketing. Il est objet politique car, revêtu d’une apparence culturelle, il offre une belle légitimation à un discours communautariste. Peur de l’autre, peur de la mondialisation, peur de la consommation débridée, auxquelles répond le made in France et son aspect communautaire, équitable, sain, authentique. L’appropriation politique du sujet, par la droite comme la gauche, montre bien à quel point il est dépendant de discours et d‘un contexte ou d‘une atmosphère politique et sociale particulière. Le Slip Français au moment des débats sur l’identité nationale aurait eu une toute autre saveur.
Puisqu’il s’agit de mettre avant tout l’authenticité en exergue, celle-ci désigne un objet dont l’origine et l’auteur sont certifiés, et dont la réalité et la sincérité sont incontestables. Ce sont donc des valeurs de transparence, d’exactitude, de pureté et de véracité qui sont ici à l’œuvre. Mais dans ce contexte complexe des problématiques de traçabilités et de repli sur soi, la culture fait aussi partie intégrante du soft power. Le made in France serait alors un moyen d’affirmer la place du pays sur l’échiquier mondial, un outil. C’est en tout cas ce qu’ont compris les politiques ou les marketeurs qui tentent de l’imposer sur le marché global, mais aussi sur le marché intérieur. Paradoxalement, les premiers à convaincre de la sincérité du sujet, sont bien les français eux-mêmes.
On se demande alors comment le made in France peut garder son aspect authentique alors qu’il fait aussi l’objet d’une construction communicationnelle, médiatique et politique. D’autant plus que la conception que les Français ont de la culture suppose qu’elle ne doit pas être souillée. On nous vend un label spontané et authentique, mais n’est-il pas une construction, une œuvre de communication ?
Pour répondre à ce paradoxe, nous avons décidé de faire appel aux associations du CELSA et à quelques rédacteurs. Contrairement aux Revenants, nous avons fait le choix de nous intéresser à différents objets, tout en traitant la question du made in France de manière transversale. Lundi, Wine Not nous présentera les particularités du vin français et Com’ des Chefs traitera des délices de la gastronomie française. Mardi, nous analyserons la stratégie du Slip Français, emblème du made in France. Mercredi, la French touch sera à l’honneur avec le Gorille, Jeudi nous verrons en détail les enjeux qui se cachent derrière le nouveau moteur de recherche Qwant. Vendredi, nous laisserons la parole à Sybille Rousselot, Alice Nieto, Pauline Saint Macary, Marine Miquet et Alicia Poirier N’Diaye qui ont travaillé sur le Made in France dans le cadre de leur travail d’initiation à la recherche de L3.  Pour terminer en beauté nous vous réservons une invité de marque qui portera un regard original et plus global sur la question.
Camille Sohier et Arthur Guillôme

Les Revenants
Culture

Le marketing version Revenants

 

 Pour le premier dossier sur Les Revenants de la semaine, Flora Trolliet, Esther Pondy et Sabrina Azouz nous proposent leurs interprétations des stratégies marketing entourant la série. Si l’agence BETC a conduit Canal+ à adopter une stratégie que l’on peut situer entre celles communément adoptées au cinéma et celles des séries américaines, on peut aussi se demander si le succès des Revenants n’est pas aussi dû en partie aux particularités de la chaîne.
 
 
Un positionnement paranormal
Il y a des productions audiovisuelles dont on devine aisément le genre. Bienvenue chez les Ch’tis est une comédie, Paranormal Activity un film d’horreur, aucun doute là dessus. Cette classification par genre est l’une des composantes essentielles de l’analyse stratégique d’objets culturels, notamment audiovisuels. Dans le cadre d’une démarche marketing, elle permet en effet d’identifier le positionnement d’un film sur le marché et par conséquent de définir sa segmentation, c’est-à-dire la clientèle susceptible de s’y intéresser.

