Politique

"La France prise en otage": 3 mois de déchaînement sémantique dans les médias

Depuis trois mois déjà, la France est au bord de la crise de nerf. Le temps médiatique s’ajuste au rythme des derniers rebondissements d’un mouvement social de grande ampleur, qui se base comme on le sait sur le refus d’une réforme du Code Civil concernant les règles qui régissent le travail.
Contrairement aux protestations passées, on peut dire que d’un point de vue communicationnel ce mouvement dénote par son originalité. Originalité de la manifestation avec l’organisation des Nuits Debout place de la République à Paris par exemple, mais aussi originalité des moyens et des supports de transmission avec Periscope et la multiplication des « radios Debout ».
Envahissant les colonnes des journaux et les grilles des radios et télévisions, ce mouvement global de contestation, de Nuit Debout aux récentes grèves, est plus que jamais l’objet d’interprétations et de mises en scènes médiatiques. Puisqu’il n’y a jamais de mot au hasard, il est intéressant d’observer les manifestations sémantiques qui découlent de ce brouhaha de revendication et d’altercations.  
La sémantique de la peur : 3 mois de couverture, entre bruit et fureur médiatique

Comme le rappelle un article d’Acrimed, faisant un état des lieux de la médiatisation de la contestation, la réforme du code du travail suscitait dès septembre 2015 l’affolement des médias et un déchaînement sémantique pro-réforme. Loin d’une pluralité des discours médiatiques, le Code du travail est décrié par des journaux de tous bords, et la réforme montrée comme libératrice. On observe ainsi la reprise de nombreuses formules prônant une libéralisation du travail, comme celles de « dynamiser » ou « d’assouplir » le marché. Quand L’Opinion préconise de « déverrouiller le code du travail », Le Monde plaide que « Le Code du travail n’est pas une vache sacrée ». Il y a là une logique de démystification de cet objet symbolique, considéré comme un poids mort et rétrograde.
Une vidéo enregistrée pour l’émission de radio « Là-bas si j’y suis » montre que les médias se sont par la suite concentrés sur les effets des grèves et non pas sur leurs causes. En insistant sur la pagaille et l’énervement suscités, les discours des journalistes offrent une vision d’une France sombrée dans le chaos. L’expression de la contestation adoptée par une grande partie des médias est alors celle du français qui, agacé des mouvements de grève, revendique son « droit à travailler ».
Et les ennemis du dialogue social sont tout trouvés : quand ce n’est pas la CGT, ce sont les fameux « casseurs ». On dénonce alors l’escalade de leur violence, motivée par une rage baptisée « haine anti-flic ». Et certains n’ont pas lésiné sur les comparaisons douteuses… Quand Pierre Gattaz accuse Philippe Martinez de « terrorisme », Franz-Olivier Giesbert ose la comparaison entre Daech et la CGT, qui retiendrait tout bonnement la France « en otage ». Bref, le pays semble s’effondrer, la confusion est totale, et la sémantique apocalyptico-médiatique surfe sur une vague de peur incontrôlable et incontrôlée.
Les mots ont un sens
 

