Politique

Ecotaxe : bonnets rouges et bonnets d’âne

Mercredi 8 mars, la Cour des Comptes publie son rapport annuel sur la régularité des comptes publics. Le conseil des magistrats honore ainsi annuellement son credo « S’assurer du bon emploi de l’argent public, en informer le citoyen », et comme chaque année blâme les gaspilleurs. Cette année c’est un épisode marquant du quinquennat de François Hollande qui se trouve dans son collimateur, celui d’un projet de taxe autoroutière impopulaire, d’une fronde bretonne coiffée de rouge, et d’une débandade gouvernementale.
Si l’épisode avait retenu l’attention à l’époque pour ses coups d’éclats et ses bévues médiatiques, c’est aujourd’hui l’essence économique du sujet qui revient sur la table. La cour estime les pertes à plus d’un milliard d’euros, et les pots cassés sont injustement redistribués. Un fiasco qui tient beaucoup à la gestion de crise désastreuse du gouvernement, et aux grossières lacunes de communication au sommet de l’État. Un feuilleton médiatique qui interroge aussi sur la valeur du débat démocratique en France.
Retour sur une taxe controversée et avortée

Issu du Grenelle de l’Environnement, le projet d’écotaxe est voté à l’unanimité par le Parlement en 2009. Le but est de transférer le financement de l’entretien des autoroutes du contribuable aux usagers, selon le principe du pollueur-payeur : ceux qui les usent le plus, à savoir les camions, paient le plus. Outre l’objectif de justice fiscale, les retombées doivent également être économiques pour réduire l’avantage concurrentiel des transporteurs étrangers par rapport aux routiers français, et écologiques, pour faire gagner en attrait l’alternative du fret ferroviaire.
La mise en place commence au printemps 2013, dans un contexte politique délétère. Le quinquennat de François Hollande a commencé un an plus tôt par une pression fiscale sur le contribuable qui exaspère les ménages français. L’annonce de la création de portiques de télépéages sur plus de 15 000 km d’autoroute, génère des premières protestations en Bretagne, une région particulièrement incandescente à cause de la fermeture d’usines (comme l’abattoir Gad) et la détresse des éleveurs. La mesure est perçue comme un énième matraquage envers les petites gens, en somme, la goutte d’eau qui fait déborder le vase.
Pendant ce temps, les syndicats de transporteurs routiers s’insurgent. Le gouvernement reporte la collecte de la taxe au 1er janvier 2014, et la fronde, loin de dissiper, s’organise en groupes d’action sur le terrain et face aux médias. Destruction de portiques, manifestation géante des « Bonnets Rouges » à Quimper le 2 novembre 2013, opérations « Escargot » des routiers sur les autoroutes… La pression finit par faire reculer le gouvernement, qui annonce le 29 octobre 2013, la suspension de l’écotaxe.
« Un gâchis patrimonial, économique, financier, industriel et social »
La formule n’est pas tendre, signe de l’ébahissement des magistrats de la Cour des Comptes devant le gaspillage. 958 millions d’euros d’abord, indemnité à verser au prestataire EcoMouv’ que l’État avait missionné pour installer le dispositif, assurer sa maintenance et collecter la taxe, et qui aurait dû être rétribué à hauteur de 2,5 milliards d’euros sur dix ans. S’y ajoutent 70 millions d’euros, déboursés pour mettre en œuvre cette taxe (investissement dans EcoMouv’, salaires de 309 douaniers) et la démanteler (démontage et destruction des portiques). Enfin, 270 millions d’euros, coût hypothétique en prévision des contentieux auxquels l’État s’expose, vis à vis des sociétés de contrats public-privé. Au final, l’ardoise s’élève potentiellement à 1,258 milliards d’euros, auxquels s’ajoute ce qu’aurait dû rapporter l’écotaxe sur dix ans (sa durée de vie initialement prévue), c’est à dire près de 10 milliards d’euros.
La faillite de l’État dans les négociations
L’État a de quoi apprendre de ses erreurs, tant les failles ont été nombreuses. D’abord comme négociateur avec les différentes parties du projet, il s’est rapidement mis en position de faiblesse. Quand il veut rassurer les transporteurs en leur annonçant qu’ils pourront répercuter le coût de cette taxe sur les commandes de leurs clients, il sait sa promesse inapplicable, en raison du principe de liberté des relations commerciales.
La colère sociale devenant trop forte malgré les concessions, le gouvernement doit alors suspendre l’écotaxe « dans la précipitation pour tenter de répondre à une situation d’urgence » selon la Cour des Comptes. Cette décision est tout aussi problématique : sans concertation avec Ecomouv’, l’État se met en difficulté dans les négociations qui l’opposeront à son prestataire, sur le montant des indemnités de résiliation à verser.
Au départ cramponné à son projet d’écotaxe, le gouvernement a refusé un véritable dialogue avec ses partenaires syndicaux et privés, en envoyant de fausses promesses aux uns pour calmer la fronde des transporteurs, et en imposant des décisions unilatérales aux autres sans porter attention à sa fiabilité commerciale.
Les atermoiements du gouvernement
Ce problème de communication avec les professionnels trouve ses origines dans les hésitations du gouvernement quant à la conduite à adopter. La dégradation du déficit budgétaire annoncée fin 2013 pousse en effet le Premier Ministre à s’emparer du dossier et défendre une posture court-termiste. Alors que le ministère de l’Ecologie souhaite aller au plus vite pour avoir des chances de collecter l’écotaxe, Manuel Valls préfère retarder le plus possible le paiement des loyers à EcoMouv’.
De cette division gouvernementale résulte une position extrêmement floue pour l’année 2014 : éviter tout paiement à EcoMouv’, et ne prendre aucune décision définitive. Ecartant une solution de secours recommandée pourtant expressément par l’Assemblée Nationale, le gouvernement s’embourbe dans l’indécision. Dans ce dossier complexe et multilatéral, le gouvernement a ainsi avancé en terrain miné, sans stratégie claire, et l’ardoise est celle que l’on connaît aujourd’hui.
Happy-ending
En réponse au rapport de la Cour, Manuel Valls souligne pourtant les bienfaits de la mesure de remplacement trouvée à l’époque : la majoration du prix du gazole, qui génère annuellement 1,139 milliard d’euros de recettes (contre 1,129 milliard estimé avec l’écotaxe).
Petit problème : cette mesure sape totalement l’ambition de justice sociale de l’écotaxe. Les grands gagnants de cet abandon sont en effet les camions étrangers, qui font le plus souvent le plein dans les pays voisins où le gazole est moins cher. Les perdants sont donc les automobilistes et ces mêmes routiers français qui protestaient contre l’écotaxe, et qui se retrouvent aujourd’hui lésés par rapport à leurs concurrents.
Autre gagnant, l’État lui-même : alors qu’il s’engageait à partager les recettes de l’écotaxe avec les collectivités territoriales, cette taxe sur le gazole lui reviendra entièrement, au détriment de collectivités qui souffrent pendant ce temps de la fonte drastique des subventions.

