Politique

¿ QUÉ TAL CATALUNYA ?

Tout a commencé en 2006 quand la Catalogne s’est auto-proclamée « nation » après un référendum sur l’autonomie élargie dans cette région. Mais en 2010, les choses s’enveniment lorsque Madrid refuse d’approuver les réformes du statut d’autonomie catalane. Dès lors, les indépendantistes catalans considèrent que la voie de la négociation touche à sa fin et mettent en place leur communication politique et médiatique, se battant alors bec et ongles contre Madrid.
Le soft power catalan
À force d’une patience à toute épreuve et d’une stratégie de communication bien menée, les indépendantistes sont aujourd’hui omniprésents sur la scène médiatique. Depuis 2010, le mouvement indépendantiste ne cesse de répéter sa volonté de sortir de l’Espagne avec pour acmé l’engouement suscité par la manifestation du 11 septembre 2012 (1,5 million de manifestants aux côtés d’Artur Mas, l’ancien président de la Généralité, le Parlement espagnol). Le but de ces démonstrations de force ? Créer « une crise de telle ampleur qu’il n’y ait pas d’autre option que de parler de vous », explique Jorge Santiago Barnes, docteur en communication politique à l’Université Camilo José Cela de Madrid. À cela s’ajoute le fait que les indépendantistes s’appliquent à construire leurs actions politiques comme de véritables coups de théâtre : élections, déclaration unilatérale d’indépendance, nomination de dernière minute, etc.
Ce travail de sensibilisation à la cause catalane aurait-t-il été facilité par les images d’une police espagnole violente le premier octobre dernier lors du référendum ? On pourrait le penser en tout cas, car si l’on reprend Patrick Charaudeau dans Le discours politique, les masques du pouvoir : « L’opinion fonctionne davantage sur les images et les affects que sur la raison et les valeurs ».

Une bataille de l’image qui cache une pression sur les médias et les journalistes
« Des matraques contre les urnes » (Libération), « Le référendum torpillé par la police » (Le Parisien) … Les titres des grands quotidiens français le jour du référendum mettaient en avant la violence policière face à la relative passivité des catalans. Des images de la police dans les écoles catalanes aux camions blindés face aux manifestants mains nues, les dérapages du gouvernement espagnol ont fait le tour des médias internationaux et ont contribué à ternir son image, jouant de facto en faveur de l’indépendantisme catalan.
Cela dissimule une pression subie par les correspondants étrangers de la part des deux acteurs de cette guerre politico-médiatique. Reporter sans Frontières a publié le 18 octobre un rapport s’intitulant « La liberté de la presse sous pression en Catalogne » pour mettre en évidence l’influence des chefs des partis politiques sur les médias. Madrid a par exemple mis sous tutelle TV3, la chaîne de télévision publique catalane, tandis que le gouvernement catalan a mené des campagnes de cyber-harcèlement sur les réseaux sociaux comme Twitter afin de favoriser la propagande pro-indépendance… Des comportements extrêmes qui portent atteinte à la pérennité de la démocratie espagnole.

Les stratégies pour atteindre l’international : le fossé se creuse
Si l’on s’écarte un peu de ce débat sur la liberté de la presse, on constate que cette couverture médiatique a permis une sensibilisation internationale. Carlos Puigdemont, président de la région et chef de file des indépendantistes, a fait le tour des plateaux étrangers jusqu’à la veille du référendum. Il était le 25 septembre au micro de Léa Salamé sur France Inter, et répondait à ses questions dans un français presque parfait.

Le problème se pose quand l’on regarde du côté de la capitale. Le gouvernement espagnol semble incapable d’expliquer aux citoyens ce que représente ce référendum pour le pays et est absent de la scène médiatique étrangère. Le manque de modernité de cette communication institutionnelle provoque un déséquilibre face à la clarté des porte-paroles catalans. Tous les responsables de la presse étrangère possèdent le numéro de portable de Raul Romeva (conseiller aux affaires extérieures de la Generalitat de Catalogne), qui répond à leurs questions et gère les nombreuses interviews. Le gouvernement madrilène s’évertue donc à appeler le soutien des pays voisins et à organiser un dispositif de police imposant, mais il lui est difficile de toucher l’opinion publique quand les indépendantistes ont pris possession de la rue et de la toile.
Titi, une mascotte au secours des indépendantistes sur les réseaux sociaux 
La lutte s’est également jouée sur les réseaux sociaux avec Titi, le canari des studios Warner Bros. Peint sur l’un des navires hébergeant les officiers de la Guardia Civil (police espagnole) dans le port de Barcelone, il a beaucoup amusé les internautes indépendantistes qui s’en sont servi sur Twitter à travers les mots clés #FreeTweety ou #Freepiolin (Liberté pour Titi), qui ont connu un vif succès.

Ce personnage est rapidement devenu la mascotte des séparatistes au point d’embarrasser les autorités espagnoles qui n’ont eu d’autre choix que de couvrir le bateau à l’aide de bâches.

