Petite apologie du mainstream
Combien de fois avez-vous croisé une personne habillée de façon tellement excentrique, qu’il était impossible de définir si elle était à la pointe de la mode ou complètement ringarde? Combien de fois vous êtes-vous sentis coupables en écoutant du Maître Gims? Depuis quelques années, notre société est prise dans une course effrénée à l’audace et à l’individualité. Mais une brise mainstream vient peu à peu rafraîchir les participants à bout de souffle. Et si l’originalité avait atteint son climax? Allez, on retourne à la normale.
Les hipsters c’est trop mainstream
A l’origine, le terme de hipster désigne, dans les 40’s, de jeunes américains fans de jazz et de bebop qui en reprennent les codes vestimentaires. A l’aube du second millénaire, il fait référence à un individu qui cherche à se démarquer des modes de consommation de son époque. En 2001, le hipster est presque un révolutionnaire : ses pratiques de consommation se veulent transgressives, tantôt nostalgiques, tantôt futuristes. Ainsi, il se moque du citadin cliché – à la limite du métrosexuel (bronzé, musclé – mais pas trop –, chemise parfaitement cintrée). Le cheveu aussi hirsute que la barbe, il lui fait des pieds de nez en chemise bûcheron et tennis, remet au goût du jour des quartiers mal réputés (à l’instar de Brooklyn ou Barbès) et se délecte de son individualité. Le journaliste Matt Granfield écrit dans son essai HipsterMattic : «Surtout, ils voulaient être reconnus comme étant différents — qu’on n’aille pas les confondre avec la masse, eux qui cherchaient à se forger une petite niche culturelle singulière.»
La suite, vous la connaissez. Alors qu’ils n’étaient que quelques centaines, la tendance se répand et explose, pour devenir aux alentours des années 2010 d’une banalité sans nom. Alors qu’ils cherchaient à vivre selon leurs goûts personnels, et non selon des diktats sociaux ou de consommation, les hispters en étaient finalement arrivés à créer leurs propres codes et leurs propres règles. C’est une belle ironie : le mouton qui voulait quitter le troupeau avait fini par devenir berger.
Le mainstream, c’est chic (et démocratique)
Il existe une sorte d’idée implicite mais bien ancrée dans notre société actuelle selon laquelle qualitatif et quantitatif sont antinomiques. Ainsi, dans le monde de l’art et de la culture, les œuvres-produits qui connaissent un très fort succès commercial sont souvent très peu valorisées. Si l’on vous demande quel est le dernier album que vous avez acheté, il vaut mieux répondre qu’il s’agit d’un vinyle de flûtistes péruviens (ça détend après les pilâtes) plutôt que celui de Kendji Girac.
Pourtant, un succès commercial, c’est toujours un succès. Cela signifie que les consommateurs y ont trouvé une certaine valeur (peut-être autre que celle du concept, de la valeur intellectuelle). En matière de goûts, surtout culturels, l’émotion est un argument d’achat très important : on raisonne en terme de «j’aime» ou «je n’aime pas». Alors qu’importe si vous êtes fan du dernier blockbuster au scénario pauvre, à la réalisation clichée et aux dialogues dignes de deux élèves de CP.
Et c’est sûrement ça, être transgressif aujourd’hui : assumer ses goûts, qu’ils soient encensés par la critique ou démontés par les Inrocks. Le mainstream, finalement, c’est la voix du peuple qui s’exprime.
Le cas Stan Smith et la normcore
Il y a deux cas possibles dans cette affaire : soit vous en portez actuellement une paire, soit vous avez juré de ne jamais en acheter parce que tout le monde en a. Les Stan Smith connaissent un succès fou parce qu’elles sont pratiques, jolies, et possèdent une histoire. Tellement jolies et pratiques qu’elles ont été adoptées par tout le monde. Leurs qualités n’ont pas changé, c’est la vision qu’en a la société qui est modifiée. Elles étaient au début considérées comme une opportunité de remettre au goût du jour un produit mythique de façon moderne, mais ne sont plus désormais qu’un symbole de conformisme aux tendances.
Pourtant, la Stan Smith fait de la résistance. Malgré un article de Slate qui se demande s’il faut interdire les Stan Smith, elles continuent de fouler les pavés.
Le mainstream ne serait donc plus un tabou, et nous sommes même passés à une nouvelle ère, celle du normcore (normal + hardcore). Le bureau de tendance K-Hole affirme dans un rapport de 2013 qu’adopter un style des plus banals était paradoxalement très à la mode. Jean, t-shirt blanc et baskets : être lambda est devenu carrément hype.
Nous nous quittons en musique (OutKast, c’est connu mais tout de même très bien), en espérant que la vague du mainstream vous emporte vers une contrée merveilleuse, où « Venez comme vous êtes » n’est pas qu’un argument pour vendre des frites.
Sana Atmane
Sources :
« Faut-il interdire les Stan Smith », Slate
« Youth mode: a report on freedom », K-Hole
« Normcore: Fashion for Those Whor Realize They’re One in 7 Billion », The Cut (NYMag)
Crédits images :
K-Hole
wearenormcore
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