Les bonnets rouges sont rangés
57% des Français jugeaient en novembre 2013 que l’État devait abandonner définitivement l’écotaxe (sondage CSA/Les Echos/Institut Montaigne). Cette affaire est une démonstration parfaite de l’impact que peut jouer l’environnement politico-médiatique sur la protestation populaire, et en bout de chaîne sur les politiques publiques : contre une mesure comme l’écotaxe, qui avait pourtant le mérite d’alléger le contribuable et de faire payer ceux qui usent directement les autoroutes, le débat a été totalement dévié de ses vrais enjeux.
Relayant largement les déboires du début de mandat de François Hollande, les médias ont offert un terreau fertile à la contestation. Sur-médiatisés, les « Bonnets Rouges » ont ainsi emporté dans leur sillage l’opinion publique, polarisée par ce grand mouvement de ras-le bol envers le pouvoir.
Toutefois, quand l’État instaure en remplacement une mesure qui pénalise l’automobiliste lambda et les collectivités de proximité, l’information est peu partagée dans les grands médias et ne suscite aucune polémique. Une lassitude médiatique pour un feuilleton qui avait trop tourné. Et un grand silence démocratique.
Hubert Boët
Sources :
• Marc Vignaud, www.lepoint.fr, rubrique « Economie », « Cour des comptes : le fiasco de l’écotaxe poids lourds », publié le 08/02/2017
• Hervé Chambonnière, www.letelegramme.fr, rubrique « France », « Abandon de l’écotaxe. Un gâchis d’un milliard d’euros », publié le 08/02/2017
Crédits :
1. http://www.letelegramme.fr
2. s1.lemde.fr
3. o.aolcdn.com
4. Fo.aolcdn.com

MANUEL VALLS ON N'EST PAS COUCHES
Politique

Manuel Valls dans "On n'est pas couché" : le triomphe de l'infotainment

L’annonce a surpris et suscité de nombreuses réactions : Manuel Valls invité de Laurent Ruquier samedi 16 janvier dans « On n’est pas couché ». Le talk show à succès de France 2 (l’émission réunit régulièrement plus d’un million de téléspectateurs), a beaucoup fait parler ces derniers temps. On lui a notamment reproché ses thématiques identitaires et ses chroniqueurs peu sympathiques à l’égard des invités. Beaucoup d’entre eux, excédés, ont d’ailleurs déjà quitté le plateau en pleine émission. Mais que vient donc y faire le Premier ministre ?
Une pratique ancienne mais qui surprend toujours
L’infotainment définit un programme mêlant information et divertissement. C’est le cas de l’émission médiatique et politique de Laurent Ruquier. En effet, l’émission suit le modèle du talk show à l’américaine. Elle est le lieu de débats entre les invités et les chroniqueurs Yann Moix et Léa Salamé.
La présence de personnalités politiques dans des programmes tels que « On n’est pas couché » n’est pas nouvelle. On a déjà pu constater l’attrait des politiques pour ce type d’émissions moins formelles. On se souvient de Valérie Giscard d’Estaing jouant de l’accordéon pour séduire la miss météo du « Grand Journal », ou encore, de Ardisson demandant à Michel Rocard si « sucer c’est tromper » dans son émission «Tout le monde en parle ».
Si la pratique n’est pas nouvelle, elle étonne encore en France. Beaucoup ont en effet, été surpris d’apprendre que pour la première fois, un Premier ministre en fonction allait se prêter au jeu de l’infotainment. Si la pratique surprend encore l’hexagone, elle est parfois banale à l’étranger, notamment aux États-Unis. C’est pourquoi personne ne s’est vraiment étonné d’entendre Barack Obama parler sous-vêtements avec Jerry Seinfeld.
Le choix de l’infotainment
On cerne vite les raisons du succès de l’infotainment. Ce type de média permet en premier lieu de cibler un public particulier. Un public assez large, qui ne regarde pas forcément les émissions politiques. Pour le politique, il s’agit alors d’une occasion en or pour tenter d’améliorer son image.
Pour Manuel Valls, les enjeux sont multiples. La figure du Premier ministre est contestée dans l’opinion. Il a l’image d’un homme dur, souvent tendu et sur les nerfs. Dans « On n’est pas couché », Manuel Valls aura du temps. Il disposera d’un temps plus long et moins formel que celui du discours pour tenter de créer un lien avec le public.
Séduire par le biais de l’infotainment n’est pas chose facile. On pourrait dire à celui qui s’y prête que c’est à ses risques et périls. Il est vrai que beaucoup ont péri. Citons le cas tristement fameux de Nadine Morano, punie de régionales par son propre parti, après avoir affirmé que la France est un  « pays de race blanche » dans l’émission de Ruquier. Les risques de l’infotainment sont grands. Il faut prendre garde à ne pas se laisser déstabiliser et encore moins ridiculiser, notamment par les chroniqueurs féroces d’ « On est pas couché ».
Pour séduire, il faut trouver à Manuel Valls beaucoup de prudence, mais également, de l’humour et de l’aisance. Un faux pas dans une émission pouvant coûter cher.
Désacralisation de la politique
Certains politiques refusent de prendre part aux émissions d’infotainment. Ils estiment que le politique n’a pas sa place dans ce média. C’est par exemple le cas de Nicolas Sarkozy qui estime que le politique doit porter une « parole plus solennelle ». On peut comprendre cette position. D’autant plus, lorsque l’on connaît les risques que ce média entraîne et la liste des personnes qui s’y sont brûlées les ailes.
Toutefois, dans le contexte actuel de crise de la démocratie qu’évoque Pierre Rosanvallon dans son ouvrage La contre-démocratie, la désacralisation induite par l’infotainment est-elle forcément négative ? Certains voient dans l’infotainment une réponse à la volonté de renouveau du discours politique qu’ont les français. Auquel cas, désacralisation ne rimerait pas forcément avec dévalorisation. Au contraire, cela contribuerait à réduire la distance entre le politique et ses électeurs.
Nous sommes face à un dilemme, le dilemme de l’opinion. Les français veulent des politiques plus proches d’eux, plus à même de les comprendre, mais pas trop non plus. Un politique trop comme nous devient risible, il perd tout prestige, toute hauteur. On ne peut que constater à quel point la stratégie d’ « homme normal » de François Hollande n’a pas fonctionné.
Seul le temps montrera si la prestation de Manuel Valls a convaincu. Nous espérons en tous cas qu’il s’est préalablement prêté à un excellent média-training.
Yasmine Guitoune
Sources :
Perrine Mouterde. Manuel Valls à « On n’est pas couché » : quand les politiques font le pari de l’infotainment, 14/01/16. Consulté le 15/01/16.
Simon Auffret. « On n’est pas couché », passage obligé pour les politiques ?, 07/10/15. Consulté le 10/10/2015. http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2015/10/07/on-n-est-pas-couche-est-elle-vraiment-une-emission-polemique_4784242_4355770.html
Raphaëlle Bacqué. « On n’est pas couché », arène hétéroclite toujours plus orientée, 07/10/15. Consulté le 10/10/15. http://www.lemonde.fr/actualite-medias/article/2015/10/07/le-fiel-du-samedi-soir_4784575_3236.html
Nicolas Berrod. Valls chez Ruquier : quand les politiques osent l’ « infotainment », le 15/01/16. Consulté le 15/01/16. http://www.lesechos.fr/politique-societe/politique/021623270952-valls-chez-ruquier-quand-les-politiques-osent-linfotainment-1192850.php
Crédits images : 
Photo de une : France 2