Le dialogue de sourds : crise politique, crise communicationnelle

Le chef du gouvernement espagnol, Mariano Rajoy, a déclaré le jour du référendum que ce qui avait eu lieu n’était ni un référendum, ni une consultation et n’aurait à ce titre aucun effet. Mais Rajoy et Puigdemont doivent se rendre à l’évidence : la polémique est telle que cette logique de surenchère mutuelle dénuée de tout dialogue ne peut aboutir à une sortie de crise. Le dernier épisode résume bien la situation : le 28 octobre, Carles Puigdemont, destitué par Madrid de la présidence de la Catalogne, a appelé à s’opposer « démocratiquement » à la mise sous tutelle de la région déclenchée par le gouvernement espagnol après la déclaration d’indépendance votée par le parlement catalan.
Un enchainement de faits qui montre bien que le dialogue n’est pas prêt d’être rétabli et que l’issue de cette crise reste encore inconnue.
Elise Decoster
LinkedIn 
Sources :
Allemandou Ségolène, « Bataille de communication sur le référendum : Catalogne 1- Madrid 0 », France 24, consulté le 30/10/2017
Breteau Pierre et Pouchard Alexandre, « Indépendance de la Catalogne : l’escalade entre Madrid et Barcelone résumée en SMS », Le Monde, consulté le 13/10/2017
Charaudeau Patrick, Le discours politique, les masques du pouvoir, Vuibert, 2005
Devillers Sonia, Catalogne : la pression contre les journalistes monte d’un cran, consulté le 24/10/2017 sur France Inter
Guien Laura, « Apprends à squatter la politique avec les indépendantistes catalans », Slate, consulté le 26/01/2017
Guien Laura et Palem Fabien, « Ce que la crise catalane dit de la démocratie espagnole », Slate, consulté le 28/09/2017
Salamé Léa, « Carles Puigdemont : « La violence n’est pas une option pour la Catalogne » », France Inter, consulté le 25/09/2017
Reporter sans frontières, « La liberté de la presse sous pression en Catalogne », consulté le 18/10/2017

Crédits photos :
Image de Une : « On se parle? » écrit en catalan sur une pancarte pendant la manifestation du 7 septembre à Barcelone.  REUTERS/Eric Gaillard
Image 1 : AFP Pau Barrena
Image 2 : @jordiborras
Image 3 : photo AFP

Politique

Tchétchénie Horror Story : le retour des camps de concentration

                 En Mars 2017, le journal indépendant Novaïa Gazeta publiait une enquête affirmant que des centaines d’homosexuels avaient été arrêtés et emmenés dans des prisons clandestines par les forces de l’ordre de Tchétchénie. L’information était plus tard relayée et confirmée par l’ONG humanitaire Human Rights Watch. Battus, humiliés, menacés de mort par leurs familles, des centaines de gays et lesbiennes auraient donc quitté leur pays aux mœurs conservatrices pour venir se réfugier en Russie, où ils sont également menacés. Les associations LGBT de Russie se mobilisent pour évacuer les victimes, créent un numéro d’urgence, les réseaux sociaux relaient les informations, le Conseil de l’Europe et les ambassades anglaises et allemandes demandent que les personnes LGBT soient protégées en Tchétchénie et en Russie. Une mobilisation internationale.
Un flou informationnel
Pourtant, les informations restent floues. En raison des risques encourus, peu de victimes sont prêtes à témoigner. Le gouvernement tchétchène considère que « si de telles personnes [LGBT] existaient, les autorités n’auraient pas à s’en faire puisque leur propre famille les enverrait à un endroit dont on ne revient pas », et qu’il n’y a donc pas d’homosexuel.le.s dans son pays. Boris Dittrich, directeur de Human Right Watch, lui, nie l’existence de « camps de concentration pour homosexuel.le.s », sans toutefois nier que certain.e.s d’entre eux.elles ont effectivement été envoyé dans des camps.
Pourtant, l’information est peu diffusée en France, étouffée par une actualité nationale et internationale brûlante – la campagne présidentielle, l’attentat des Champs-Élysées, les tensions entre la Corée du Nord et les États-Unis. Peu de journaux nationaux en font mention ; il faut chercher dans les médias plus locaux ou plus alternatifs pour trouver des informations. Un reportage de trois minutes est diffusé sur France 3 lors du JT, sans que toutes les circonstances de l’affaire soient dévoilées.
Les associations LGBT mettent un point d’honneur à apporter leur soutien aux victimes de leur communauté. Plusieurs rassemblements sont organisés à Paris la semaine du 17 avril, à l’Hôtel de Ville ou encore à sur la Place de la République. Mais très peu se mobilisent. : à peine deux cents personnes resserrées autour du drapeau arc-en-ciel. Une mobilisation dérisoire pour des actes qui ressemblent à des crimes de haine ?.

Le rassemblement place de la République à Paris
Difficile, alors, de ne pas comparer la foule bigarrée de ces rassemblements à l’effervescence de la Gay Pride, ou – dans un contexte moins joyeux – aux manifestations de soutien aux victimes de l’attentat d’Orlando. C’est pourtant la même communauté qui est touchée. La même communauté à laquelle appartenait Xavier Jugelé, le policier tué lors de l’attentat du jeudi 20 avril – lequel était par ailleurs, membre de l’association des policiers LGBT Flag!, présente lors des rassemblements.
Bien sûr, Xavier Jugelé n’a pas été tué pour son orientation sexuelle. Mais il est surprenant que son meurtre n’ait pas renvoyé aux crimes commis en Tchétchénie, n’ait pas incité, en tout cas, à davantage en parler, surtout en vue de la mobilisation de l’association à laquelle il appartenait et qui était rassemblée Place de la République pour protester contre les camps en Tchétchénie une heure à peine avant l’attentat. Alors, pourquoi un tel silence ?
La loi du silence
Tout d’abord, il semble que la communauté LGBT soit souvent “l’oubliée” des médias. Lorsqu’un article décrit le Président Trump, il oublie souvent de mentionner, autour des « raciste islamophobe sexiste » habituels, qu’il est aussi transphobe et homophobe (il a entre autre abrogé les dispositifs d’Obama en faveur des transgenres, notamment celui permettant aux élèves transgenres d’utiliser les toilettes correspondant au genre auquel ils.elles s’identifient). Lorsque Moonlight avait été sacré Meilleur Film aux Oscars, les médias français oubliaient souvent de préciser qu’il s’agissait d’un film sur l’homophobie et la difficulté d’assumer sa sexualité dans les milieux noirs défavorisés. Bien sûr, il est périlleux de comparer un film avec des camps de concentration ; l’impact est sans commune mesure. Mais le fait est que la communauté LGBT est souvent laissée à la marge.
Mais ce n’est pas si simple. D’autres éléments expliquent que les médias couvrent peu l’événement. Tout d’abord, les termes “camps de concentration” font peur. Parce qu’ils renvoient forcément à un horrible pan de l’histoire, mais aussi parce qu’il apparaît toujours un peu hasardeux de comparer les événements d’aujourd’hui avec ceux qui ont conduits à la Seconde Guerre mondiale. C’est une pratique commune, utilisée un peu à tort et à travers à une certaine époque, et qui a finalement mené à une impasse médiatique. D’un côté, il y a ceux qui n’ont pas peur de faire des parallèles, en comparant l’élection de Trump à celle d’Hitler, les camps pour homosexuels à ceux du IIIème Reich. Sur les réseaux sociaux, l’expression “Punch the Nazis” se répand de plus en plus pour décrire les actes de protestation contre les opinions de Trump et de ses électeurs. De l’autre côté, il y a les sceptiques, ceux qui considèrent qu’il ne faut pas se précipiter, que ces comparaisons servent davantage le buzz que l’information et qu’elles ne servent qu’à répandre la panique.

