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Communiquer la peste (et les épidémies en général)

Pour nombre d’entre nous, le concept d’épidémie est associé au souvenir du cours d’histoire médiévale suivi au collège, et en particulier à celui de la peste. Souvent fascinés par la peste noire, rares sont les élèves qui n’ont pas eu l’occasion de voir au moins une reproduction des dessins scientifiques de l’époque, détaillant les symptômes physiques des malades (en particulier les bubons !) et mettant en scène des médecins de peste aux terrifiants masques d’oiseaux. Entre 1347 et 1352, la peste noire a tué entre 30 et 50 % de la population européenne, faisant environ vingt-cinq millions de victimes. Si le souvenir de cette épidémie en particulier est aussi vif dans l’inconscient collectif plus de sept-cent ans après, c’est d’une part parce qu’elle a été particulièrement dévastatrice, mais aussi parce qu’elle est la première épidémie de l’histoire à avoir fait l’objet d’une description documentaire par les chroniqueurs contemporains et non plus seulement scientifiques.

Inévitables et imprévisibles, la plupart du temps traversées d’incertitude, de confusion et d’urgence, les périodes d’épidémies sont synonyme d’angoisse. La communication, notamment médiatique, est un enjeu crucial dans la gestion de ces crises. C’est particulièrement évident quand celle-ci échoue, en étant trop peu alarmiste par exemple, et retardant alors les contrôles sanitaires. Ce type d’erreurs dégradent fortement la confiance des populations envers les institutions de santé publique responsables, et génèrent des tensions sociales aux conséquences économiques et politiques désastreuses. Jean-Baptiste Fressoz fait un comparatif historique stimulant entre l’échec de la campagne de vaccination contre le virus H1N1 (la fameuse « grippe aviaire ») en 2009 et l’inoculation de la variole au XVIIIe siècle, en s’intéressant à la gestion des individus par l’idée de « risque ». Au-delà de la question de la gestion des corps, on peut se demander, en gardant à l’esprit l’échec fracassant de la communication sur la grippe aviaire, génératrice à la fois d’un climat d’angoisse et d’une vaccination marginale, les conséquences qu’aurait eues une mutation du virus H1N1 en un virus porteur de symptômes aussi graves que ceux de la variole…

Pendant des siècles, les stratégies de communication adoptées par les autorités publiques dans la gestion des épidémies de maladies infectieuses ont été fortement basées sur le déni et les grandes déclarations sensément rassurantes, suivies plus tard par des mesures de restriction s’imposant aux individus (quarantaine, isolation, hospitalisation obligatoire) et des sanctions sévères pour les personnes récalcitrantes. On observe depuis la Révolution Industrielle des efforts davantage concentrés autour de l’éducation et les messages prescriptifs. Néanmoins, force est de constater que c’est souvent dans l’extrême inverse que versent aujourd’hui nos sociétés contemporaines.
« Tout éclatement de pandémie ou flambée de maladie de grande ampleur devient rapidement un sujet brûlant d’actualité : la recherche se lance à folle allure, les résultats sont incertains, le traitement regorge parfois de détails saisissants, des mesures sont prises pour limiter la propagation. Une actualité débordante, venant trouver un terrain fertile, bien sûr, grâce à une dose de peur. » affirment Fang Xuanchang, Jia Hepeng et Katherine Nightingale sur SciDev.net. C’est dans les premières phases d’une épidémie que de nombreuses opportunités de « buzz » s’offrent aux journalistes. Avec des possibilités démultipliées d’interview de chercheurs et de médecins, et plus généralement la prédisposition des rédacteurs en chefs à publier des articles scientifiques en potentiel liens avec la nouvelle maladie, l’épidémie prend des proportions énormes dans le traitement de l’actualité sur une période donnée.
Il s’agit donc de trouver le juste équilibre entre une information efficace de la population relativement aux risques de la maladie en cours d’évolution, et le maintien d’un calme relatif. Dans un rapport de Médecins Sans Frontières sur une année de lutte contre Ebola, « peur » et « panique » sont les mots qui reviennent le plus fréquemment. « L’insistance des messages de prévention sur la gravité de la maladie a amené la population à penser que puisque celle-ci est toujours mortelle, il est inutile d’amener les malades aux centres de soins. Ceci, quand elle ne croyait pas, en plus, que les centres de soin accéléraient le décès » décrit Bernard Seytre dans une réflexion sur la stratégie de communication dans la gestion d’Ebola.

