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Les couacs de la communication de guerre

 
Communication de guerre et guerre de communication
L’article de Maxence Tauril, « La guerre de la communication », du 6 février, a montré les liens entre journalistes et armée : obtenir des informations sur le conflit est difficile. Pourtant, en période de guerre, la communication est d’autant plus importante qu’elle permet l’adhésion des citoyens à l’action voulue par le gouvernement et menée par l’armée. Et on sait qu’une guerre qui n’est pas soutenue par les citoyens est vouée à l’échec.
Alors en cas de contrecoups comme les prises d’otages actuelles en Afrique, une communication erronée, la diffusion de fausses informations, non vérifiées, peuvent s’avérer dramatiques.
L’exemple le plus marquant et le plus récent est la fausse annonce de la libération des sept otages français au Cameroun. Petit historique du cafouillage :
« Les otages sont sains et saufs et sont aux mains des autorités nigérianes » expliquait un officier de l’armée camerounaise  à l’AFP, jeudi 21 février au matin. Rapidement, une dépêche « urgente » est envoyée à toutes les rédactions, annonçant la nouvelle et l’information est relayée partout.
A peine une demi-heure plus tard, le ministre français des Anciens Combattants, Kader Arif, en pleine session à l’Assemblée, prend alors spontanément le micro pour annoncer cette libération, dont il nuance la légitimité dans les minutes qui suivent…
Après quelques heures, l’information est démentie par le quai d’Orsay, trop tard pour que le journal Le Monde ne retire l’information de sa Une…
Via Twitter, l’ambassade de France au Cameroun et le ministère des Affaires étrangères français ont également démenti l’information, suivis par l’armée nigériane.
La confusion autour du sort des otages a donc été totale pendant plusieurs heures. Confusion contre laquelle Didier Le Bret, directeur de la cellule de crise du quai d’Orsay, a mis en garde le soir même sur France 24. « Il faut être extrêmement vigilant sur la diffusion d’informations. Imaginez l’état dans lequel se trouvent les familles de nos otages qui ont appris, même au conditionnel, que leurs proches avaient été libérés et réalisent au fil des heures que l’information n’a pas été recoupée. C’est une responsabilité collectives des médias. »
Comment une telle situation peut-elle être possible ?
Plusieurs problèmes se posent : avant tout, comme le dénonce D. Le Bret, la question de la vitesse de l’information. La guerre, c’est aussi le règne de l’événement, du moindre rebondissement à saisir au vol. L’empressement de transmettre la « bonne nouvelle » prend parfois le dessus sur l’analyse, la patience, et la mesure. Dans ce cas précis, l’annonce spontanée de Kader Arif a évincé les règles du temps dans la communication.
Enfin, outre la question de la coordination au sein du gouvernement sur laquelle on ne s’arrêtera pas ici, cette affaire pose surtout le problème de la crédibilité des informations recensées, et par là, de la coordination entre les sources et les acteurs communiquant.
Une redéfinition de la communication internationale par la guerre
En effet, la complexité due à la présence d’une multitude d’acteurs explique cette guerre d’information entre les différentes sources, ce manque de cohérence communicationnelle entre les gouvernements et représentants français, camerounais et maliens, et entre leurs armées respectives.
Quels relais pour de telles informations ? Quelle crédibilité leur porter ? Quelle validation par les gouvernements respectifs ? Comment gérer le lien entre des armées et une presse étrangères l’une à l’autre ?
Toutes ces questions sans réponse montrent la difficulté de la gestion de la communication de guerre. Le malheureux exemple des otages au Cameroun est l’illustration des couacs issus de cet imbroglio de sources d’informations qui ne communiquent pas entre elles. Imbroglio d’autant plus complexe que d’autres acteurs se jettent dans cette guerre de communication : Ansar Eddine, mouvement islamiste radical actif sur Twitter, contredit régulièrement les informations données par les médias, notamment français, et répond aux communications de l’armée française et de la présidence malienne.
Ces problèmes de communication occupent de plus en plus l’espace, et certaines initiatives montrent la volonté d’y apporter une réponse. Au Mali, les citoyens qui se plaignaient depuis le début du conflit de l’absence totale de communication de leur ministre de la Défense, le général Yamoussa Camara, ont salué sa première initiative le 11 février dernier. Côté français, c’est une première pour l’armée qui vient de lancer un blog, à destination de la population malienne. Mali-Cikan.fr permettra aux journalistes maliens de récupérer des images, des textes et des sons sur l’opération Serval et d’en faire bénéficier le plus grand nombre. Com’ d’influence, propagande même, diront certains. Quoi qu’il en soit, la volonté d’améliorer les communications entre les acteurs du conflit est là.