Ramzan Kadyrov et Vladimir Poutine en 2011
Les preuves de l’existence de ces camps tchétchènes sont en effet minces. Malgré les témoignages, peu de sources les ont filmés ou photographiés, leurs emplacements sont difficiles à trouver, les victimes hésitent à parler, le gouvernement nie leur existence. Peut-être est-ce pour cela que les grands médias nationaux ont peu couvert l’affaire, peu relayé l’information ? Par manque de preuve, par peur de l’alarmisme ? On accuse pourtant souvent les médias de vouloir effrayer les populations pour mieux vendre. Mais peut-être la Russie et la Tchétchénie sont-ils des pays trop lointains pour vraiment attirer l’attention de la foule ?
 
Manque de preuves, période encombrée, refus des amalgames, homophobie ? Difficile de savoir pourquoi l’histoire des camps de Tchétchénie mobilise aussi peu les médias et, par extension, les peuples. Ce qui est sûr, c’est que de nouveaux témoignages parviennent chaque jour, que des pétitions récoltent sans cesse de nouvelles signatures, que les ONG sont de plus en plus impliquées, et que les gouvernements concernés continuent de nier. Preuve, s’il en est, que le combat pour la libération des mœurs et des sexualités est toujours d’actualité.
 
Margaux Saillot
Sources
« Tchétchénie : des camps pour les homosexuels », article de France Info publié le 15 avril http://www.francetvinfo.fr/monde/russie/tchetchenie-des-camps-pour-les-homosexuels_2147325.html
« Tchétchénie : le président dément les persécutions et les tortures d’homosexuels », article du Parisien paru le 21 avril http://www.leparisien.fr/international/tchetchenie-le-president-dement-les-persecutions-et-les-tortures-d-homosexuels-19-04-2017-6868722.php
« En Tchétchénie, les LGBT persécutés dans des « prisons secrètes » », article de France 24 publié le 11 avril http://www.france24.com/fr/20170411-russie-tchetchenie-lgbt-victimes-persecutions-homosexuels-tortures-camps
Chechnya Survivors Tell Their Stories of Horror, article d’Advocate publié le 21 avril http://www.advocate.com/politics/2017/4/21/chechnya-survivors-tell-their-stories-horror
« Homosexuels torturés en Tchétchénie : à Paris, les manifestants réclament “l’action des candidats” », article des Inrocks paru le 21/04/2017 http://www.lesinrocks.com/2017/04/21/actualite/homosexuels-tortures-en-tchetchenie-paris-les-manifestants-reclament-laction-des-candidats-11936256/
Communiqué de presse de l’association LGBT Mag concernant les rassemblements à Paris publié le 19 avril : http://claudinelepage.eu/newbb/wp-content/uploads/2017/04/CP-MAG-Mobilisation-Tchétchénie-2-1.pdf
« Persécutions des homosexuels en Tchétchénie : « Ces violences se perpétuent dans l’impunité la plus totale » », article de France TV Info publié le 24 avril http://mobile.francetvinfo.fr/monde/russie/persecutions-des-homosexuels-en-tchetchenie-ces-violences-se-perpetuent-dans-limpunite-la-plus-totale_2156545.html#xtor=CS2-765-%5Bfacebook%5D-&xtref=http://m.facebook.com
« Trump abroge des dispositifs Obama en faveur des transgenres », article de Reuters publié le 23 février http://www.boursorama.com/actualites/trump-abroge-des-dispositifs-obama-en-faveur-des-transgenres-1398586ff937c91cd8936150b60379c2
 
Crédits photos :
©  Juliette Redivo, http://www.lesinrocks.com/2017/04/21/actualite/homosexuels-tortures-en-tchetchenie-paris-les-manifestants-reclament-laction-des-candidats-11936256/
© Kirill Kudryavtsev, AFP http://www.bbc.com/news/world-europe-39566136

Société

L’affaire Théo : symbole d’une société en rupture

L’affaire Théo est partout, dans le paysage politique, dans tous les médias, sur toutes les lèvres : des policiers, un jeune ordinaire, un quartier dit « sensible », un viol. Cet événement a éveillé de nombreuses polémiques sur la question de la banalisation de la violence policière, sur la chape de plomb qui pesait jusqu’alors sur ces pratiques, mais aussi sur la condition sociale de la jeunesse de ces quartiers. Cet événement a eu diverses résonances, mais a notamment suscité l’indignation générale, caractérisée par des manifestations et des heurts violents. Ainsi, la France s’engage à sa manière derrière ce qu’incarne désormais Théo : une rupture entre les citoyens et la police.
Les Français et la police : la connexion est rompue