Politique

Quand les éléments de langage se déchaînent

Fin 2014, le gouvernement lançait le Kit Repas Famille, un pense-bête expliquant les actions du gouvernement pour chaque sujet politique qui pourrait naître d’un repas en société. Les vignettes sont destinées à prouver que la politique gouvernementale fonctionne et à discréditer les phrases toutes faites. À défaut de vérifier les réalités qui se cachent derrière chaque thème, il est intéressant de voir que les acteurs politiques prennent au sérieux les « éléments de langage » qui émanent de la doxa. Qu’en est-il de ceux des politiques ? En quoi se distinguent-ils ?
De simples poli-tics de langage ?
A priori, l’élément de langage est une formule ou un message reproductible par chaque membre d’un gouvernement. La clarté est de rigueur. Il est un ressort de la communication politique qui fonctionne sur la continuité et la synchronisation. Quel que soit l’intervenant, grâce à l’élément de langage, c’est l’entité décisionnelle et le choix du groupe qui s’expriment à travers lui. De cette manière, les divergences pouvant exister au sein d’une famille politique sont masquées.
Si l’on s’en tient à la définition de Jacques Séguéla, les éléments de langage sont des « petites phrases préparées à l’avance par l’entourage d’un homme politique ou par les communicants pour servir soit de répartie, soit de point d’ancrage dans un débat. ». Bien évidemment, le publicitaire en écrivait pour François Mitterrand mais il n’était pas le seul à mettre la main à la pâte : Jacques Attali, Laurent Fabius et bien d’autres faisaient passer des petites notes avec leurs suggestions. Aujourd’hui, les choses se sont légèrement professionnalisées. Pour s’en convaincre, il suffit d’observer les méthodes du conseiller en communication du Président de La République, Gaspard Gantzer. Ses pratiques furent révélées par Un Temps de Président, un documentaire réalisé par Yves Jeuland.

Les téléspectateurs furent étonnés de voir Gaspard Gantzer dicter à une journaliste de TF1 les mots-clés de son reportage. Pour qualifier cette relation entre les journalistes et leur sources, Eugénie Saitta, spécialiste des sciences de la communication, parle d’une « rhétorique du cynisme » : les journalistes finissent par s’y faire ! Les communicants cherchent la saillie, l’homme politique tranche et les journalistes l’utilisent. Les politiques ont trouvé comment influencer les médias discrètement.
En politique, l’improvisation n’est pas conseillée. D’après Séguéla, lorsque les résultats tombent, le politique sait de quelle manière il doit réagir : il y a des éléments de langage pour une éventuelle victoire comme pour une éventuelle défaite. En plus de fournir du texte, les éléments de langage présentent le double avantage d’assurer une cohérence entre les prises de parole mais aussi d’augmenter l’efficacité et l’exposition d’une idée par la répétition. Entre une gauche divisée et des Républicains qui cherchent encore un ténor, l’élément de langage paraît être un outil parfait pour feindre l’unité. L’efficacité d’un argumentaire est plus forte si tout le monde martèle la même chose à l’unisson. Une idée répétée est aussi efficace qu’un slogan placardé.