Les Revenants nous confronte à une analyse stratégique complexe. Alors que son format (8 épisodes de 52 min) et son mode de diffusion (télévision, prime-time…) ne laissent aucun doute sur le fait qu’il s’agit d’une série télévisuelle (made in Canal+), son dispositif de création (réalisation, scénario, production) et la création en elle-même (thématiques abordées, interprétation, choix esthétiques) rendent ce positionnement plus ambivalent. Sous différents aspects, la série oscille entre objet culturel télévisuel et œuvre d’art cinématographique. Cette première hypothèse se confirme lorsqu’on analyse la segmentation de la série, tout aussi ambivalente, cherchant à fédérer un public double.
Aussi, le positionnement des Revenants repose-t-il sur une série de paris plutôt dangereux : imposer une thématique fantastique dans un prime-time à la télévision française, proposer une création aux partis pris esthétiques très marqués et surtout, établir un équilibre entre études psychologiques approfondies et éléments surnaturels incompréhensibles. De ce positionnement ambivalent découle une double segmentation dominante : public sériel traditionnel d’une part, public peu sériel mais cinéphile d’autre part ; autrement dit celui qui dévore l’intrigue et veut des réponses à ses questions et celui qui se nourrit des personnages, de leur psychologie.
Cette segmentation s’accompagne du développement d’outils marketing ciblés qui semblent parfois empruntés aux campagnes publicitaires du cinéma. D’une part, avec ses créations originales en général, avec Les Revenants en particulier, Canal+ renoue avec le caractère publicitaire que le cinéma, notamment américain, octroie au casting. D’autre part, dans son mode de diffusion et dans son contenu, le premier épisode fonctionne comme une bande annonce « à la française ». Ces outils marketing, qui paraissent implicites, parce qu’intégrés au contenu de la série elle-même, jouent un rôle essentiel dans la création de bouche à oreille.
Le casting :
Il est un élément crucial du marketing cinéma. Depuis les débuts du 7e art, les « têtes d’affiches » jouent un rôle publicitaire de premier choix et les producteurs, notamment américains, s’arrachent les acteurs du moment à coup de billets verts. Cette tendance est moins marquée sur le petit écran du simple fait que le genre sériel tend à être considéré comme mineur, attirant en général uniquement des acteurs « de seconde zone » (pas encore révélés au cinéma / dont le cinéma ne veut plus).
Les créations Canal+ inversent cette tendance en soignant le choix des comédiens, très souvent issus du cinéma. En ce sens, le casting sériel retrouve ici un rôle publicitaire, seule la cible a changé. En effet, les acteurs 100% cinéma français d’auteur drainent un public d’ordinaire peu enclin aux téléfilms, séries télé et autres blockbusters mais heureux de suivre ses interprètes fétiches sur un format plus long qu’à l’accoutumée. Ainsi, un casting crédible et cohérent contribue largement au succès des créations originales Canal et, sans aucun doute, Les Revenants en est l’exemple le plus abouti (cf. Annexe).
 