La bataille pour la communication a pris une autre dimension. Il ne suffit plus d’établir de bonnes relations avec les journalistes sur le terrain. Elle doit faire avec cette multitude d’acteurs aux objectifs et intérêts souvent distincts, parfois opposés. La lutte se développe aussi en amont, dans la préparation, la justification, l’argumentation et le cadrage de la guerre. Elle se poursuit en aval dans la circulation et l’interprétation, dont les États et leurs grands médias n’ont plus nécessairement le monopole.
 
Bénédicte Mano
Sources :
Huffington Post
Ozap
Le JDD
Maliweb
Jeuneafrique.com

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Ghost in town

 
Vous le savez, nos militaires sont au Mali. Le marché local de Bamako était plaisant, mais le reste était encore mieux, ils sont montés au Nord assez rapidement. L’AFP suivait attentivement leur travail. Les photos sont belles, pas de doutes là-dessus. Une a cependant attiré l’attention de tous les bien-pensants.

Ils sont arrivés en foule et trop heureux de pouvoir assouvir leur critique, ils ont souhaité donner une bonne leçon de morale en convoquant de très beaux parallèles entre le domaine du jeux-vidéo, la guerre et le code de conduite d’un soldat. Tout cela en levant haut la pancarte du politiquement correct. Aubaine incroyable et angle d’attaque inespéré : cette photo a su enflammer les débats sur la sphère internet.  Se tenant debout, les mains croisées, le soldat est entouré d’un halo de lumière traversant le nuage de poussière. À sa gauche, un canon de 155 apporte une ligne de fuite qui renforce la profondeur de l’image, tandis que quelques soldats  au second plan apportent le contexte du cliché. Il n’y a pas de doute, l’image semble irréelle, sortie tout droit de Photoshop ou composée par le dernier moteur 3D d’un FPS [1]. Cependant, la photographie n’est qu’une partie de la réalité, elle se focalise, recadre, transforme la scène en proposant un point de vue nécessairement subjectif.
Régis Debray, dans Vie et mort de l’image, analyse la puissance de l’image et son autorité : « La preuve par l’image annule les discours et les pouvoirs. Car l’effet de réalité, optimal sur l’écran vidéo est piégé. Car sans cause. Devant ces images en direct et en temps réel, je passe spontanément de l’autre côté de l’écran, dans le réel enregistré. L’image alors s’abolit comme image fabriquée, la présence pseudo-naturelle se nie comme représentation. Là est la mystification. » Ici se tient la justification de toutes les attaques contre ce militaire… Il est si facile de constater sans analyser. Cette volonté de lancer le bad-buzz, semble ici s’être habilement transformée en un soudain déficit de curiosité. Que se passait-il derrière le photographe ? Pourquoi ce foulard est-il porté ? Quelle est l’histoire de cet objet ? Ici la photographie devient unique, simple, facile. Tronquer ainsi la réalité amène cette impérieuse critique qui semble avoir assailli les grands médias. Le débat fut créé sur ce que l’on a vu, et non sur ce que l’on a su.
Recentrons-nous sur les faits. Un hélicoptère décolle derrière le photographe. Cependant le Mali semble être soumis à une poussière plus importante que dans mon 17m² selon Slate : (http://www.slateafrique.com/82443/mali-bamako-meteo-brume-poussi%C3%A8re). De là, des notions de physiques élémentaires nous amènent à croire que les particules sont soumises à des forces incroyables étant donnés les 4800 chevaux du EC725. Le foulard que porte le militaire français est inspiré du jeu Call Of Duty MWII, dans lequel un personnage, Ghost, porte ce foulard. Un foulard qui est un incontournable chez tous les soldats du monde entier, un look badass pour des jeunes recrues pas très à l’aise quand il s’agit de vider un chargeur de 5.56mm. (Disponible sur ebay : http://cgi.ebay.fr/BALACLAVA-MASK-SKULL-SKELETON-GHOST-CALL-OF-DUTY-MODERN-WARFARE-MW3-BLACK-OPS-/160798987312?pt=FR_Jeux_Vid%C3%A9o&hash=item25705dd430)
Le buzz est donc né rapidement, sans connaître, sans comprendre. Le centre de gestion de crise du ministère a vite réagi en annonçant punitions et « flicage ». Nul regard n’est objectif, nul regard n’est omniscient et personne ne peut connaître le contexte au premier coup d’œil. Le questionnement est légitime, la critique ne l’est pas. Un tel escamotage d’indignations a voulu supprimer la méta-photographie en se focalisant sur un élément loin de la situation. Le fossé entre la symbolique du foulard et la dure réalité d’un conflit armé est trop grand pour oser le parallèle. Une telle illusion épistémologique souligne une sorte d’hallucination contemplative du monde moderne qui se concentre sur le détail en oubliant l’objet lui-même. Finalement beaucoup de bruit pour pas grand chose.
Cet homme au centre de la photographie est un militaire, qui porte un fusil d’assaut, un objet destiné à tuer le plus efficacement possible, le canon à sa gauche a une puissance de 7 millions de joules, la scène se déroule sur un terrain d’opération extérieure, ceci est une guerre.
 