N’y-a-t-il pas un risque de vulgariser les idées ? Le wording politique est aseptisé. Le consensus droite-gauche qui existe depuis la fracture des grands clivages idéologiques autour de l’économie de marché a brouillé le monde politique de ses marqueurs sémantiques. Ainsi, la formule « J’aime l’entreprise », employée par le Premier ministre, aurait pu être prononcée par un centriste comme par un Républicain. Au sein du gouvernement de Manuel Valls, on peut aussi observer des divergences qui sont réprimées : ceux qui ne suivent pas la ligne décidée se font taper sur les doigts. Pour s’en rendre compte, il suffit de se souvenir des remontrances faites à Christiane Taubira après qu’elles se soit prononcé contre la déchéance de la nationalité. Dès lors que les avis ne peuvent plus s’opposer librement, il y a peut-être une défaite de la pensée.
Entre stratégie et démagogie : comment atterrir sur le bandeau de BFMTV ?
Généralement, les médias n’hésitent pas à critiquer les éléments de langage. Pour le voir, il suffit de regarder les compilations qu’en fait Le Petit Journal. À croire qu’il est l’ennemi numéro 1 de la communication politique moderne !
Ce bashing est compréhensible. Il ne faut pas prendre les enfants du bon Dieu pour des canards sauvages : les gens prennent les éléments de langage pour ce qu’ils sont. Le disque semble rayé : on parle d’un discours fatigué qui émane d’une pensée énarchique qui s’est usée avec le temps. La doxa imagine que l’élément de langage est antinomique avec l’honnêteté.
Pourquoi peut-on être sûr que les politiques continueront à utiliser ce procédé ? Pour répondre, il faut d’abord revenir à la définition de l’élément de langage.
Selon le vice-président d’Havas, les années 80 ont constitué l’âge d’or de la publicité : tout le monde était séduit par le pouvoir du marketing et de la pub. Toutefois, selon Pierre Lefébure, maître de conférence en sciences politiques, les éléments de langage ne «[refont] surface [qu’]en 2008/2009 car il y a une volonté de la part de Nicolas Sarkozy et de ses équipes de rationaliser la communication et de maîtriser son environnement ». La seconde moitié des années 2000 est marquée par deux phénomènes qui changent radicalement les dispositifs d’information : l’émergence des chaînes d’information en continu et les réseaux sociaux. Il serait faux de penser que l’utilisation massive d’éléments de langage est purement choisie. Il faut aussi les penser en termes de contraintes. Il y a une responsabilité des médias dans la massification des éléments de langage car les fenêtres d’expression sont plus courtes.

Quand on obtient 30 secondes d’antenne à la télévision, les éléments de langage sont indispensables. Ce sont des estocades : soudains et rapides, ils ont une forme parfaite pour la rhétorique politicienne. Tout comme sur Twitter, il faut réduire le nombre de caractères pour pouvoir accéder aux très convoités bandeaux de BFMTV.
Selon les études de Damon Mayaffre, chercheur au CNRS, le vocabulaire présidentiel se serait déprécié au fil du temps en raison de ces nouvelles contraintes médiatiques. Aujourd’hui, les politiques sont dans la performance : ils utilisent à outrance les phrases verbales et le pronom personnel « je ».
L’élément de langage : diable ou diabolisé ?
Si les éléments de langage sont diabolisés c’est parce qu’ils sont attachés à une définition simplificatrice : on les associe spontanément « aux petites phrases » pré-élaborées que l’on voit sortir de la bouche des politiques à chaque zapping.

Dans cette définition, on ne parle que de la partie visible des éléments de langage. On ne parle pas des argumentaires. Autrement dit, on n’essaye pas d’extraire la démonstration étayée qui se cache derrière et qui vise à soutenir ou à contredire un projet. Aujourd’hui, aller au combat sans communication est une faute professionnelle car c’est laisser son adversaire partir avec un avantage.
Mais il ne faut jamais abuser des bonnes choses ! Les éléments de langage seraient très utiles si on n’en créait pas en quantité industrielle. Dans un premier temps, ils font passer une idée complexe par un message simple : le travail d’un conseiller se résume à dégrossir la matière brute pour en créer une à la portée de l’opinion publique. Frank Louvrier, ancien conseiller de l’ex-président de la République, Nicolas Sarkozy, rappelle que « Quand vous êtes Ministre, vous ne connaissez pas tous les sujets. Si vous allez à une émission matinale d’une radio, on risque de vous interroger sur un sujet compliqué, qui n’est pas forcément votre domaine de compétence, et il faut pourtant répondre ».
Pour la majorité précédente, les éléments de langage étaient surnommés « le prompteur », aujourd’hui on les regroupe sous l’intitulé « l’essentiel ». Ce dernier rappelle qu’un élément de langage peut permettre d’échapper à une situation de crise en évitant de lourds dommages.
À ce niveau de responsabilité, tous les professionnels semblent d’accord pour dire qu’une improvisation est impossible. L’improvisation est un fantasme car il est impossible de priver le débat d’un cadre de pensée rappelé sans cesse par les éléments de langage. D’ailleurs, les politologues reprochent souvent au Président de se laisser guider par les communicants alors qu’il serait doué pour l’improvisation.
On confond souvent « éléments de langage », « formules », « petites phrases » et « argumentaires » : il n’y pas de définition fixe car il n’y pas une unique manière de créer des éléments de langage. Ces formulations font sens pour des acteurs du champ politique et du champ médiatique mais aussi pour ceux qui se trouvent à leurs intersections. Les communicants produisent des énoncés en anticipant leurs conditions de circulation médiatique et leurs conditions de réception. Ce sont pour ainsi dire des ingénieurs du symbole. Ils manient les signes comme des maîtres. Ces données nous permettent de mettre en relief la place prépondérante prise par la communication au sein du monde politique et du monde médiatique. On en viendrait presque à croire qu’ils contrôlent les foules.
Ameziane Bouzid
Sources :
« Le Langage politique malade de ses mots », Frédéric Vallois, Le Huffington post, 20/11/2014 : http://www.huffingtonpost.fr/frederic-vallois/langage-politique-malade-de-ses-mots_b_6190388.html
« Les Dix éléments de langage que vous entendrez ce soir », Le Service politique, Libération, 22/03/2015 : http://www.liberation.fr/france/2015/03/22/les-dix-elements-de-langage-que-vous-entendrez-ce-soir_1226056
« Les « petites phrases » Et « éléments de langage » : des catégories en tension ou l’impossible contrôle de la parole par les spécialistes de la communication », Dossier: Les « Petites Phrases » en Politique , Caroline Ollivier-Yaniv, 01/06/2011 : http://www.necplus.eu/action/displayAbstract?fromPage=online 
« Éléments de langage pour soirée électorale : mode d’emploi », Jacques Séguéla, Atlantico, 16/10/2011 : http://www.atlantico.fr/decryptage/elements-langage-primaire-ps-holland-aubry-mode-emploi-203608.html
« « Un temps de président » : la communication politique dans le collimateur », 08/10 /2015, France 24 : https://www.youtube.com/watch?v=yP9TfAWTVeA
« Doc Hollande : dictée d’éléments de langage (F3) », Arretsurimage.net, 29/09/2015 : http://www.arretsurimages.net/breves/2015-09-29/Doc-Hollande-dictee-d-elements-de-langage-F3-id19305
Crédits images :
– Le Monde, L’actu en patates, Martin Vidberg
– Ray Clid
– Kit Repas Famille : www.gouvernement.fr
– Chaunu