Le premier épisode :
Le premier épisode des Revenants fonctionne comme une bande annonce cinématographique. Dans son mode de diffusion tout d’abord, il est visible presque un mois avant la diffusion sur Canal+ et cette visibilité en « avant-première » est très médiatisée. Dans son contenu ensuite, il est construit sur le modèle des bandes annonces françaises qui, à la différence de celles américaines (sortes de mini-films à elles mêmes), restent très souvent évasives, ne respectant pas la linéarité du film. Et justement, avec le premier épisode des Revenants impossible de savoir quelle direction la série va adopter, on est à cent lieues d’imaginer que le retour parmi les vivants de Camille, Simon, Mme Costa et Victor va se généraliser. L’intrigue étant centrée sur Camille, on pourrait même imaginer qu’ils se trouvaient ensemble dans le bus. Ce qui donnerait, si ce n’est une explication, du moins une unité au phénomène paranormal dont tous sont frappés. A lui seul, le premier épisode est en outre celui dont le positionnement est le plus difficile à définir. Pour anecdote, cette technique de marketing avait été initiée avec Simon Werner a disparu, le premier film de Fabrice Gobert : en plus des bandes annonces (relativement courtes), on pouvait découvrir en exclusivité … les 3 premières minutes du film !
Mise en bouche efficace des (télé)spectateurs, cette stratégie favorise le feedback que la chaîne ré-exploite notamment dans une bande annonce « twitter » (comprenant des tweets de fans et le slogan « Les Revenants, c’est vous qui en parlez le mieux »), non sans rappeler certaines affiches et bandes-annonces de cinéma. Les affiches de Comme des Frères et celle des Bêtes du sud sauvage en sont deux exemples récents ; la première intègre les commentaires des spectateurs, la seconde ceux des critiques de presse, agrémentés du slogan « Tout ce qu’on vous dit sur Les bêtes du sud sauvage est vrai. »
Le choix d’une segmentation large peut expliquer les records d’audience de la série (1.4 millions de téléspectateurs sur la quasi-totalité de la série). Cependant, si la fin de la saison 1 a suscité un record historique d’audience, elle a également déclenché une avalanche de critiques sur Facebook.
D’une part, dérouté par l’absence de réponses apportées aux mystères de la série, par cette fin sous forme de cliffhanger, le public « plus sériel » se déchaîne sur Internet, là où la série était justement venue le chercher. Plusieurs éléments de scénario restent en effet non-expliqués (l’évolution du niveau de l’eau, la cicatrice dans le dos de la sœur de Camille par exemple). D’autre part, le public a priori « plus cinéphile » a du mal à digérer un certain changement de registre en faveur du paranormal. Les mystères se multiplient en effet (cicatrices, hordes de revenants, bébé mort-vivant d’Adèle…) et éloignent la série des questions relationnelles que le retour des morts cause à l’entourage des revenants. Effet boule de neige, le double positionnement du genre (réalisme, psychologie ET paranormal, intrigue) s’estompe, mettant alors en péril la double segmentation.
Réunir deux types de publics diamétralement opposés ou presque devant le même programme demande un sens de l’équilibre digne des plus grands funambules. Avec des films comme Skyfall ou The Artist, le marketing du cinéma a fait ses preuves en la matière. Avec Les Revenants, Canal+ a ouvert la brèche.
 
 
Une stratégie du plus
Ce qui fait l’actualité s’accompagne toujours d’un certain matraquage médiatique et surtout d’un discours préparé. Avant, après et pendant leur diffusion, les objets (livres, disques, films ou séries) et les hommes qui font l’actualité ne peuvent échapper à cette étape indispensable. Le jeu des plateaux télé et des relations publiques est celui qu’il faut absolument maîtriser.
Dans cette optique, Les Revenants se plie aux règles avec une campagne publicitaire particulièrement léchée que nous devons à la prestigieuse agence BETC, fidèle partenaire de la chaîne Canal+. Mais ce que l’on observe à propos de la production, c’est que ce qui la propulse au rang de série événement n’est pas tant la campagne que la notoriété de la chaîne elle-même, relayée par ses téléspectateurs.
Lancés le 23 octobre, le site Internet, les affiches, le spot radio et la bande annonce TV préparent l’arrivée de quelque chose de nouveau et poussent téléspectateurs et médias à créer eux-mêmes l’événement. « Première série fantastique »; « du jamais vu pour une série française » ; « la série la plus attendue. » Pendant un mois les discours qui se forment autour de la série ne sont pas ceux de la chaîne qui se veut plus discrète.
On concédera à cette stratégie une certaine douceur. Elle s’accorde d’ailleurs parfaitement avec le positionnement éditorial initial de la chaîne.
 