 
Dans son ouvrage Des miroirs équivoques, Louis Quéré nous rappelle la fonction sociale qu’occupent les médias. Il insiste particulièrement sur la visée identitaire des médias « positionnés dans un univers d’intérêts et de rapports de forces » dans lequel ils occupent un « rôle de fondation », « supports pratiques d’un mode historique d’objectivation de la médiation symbolique constitutif d’un système socio-culturel ». Par leur mode de narration, les médias se font « le théâtre des pratiques sociales ; ils donnent une assise à l’identité et à l’action individuelle et collective ». On ne peut donc que déplorer la quasi absence de pluralité des angles donnés aux contenus médiatiques sensés commenter les évènements.
Cet affolement médiatique et de cette confusion sémantique généralisée nous rappelle à quel point les mots ont un sens. Pierre Bourdieu dans Ce que parler veut dire entame une réflexion sociale sur le langage. Il y voit la société comme un marché, où le pouvoir s’exerce à travers une violence symbolique, bien plus intense que la violence physique, et dans lequel le langage est un échange de signes plus ou moins valorisants. Lorsqu’ils reprennent en masse des expressions similaires pour décrire les évènements relatifs à un mouvement social, les médias participent à cette violence, et assoient leur discours symbolique.
Au troisième mois du mouvement social, les médias, qui orchestrent le débat, semblent en majorité se focaliser sur des faits peu démonstratifs du mouvement dans sa globalité. En préférant la sûreté de la redondance des termes, ceux-ci prennent le risque de noyer l’analyse et de faire le jeu des préjugés sur un mouvement social dont on oublierait presque les fondements.
Mathilde Dupeyron
Linkedin 
Sources :
Acrimed, Julien Salingue, « Trois mois de couverture médiatique des mobilisations contre la « Loi Travail » », 6 Juin 2016
France Inter, Guillaume Meurice, « Terrorisme syndical », 3 juin 2016
Louis Quéré, Des miroirs équivoques, aux origines de la communication moderne, Aubier, 1992
Pierre Bourdieu, Ce que parler veut dire : L’économie des échanges linguistiques, Fayard, 1982
Crédits images: 
Le Monde
Huffington Post
Le Parisien 

Euronews
Société

Muselière obligatoire pour médias dangereux

Après s’être attaqué au tribunal constitutionnel, réduisant à quasi néant ses pouvoirs, le gouvernement polonais en place depuis le 25 octobre dernier s’est trouvé une nouvelle cible: les médias. Le but ? Museler les contre-pouvoirs en place en Pologne, au grand dam de Bruxelles et du modèle européen de démocratie libérale.
Quand repoloniser rime avec coloniser
Au pouvoir depuis le 16 novembre dernier, le parti conservateur PiS “Droit et justice”, emmené par Jaroslaw Kaczynski, ne perd pas de temps. En effet, deux réformes, hautement controversées ont vu le jour en l’espace de deux mois: l’une concerne le Tribunal constitutionnel, l’autre se lance à l’assaut des médias. Le 30 décembre, le président Andrzej Duda a promulgué une loi qui se décline en trois points: la nomination des dirigeants des médias publics par le ministre du trésor, la suppression du principe de mandat à durée déterminée et enfin la suppression des concours ouverts pour désigner les patrons des médias.
Le PiS suit tout simplement son programme de “repolonisation” de la presse, qui consiste à arracher les médias publics à leurs financeurs étrangers, notamment allemands. Ces mêmes médias publics deviennent alors des institutions culturelles nationales, soumises au contrôle des autorités gouvernementales.
La Pologne opère un glissement vers une démocratie autoritaire, sans pour autant que l’on puisse qualifier la prise de pouvoir du PiS de “coup d’état”, puisque le résultat émane des urnes. Le message sous-jacent est limpide pour les opposants: les médias sont maintenant les petits soldats du gouvernement.
Sous prétexte de libérer la Pologne d’un vieux joug allemand, qui se manifeste aujourd’hui par le financement des médias, le PiS au pouvoir s’autorise à franchir les limites. Pour l’intérêt de tous à long terme, le gouvernement n’hésite pas à bafouer les principes à la base du modèle de démocratie libérale. Ainsi, le PiS et son programme de “repolonisation” est parvenu à gagner le coeur de ces électeurs qui souffrent de la pauvreté et d’une industrie qui peine à s’imposer sur la scène européenne.
Touche pas à mes médias