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Politique

Nouveau look pour un nouveau poste

 
Cristina Cordula travaille-t-elle tapie dans l’ombre de la classe politique ? C’est ce qu’on pourrait penser aux vue des efforts de nos politiciens. On se souvient du régime drastique de François Hollande avant la campagne présidentielle et des lunettes vertes d’Eva Joly. Aujourd’hui, c’est au tour de Ségolène Royal de changer.
En effet, la nouvelle ministre de l’écologie arbore depuis son arrivée au gouvernement un nouveau chignon. Un détail pourrait-on penser. Mais le diable est dans les détails, particulièrement lorsqu’il s’agit de communication politique. L’image et l’apparence en politique sont parties prenantes de la popularité.

Fini les cheveux aux vents et les tenues blanches et rouges de 2007 qui lui donnaient des airs de de jeunesse fonceuse et de Marianne souvent moqués par les Guignols.
Ségo a désormais muri et tente de le prouver en arborant un look à base de chignon, d’étole sobre et de discrètes perles blanches, qui lui confère une image rassurante et assagie, presque maternelle. Des atours qui rappellent ceux de Simone Veil, icône progressiste.
Elle se positionne d’ailleurs comme une « femme d’Etat » selon son expression. Le coté maternel du look s’accorde avec son intention d’« écouter les gens, de faire attention à eux ». Un attachement à l’apparence, à l’image et aux mots qui porte ses fruits ; La troisième du gouvernement a fait un bon de douze points dans les sondages.
L’apparence est donc en politique plus que jamais reliée à une personnalité et une ligne idéologique que l’on cherche à défendre. Il en va de même pour le style vestimentaire de notre premier ministre. Ancien champion de la chemise et de la cravate colorée, Valls joue maintenant la carte de la sobriété. Il en va de sa réputation de sérieux.

Avec une ambition peu cachée de reconquérir le Sénat, à quand le régime de Gérard Larcher ?
Sources
LeTélégramme
HuffingtonPost
Closer
LeNouvelObservateur

Dieudonné
Société

Circulez, Dieudonné

 
Manuel Valls s’en est mêlé : le 6 janvier, il envoyait une lettre aux préfets afin de leur rappeler les voies légales pour faire interdire les spectacles de Dieudonné, ce contre quoi l’humoriste a répondu qu’il contesterait en justice toute interdiction de son spectacle.
 Que contenait plus particulièrement cette circulaire ?
 Tout d’abord, plusieurs rappels concernant le trouble de l’ordre public. En témoigne un résumé du communiqué du ministère de l’intérieur, le trouble à l’ordre public peut se traduire par « des troubles matériels qu’un tel spectacle est susceptible d’induire » ou par le fait que « le spectacle constitue en lui-même un trouble à l’ordre public, dès lors qu’il porte atteinte par sa teneur à la dignité de la personne humaine. »
 Ensuite, la circulaire précisait les motifs de la « condamnation » de Dieudonné. Les spectacles de l’humoriste contiendraient « des propos antisémites et infamants à l’égard de plusieurs personnalités de confession juive (…) et des atteintes virulentes et choquantes à la mémoire des victimes de la Shoah. »
 La question qui se pose alors est celle de la liberté d’expression. Manuel Valls irait-il à l’encontre de l’un des grands principes de notre République ? Certes, le ministre nie cette idée-là. Néanmoins, si le juge administratif donne tort aux maires et aux préfets suite à la déposition par Dieudonné d’un référé au tribunal administratif pour contrer les interdictions, ce sera bien une atteinte à la liberté d’expression. Certes, « la liberté est la règle. » Néanmoins, « l’interdiction est l’exception » ainsi que l’affirme Emmanuel Daoud,  avocat au barreau de Paris et membre de la Fédération internationale des droits de l’Homme.
 
Juliette Courtillé
Sources :
Lexpress.fr
Crédit photo :
Huffingtonpost.fr
 

Hollande
Politique

L’humour du chef

 
Le président Hollande a fait une blague lundi soir à l’occasion du retour de Manuel Valls après son voyage en Algérie, précisant que celui-ci était rentré « sain et sauf. » Les réactions ont été vives en Algérie, les journaux nationaux y ont critiqué le mépris du président Français pour l’Algérie. Le ministre algérien des affaires étrangères Ramtame Lamamra a qualifié cette plaisanterie « d’incident regrettable. » Au delà de la simple maladresse, une véritable question se pose : un président peut-il être drôle ? L’humour, mode de communication perçu de manière positive dans la vie quotidienne, peut-il être porté à la tête de l’État ? La parole présidentielle concernant un nombre important de personnes, le président doit-il sacrifier au prix de certains un humour qui plaira à d’autres ? Et il semble qu’aujourd’hui le second de degré et l’humour aient laissé place à la vexation et aux regrets. Plus symptôme de relations diplomatiques tendues que d’une maladresse communicationnelle, cet incident vient illustrer une communication politique de plus en plus pointilleuse. L’humour doit être encadré, extrêmement contextualisé, comme on peut l’observer lors du dîner de la presse après l’investiture des présidents américains.
Car au-delà de ce simple incident communicationnel c’est bien la personnalité du président, connu pour son humour, qui rentre ici en jeu. Du rire consensuel, à la vexation susceptible, faire rire au sommet de l’État aujourd’hui n’est pas une mince affaire.
 
