J-97
Puisqu’il semble que les chiffres soient souvent plus frappants que les mots, ou parce qu’il est en tout cas devenu pratique courante d’entamer un article par un chiffre choc, destiné à accrocher le lecteur pour l’inciter à poursuivre, je vous propose de finir la semaine sur celui-ci : 97.
Vendredi, nous sommes effectivement passés en dessous de la barre des 100 jours avant le premier tour de l’élection présidentielle. L’espace et le temps médiatiques apparaissent saturés par la campagne, à tel point que l’on occulterait presque le reste de l’actualité, notamment internationale – vous avez certainement dû le ressentir, non sans agacement. Si l’on prend en compte le processus des Primaires Socialistes, dont les journalistes et autres analystes ont commencé à traiter en avril dernier, nous pouvons considérer que la campagne aura duré un an – un an ! Un cinquième du temps quinquennal dévolu à la préparation du prochain mandat…
Ce n’est pas tout : les candidatures se multiplient, certaines plus surprenantes que d’autres – vous comprendrez je crois sans peine à qui je fais allusion.
Eric Cantona s’est déclaré officiellement candidat mardi dernier ; Libération a consacré sa Une à l’événement, affichant en première page une photo de l’ancien footballer en chemise-cravate, loin de la raideur que peut conférer le costume traditionnel, arboré par la plupart des autres présidentiables. Nous pourrions presque faire un parallèle entre sa tenue et sa posture au sein du processus électoral : si Cantona se démarque des autres candidats par ses objectifs – c’est le côté chemise décontractée –sa candidature n’en reste pas moins très sérieuse – là, le côté cravate reprend le dessus.
L’ancien footballer n’a certes pas l’ambition d’accéder à la tête de l’Etat pour gouverner, mais il souhaite cependant obtenir les 500 signatures réglementaires. Il faut ici insister sur l’emploi du terme « signature », car signature n’est pas « parrainage », comme lui-même le souligne. La différence est radicale : Cantona n’appelle pas les maires à soutenir un projet politique d’ensemble, son projet politique d’ensemble ; il les invite très sérieusement à prendre en compte de manière tout aussi sérieuse le problème posé par le logement en France. S’il s’engage dans la campagne sous le nom de Cantona, c’est au nom de l’Abbé Pierre et de sa cause.
Sa candidature est donc bien loin d’être une farce. L’ancien footballer veut tirer profit de la focalisation médiatique pour remettre au cœur du débat la question du logement. Si les autres présidentiables réfléchissent à une stratégie de communication pour l’emporter et obtenir le rôle de chef de l’Etat, le fait d’être candidat représente pour Eric Cantona une stratégie communicationnelle en soi ; elle est en outre au service d’un but distinct du leur.
Peut être que sa démarche vous rappelle la candidature de Coluche pour les élections de 1981. « J’appelle les fainéants, les crasseux, les drogués, les alcooliques [mais aussi] les pédés, les femmes, les parasites, les jeunes, les vieux, les artistes, les tolards, les gouines, les apprentis, les Noirs, les piétons, les Arabes (…) à tous ceux qui ne comptent pas pour les hommes politiques à voter pour moi, à s’inscrire dans leur mairie et à colporter la nouvelle. » S’il semblait plutôt avoir choisi d’adopter une position de protestation voire de rébellion, sans cause ni projet bien précis, il n’évoquait pas moins en pointillés des problèmes tels que le chômage des jeunes, les difficultés à retrouver un emploi à l’approche de la retraite, la discrimination liée au genre, à la sexualité, à la couleur ou à la religion, ou encore l’abstention et la désillusion politique. Eric Cantona n’est donc pas le premier à avoir eu l’idée de saisir l’opportunité que représente la campagne présidentielle pour obtenir de sa cause qu’elle soit médiatisée. Ni le premier, ni le seul…
Vous n’en avez peut être pas entendu parler, à moins que vous ne vous en souveniez plus, le personnage étant moins connu et médiatique, mais le cancérologue Victor Izraël a lui aussi décidé de se porter candidat aux élections de 2012 ! Il milite quant à lui pour combattre le cancer, armé de slogans tels que « Pour sauver la planète, commençons par ses habitants » (référence aux Ecologistes en compétition…), ou encore « Pourquoi réformer la retraite si on ne peut pas la prendre ? » – slogans qu’il a diffusés via des teasers et des vidéos postés au compte-gouttes sur Youtube, pour alimenter le suspense et faire le buzz.
Quels torts ces « nouvelles démarches citoyennes » font-elles au processus démocratique ? Communiquer l’urgence d’une cause légitime-t-elle ce genre de vraies fausses candidatures ? Constituent-elles une nouvelle tendance de la communication engagée ? …
Elodie Dureu
Sources :
Mobilisation Logement 2012
Paperblog – Affiche de Coluche pour l’élection de 1981
Youtube – teaser
Crédits photo : ©Chrib
Caricature pour le Nouvel Obs – Les Cantonales 2012