Culture

Stars, musique et investiture : ce que la politique doit à la musique

C’est le 20 janvier dernier que le nouveau Président élu a été introduit à la fonction suprême, au cours de l’une des cérémonies les plus codifiées de la tradition américaine. L’usage veut en effet que la prestation de serment soit suivie d’une série de chants et de concerts à la gloire de l’Amérique et de son nouveau leader.
MUSIQUE & INVESTITURE
La musique tient une place importante dans cette très longue cérémonie, où un/une artiste de premier plan vient célébrer l’union du pays. Une nouveauté cette année : venir chanter à l’intronisation du président des États-Unis est devenu un acte politique. En effet, de grandes chanteuses classiques telles que Marian Anderson ou encore Jessye Norman s’étaient produites aux inaugurations de présidents aux idées radicalement opposées (Eisenhower et Kennedy pour la première, Reagan et Clinton pour la seconde). Même Ray Charles, démocrate convaincu, était prêt à venir chanter pour Reagan, et le fit par ailleurs pour une convention du parti républicain.
C’est depuis Roosevelt en 1941 que showbiz et politique se sont liés pour faire de cet acte solennel un évènement marquant de l’Histoire. Parler sur l’esplanade du Capitole n’était alors pas un acte de soutien au nouveau dirigeant, mais une preuve d’engagement pour la nation. À l’époque, ce sont les paroles d’Ethel Barrymore ou encore celles de Charlie Chaplin reprenant un monologue de son film The Great Dictator, qui ont résonné devant le Capitole. Une liste des plus grandes icônes de la culture américaine du XXème siècle a suivi : de Frank Sinatra à Fleetwood Mac en passant par Bob Dylan, Aretha Franklin, Stevie Wonder ou encore Beyonce.
Jusqu’à l’ère Obama, être invité à chanter dans le cadre d’une investiture était un honneur, une consécration pour l’artiste et son œuvre, entrant au panthéon des grandes voix de l’Amérique. Inviter des artistes est aussi le moyen pour le nouveau président élu de faire une synthèse historique de l’Amérique des Arts et de celle du pouvoir, pour produire le symbole fort d’un pays rassemblé sous le même drapeau, le temps de son mandat du moins.

TRUMP MUSIC
Aux prémices de la nouvelle ère Trump, se produire à l’investiture n’est plus un acte patriote, mais est vu comme un service rendu à un homme sans foi ni loi. Jennifer Holliday, icône gay et un temps annoncée, s’est finalement retirée n’ayant « pas pris en compte le fait que [sa] participation serait vue comme un acte politique allant à l’encontre de [ses] propres croyances et serait considérée à tort comme [son] soutien à Donald Trump et Mike Pence ».
Son impopularité sans précédent et ses prises de position protectionnistes, misogynes ou anti-islamistes ont fait de lui un ennemi face auquel la culture s’est rassemblée. Les rumeurs de refus de grandes stars telles que Céline Dion ou Justin Timberlake se sont rapidement répandues dans les médias. Certains artistes ont refusé publiquement la proposition de l’équipe de Trump comme Moby, publiant même sur Spotify une playlist de ce qu’il aurait joué comme DJ à sa soirée d’investiture (American Idiot de Green Day ou encore Strange Fruit de Billie Holiday en font partie).
D’autres ont paru hésiter quelques temps avant de refuser à leur tour. C’est le cas du ténor italien Andréa Boccelli, dont le candidat élu était visiblement très fan. Ce dernier aurait finalement lui-même conseillé au chanteur de ne pas se produire à sa propre cérémonie « à cause des réactions que cela pourrait provoquer ».
Certains autres ont rompu les rangs du rassemblement, souhaitant chanter « contre le racisme », comme Rebecca Fergusson ou encore Azealia Banks. Ce ne sont évidemment pas celles qui auront été retenues. Au programme s’alignaient Jackie Evancho, finaliste malheureuse de America’s got talent, Toby Keith, chanteur country aux paroles plutôt patriotes, The Rockettes, troupe de danseuses new-yorkaises se produisant chaque Noël au Radio City Music-Hall, entre autres.
Cette pauvreté en termes de programmation a rapidement suscité les sourires, et le symbole d’un Président entouré de si peu de représentants de la culture populaire a renforcé l’image d’un leader isolé du peuple qu’il s’apprête à diriger. L’invitation de célébrités, censée sous Roosevelt être un vecteur de popularité et de confiance, s’est révélée être un échec cuisant sur le plan de la communication de Donald Trump. Tom Barrack, grand organisateur de cette cérémonie d’investiture, relativisera finalement ces désistements en assurant : « Nous avons la chance d’avoir la plus grande célébrité du monde, qui est le président élu […] Donc ce que nous allons faire, au lieu de mettre autour de lui des gens illustres, c’est l’entourer de la douce sensualité des lieux. Il s’agira davantage d’un mouvement poétique que d’une cérémonie de couronnement façon grand cirque. »