Les conséquences n’ont pas tardé à pointer le bout de leur nez: Kamil Dabrowa, patron de la radio publique polonaise Radio Jedynka, s’est vu être destitué de ses fonctions pour avoir contesté la série de réformes sur les médias publics. Il avait en effet pris le parti de diffuser l’hymne européen sur son antenne, afin de dénoncer la politique restrictive du pouvoir en place.
Il n’est pas le seul à avoir fait les frais de cette nouvelle loi, Jacek Tacik, reporter sur la première chaîne de télévision publique polonaise, n’a pas tardé à recevoir sa lettre de licenciement. Le motif ? Sur le papier, un renouveau de la télévision publique dans lequel il n’a pas son rôle à jouer. Dans les faits, Tacik est l’auteur d’un reportage sur les migrants en Hongrie, suite auquel il avait été agressé par la police hongroise, le sujet étant plus que sensible dans le pays. Seulement voilà, avec le nouveau parti au pouvoir, la Pologne s’est faite l’alliée de la Hongrie, et Tacik en subit les conséquences.
Le gouvernement considère que les médias ne répondent plus aux attentes de la population polonaise. Le ministre de la culture, Krzysztof Czabanski, explique que ceux-ci ne se sentent plus en phase avec les journalistes, qui arborent souvent un ton moqueur. Comble de l’ironie, l’objectivité des médias publics est elle aussi remise en cause, par ce gouvernement qui veut avoir le contrôle de l’information. Le contrôle serait meilleur garant de l’objectivité que la liberté ? C’est en tout cas ce que veut nous faire croire le PiS.
Ces licenciements abusifs constituent une atteinte directe à la liberté d’expression, qui était pourtant l’un des plus gros succès de l’après 1989 dans le pays. La transmission des savoirs et de l’information en général, pour laquelle les médias sont missionnés, est maintenant biaisée par la mainmise de PiS sur ceux-ci.
Plusieurs manifestations pour lutter contre la réforme sur les médias publics ont déjà eu lieu à Varsovie, et si elles ne semblent guère avoir stoppé les ultra-conservateurs au pouvoir, elles peuvent se targuer de s’être faites entendre à Bruxelles, siège des institutions de l’Union européenne.
L’Union Européenne comme dernier rempart
Cette atteinte à l’une des libertés fondamentales n’a pas manqué de faire réagir l’Union Européenne, qui en a même profité pour redorer une image un tant soit peu écornée ces derniers temps. L’instance apparait pour les contre-pouvoirs polonais comme le symbole de la démocratie et de la liberté. Bruxelles a convoqué le Président polonais en grande pompe ce 13 janvier afin qu’il s’explique sur les dernières lois promulguées dans son pays. Le leader du parti a du, lui, défendre sa politique le 19 janvier. L’union européenne estime que le respect de l’Etat de droit, et donc de la démocratie, est directement remis en question par les gouvernants polonais.
Si pour l’instant aucune sanction n’est tombée, Bruxelles pourrait bien mettre en marche une procédure pour atteinte à l’Etat de droit.
Pourquoi alors une réaction si rapide et parfois jugée trop dure? D’abord, parce que la Pologne marche sur les pas de la Hongrie. En effet, le président hongrois Viktor Orbàn a lui aussi muselé la presse dans son pays, et l’Union européenne a trop tardé à réagir. Maintenant, elle se trouve face à deux alliés et est donc dans l’impossibilité de priver la Pologne de son droit de vote au sein de l’organisation. Mais encore, Bruxelles sait que les défenseurs de la liberté des médias publics en Pologne comptent sur elle, preuve en est que les manifestants arboraient les couleurs du drapeau européen dans les rue de Varsovie. Aujourd’hui menacée par les aspirations nationalistes de certains pays de l’Europe de l’Est, l’Union européenne redore son blason et s’approprie des valeurs de liberté et de démocratie qui lui avaient presque été retirées.
L’Europe saura-t-elle remettre ses petits soldats sur le droit chemin ?
Manon DEPUISET
LinkedIn 
@manon_dep
Sources:
Le Figaro, La rue polonaise manifeste pour « des médias libres », 10/01/2016
Le Monde, Tribunal constitutionnel, médias: les réformes controversées menées en Pologne, 18/01/2016
France TV Info, Pologne: les conservateurs au pouvoir mettent les médias au pas, 19/01/2016
Crédits photos:
Euronews
La Croix

Taxis manifestation
Société

Taxis : dérapage incontrôlé ?