Suite aux attentats de Charlie Hebdo et du 13 novembre qui ont profondément bouleversé la France, une réconciliation s’amorçait entre les Français et les forces de l’ordre. Certaines personnes allaient spontanément remercier policiers et gendarmes pour leur dévouement, preuve d’une société désormais unie. Mais alors, où est passée la France de #JesuisCharlie ? Quelques signes de désamour semblaient toutefois poindre à l’horizon, notamment au moment de la loi travail, lorsque de nombreux faits de violence policière ont été recensés à l’encontre des manifestants, et les tensions ont continué de se cristalliser, avec la mort d’Adama Traoré, décédé dans des circonstances troubles suite à son interpellation par les gendarmes. L’affaire Théo, c’est donc une volonté de justice qui marque une rupture franche.
La police et la communication de crise
En plus des faits graves qui se sont déroulés, entachant l’image de respectabilité des forces de l’ordre, la communication de la police et de ses représentants qui en a découlé, a été pour le moins désastreuse : au lieu de montrer le caractère isolé de cet usage injustifié de la violence, la police a tenté de minimiser les faits, notamment par l’intermédiaire de l’IGPN, dont les premières déclarations niaient le viol et lui privilégiaient la thèse de l’accident. Mais personne n’est dupe. Les faits qui sont reprochés sont graves, et les constatations médicales rendent peu probable la thèse avancée. D’ailleurs, la juge en charge de l’affaire a bien retenu le chef d’accusation de viol à l’encontre de l’un des quatre policiers.
À cela vient s’ajouter l’intervention de Luc Poignant, syndicaliste policier, dans C dans l’air le 9 février, où il déclare sans sourciller que « bamboula est à peu près convenable ». Suite à la polémique déclenchée, le policier s’excuse, prétextant « une erreur sémantique ». Rappelons que « bamboula » est un terme aussi méprisant que raciste, apparu au XXème siècle en France pour désigner les tirailleurs sénégalais, et dont l’étymologie vient du mot « ka-mombulon », soit « tambour » dans les langues sarar et bola parlées en Guinée portugaise — l’erreur sémantique semble donc difficile. C’est un mot lourd de sens, lourd d’histoire, mais surtout chargé de haine. Ainsi, les propos de Luc Poignant résonnent comme l’aveu d’une violence verbale devenue ordinaire.


Théo : un symbole social
C’est indéniable : l’affaire Théo rassemble. Elle fédère dans l’indignation, la défiance, mais aussi le rejet du système dont la police est le principal représentant. Ces derniers jours, des heurts ont éclaté à Aulnay-Sous-Bois – ville de résidence de Théo – mais aussi dans d’autres villes comme Argenteuil, les Ulis, Bobigny… Tous réclament la même chose : « justice pour Théo ». On peut voir en cela une forme de solidarité, pour le moins démonstrative et violente. Cela rappelle les évènements de 2005, les émeutes qui avaient agité la France suite à la mort de Zyed et Bouna dans un transformateur électrique, tentant d’échapper aux policiers.
Des faits qui se font écho — mais comment donc expliquer l’embrasement de ces quartiers ? Tout d’abord, y sont pratiqués des contrôles d’identité quotidiens, au cours desquels les débordements sont fréquents de part et d’autre. Ces contrôles sont souvent montrés du doigt car prétendument basés sur des critères discriminatoires. Et comme le dit Sébastian Roché, sociologue de la délinquance et auteur de De la police en démocratie, « ce sentiment d’être ciblé est constitutif d’une défiance vis-à-vis des autorités. Ces personnes systématiquement visées à cause de leur couleur de peau ou en raison de critères socio- économiques ont le sentiment d’être des citoyens de seconde zone. »

Cette idée de stigmatisation semble donc être la clé pour comprendre ce qui se déroule aujourd’hui : les jeunes des quartiers s’identifient à Théo en tant que « jeunes de banlieues ». L’existence même de ce terme générique de « jeunesse de banlieue », ou de la version plus péjorative « banlieusards », constitue une forme de marginalisation et de stigmatisation sociale, mais aussi de délimitation géographico-sociale, dont la frontière semble être le périphérique. D’ailleurs, la localisation semble particulièrement importante, puisque dès la médiatisation de l’affaire, la ville d’origine de Théo faisait la une de tous les journaux. Ainsi, le fait d’habiter en banlieue, lieu infraordinairement associé à la violence quotidienne, « diminuerait »-t-il la gravité de tels actes ?
Dans le cas de Théo, « je ne pense pas que les choses se seraient déroulées de la même manière si on avait été avenue de l’Opéra », s’inquiète le député PS Daniel Goldberg, qui se demande si le maintien de l’ordre dans les quartiers est « toujours républicain ». Aussi, les méthodes employées par la police pour les contrôles seraient différentes selon les lieux et cela ne serait, toujours d’après l’interview de Luc Poignant, qu’une « juste réponse de la police envers une population hostile à leur égard ». C’est la loi du Talion.
En mesure d’apaisement, le Président lui-même se déplace pour rencontrer Théo, des propositions de lois sont faites, notamment pour la « caméra-piétonne », une Gopro portée par les policiers lors des contrôles. Cela semble bien maigre pour tenter d’apaiser la flamme qui s’est allumée dans le cœur de la jeunesse des quartiers, et qu’un slogan semble rassembler : « Tout le monde déteste la police ».
Ces slogans, ces heurts et ces manifestations semblent relever de la fonction expressive d’un langage verbal et non verbal, témoignant d’une émotion sincère à mi-chemin entre révolte et indignation, mais aussi symptôme d’une crise sociale, crise que Théo semble incarner, un peu malgré lui.
Lucille Gaudel
Sources :
• Julia PASCUAL, Le Monde, « Violences policières : un rapport dénonce un risque d’impunité des forces de l’ordre », 13/03/2016, consulté le 11/02/2017
• Blandine LE CAIN, Le Figaro, « Affaire Théo : la police des polices privilégie la thèse de l’accident plutôt que celle du viol », 9/02/2017, consulté le 12/02/2017
• Frantz VAILLANT, TV5 Monde, « Bougnoul, fatma, youpin, négro : l’ADN des mots racistes révélé », 8/01/2016, consulté le 11/02/2017
Crédits  :
• Régis Duvignau, Reuters
• Julien MATTIA, AFP
• Patrick Kovarik, AFP

Politique

Rohani: persona non grata ?