  Arnaud Faure
Sources
Lejdd.fr
Libération.fr
Lexpress.fr
Crédit photo : Alain Jocard, AFP

François Hollande
Politique

L’Homme sans com’

 
La popularité de François Hollande est au plus mal. Il est récemment tombé à 26 % d’opinions favorables, un record d’impopularité pour un président de la Ve République dans l’histoire des sondages BVA. Le franchissement de cet énième seuil est le symbole du désamour entre le Président et les français. Et si le problème était surtout communicationnel ?
DÉROUTE
Il faut dire que depuis cet été les couacs et polémiques s’enchaînent dans les médias, donnant l’impression d’une véritable cacophonie au gouvernement. Entre la déconvenue de François Hollande sur la pause fiscale, le bug des résultats du chômage en août causé par SFR, le conflit Duflot-Valls et la polémique sur les Roms, celle sur Léonarda, la révolte bretonne et la reculade du Premier Ministre sur l’écotaxe, l’exécutif se noie dans une parole qui tend à réagir dans l’urgence.
Concernant l’affaire Léonarda, la maladresse de François Hollande n’a pas seulement été le choix d’un entre-deux douteux, mais surtout de s’être directement adressé à la jeune adolescente devant les caméras, établissant un dialogue surréaliste rythmé par les chaînes d’information en continu, abîmant au passage son statut de chef d’Etat.
Quant à la reculade concernant l’écotaxe en Bretagne, toutes les tentatives d’en minimiser les conséquences ne parviendront pas à stopper les procès de la droite en indécision et en manque d’autorité. Elle risque par ailleurs de compromettre toute tentative de réforme d’ici les municipales.
Enfin, même la libération des otages français au Niger n’a pas profité à François Hollande dans les sondages et ce malgré tout le dispositif communicationnel engagé. Selon Le Parisien, plus de la moitié des Français (54%) estiment que François Hollande a joué un rôle qui n’est « pas important » dans cette libération.
Finalement, ces affaires successives donnent l’impression d’un « exécutif girouette » et rendent la politique gouvernementale inaudible et sans visibilité.
Sans oublier le reproche majeur que l’on fait à François Hollande, hautement communicationnel : son soi-disant problème d’autorité. Le fait est qu’il a rarement recadré fermement ses ministres devant les caméras. Mais il est loin de manquer d’autorité. Libération a d’ailleurs rapporté les propos d’un ministre :
« Hollande est sur notre dos en permanence. Qui, au gouvernement, n’a pas pris un SMS sur la gueule ? (…) Il sait aussi être très méchant. »
La vraie question est donc la suivante : peut-il vraiment se passer de la mise en scène de son pouvoir, et donc de son autorité ? François Hollande a choisi une autorité plus moderne , mais il doit convaincre qu’à terme, elle sera plus efficace.

L’AXE HOLLANDE-VALLS
Au chapitre des choix communicationnels douteux du Président, l’axe Hollande-Valls est incontournable. Ce choix est stratégique : c’est de leurs différences, de leur « complémentarité » que vient la nécessité de leur « mariage » (Libération).
La rigidité de Valls sur les questions d’intégration et d’immigration sert de rempart contre les critiques de la droite sur le laxisme. Là ou Hollande cherche à incarner l’apaisement et l’espoir en faisant toujours preuve de prudence, Valls va « affronter frontalement ses positions », selon un ministre. Sa virtuosité en communication compense les lacunes du Président.
On peut néanmoins s’interroger sur la pertinence de ce choix. La popularité de Valls est loin d’avoir l’effet contagieux escompté sur celle de Hollande, sans doute car l’impression est donnée que c’est François Hollande qui s’aligne sur Manuel Valls, et non l’inverse. Hollande aurait même confié, selon Le Canard Enchaîné : « Ça me fait de la peine de constater à quel point Manuel ne pense qu’à lui ».
Par ailleurs, le tandem que forme Hollande avec Manuel Valls escamote celui qu’il devrait former avec Jean-Marc Ayrault. Cela n’a rien d’étonnant : le premier ministre joue son rôle de fusible en assumant seul la ligne sociale-démocrate.
PERSPECTIVES
Il semblerait finalement que François Hollande paye toujours le prix de son pari risqué d’une présidence normale, qui comme on le constate aujourd’hui, ne désignait pas un retour à la figure présidentielle gaullienne que les français ont toujours aimé admirer.
François Hollande a fait le pari d’un renouveau de la culture démocratique : puisque la société française évolue vers une organisation sociale horizontale plutôt que pyramidale, la monarchie républicaine à la française devait être abolie.
Ce pari était risqué, la majorité des français n’étant pas prêts, en période de crise économique et sociale, à renoncer au mythe de l’homme providentiel. Il aurait sans doute été avisé que François Hollande choisisse d’incarner ce rôle.
Denis Pingaud, dans son récent ouvrage L’Homme sans com’, analyse la politique communicationnelle du président :
« En se débarrassant volontiers de tous les colifichets trop voyant de la communication, le Président remet la politique au centre. Mais, ce faisant, l’homme sans com’ oublie que la communication n’est pas un don mais un métier ».