Emmanuel de Watrigant

[1] First Person Shooter : jeu en vue subjective.

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La guerre de la communication

 
« Une guerre sans image », voilà l’expression employée ces derniers temps pour décrire la communication du conflit malien. On l’entend se répéter comme un cliché journalistique, ses occurrences nous submergent, elles envahissent nos écrans ainsi que nos oreilles.
Nous avons été mitraillés par cette expression au cours des offensives maliennes, et son usage s’étend jusqu’à la plupart des guerres : celle d’Afghanistan, celle d’Irak, jusqu’à la première guerre du Golf, en passant bien sûr par tous les génocides africains et est-européens.
La conclusion se dessine : nous ne voyons rien ! Cette formule est donc, par là même, un reproche adressé par certains reporters à l’armée française. Nous voulons voir ! Un peu plus la vérité du scandale de la guerre, nous voulons voir le déclin, la mort, la ferveur, les batailles, les vainqueurs et surtout les perdants. Nous voulons voir  mais surtout savoir si on ne nous cache pas certaines choses, glorieuse ou non.
L’armée ne l’entend pas de cette oreille. Est-elle pour autant sourde ?
En effet, la présence des journalistes dans les régions concernées est restée difficilement acceptable d’un point de vue stratégique. Pourtant cette guerre s’inscrit aussi bien militairement que médiatiquement, mais la communication entre les deux partis semble souvent difficile. Ils n’ont pas les mêmes visées, les mêmes attentes, et ces différences ne sont-elles pas d’ailleurs, à l’origine même des tensions qui les traversent ?
Un dialogue compliqué entre « La Grande muette » et le déballage médiatique
L’armée et les médias ont des stratégies de communication différentes et l’Histoire fait souvent d’eux des adversaires plus que des grands alliés.
La communication journalistique est à la recherche de l’information nouvelle : sur l’avancée ou non, du conflit, à l’affût des chiffres, ceux du nombre de morts, de blessés… Elle établit principalement une communication vers l’arrière, vers tous ceux qui ne sont pas sur le terrain.
Transparente, elle veut rendre visible aux yeux des informés un combat et pour cela, elle a besoin d’images, de documents audios, de témoignages qui soient vérifiés, vérifiables au moins.
Elle cherche à se démarquer des autres médias par son analyse, son originalité, son scoop, elle veut créer de l’audience, intéresser, polémiquer. Sa communication dépend alors aussi de la ligne éditoriale, à savoir ce qui prime dans le média, entre actualités des faits, réécriture, point de vue ou synthèse. Mais malgré cette nuance, le point commun est le suivant : les reporters ne sont pas là pour écrire des billets doux à l’armée française, et ils ne louperont pas ses éventuels dérapages. Heureusement, tel est aussi le devoir de véracité et de régulation journalistique.
Il n’est donc pas toujours à l’avantage de l’armée d’être en relation, sur le terrain, avec des colporteurs qui ne s’interdiront pas de transmettre la moindre erreur, le moindre faux pas. Le risque d’erreur militaire ayant des conséquences souvent plus dommageables. Et c’est souvent à son insu, que l’armée est rendu médiatique.
Les journaux omnivores, cannibales, ne font parfois qu’une bouchée de ce qui la concerne, et l’affaire Petraeus, dans un tout autre contexte, en est quand même bien l’exemple. L’Express s’intéressait aussi à l’état de l’armée française, à son retard, sa vulnérabilité, titrant à propos du conflit malien :« La France a t-elle les moyens ? ».
Pourtant, la communication externe de l’armée française se veut discrète. D’ailleurs, qui sait le nom du ministre français de la Défense ? Mais à la manière d’une entreprise, il lui est utile de jouer sur ses atouts vis-à-vis de l’opinion publique notamment par la publication quotidienne de communiqués, mais aussi vis-à-vis de son processus de recrutement. Et on se souvient des campagnes publicitaires attractives pour l’armée de Terre telle que « Devenezvousmeme.com ».