Il est des rencontres au sommet qui engendrent à la fois malaise généralisé et indignation transfrontalière. La visite officielle du Président iranien Hassan Rohani en Italie puis en France du 25 au 28 janvier aura marqué les esprits, tant l’opposition au régime des mollahs a été intense. Retour sur les principaux points de crispation et les débats soulevés par un voyage qui devait initialement profiter l’ouverture économique de l’Iran afin de signer de juteux contrats pour les industriels Européens.
Malaise dans la communication interculturelle
Le bal des couacs politiques et diplomatiques a été ouvert à Rome, lorsque les autorités italiennes ont décidé d’enfermer d’inestimables statues antiques féminines dénudées du Musée du Capitole dans des boîtes. Cette véritable « opération de com‘ » avait pour but de ne surtout pas bouleverser les habitudes visuelles et artistiques du Président iranien. Bien entendu, les réactions ont été immédiates et sans appel : des figures de l’opposition italienne au Ministre de la Culture Dario Franceschini, la mesure a été jugée « incompréhensible » et d’ « une totale idiotie et un sacrilège culturel », dixit Francesco Rutelli, ancien maire de Rome et ministre de la Culture. Plus dur encore, Luca Squeri, député du parti de droite Forza Italia, estime que « respecter les autres cultures, cela ne veut pas dire renier la nôtre ». Comme quoi, entre bienveillance diplomatique et raté interculturel, il n’y a qu’un pas.

Mises en scène macabres pour le respect des droits de l’Homme

Dès son arrivé à Paris, Hassan Rohani a du essuyer les plus vives critiques, tant de la société civile que de la classe politique. Principal sujet d’indignation en France : le non-respect des droits de l’Homme en Iran et la recrudescence des violations des libertés individuelles élémentaires. Pour protester contre la venue de Rohani et montrer leur dégoût, plusieurs centaines de personnes ont manifesté dans la capitale, place Denfert-Rochereau. Au delà des clivages partisans et des opinions individuelles, il convient de souligner l’ingéniosité et l’originalité des opposants à mettre en scène leur mécontentement. Dans une remorque spécialement conçue à cet effet, plusieurs personnes, toutes de jaune vêtues, paradaient la corde au cou, pour symboliser l’augmentation du nombre d’exécutions depuis l’arrivée au pouvoir de Hassan Rohani. A ce cortège pour le moins hétéroclite se sont joints plusieurs représentants charismatiques venus lutter contre la présence de Rohani dans le Pays des Droits de l’Homme : parmi eux, l’avocat Henri Leclerc, ex-président de la Ligue française pour la défense des droits de l’Homme et du Citoyen, l’ancienne secrétaire d’Etat Rama Yade ou encore le député européen d’EELV, José Bové.

De leur côté, les Femen, fidèles à leur réputation sulfureuse, ont mis en scène la fausse pendaison d’une militante sous un pont près de la Tour Eiffel mercredi 27 janvier, à l’occasion du passage du convoi du Président iranien dans les rues de la capitale. Connu pour ses opérations provocantes, le groupe d’activistes féministes s’en est donné à cœur joie pour dénoncer ces pratiques d’exécution moyenâgeuses. Pour parfaire cette esthétisation de la mise à mort, les Femen ont ajouté à leur scène de théâtre éphémère une large banderole professant : « Bienvenue Rohani, bourreau de la liberté ». Enfin, Inna Schevchenko, la leader du mouvement, a publié sur son compte Twitter : « We just wanted #Rouhani to feel like home #paris #iran #femen #freedom » (« Nous souhaitions simplement que Rohani se sente comme chez lui »).

La colère de la classe politique
Au delà d’une contestation sociale internationale, l’objectif de ces mobilisations hétérogènes était d’inciter François Hollande à aborder avec son homologue iranien les épineuses questions des libertés individuelles, de culte, d’orientation sexuelle ou encore des libertés de la presse, afin d’infléchir une situation jugée calamiteuse par les organismes internationaux. Dans son rapport annuel sur la situation du pays, Amnesty International dénonce, entre autre, des cas de torture, des procès inéquitables ou encore des discriminations ethniques ou religieuses en constante augmentation dans le pays.

Et la classe politique n’est pas en reste de ces contestations publiques. 65 parlementaires se sont emparés de leur plume afin de dénoncer publiquement, dans une lettre ouverte à François Hollande, l’accueil en grande pompe de Hassan Rohani. Il est ironique de constater que le Président iranien a réussi à faire s’entendre des députés issus de la majorité et des rangs de l’opposition, bien malgré lui. La lettre commence par un flamboyant « La théocratie iranienne est l’un des régimes les plus liberticides de la planète ». De quoi interpeller à la fois le Président de la République Française, mais aussi (et surtout ?) les citoyens français dans leur ensemble. Dans le contexte de prolongation de l’état d’urgence et d’une défiance d’une partie de la population face à une diminution des libertés individuelles depuis les attentats de novembre, la venue de Rohani était l’occasion idéale pour ces parlementaires de défendre leur conception de l’état de droit.
Un mal pour un bien ?
Si la visite diplomatique en Europe de Hassan Rohani a provoqué un mouvement d’indignation repris à la fois par les associations internationales, les membres de la société civile et les politiques, il ne faut cependant pas oublier que celle-ci avait avant tout un but purement économique. Les plus grands groupes industriels français, Airbus, Bouygues et Total en tête, ont largement bénéficié de cette venue quasi providentielle. La France se retrouve donc une nouvelle fois dans l’impasse : favoriser son développement économique ralenti par la crise, ou rester fidèle à ses idéaux séculaires ?
La force de la mobilisation contestataire