François Hollande veut privilégier la politique sur le spectacle, mais il oublie que la politique aujourd’hui est du spectacle. Electorale, la politique est image. C’est ici peut-être son erreur la plus fondamentale.
Elle peut lui être fatale, le risque étant que l’impopularité du Président devienne le marqueur de sa personnalité politique. Mais L’Homme sans Com’ se défend.
« J’essaie de trouver l’équilibre, qui n’est pas facile, entre l’expression franche de qui je suis, de ce que je pense, et la représentation symbolisée qu’impose la présidence de la République ».
Si Aristote faisait de la tempérance une vertu, dans le monde politique d’aujourd’hui, un tel positionnement risque néanmoins de manquer de force communicationnelle.
 
Clarisse Roussel
Sources :
Libération – Hollande Valls mairage de raison
Libération – Manuel Valls les coups de force permanents
Libération – Le président recadre de l’intérieur
Libération – Hollande un chef qui ne dit pas son nom
Libération – Le président comme si de rien n’était
Le JDD – Sondages
Le Monde – François Hollande le président le plus impopulaire de la Ve
Le Monde – La méthode Hollande critiquée
La Croix – Le recul de l’écotaxe fragilise encore François Hollande
Le Parisien – La libération des otages ne profite pas à Hollande
Photos :
Une – AFP
François Hollande – Lnt.ma
Caricature – Dessin de Mis et Remix paru dans l’Hebdo, Lausanne

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bilan communucatione du gouvernement
Politique

L’an I du gouvernement : quel bilan communicationnel ?

Ca s’est passé jeudi dernier : l’agence Vae Solis, cabinet de conseil en stratégie de communication et gestion de crise, a publié la quatrième édition de son étude sur la communication des hommes politiques, intitulée « 1 an d’action, 1 an de communication : qui sont les meilleurs communicants ? ». Un rapport remarqué, qui met à l’honneur trois personnalités du gouvernement ainsi que les têtes montantes de l’UMP : Manuels Valls, ministre de l’Intérieur, caracole en tête du classement tandis que le suivent de près Jean-Yves le Drian, ministre de la Défense, et Christiane Taubira, ministre de la Justice et Garde des Sceaux. La quatrième et cinquième place sont respectivement occupées par Bruno Le Maire et Nathalie Kosciusko-Morizet, symboles de la « nouvelle génération des quadras de l’UMP ». Selon les mots mêmes du président de Vae Solis Corporate, Arnaud Dupui-Castérès, le rapport souligne que « contrairement aux années passées où la forme et les « coups » médiatiques semblaient l’emporter dans l’appréciation générale, l’avantage ait été ici donné au sérieux et à une communication centrée sur le fond, l’argumentation, la maîtrise des dossiers, la défense des idées…» L’étude se base sur les avis de quarante journalistes de la presse, de la radio et de l’audiovisuel français, et se décline en cinq étapes précises : le top 5 et le flop 5 de la communication des personnalités politiques, les pronostics quant à la prochaine nomination à Matignon et la candidature UMP pour 2017, la personnalité montante, le bilan de l’an I de François Hollande et enfin le best-of des avis sur les personnalités étudiées. Dans cette optique, quelles conclusions tirer d’une telle étude ?
Tout d’abord, le top 5 fait apparaître un besoin de sérieux et d’une communication de fond, qui s’accompagne d’action et de volontarisme politique.
C’est ainsi qu’on retrouve en tête du classement un Manuel Valls qui est vu comme le favori, avec Michel Sapin et l’outsider Martine Aubry, pour la succession de Jean-Marc Ayrault à Matignon. A noter aussi que celui-ci échappe de justesse au flop 5, avec une note de seulement 4,62 sur 10. Manuels Valls, grand gagnant de ce classement, peut se targuer d’une communication en osmose avec son action place Beauvau : il incarne l’autorité républicaine à laquelle aspirent les Français, réussissant la symbiose parfaite entre les idéologies de droite et de gauche. En ce sens, il répond très bien aux aspirations d’un électorat indécis, qu’il soit déçu par la politique sociale-démocrate d’un Président plus frileux (sans surprise cependant) que prévu sur les questions économiques et sociales, ou qu’il craigne la trop grande tolérance de la gauche gouvernementale sur des questions de sécurité, qui restent une préoccupation essentielle des français. Selon l’étude, le storytelling de Manuels Valls est à la fois ferme, clivant mais efficace. Il maîtrise la forme et donc la communication de crise, faisant entendre une parole forte et claire, et donc rassurante. Mais il marque aussi des points sur le fond, en apparaissant comme un homme de convictions, avec une ligne politique solide. Cependant, l’enquête a été réalisée avant les événements du Trocadéro qui ont suivi la victoire du PSG : or ces incidents ont entamé la cote de popularité de Manuels Valls, fustigé par la droite pour son inertie et son incompétence face aux casseurs.
La grande surprise de ce classement reste néanmoins la seconde place accordée à Jean-Yves Le Drian, discret ministre de la Défense, qui a tiré son épingle du jeu de la guerre au Mali. « C’est la vraie surprise. Il n’a pas une exposition médiatique et je ne suis pas sûr qu’il ait une notoriété. Mais les experts interrogés ont identifié chez lui une maîtrise de sa communication politique et des sujets de fond », analyse Arnaud Dupui-Castérès. La rupture avec l’ère Sarkozy est ici pleinement consommée : après un interventionnisme forcené et une présence hypermédiatique favorisant souvent le discours et les mots forts, la nouvelle majorité gouvernementale a joué le jeu d’un volontarisme somme toute assez consensuel, dans la lignée d’une présidence voulue « normale ». Un positionnement communicationnel qui n’est pas surprenant de la part d’un gouvernement bien souvent perçu, dans ses décisions et prises de positions, comme plus technocratique que politicien.
La troisième place attribuée à Christiane Taubira ne surprendra, cette fois-ci, personne. La ministre de la Justice a pleinement profité du boulevard médiatique qui s’est offert à elle avec le projet de loi du mariage pour tous, grand fer de lance du gouvernement en cette première année de mandat. Ses discours fleuris et enflammés à l’Assemblée Nationale et au Sénat ont fait d’elle l’idole des pros mariage pour tous, et elle a pu démontrer autant sa compétence et sa connaissance de ses dossiers que sa volonté de se positionner comme un élément fort du gouvernement.
L’enquête fait la part belle à Nathalie Kosciusko-Morizet. En plus d’être désignée comme la personnalité montante de manière assez unanime (ce qui, à l’aube des municipales de 2014, n’est pas vraiment une nouvelle surprenante), les journalistes interrogés la voient bien se présenter à l’investiture présidentielle pour l’UMP en 2017. De manière assez conventionnelle et presque caricaturale, les journalistes perçoivent en elle l’incarnation d’un renouveau de la droite. A la fois ferme et naturelle, elle a l’avantage d’un style original et d’une solidité intellectuelle. « Dans un monde politique d’hommes », (on avait vu les mêmes arguments à l’époque de Ségolène Royal), elle sait user de détermination, de courage, de modernité. En cela, elle saurait presque « séduire » une partie de l’électorat de gauche, notamment la classe énigmatique des « bobos parisiens ». Son acolyte Bruno Le Maire est lui aussi décrit comme un quadra rafraîchissant, qui prend des risques au sein de sa famille politique par ses positionnements et qui à la politique idéologique substitue la politique pragmatique. La place des choix personnels face aux positionnements partisans est un véritable plus qui les positionnent en tête de classement, quand Jean-François Copé ou Christian Jacob trottent en fin de cortège.
Enfin, l’enquête se propose de faire un bilan de la première année du quinquennat Hollande. Qu’en retient-on ? Dans ses rapports avec la presse, François Hollande bénéficie de la mauvaise image de son prédécesseur. Quand Sarkozy privilégiait la séduction ou la confrontation avec les médias, Hollande oppose une proximité placide, une distance contrôlée et bienveillante. Pour autant, les journalistes n’hésitent pas à pointer le manque de cohérence de son discours et l’absence notable d’un cap clair à sa politique, qui noient bien souvent son discours. La « présidence du consensus » reste un fait : le leadership présidentiel, la parole assumée, claire et haute, ce n’est pas pour maintenant. Il privilégie le temps long à la réaction politique immédiate, ce qui peut être parfois mal perçu par l’opinion publique, qui est en quête de réponse et de volontarisme politique notable surtout en période de crise sociale, économique, politique et institutionnelle. La « présidence normale » était une stratégie communicationnelle gagnante en temps de campagne car elle avait un contrepoint : la présidence hyperactive d’un Sarkozy dont le bilan plus que moyen permettait de proposer de vraies alternatives constructives et construites. Mais aujourd’hui, la France de la Vème République, sans réelle surprise, attend un Président dont la communication soit forte et symbolique, elle attend un homme exceptionnel dans sa normalité, car telle est la fonction qui lui est assignée. Comme le souligne l’étude, la normalité devient alors « l’alibi de l’impuissance » et ce n’est plus sa personnalité mais sa stratégie et son action politique qui sont sévèrement critiquées.
Argumentée et bien construite, cette enquête cède néanmoins aux sirènes de la communication alors qu’elle essaie paradoxalement d’en montrer les ficelles. Parce que le panel des journalistes est réduit (une quarantaine), que la diversité de la presse n’est pas représentée et surtout parce que l’enquête cible seulement les journalistes, l’étude vire plus au décryptage qu’à l’enquête scientifique précise. La présence d’un verbatim rassemblant les meilleures « catch phrases » à propos de certaines personnalités (« Quand il parle, on décroche…et plus il parle, plus on décroche ! » – à propos de Jean-Marc Ayrault) montre que ce travail, qui se propose d’analyser des discours et des stratégies communicationnelles, se base en fait sur des propos déjà chargés de valeur ajoutée, des propos stylisés et marqués par l’analyse journalistique.
En période de crise sévère, qui ne peut plus être simplement réduite au volet économique, il aurait été plus intéressant, si ce n’est plus décent, d’analyser l’impact de la communication des personnalités politiques auprès de l’opinion publique. Car si ce n’est envers les citoyens électeurs, à qui se destine la communication des personnalités de l’espace publique, dont les journalistes ne sont que le relais ?
Laura Garnier
Sources :
Le rapport de Vae Solis
Libération
Le JDD 