CONTRE-CONCERT ET PROTESTATION, LA MUSIQUE EN MARCHE
Dès le lendemain de l’investiture, les rues de Washington se sont remplies de 500 000 opposants au nouveau Président. : la Women’s March rassemblait des mécontents parmi lesquels des célébrités du cinéma et des stars de la musique. Scarlett Johansson, Alicia Keys, Madonna, Katy Perry, Janelle Monae étaient au micro de la scène montée pour l’occasion, pour exprimer leur colère et l’espoir d’un pays qui respecte ses femmes.
Quelques jours plus tôt, lors de la fête de départ du couple Obama, une liste impressionnante d’artistes conviés, des plus anciens aux plus jeunes, de Stevie Wonder à Chance The Rapper. Des concerts étaient aussi organisés à la Maison Blanche, Barack Obama ayant par ailleurs fait l’honneur aux employés d’inviter Bruce Springsteen pour un concert privé.
La musique et l’art en général, ont donc fait entendre leurs voix pour choisir leur camp, et ce contraste frappant entre un pot de départ avec autant de stars et une cérémonie officielle dépourvue de têtes connues, a tôt fait d’alimenter les shows télévisés. Donald Trump, pour la première fois, est apparu officiellement comme un Président qui n’a pas su rassembler de grands acteurs du rayonnement international de son pays, et a même suscité l’hostilité du milieu de la musique, l’un des plus puissants soft powers américains…ayant un jour donné à l’Amérique sa grandeur.
César Wogue
Crédits photo :

REUTERS/Yuri Gripas
Hahn Lionel/ABACA USA,
Paul Morigi, Getty Images
Mikaëla Samuel, Investiture de Donald Trump: comment les stars américaines lui ont tourné le dos
Sarah Larson, TRUMP AND CELEBRITY APPROVAL: YOU CAN’T ALWAYS GET WHAT YOU WANT

Sources :

24.01.17, Investiture de Donald Trump: comment les stars américaines lui ont tourné le dos, consulté le 6/02/17
Jess Fee, Music Monday: Inauguration Artists Over the Years, 22.01.13, http://mashable.com/2013/01/21/, consulté le 5/02/17
09.01.17, Trump and Celebrity Approval: You Can’t Always Get What You Want, The New Yorker, consulté le 5/02/17
FACT, We reviewed all the really great, not sad acts playing Donald Trump’s inauguration, 20.01.17, consulté le 5/02/17
Sylvain Siclier, Un accueil musical cinglant pour Donald Trump, Le Monde abonnés, 20.01.17, consulté le 5/02/17
Pierre Bouvier, L’investiture de Donald Trump, un spectacle codifié, Le Monde abonnés, 20.01.17, consulté le 6/02/17
Le Monde, Donald Trump a peiné à trouver des artistes pour son investiture, 20.01.17, consulté le 6/02/17
Stephanie Merry, Inauguration performances weren’t always so contentious: Highlights from the last 75 years, The Washington Post, 12.01.17

Politique

"My friends call me Batman"

La double vie d’un collaborateur d’Obama sur Twitter.
Un haut responsable de l’administration Obama a été démis de ses fonctions le 23 Octobre dernier pour avoir proféré des insultes à l’encontre des membres du gouvernement sur un compte Twitter anonyme. Depuis 2011, Jofi Joseph, responsable de la lutte contre la prolifération nucléaire et membre de l’équipe en charge des négociations avec l’Iran autour des armes nucléaires, tweetait régulièrement sous le pseudonyme @natsecwonk, n’hésitant pas à critiquer ouvertement la politique de la maison blanche ou même à divulguer des informations internes sur l’administration Obama. « My friends call me Batman », avait-il tweeté, narguant les services de sécurité lancés à sa recherche.
Egalement soupçonné d’avoir ouvert un second compte anonyme, @dchobbyist, sur lequel il publierait cette fois-ci des commentaires sur ses recours aux services de prostituées, Jofi Joseph, a finalement avoué les faits avant de s’excuser auprès de ses collaborateurs et de déclarer :« ce qui avait commencé comme une parodie de la culture de Washington est devenu un ensemble de commentaires déplacés et mesquins. J’endosse la responsabilité totale de cette affaire et je présente mes sincères excuses à tous ceux que j’ai insultés ».
A l’heure où certains supérieurs hiérarchiques n’hésitent plus à licencier leurs employés pour des discussions sur Facebook, cette affaire aux apparences de simple scandale politique fait pourtant ressurgir une problématique récurrente. Entre parole publique et échange à caractère privé, la prise de parole sur les réseaux sociaux ne bénéficie pas encore d’un statut clairement défini. Il est donc légitime de se demander où se situe aujourd’hui la frontière entre ces deux statuts autrefois clairement dissociables.
 