Des manifestations militantes, des simulacres de pendaisons, des parlementaires et des associations en colère… et pourtant, on ne peut que constater un traitement médiatique relativement mesuré de cette visite historique. En effet, malgré quelques levées de boucliers sur Twitter et certains articles accusateurs, ce sont en premier lieu les expressions physiques de la dénonciation qui constituent le principal canal de communication de l’exaspération et du rejet. Cette communication concrète et manifeste se révèle finalement bien plus efficace, car elle n’a pas eu besoin des biais traditionnels de médiatisation pour démontrer sa force. Ceci nous rappelle que parfois, l’engagement citoyen à lui seul permet de faire entendre sa voix, dans un contexte de surproduction de l’information par les médias traditionnels ou en ligne.
Céline Viegas
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Sources:
France Info, Visite de Rohani: la question des droits de l’homme en Iran reste en filigrane, Anne Patinec, 28/01/16
L’obs, Hassan Rohani en visite en France: n’oublions pas la répression des chrétiens en Iran, Donya Jam, 24/01/16
Le Monde, Cachons ces statutes qu’Hassan Rohani ne saurait voir, Philippe Ridet, 27/01/16
Swiss Info, Haro sur Matteo Renzi pour les statutes antiques, 27/01/16
Le Figaro, Visite du président iranien Hassan Rohani: lettre de 50 députés à François Hollande, 27/01/16
Le Point, Rohani à Paris: la fausse pendaison des Femen, 28/01/16
Crédits images:
http://www.franceinfo.fr
 
http://www.citizenside.com
 
http://www.youtube.com
 
http://www.twitter.com
 
http://lemonde.fr
 
http://lefigaro.fr

Mélenchon
Politique

L'homme trop bien cadré

 
Dimanche 1er décembre, Jean-Luc Mélenchon défilait dans la rue « pour la Révolution fiscale, la taxation du capital, l’annulation de la hausse de la TVA ». Cette manifestation contre Bercy a entraîné une polémique, non sur ses revendications et son message, mais bien plus sur son relais médiatique. Deux fautes communicationnelles sont venues entacher l’image de cette manifestation et de M. Mélenchon. L’une à propos des comptages annoncés tour à tour par les organisateurs et par la place Beauvau. L’autre concerne l’habile cadrage du reportage organisé par TF1 qui dupe le spectateur en lui donnant une impression de foule immense. Coup dur pour le leader du Parti de Gauche (PdG) qui dévoile ainsi son art de la mise en scène et de la construction médiatique en opposition à son discours politique franchement hostile envers les médias « manipulateurs ».
 Le comptage déclenche la controverse. Si les chiffres des organisateurs de la « Manif’ pour tous » ont pu paraître exagérés, ceux du Front de Gauche apparaissent complètement délirants. En effet, la préfecture de police dénombre 7000 participants alors que les organisateurs en annoncent 100,000 : un rapport de 1 à 14 qui pose question sur la bonne foi des deux entités. Une photo circulant sur Twitter va dans le sens d’un maquillage des chiffres. Prise le jour même Boulevard de l’hôpital, on observe sur l’image une multitude de feux rouges. Le photographe de l’AFP dément tout trucage, la multiplication des feux de signalisation étant apparemment due à un effet d’optique. Celle-ci provoque l’amusement voire les moqueries des internautes, peu crédules.
 

 
La seconde erreur est corollaire de la première. Mélenchon comme TF1 sont soupçonnés de tentative de manipulation des téléspectateurs par l’image et le choix du cadre. En effet, filmée une demie heure avant l’heure de convocation, la vidéo montre une foule qui se presse derrière le camarade Jean-Luc qui répond aux questions de Claire Chazal. Une photo prise depuis son appartement par un journaliste néerlandais et publiée sur Twitter révèle le hors-champ. Mélenchon se trouve devant un carré d’une vingtaine de personnes. Autour, le vide. Le montage ainsi dévoilé ôte toute légitimité aux images et remet en question la déontologie de TF1, l’éthique de transparence morale du Front de Gauche et l’intelligence qu’ils confèrent au public. Ils ont eu tendance à oublier que le spectateur ne se contente plus d’avaler les informations qu’on lui sert sur un plateau. Sa défiance actuelle envers les médias et les politiques le pousse à chercher et à relayer d’autres informations via les réseaux sociaux. Ainsi en quelques clics il peut créer le « bad buzz » et ternir le blason de quiconque veut l’abuser.
 Les réponses des intéressés ne se sont pas faites attendre : le 3 décembre Mélenchon se rend au Grand Journal pour arranger ces incohérences de communication. En vain, suite à quelques contradictions. Il tente de prouver par un calcul que 100 000 personnes défilaient. Cependant une erreur dans ses données lui confirme l’exagération des chiffres annoncés. Pour sa défense, il insinue alors que la préfecture de police a divulgué ces chiffres pour que le cœur du problème ne suscite pas d’intérêt. La dénonciation est reprise par André Chassaigne, le président du groupe communiste à l’assemblée, qui pointe du doigt le Ministre de l’Intérieur : « Le piège a été tendu par Valls qui donne, lui, un chiffre déraisonnablement bas après l’annonce des 100 000 personnes. Valls atteint sa cible et ça permet de dévier le fond du débat. C’est fait intelligemment. »
 
Sur la question de la machination, l’ex-candidat à la présidentielle dément toute intention de la part de TF1. Il affirme que la masse qui apparaît sur l’interview émane d’une volonté propre des participants et ne relève pas d’une construction imposée destinée à améliorer son image ni manipuler l’opinion. Puis, à un autre moment de l’entrevue, il explique le désir du Parti de donner aux images une allure « militante » ; il finit alors par se contredire. Ces propos sont appuyés par Alexis Corbière, secrétaire général du PdG : « Les images ont une dimension politique, nous le savons bien. Pour présenter une manifestation, on n’allait pas faire l’interview dans une rue déserte. » Ceci implique donc le recours aux artifices médiatiques et à une construction qui s’oppose à la prétendue spontanéité du rassemblement.
 L’art de la mise en scène médiatique se pose donc comme inévitable et nécessaire à tout processus de communication politique. Subtilement dosée, un jeu presque théâtral contribue à l’amélioration et à la gestion d’une image. Mais gare à l’abus qui se solde souvent par une douche froide de la part de l’opinion publique.
 