Mais malgré leur caractère globalement assez néfaste, il semblerait que la demande d’articles sensationnalistes soit bien réelle. Quelques heures à peine après le lancement d’alerte sur la propagation du virus Zika, le nombre de papiers sur la question était déjà vertigineux. « Zika : le monde en alerte face à cette épidémie mortelle » titre Le Figaro du 6 février 2016. Difficile de ne pas céder à l’inquiétude, ou au moins à curiosité face à un titre pareil. Alors on clique, on achète le magazine, et l’objectif est atteint. La question d’un traitement journalistique responsable des épidémies se pose alors légitimement. Expliquer les fondamentaux de la maladie, poser clairement l’état des connaissances scientifiques sur celle-ci, et d’emblée chercher à donner une certaine pertinence locale à une actualité internationale pour limiter les risques de diffusion peuvent constituer de premiers éléments de réponse.
Mariem Diané
Sources:
Sante-Afrique.fr
Scidev.net, comment communiquer sur une épidémie ou une pandémie,
Wikipédia, Peste noire
La vie des idées, Le risque et la multitude, Jean-Baptiste Fressoz, 16 mars 2010
Images:
Atlantico
AP Photo/Kyodo News
Democracy in Guina – Over Blog

Société

Derrière ce beau ruban rose se cache un cancer

 
Pour la 21ème année consécutive en France, Octobre s’était à nouveau paré de rose pour vaincre le cancer du sein. Pour donner espoir aux femmes et favoriser la recherche, entreprises et personnalités s’engagent financièrement et symboliquement. Ba&Sh, Clinique, Bobbi Brown et Les Dieux du Stade entre autres s’impliquent auprès d’Estée Lauder, l’initiatrice du mouvement.

Les entreprises qui s’engagent à faire don d’une partie de leurs bénéfices à une association fondent leurs campagnes sur le soutien de personnalités comme Nathalie Rykiel, Estelle Lefebure, Pauline Delpech et Kate Moss qui sont les égéries et les porte-paroles éphémères de cette cause.
Mais au-delà de la visibilité apportée à la maladie, quelles sont les conséquences de ce « celebrity endorsement », qui bien qu’il soit devenu une sorte de rituel, n’en reste pas moins une action temporaire.

Kate Moss pour la Fondation Linda McCartney, 2014
L’imposture du ruban, le pinkwashing
Malgré cette mobilisation, comment expliquer ces propos formulés sur le blog du Nouvel Obs par l’une de ces femmes frappées par le cancer : « J’ai le cancer du sein, votre marketing me rend malade ! J’ai le sentiment d’avoir été instrumentalisée. Aujourd’hui, j’ai envie de dire : « Laissez mon cancer du sein tranquille! »
Au-delà de l’image lisse qu’Octobre rose s’est construite, les campagnes mises en œuvre sont de plus en plus souvent dénoncées comme un marché marketing dont la médiatisation à grande échelle aurait pour objectif principal d’offrir aux entreprises partenaires une revalorisation de leur image. Parmi ces critiques, on trouve le manque d’informations sur la mammographie, l’excès d’objectifs commerciaux, les éléments cancérigènes contenus dans les produits vendus et la transformation du cancer en un véritable combat.
Ainsi, l’association UFC Que-choisir dénonce l’injonction à la mammographie comme solution de dépistage unique. Elle met en valeur l’utilisation d’arguments émotionnels parmi lesquels la culpabilité et l’absence d’explications concernant d’éventuels effets indésirables pour la patiente. Elle critique également le manque de statistiques liées au phénomène de surdiagnostic qui entrainerait la détection puis le traitement de tumeurs non dangereuses.
De plus, l’argument de vente « cancer du sein » est un levier important dans l’acte d’achat. Une étude du cabinet Cone Communication démontre que ces engagements orientent les choix de 79% des consommateurs.
En effet, le ruban rose attire de nouvelles cibles et augmente les profits tout en valorisant l’image d’une marque présentée comme « responsable ». En comparaison, les impacts sur la recherche sont moindres : les fonds récoltés sont donc peu communiqués, souvent limités par un montant maximal. La visibilité porte donc plus sur l’engagement de la marque plutôt que sur les actions de recherches ou de soins soutenues, lesquelles demeurent obscures pour les consommateurs.
Par conséquent, l’argument « cancer du sein » s’en trouve surexploité et certains produits vendus sous l’égide du ruban rose sont dénoncés comme cancérigènes (lait, essence, et produits cosmétiques notamment).
En réponse à ce phénomène et pour avertir les consommateurs, le groupe américain Breast Cancer Action, a lancé en 2013 la campagne « Think before you pink » dans le but de dénoncer « l’industrie du cancer du sein ».