 
Retour sur les multiples raisons de la grogne des taxis et regard sur les conséquences des dérapages des manifestations de lundi.
Augmentation de la TVA, concurrents de plus en plus variés, les taxis ont la vie dure et subissent une crise technologique qui remet le pouvoir de décision entre les mains du client via son smartphone. Se retrouvant souvent en situation de précarité, les chauffeurs ont du mal à faire face à la souplesse et à l’innovation dont font preuve leurs concurrents. En tant que profession réglementée, ils sont contraints par de nombreuses normes, notamment de contrôle de qualité, auxquelles ne sont pas soumis les VTC.
Le mouvement a cependant pris des dimensions plus graves aux regards des dérapages lors des manifestations. Ainsi, on dénote deux types de violence :
1. Des taxis non-grévistes ont fait les frais des jets de pierres de certains de leurs confrères, érodant l’aspect collectif censé être porté par l’acte de manifestation.
2. L’attaque d’un VTC dans la matinée est venue compléter ce tableau de chasse. Véritable désastre communicationnel pour les taxis grévistes, elle a permis à leurs concurrents de récupérer la parole médiatique en étant naturellement positionnés comme victimes, et dans le cas du chauffeur du VTC en question, comme un héros puisqu’il a défendu ses clients et cherché à les éloigner du danger.
En plus de rendre compte du peu de cohésion de la profession dans ses revendications, ces deux aspects très négatifs sont venus ternir un peu plus encore l’image des chauffeurs de taxis. Image d’une profession qui aurait plutôt eu besoin d’une réhabilitation dans l’esprit de ses clients que de ce coup peu éclatant (si ce n’est en morceaux de verre).
 
Lorraine de Montenay
Sources :
LeMonde.fr (1)
LeMonde.fr (2)
Liberation.fr
LesEchos.fr

Marisol Tourraine, ministre de la santé
Société

Problème de « MST »

 
L’indifférence de Marisol Touraine face aux revendications des sages-femmes a provoqué un mouvement d’hostilité massive. Excédées par le mutisme de leur ministre de tutelle, elles ont entamé une grève le 16 octobre. Gênées par la présence des forces de l’ordre, le sit-in initialement prévu devant le Ministère de la Santé et des Affaires Sociales a eu lieu deux rues plus loin.
En guise « d’armistice », Mme Touraine (surnommée depuis « MST ») leur a concédé une entrevue. Mais sans elle.
Quelques représentants inconnus du ministère les ont reçues et les ont assurées de la prise en compte de leurs demandes. Une participation à la loi de périnatalité et l’ouverture d’un atelier sur la grossesse sont envisagées. De plus, la loi de santé 2014 a augmenté leurs droits de prescription, en ajoutant à la liste les chewing-gums à la nicotine.
Ces promesses vides n’ont fait qu’enflammer le mouvement. Les maïeuticiennes revendiquent une considération professionnelle et salariale par l’obtention du statut de praticien hospitalier. 80% des maternités sont désormais en grève illimitée.
La profession, composée à 98% de femmes, s’est ensuite tournée vers Madame Vallaud-Belkacem, ministre des droits de la femme. En vain. Elle reste imperturbablement sourde-muette.
Point positif pour « MST » :  son image de féministe active n’a pas été entachée.
Malgré leur importante mobilisation sur les réseaux sociaux et un regroupement devant les locaux de France Télévision, le silence de la presse demeure. Mais n’en sont-elles pas en partie responsables ?
En effet, l’abondance de termes techniques et médicaux dans les communiqués et les slogans des sages-femmes rendent leur message incompréhensible et inintéressant pour l’opinion publique, qui serait plus sensible à  leurs problèmes de chômage ou aux avantages qu’y gagnerait la Sécu.
Le mutisme médiatique, une réponse au verbiage médical ?
Caroline Dusanter
Sources
Laparisienne
L’express
Onssf
Anesf
Lenouvelobservateur
Ordresagesfemmes
Vidal