 Caroline Dusanter
Sources :
Le Point
Le MOnde
AFP
Le Parisien
Placeaupeuple.fr
Partidegauche.fr
Le Blog d’Alexis Corbière
TF1
Le Grand Journal – émission du 3 décembre
Crédits photos :
Image de Une : Tweet du Front de gauche (1er Décembre)
Image 1 : AFP
Image 2 : Stephan de Vries

Politique

Les poupées russes

 
Dimanche, dans un climat électrique Vladimir Poutine était élu avec plus de 60% des voix. Une réélection entourée d’une aura de doute : observateurs volontaires escamotés, bancs d’électeurs « volants » allant de bureau de vote en bureau de vote… Autant de ruses tues par le nouveau président qui évoque une élection « ouverte et honnête ». Pourtant toutes les formes de contestation n’ont pas été muselées et cette période électorale a permis le surgissement de nouvelles d’entre elles.
Ainsi, méfiez-vous des apparences : ces « poupées » sont en passe de devenir les figures de proue du mouvement anti-Poutine. Des masques flashy et des robes édulcorées qui n’auront pas empêché la réélection du « père de la nation ».
Poutine ou les nouvelles « poupées russes »
Ces mystérieuses créatures, qui forment le groupe punk « Pussy Riot », ont multiplié les happenings depuis quelques semaines pour dénoncer la politique de Poutine et son retour –annoncé- en tant que président après 4 ans passés à la tête du gouvernement. Un retour assez symbolique puisque, concrètement, l’ancien agent du KGB était toujours resté au pouvoir. Comment ? Grâce à un réel tour de passe-passe : puisque la constitution russe ne permet pas à son président d’enchaîner plus de deux mandats, Dimitri Medvedev a pris l’intérim dans cette vaste pantomime qui laissait le pouvoir aux mains de l’ancien président. Pis encore pour les détracteurs de Poutine, ils devraient souffrir sa présence au Kremlin jusqu’en 2018 en cas de victoire cette année (en 2008, une réforme de la constitution allongeait le mandat du président de 4 à 6 ans) voire 2024 s’il parvenait à briguer sa propre succession, ce qu’il avait déjà fait en 2004. Un horizon bouché qui en agace beaucoup…
Pourtant comme le dit le dicton, « chat échaudé… »
Poutine jouissait d’une popularité confortable jusqu’à ces derniers mois où divers scandales sont venus entacher la candidature de l’ex-président : corruption, fraude (les élections législatives de décembre sont entourées d’un voile de suspicion et ont provoqué moult manifestations), censure… Les maux dont on accuse le candidat sont violents et ont ranimé les forces de contestation des opposants. Opposants à qui on donne des noms, des visages et qui incarnent à l’étranger la figure du « Protester » à l’image du blogueur Alexeï Navalny auteur du blog Navalny et du site Rospil qui dénonce les différents faits de corruption. Cet activisme lui vaut un passage en prison mais participe surtout à donner de la visibilité à son combat relayé par de nombreux médias étrangers comme le site BBC news qui disait à son propos : « He is also arguably the only major opposition figure to emerge in Russia in the past five years. And he owes his political prominence almost exclusively to his activity as blogger »[1]. Cependant, le web n’est pas le seul territoire de la contestation et la rue est investie massivement. Par des manifestants d’abord, qui ont défilé à de nombreuses reprises dans les rues en arborant un ruban blanc, symbole de cette « révolution ».
Et dernièrement par un groupe punk, qui choisit de protester d’une façon atypique mais efficace. Les Pussy Riot c’est un band exclusivement féminin qui pour se faire entendre, a choisi de se produire dans des lieux pas forcément prêts à les accueillir : le toit d’un immeuble à proximité de la prison où était alors détenu Navalny, la Place Rouge et dernièrement  la cathédrale Saint Sauveur où elles ont prié -selon le titre de leur chanson- « Sainte Vierge, chasse Poutine »… Où la prière -punk- comme droit de résistance au « tyran » qu’un Thomas d’Acquin ne renierait pas…
Une balade punk sans conséquence ?
Dimanche soir, sans second tour, Vladimir Poutine était sacré Président de la République russe. Alors, que conclure de toute cette mobilisation ? Du bruit, et rien de plus ?
Certes l’élection de Poutine était annoncée, l’homme contrôlant la plupart des leviers du pouvoir : les médias, les forces de l’armée et les milieux d’affaires. Ce pouvoir ainsi verrouillé ne permettait aucune surprise aux urnes. Pourtant ce déferlement des paroles contestataires n’est pas vain : il trouve des relais efficaces qui consacrent les personnages emblématiques de cette lutte, meilleure façon de cristalliser l’attention sur les leaders de l’opposition et donc, de contrebalancer la parole officielle qui n’hésite pas à négliger cette opposition (Poutine comparait les rubans blancs brandis par les opposants à des préservatifs). Largement fissurée, l’image de Vladimir subit les attaques d’une partie de l’intelligentsia russe, des journalistes et des blogueurs qui n’hésitent pas à braver sur le net la censure et les peines encourues. Une décomplexion de la parole qui aujourd’hui fait mentir les pronostics : si Poutine est élu cette année et pour six ans, la question est maintenant de savoir si l’exploit sera réitéré en 2018.
Les perturbateurs font désormais mentir ceux qui voyaient Poutine rivaliser avec Staline et ses 25 ans au pouvoir.
 