« Stop the Distraction. It’s Breast Cancer Industry Month and the pink floodgates have opened. And again we ask: what have all these pink ribbon products and promotions done for women living with and at risk of breast cancer? »
« Arrêtez de faire diversion. C’est le Mois de l’Industrie du Cancer du sein et les robinets roses se sont ouverts. Et, encore une fois nous demandons : que font tous ces produits roses et ces campagnes promotionnelles pour les femmes qui vivent avec un cancer du sein ou risquent d’en avoir un un jour? »
Les conséquences de ce détournement sont nombreuses, à commencer par un changement dans les représentations véhiculées autour du cancer du sein. A l’image du slogan de l’association Le cancer du sein, parlons en : Ensemble, portons le Ruban rose et gagnons ce combat ! Ensemble, nous vaincrons !, le cancer est présenté comme un véritable combat plus que comme une maladie. Selon Léa Pool, réalisatrice du documentaire L’industrie du ruban rose, « tout est pensé au niveau marketing : on parle du cancer mais il faut que cela soit joli, élégant, féminin, que le discours dominant véhicule l’énergie et l’optimisme (…). Dans le cas du cancer du sein, c’est la féminité, la maternité. On enrobe le cancer dans quelque chose qui dilue le drame, on vend l’espoir. Ça ne se vend pas le désespoir, la laideur». Cet objectif se retrouve dans les visuels des campagnes qui présentent des bustes de femmes bien portantes sur un fond rose, des visages rieurs et en bonne santé. En réponse à ce détournement, Léa Pool dénonce les entreprises engagées dans la lutte contre la maladie et menant en parallèle des actions favorisant son augmentation. Ce pinkwashing (terme dérivé du greenwashing) fait du cancer un produit de consommation et permet aux entreprises de se bâtir une image bienveillante.
Des solutions différentes : écoute et soins

Reprise du tableau intitulé Gabrielle d’Estrées et une de ses sœurs pour la revue Rose Magazine (Projet Du cancer à l’œuvre)
Quel est l’objectif de ces critiques ? Elles appellent surtout à la mise en place de soins dans les hôpitaux et d’accompagnement quotidien des malades dans le processus de reconstruction. On pense par exemple à la revue Rose Magazine ou à la Fondation Mimi, dont la campagne (Leo Brunett France) a été récompensée de neuf Lions au dernier festival international de la créativité de Cannes. La fondation Mimi propose des lieux où des coiffeurs, psychologues, masseurs, esthéticiennes peuvent s’occuper des malades. Et leur campagne immortalise la joie de femmes devant leur visage métamorphosé par le maquillage et la coiffure.

In fine, Octobre rose s’impose donc comme un moment éphémère mais crucial pour des entreprises avides de revaloriser leur image. Que reste-t-il à la fin du mois ? Sans doute des femmes en mal de soutien et d’actions concrètes.
Clarisse de Petiville
Sources
Lemonde.fr
Slate.fr
Blog.mediapart.fr
Cancerdusein.org
Rosemagazine.fr
Youtube.com
Bcaction.org
Thinkbeforeyoupink.com
Crédits Photos:
Katy vue par la fondation Mimi, Campagne Fondation Mimi par Leo Brunett
Cancerdusein.org
Stellamcmaccartney.com
Thinkbeforeyoupink.org
Reprise du tableau intitulé Gabrielle d’Estrées et une de ses sœurs pour la revue Rose Magazine (Projet Du cancer à l’œuvre)

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