Mais l’armée se base essentiellement sur sa communication interne, qui, fine, rapide et efficace, passe par des dispositifs techniques pointus. Sans interruption, elle est en contact avec les missions sur le territoire nationale et à l’étranger, les différents bataillons, les différents commandements. Alors quand les journalistes sont tournés vers l’arrière, l’armée elle, est surtout axée vers le front.
Mais les reporters ont aussi besoin de s’approcher du conflit pour mieux le comprendre et le faire comprendre.
Le journalisme embarqué : une réconciliation possible ?
Quand on parle de journalisme embarqué, on met en évidence plus fortement encore que la guerre est le lieu de prédilection de l’armée, pas celui des journalistes. On les relègue à un rôle secondaire, un rôle qu’ils n’apprécient pas forcément, celui où il sont sous influence, sous contrôle.
La communication de la guerre du Vietnam avait déjà mis au jour les problèmes d’un fonctionnement où les acteurs possèdent des rapports de forces asymétriques, et où le pouvoir médiatique est sous le joug de manipulations, telles que la propagande ou la désinformation.
Le journalisme embarqué est donc limité et les journalistes eux-mêmes adressent leurs critiques à cette méthode.
Mais on ne peut certainement pas se restreindre au journalisme de bureau pour couvrir un conflit. Car couvrir une guerre, c’est couvrir non seulement les faits mais aussi sa population, la vie présente et celle qui disparaît. Le terme même de « couvrir », renvoie au champ de la protection, celle des personnes, comme celle des informations. Couvrir c’est aussi et alors répandre, voiler, mais surtout mettre le voile sur certains aspects pour mieux en dévoiler d’autres. Et c’est pour cela que la guerre doit avoir des images, car la logique du reportage se place dans un paradigme où voir c’est agir, ou faire voir c’est faire agir, par le seul fait déjà d’en prendre conscience.
Un journalisme moins embarqué, plus réfléchi n’est pas une solution négligeable dans ce dialogue compliqué, et il prend déjà place. Mais tous ne peuvent pas suivre les militaires sur le champ des opérations, nous faisons alors confiance aux journalistes pour utiliser leur réseau de contacts développant un dialogue si ce n’est plus complice, moins encadré.
Pourtant la réconciliation parfaite des deux partis semble utopique, chacun joue son rôle communicationnel, défendant ses intérêts propres. L’armée est plus tournée vers sa communication interne alors que les journalistes investissent une sphère plus externe. Et finalement à l’image de la démocratie et au détriment d’une cité idéale, s’ils ne s’entendent pas toujours, n’est-ce pas le signe de la vigueur de leur pouvoir ainsi que celui de leur auto-régulation ?
Mais tout ne les divise pas, ils possèdent certains points communs. En effet, ces deux acteurs du conflit véhiculent une double image : l’armée et les reporters représentent à la fois un symbole salvateur, les uns sauvant des vies, protègeant, les autres apportant une visibilité à des peuples oppressés et à des combats. Et un symbole carnassier, d’un côté les forces spéciales, les tueurs dont on ignore les dérives, et de l’autre ceux qui livrent en pâture médiatiquement, les sans scrupule.  Ils sont par là même, à la fois objets et sujets des théories du soupçon,  ou de celles du complot.
Et ce débat sur la guerre de la communication est aussi éthique, il se calque sur la meilleure façon d’agir en situation de crise. Alors un troisième acteur entre en scène, le public. Les spectateurs doivent-ils tout voir ? Sont-ils déjà spectateurs s’ils savent la trame d’un spectacle ? Nécessitent-ils toute cette imagerie de guerre ? Soyons réaliste : The show must go on !
 
Maxence Tauril
Sources :
FranceCulture.fr
L’Express, « Guerre au Mali : La france a t-elle les moyens ? », n°3212, paru 23 janvier
Crédits photos : © Fred Dufour/AFP (1), Défense Française (2) (3), L’Express (4)