« Canal+, demandez plus à la télé »
Si la légende veut que le « + » qui qualifie la chaîne ne soit dû qu’à une erreur d’impression, la coïncidence est heureuse car un simple « Canal 4 » n’aurait probablement jamais suffit à décrire combien la chaîne se présente comme un lieu à haute valeur ajoutée.
La différence entre les chaînes lambda et la quatrième a toujours été fortement marquée. Publicité, cryptage, annonces, les « plus » réservés aux consommateurs qui payent pour ont toujours été visibles et déployés devant les yeux des téléspectateurs moins heureux. Les meilleurs films de cinéma plus rapidement, les meilleures séries avant les autres, le foot en exclusivité, etc. Dans l’imaginaire comme dans les faits Canal+ n’est pas un chaîne comme les autres.
La marque se distancie des autres chaînes, mais prend surtout ses distances vis-à-vis de la télévision elle-même. L’atout cinéma a rapidement été le moyen de s’imposer d’abord en tant que diffuseur de films de premier choix. Avec le temps, la critique s’est élargie à tous les contenus disponibles sur la chaîne désormais également reconnue comme un producteur de qualité.
Cette façon de mettre en valeur le raffinement, l’exclusivité et la rapidité fait entrer dans les esprits que le meilleur est sur Canal+. Symboliquement, l’effet même de cryptage renforce cette idée qu’il existe un privilège, une richesse Canal+.
« Des créateurs originaux pour des programmes originaux »
Dans le temps, cet argument du plus n’a pas fondamentalement changé. Mais il a évolué, il s’est renouvelé. Le cinéma, le foot, les séries américaines et aujourd’hui les créations originales viennent s’ajouter à la notoriété de la chaîne.
Pigalle, Engrenages, Borgia, Maison close : avant même leur sortie, ces fictions made in France ont été annoncées comme des séries « événement ». Originales, elles le sont parce qu’elles ne sont faites comme aucune autre série (saisons de huit épisodes, 52 minutes) mais aussi parce que chaque production se distingue des autres par l’intrigue, l’univers qu’elle incarne, son genre, sa tonalité. Les choix sont souvent audacieux, mais le public sanctionne positivement.

C’est dans ce contexte béni qu’apparaît la série Les Revenants. L’intrigue seule suffit à susciter l’intérêt, mais la provenance Canal+ et le cachet des autres séries de la chaîne sont un argument inimitable. C’est cet élément que la bande annonce de la saison exploite. Les noms de la série et de la scène sont physiquement replacés dans le cadre créateur original.
La création originale Canal+ devient ainsi un label à part entière, unique en son genre et propre à la chaîne. La création Canal+ n’est pas tout à fait comme la série américaine ; mais elle reste aussi inégalée par les producteurs français. Un label et un format qui ne se sont encore jamais vus ailleurs et qui se veulent exportables, comme le montrent les nombreux projets d’adaptation en cours aux États-Unis.
 
Un marketing fantôme
En effet, si la série Les Revenants a fait le buzz en France, on parle déjà d’un remake américain en préparation. Le network ABC et la société de production Plan B de Brad Pitt auraient déjà acheté les droits d’adaptation non pas de la série française mais d’un roman américain, The Returned, publié en septembre prochain. L’histoire ? Des parents qui assistent au retour de leur fils de huit ans, mort des années auparavant et qui n’a pourtant pas vieilli. Très vite, ils réalisent que le phénomène est mondial. Cela vous rappelle quelque chose ? Pas étonnant, vous dirais-je. Si The Returned vous rappelle Les Revenants avec une première intrigue qui serait un croisement entre celle de Camille et Victor, personne ne parle pourtant de plagiat. La société de production assure même que cela n’aurait rien à voir avec la série fantastique française. Bref, on attend de voir pour le croire.
Mais en regardant la série diffusée sur Canal+, on n’a pas pu s’empêcher de remarquer un désir possible de la chaîne d’exporter cette nouvelle création originale à l’étranger*. Si la série est située dans une ville fictive mais tournée dans la banlieue d’Annecy, le choix des producteurs concernant les décors nous conforte dans cette idée. En effet, l’American Dinner au gérant exécrable qui subit les foudres de Simon, et situé au milieu de nulle part, nous rappelle très vaguement les séries américaines dans des villes un peu perdues. Mais aussi le Lake pub, le bar billard où se retrouvent les ados comme Léna, ou même Adèle et Simon des années auparavant. Pourtant, lorsqu’on interroge les réalisateurs et producteurs, ces derniers nient tout en bloc et évoquent simplement l’influence de la série de David Lynch, Twin Peaks, comme une référence cachée.
Hormis l’influence de Twin Peaks, on ne peut pas non plus s’empêcher de penser à la série américaine 4400. Même si on ne parle pas de morts revenus à la vie, c’est presque la même chose puisque ce sont des milliers de personnes qui ont été portées disparues et qui réapparaissent telles qu’elles étaient au moment de leur disparition. On se souvient, outre les 4400, de Lost (2004-2010) ou Roswell (1999-2002) qui ont connu un vrai succès à leur début avec du suspense et de nouveaux éléments à résoudre ne cessant d’apparaître au fil des épisodes. Mais finalement, elles ont échoué à cause de l’incapacité des scénaristes à trouver une résolution à l’avance.