 
Amandine Verdier

President Barack Obama and Vice President Joe Biden, along with members of the national security team, receive an update on the mission against Osama bin Laden in the Situation Room of the White House
Politique

Le déclin du martyr escamoté

 
Cette image est, peu ou prou, la seule épitaphe visuelle sérieuse que les médias aient diffusé pour « célébrer » la mort du leader taliban, Oussama ben Laden. Cette retenue est curieuse compte tenu du désamour, probablement tant unanime que légitime, dont souffrait cet ordonnateur des attentats du 11 septembre 2001. Mais pour comprendre le contraste que les chargés de communication de la Maison Blanche ont orchestré, déléguant aux médias le soin de le répéter et de le propager, peut-être faut-il retracer la généalogie de cet assassinat. Car le mépris de la justice commune dont Oussama ben Laden a été victime, fut-ce au nom de la vengeance nationale, transforme cette mort en exécution sommaire. Rien de moins. Heureusement, la question de la morale en politique ne nous concerne pas.
Reprenons. Il faut se rappeler le paradoxe où se fonde la terreur dont les attentats talibans procèdent. En effet, Oussama ben Laden est wahhabite et représente par là même ce segment musulman aniconique, particulièrement réticent aux différentes formes de la représentation et, par extension, au culte du spectacle. Or, la puissance symbolique des attentats talibans – suicide ou non – réside moins dans le phénomène que dans la monstration médiatique qui les reproduit a posteriori. Le carnage est « toujours » distant et la terreur, si elle est effective chez les populations directement impliquées, contamine la conscience collective par voie de médiation, par écrans interposés. A ce titre, les médias jouent pleinement leur rôle de – osons la tautologie – médiateurs entre deux espaces étrangers, naturellement voués à se méconnaitre.
Le premier versant de ce paradoxe réside donc en ce que les terroriste talibans vont à rebours de leur doctrine iconoclaste. Pour que les revendications de leur guérilla atteignent le fameux inconscient collectif, ils exploitent judicieusement la fascination démesurée – cette puissance consacrée – que la société occidentale voue à la messe des images médiatisées. Cette forme de terrorisme est donc fondée sur la visibilité du carnage, sur sa répétition par les images et sur le climat que cette « arme retournée » installe.
Or, quand Oussama ben Laden vient à mourir, les images viennent à manquer. Le commando ayant participé à la défaite du terroriste ne délivre aucune image. Le trophée national est jalousement conservé, privatisé, retenu. Comme si, privée de démonstration visuelle, la déclaration de la mort du premier des ennemis publics devenait indubitable, irrécusable. Les chargés de communication de la Maison Blanche, prétextant le respect du défunt et de ses convictions religieuses, opèrent donc un renversement des valeurs traditionnellement accordées aux pôles du complexe « image-texte ». Car la déclaration verbale de la défaite du terrorisme est immédiatement placée, dans les imaginaires occidentaux, en concurrence avec la non-image qui en est dévoilée. Ou plutôt, la seule image qui ait filtré du crible de la Maison Blanche excite-t-elle ces imaginaires irrités par des années de traque et de haine – régulièrement entretenue par une actualité chargée de nouveaux attentats. Le soulagement est ainsi frustré par un triomphe modeste, un martyr judicieusement refusé, un voyeurisme interdit. En fait, la véritable image se trouve hors du champ – dans le contrechamp, précisément – de la photographie de presse, à la croisée des regards suspendus de B. Obama et H. Clinton. La photographie employée en tête de cet article est ainsi composée que son centre est invisible, ou donné à voir dans le miroir de ses spectateurs affectés. Cette illustration unanimement reprise par les quotidiens papiers et numériques illustre parfaitement le pouvoir de suggestion des images – décuplé par la dissimulation. Le résultat de cette situation est nécessairement ambigu puisque la photographie des « chefs de guerre » insinue que le document visuel existe bel et bien, mais sous-entend que certains jugent le public inapte à en disposer et décident en conséquence de le dissimuler. Avec cette image, il est donc question de dévoiler la censure par contraste, en mettant en scène ceux qui la commandent.
Le second versant de ce paradoxe tient alors en ce que les funérailles médiatiques de Ben Laden sont célébrées sans les images crues et sanguines que les vengeances assouvies exhibent traditionnellement. Comme si, dans un ultime pied de nez, la présidence américaine refusait à Oussama ben Laden son véritable statut de paria taliban. Comme si, en escamotant la photographie finale, les U.S.A. remportaient par la ruse la compétition médiatique engagée et dominée par les terroristes depuis une décennie – exploitant habilement la soumission occidentale au régime des images. Pied de nez subtile, ou censure discrète… Car ici, la censure est le prix de la concorde.
 
Antoine Bonino

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