 Marie Latirre
 
Crédits photo: Ksenia Kolesnikova

[1] bbc.co.uk

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Affiche et initiative du mouvement Occupy Wall Street
Politique

Révolte 2.0

“The Whole World is Watching”
Le moins que l’on puisse dire c’est que l’année qui vient de se terminer fut mouvementée. Nous n’avions jamais vu autant de gens indignés dans la rue mais aussi sur nos écrans. Ils nous ont obligés à les regarder et à les écouter, faisant du web un allié précieux. Cet acharnement a payé puisqu’ils sont devenus le symbole de cette année 2011 à en croire le Times Magazine qui a décerné aux manifestants le titre tant convoité de « personnalité de l’année ».
Si ces manifestants ne forment pas un ensemble homogène, il semblerait qu’ils se rejoignent dans l’usage qu’ils ont fait du Web et des nouveaux médias. Il ne paraît en effet pas pertinent de les mettre tous dans le même sac. Comparer la situation de Whael Ghonim, un des chefs de file de la révolution égyptienne et celle d’un manifestant à Wall Street serait assez vain tant leurs revendications sont différentes, tout comme les risques auxquels ils se sont exposés. On peut cependant remarquer la place qu’a prise Internet dans les révolutions, s’érigeant en instrument d’émancipation et en faiseur de démocratie. Même s’il nous faut éviter de sombrer dans une utopie digitale, il est important de rendre à César ce qui est à César en admettant que le Web a joué un rôle central. Facebook, Twitter, Youtube, n’ont pas remplacé le face à face et l’interaction mais ont permis aux manifestants de communiquer ensemble et avec nous, « d’occuper » l’espace médiatique.
En Tunisie et en Egypte, les réseaux sociaux et Internet se sont d’abord dessinés comme un espace de liberté que les médias traditionnels n’offraient plus depuis longtemps. Ces nouvelles plateformes ont donc rapidement été vues comme des menaces, échappant aux modes de régulation habituels. Tout au long de l’année, elles ont porté les indignés, les aidant à gagner en visibilité, et en organisation au grand désarroi des gouvernements. On se rappelle qu’en août, David Cameron, à court de solutions pour mettre un terme aux émeutes et aux pillages qui secouaient la Grande Bretagne, proposa une idée brillante, celle de « fermer » les réseaux sociaux. Peut-être s’imaginait-il qu’il suffisait d’appuyer sur un bouton ou de couper le courant.
On a pu observer le sentiment que pour les manifestants, les médias traditionnels n’avaient pas leur place dans cette nouvelle dynamique qu’ils essayaient d’instaurer. Avec un certain talent, ils ont pris en main leur communication. Le mouvement Occupy Wall Street par exemple n’a rien voulu laisser au hasard dans la gestion de son image et a massivement investi la sphère internet. Leur site occupywallstreet.org avait en une semaine plus de 4.7 millions de visiteurs. Leur compte Twitter et Facebook ont connu le même succès. Des outils qui leur ont servi de canaux officiels d’information mais aussi à être réactif afin de ne pas laisser n’importe qui parler du mouvement à leur place. Ainsi, quand Jay Z lance une ligne de T shirt Occupy All Streets, l’idée ne plaît pas au groupe qui accuse aussitôt le rappeur de surfer sur le mouvement afin de renflouer son compte en banque.
Les vidéos prises pendant des moments clés et relayées ensuite sur Youtube par les manifestants ont aussi été de précieux témoignages et ont permis de sensibiliser l’opinion publique. On se rappelle de la vidéo postée par le jeune Khaled Saïd où l’on peut voir la police égyptienne en plein délit de corruption. Ces images ont mis le feu aux poudres et Khaled Saïd est vite devenu un martyr et un symbole de la révolution égyptienne. On se souvient aussi de la vidéo du Brooklyn Bridge, où on peut voir la police new-yorkaise perdre son sang froid devant des milliers de manifestants qui scandent en cœur «  the whole word is watching ». Un slogan déjà entonné par les manifestants anti Vietnam à Chicago en 68, qui promettaient ainsi que tout serait filmé, tout serait raconté.
L’utilisation systématique du Web et des réseaux sociaux a conduit beaucoup de gens à qualifier ces soulèvements populaires aussi divers soient ils de révolutions numériques ou de révolutions facebook. Une idée à nuancer car la vague d’indignation n’a pas seulement été virtuelle mais s’est bel et bien jouée dans la rue, avec des issues souvent fatales dans les pays de la révolution du jasmin. De plus, on peut voir dans cette critique une façon d’accuser les manifestants d’avoir privilégié la forme plutôt que le fond. On a beaucoup reproché aux manifestants du mouvement Occupy par exemple de ne pas avoir joué le jeu de la politique en refusant systématiquement de désigner un représentant, et de se définir selon une idéologie précise (non il ne faut pas forcément être communiste pour planter sa tente au Zuccotti Park). On est donc venu à la conclusion qu’ils n’avaient pas de projet précis et que leurs revendications étaient trop floues. On peut cependant admettre que s’ils ne sont pas toujours parvenus à émettre un projet concret, les manifestants ont été assez clairs concernant ce qu’ils ne voulaient plus subir.
L’année 2011 ne nous a bien sûr pas appris l’existence des réseaux sociaux et du Web participatif, mais c’est probablement sous un aspect plus politique que nous les avons redécouverts et avec un impact que naïvement nous ne soupçonnions peut-être pas. Il nous reste donc à voir ce que cette nouvelle année nous propose et on se retrouve l’année prochaine pour faire le bilan.
 
Pauline Legrand

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