 
Mais ce ne sont pas seulement le suspense ou l’intrigue qui nous rappellent nos très chères séries américaines ; les stratégies purement marketing, elles aussi, s’y prêtent savamment. Pourtant, on a plutôt l’habitude d’une promotion très discrète autour des séries françaises, d’où parfois leur manque d’audiences et de succès. Or, Canal+ a aussi fait le choix d’être discret avec une campagne d’affichage pour Les Revenants classique alors que les chaînes américaines, elles, sont plutôt prêtes à tout pour qu’on parle partout de leur série, et surtout, qu’on la regarde. Si les Américains font les choses en grand, c’est non seulement à cause de la compétition des séries qui fait rage aux Etats-Unis entre les chaînes, mais également parce qu’ils ont plutôt l’air d’apprécier le street marketing et les choses décalées et surprenantes. Ainsi les Américains avaient pu expérimenter l’installation en pleine rue d’une grande fontaine remplie de liquide rouge, de sang, pour la promotion du sérial killer préféré des téléspectateurs, Dexter. Pour la série Lost encore, il n’était pas rare de voir des affichages dans des endroits insolites rappelant la série, tels qu’un labyrinthe ou en forêt, mais également des affiches reprenant la compagnie aérienne sur laquelle nos survivants avaient voyagé avant le crash. Si l’on aime cette manière de faire de la pub pour nos séries préférées de manière géante et surprenante, on ne s’attend pas à voir le street marketing prendre une telle ampleur en France.
Canal+ a donc préféré jouer une autre carte empruntée aux séries américaines et tenté d’inclure les spectateurs à la série et à l’intrigue. Encore une fois, l’équipe des Revenants semble avoir tout appris de J.J Abrams et de son bébé, Lost, qui avait proposé aux spectateurs d’explorer les rouages et mystères de la série sur Internet, afin de les faire patienter jusqu’à la prochaine saison. Ce fut un succès, les fans de la série s’étant identifiés aux personnages très rapidement et ayant été victimes du suspense. Le phénomène a ensuite été répété dans plusieurs autres séries et les expériences transmedia sont devenues monnaie courante. Mais nous aborderons cette stratégie plus en détails demain. Seulement, Canal+ a très vite repris cette idée pour fidéliser facilement ses spectateurs, élever les « coûts de sortie » (c’est-à-dire les barrières de sortie de la série, d’arrêt du visionnage par le téléspectateur) et ainsi rendre difficile l’abandon de la série par le spectateur. La chaîne retente l’expérience pour Les Revenants puisque cela avait déjà été fait pour plusieurs autres de leurs créations originales, comme pour Maison Close. Ils avaient aussi créé des comptes Twitter tenus virtuellement par les différentes héroïnes de la série.
Si la création originale de Canal+ semble souffrir d’un léger syndrome Lost, on espère juste qu’elle ne finira pas comme elle. Mais on peut se rassurer puisque Fabrice Gobert, le créateur de la série, a déclaré qu’il avait en tête plusieurs directions qu’il souhaiterait aborder pour la série et son enchaînement.
Ce qui nous amène ici au « season finale » de la saison 1 des Revenants qui se différencie encore une fois des autres séries françaises. Si, en France, nous sommes peu habitués aux séries qui finissent sur un cliffhanger, les créateurs de la série, eux, n’ont pas hésité à jouer la carte du to be continued. Si certains téléspectateurs ont été déçus par cette fin, qui ne répondrait pas assez à leurs interrogations, la plupart sont déjà « accros » et attendent avec impatience le retour de la série. Le public restera-t-il fidèle malgré la longue attente ? L’effet des Revenants va-t-il durer ? On peut le croire, puisque la création originale de Canal+ a rencontré un succès sans précédent sur la chaîne câblée. En effet, un quart des abonnés était devant leurs écrans, ce qui en fait la création originale la plus suivie de l’histoire de Canal+, devant d’autres réussites telles que Engrenages, Braquo, Mafiosa mais aussi  Maison Close ou Pigalle la nuit, avec une audience moyenne sur les huit épisodes d’environ un million et demi de téléspectateurs, sans compter bien sûr les téléchargements illégaux.
La chaîne, pour se féliciter de ses audiences, s’est même empressée de mettre en vente un coffret DVD de la série juste avant les fêtes de Noël. C’est le meilleur moyen de continuer à surfer sur la vague du succès tout en boostant les ventes de DVD à Noël. Évidemment, on aurait tous aimé voir le coffret de la série sous notre sapin. On peut donc applaudir Canal+ pour cette stratégie commerciale très efficace qui leur a sans aucun doute permis de toucher une nouvelle cible : les non-abonnés à la chaîne Canal+, mais également de lutter contre le téléchargement illégal. De plus, on les félicite pour leur rapidité, les derniers épisodes des Revenants ayant été diffusés le 17 Décembre et les coffrets commercialisés trois jours plus tard. Du jamais vu. Canal +, c’est décidément « tellement plus encore. »
 
