maison connectée
Société

Embarquez pour le futur : votre maison vous y emmène !

Il semblerait que notre vieux monde empreint d’objets inanimés ait évolué. Il serait aujourd’hui en passe de devenir « pan-digitaliste » : les objets deviennent des émanations de cette substance suprême à laquelle on voue un véritable culte qu’est l’Internet. Son omniprésence concerne désormais ce qu’il y a de plus quotidien et de plus personnel à savoir notre maison.
Objets connectés, en veux-tu en voilà !
Youpi, je peux envoyer des SMS à mon four ou à mon frigo avec LG HomeChat ! Hourra mon aspirateur 360 Eye de Dyson sait tout seul où il doit nettoyer ! Génial mon Nest Learning Thermostat peut se réguler tout seul ! Que de beaux objets performants, utiles et sophistiqués, tous reliés entre eux et à mon smartphone ! Rappelons-nous cette publicité de SFR pour sa Box Home qui met en scène cette mère de famille, obligée de travailler dur et tard pour nourrir toute sa petite maisonnée, mais désormais capable de gérer à distance sa maison et donc de veiller au grain malgré l’orage qui gronde et une réunion qui n’en finit pas.

La maison connectée est à l’écoute, la maison connectée prend soin de vous, la maison connectée prévient des dangers, la maison connectée c’est l’avenir les amis !

La smart home ou maison intelligente ou encore maison connectée, bref cette maison du futur dans laquelle peut-être nous vivrons un jour (à condition d’être riche cela va de soi) est le pari que se donnent les nouveaux prédicateurs d’internet. Mais une telle innovation domestique fait débat. Se doter d’objets intelligents, capables de parler entre eux et d’anticiper les besoins de leurs consommateurs provoque le « oui » enthousiaste et confiant comme le « non » réprobateur et inquiet : la maison intelligente peut soit améliorer notre existence en nous facilitant la vie, soit la détériorer en nous rendant fainéants (sans compter les problèmes d’espionnage avec la collecte des données personnelles qu’elle requiert). Cependant, la maison intelligente et les objets connectés posent d’autres problèmes qui questionnent l’ensemble de la société.
Pourquoi connecter ses objets et sa maison ? Quand la curiosité est un vilain défaut.
Une question : pourquoi vouloir à tout prix connecter sa maison ? D’aucuns diront que c’est la recherche absolue du confort ou de la sécurité. En effet, quand on regarde le site materiel.net, la maison intelligente permet de sécuriser son habitation, la piloter, maîtriser sa consommation et garder un œil sur sa maison. Mais il y aurait d’autres explications.
D’abord, de tels objets ne sont pas d’une utilité nécessaire et vitale : rien ne m’empêche réellement d’ouvrir mon frigo pour me rendre compte de ce dont j’ai besoin. Par conséquent, démis de toute utilité fonctionnelle, les objets connectés entrent dans une logique de mode et de prestige. Bien plus que de l’utilité, on consomme une symbolique : celle de la « distinctivité ». C’est pour être différent et en quelque sorte supérieur que l’on consommerait les objets connectés.
Par ailleurs, de telles innovations domestiques témoignent de ce que l’on pourrait appeler une « gadgétisation » rendant le lien qui unit la maison à ses habitants fondamentalement magique. Pour Baudrillard, l’objet devient gadget quand « la technique est rendue à une pratique mentale de type magique ou à une pratique sociale de mode ». Expliquons-nous. Le rapport entretenu avec ces objets devient magique parce-que hautement fasciné. Il permet à son utilisateur de sortir de l’ordinaire et de pénétrer ainsi dans l’extra-ordinaire, c’est-à-dire rejoindre une autre réalité : celle de la science à laquelle il ne comprend rien mais dont il a l’impression de s’en faire le porte-parole légitime par le fait même qu’il achète ces innovations. Qui, à part le physicien agrégé, comprend réellement comment le radiateur peut se réguler seul ? Détenir de tels objets, c’est participer, à son échelle, aux trouvailles inédites et scientifiques en matière de « futurité ». C’est vouloir se faire le chantre de la modernité, du progrès et de ses valeurs. Un chantre un peu ignorant sans doute.
La ré-invention du quotidien
Avec la maison intelligente, c’est donc la vie quotidienne qui est transformée, rendue bien plus fascinante qu’elle ne l’est d’ordinaire. L’extraordinaire n’est plus seulement au coin de la rue, il est définitivement chez soi. Mieux, l’homme devient cet être extraordinaire, capable de recréer, réordonner, réagencer son quotidien comme il l’entend. Encore mieux, l’homme a désormais le don d’ubiquité. Il est à la fois ici et là, à son bureau et dans sa maison, il maîtrise l’espace comme jamais il ne l’a maîtrisé. Il n’y a plus ce que Bachelard dans La poétique de l’espace appelle « la dialectique de l’ouvert et du fermé » qui caractérise la structure même de la maison. Ici, la maison intelligente est réinventée, réorganisée selon une logique proprement ubiquiste. Le temps et l’espace semblent désormais malléables pour et par l’homme. L’homme aurait-il les cartes en main pour devenir cet être « divin » ? Par ailleurs, les objets connectés réinventent la notion de temps car ils en permettent une économie. Baudrillard, déjà, parlait des objets techniques comme du « temps cristallisé ». La maison connectée permet de satisfaire la volonté toute moderne de « gagner du temps ». Le temps est optimisé et optimal. Et le temps, on le sait, c’est de l’argent. La maison intelligente en faisant gagner du temps à son propriétaire, lui permet de consommer plus et mieux.
Mais la maison est toujours bien cette « puissance d’intégration pour les pensées, les souvenirs et les rêves de l’homme » dont Bachelard parlait. Surtout pour les rêves dirait-on aujourd’hui.
Jeanne Canus-Lacoste
Sources :
ANousParis #667
Courrierinternational.com
Jean Baudrillard, La Société de consommation
Gaston Bachelard, La Poétique de l’espace
 Crédit image :
homo-connecticus.com