Annexe
Un casting 100% pur cinéma français… (liste non exhaustive)
Interprétation :
Anne Consigny (a notamment tourné avec A. Renais et A. Desplechin), Clotilde Hesme (Les Chansons d’Amour, Angèle et Tony…), Frédéric Pierrot (jouait dans Les Revenants, le film) ou Grégory Gadebois (Pensionnaire de la Comédie Française, césarisé pour Angèle et Tony) : acteurs confirmés, peu habitués à des rôles pour la télévision.
Céline Sallette (L’Apollonide…) , Sami Guesmi (Camille redouble…), Guillaume Gouix (Jimmy Rivière, Hors les murs, Mobil Home…) : valeurs montantes du cinéma d’auteur.
(Re)découvertes : Matila Milliarkis (Cœur Océan, l’un des seuls a avoir joué dans une série avec Jenna Thiam), Yara Pillar (révélée par 17 filles, Semaine de la Critique, Cannes 2011), Pierre Perrier (rôles atypiques dans films marginaux, Plein Sud, American Translation…)
Réalisation et scénario :
Fabrice Gobert (repéré avec Simon Werner a disparu, son premier long, sélectionné dans la catégorie un Certain regard, Cannes 2011)
Collaboration d’Emmanuel Carrière (a reçu le prix Renaudot, a été membre du jury de Cannes en 2010)
De Céline Sciamma (recrue Fémis, deux longs à son actif, très remarqués dans le milieu du cinéma d’auteur français Naissance des Pieuvres, Tomboy)
Production :
Haut et Court, distributeur cinéma avant tout mais qui a déjà produit une série en 2011, Xanadu (du nom de l’entreprise pornographique familiale où se déroule l’intrigue), diffusée sur Arte. Témoigne déjà d’un goût prononcé pour les créations originales et les chaînes qui osent.

*EDIT DU 14 JANVIER à 23h00.
Le compte officiel de Haut et Court vient de retweeter une information selon laquelle Les Revenants seront adaptés en langue anglaise par le distributeur FremantleMedia Enterprises. They Came back sera produit par l’Anglais Paul Abbot.Voici un lien vers l’article source de Variety.
 
Flora Trolliet (pour « Un positionnement paranormal »)
Esther Pondy (pour « Une stratégie de plus »)
Sabrina Azouz (pour « Un marketing fantôme »)