Politique

La Valls-mania : splendeurs et misères d’un virtuose de la communication

Camps de roms, émeutes, violences urbaines, tueries policières… L’effervescence politico-médiatique autour du Ministre de l’Intérieur révèle une fascination pour celui qui fut aussi le directeur de communication de la campagne de François Hollande,  à tel point que certains le rêvent déjà à Matignon.
 Comment ce virtuose de la communication parvient-il à incarner la figure du chef dans un gouvernement en recherche de leadership ?  Si l’actualité brûlante et le charisme du Ministre pèsent lourd dans la balance, M. Valls est toutefois parvenu à se tailler, seul,  un costume de leader du gouvernement.
Depuis l’été, les projecteurs sont braqués sur lui. Toujours  plus populaire, l’« hyperministre » ne cesse de séduire l’opinion et l’exécutif, et de s’attirer les sympathies de l’opposition. C’est à l’Université de la Rochelle que le  phénomène Valls s’est  déployé dans toute sa splendeur, à travers un discours ferme, aux accents sécuritaires : « Je continuerai à mener le démantèlement des campements là où il y a de la misère sociale et sanitaire, de l’insalubrité. » Manuel Valls, adepte des formules grinçantes, a même tonné que la gauche devrait rétablir l’ordre républicain dans les quartiers où il y a « un ordre de la jungle ».

Le Ministre de l’Intérieur a profité d’une actualité estivale ultra-chargée.  Des émeutes d’Amiens en août aux règlements de compte en série à Marseille, en passant par les manifestations islamistes ou le double meurtre d’Echirolles, Manuel Valls  a pu mettre en œuvre son art de  manier le verbe et de maîtriser l’image, revêtant le costume du tribun et séduisant les médias. Il aurait ainsi donc  tenu le pari de l’alchimie complexe qu’est la communication politique, alors que les courbes de popularité de l’exécutif s’affaissent.

Cet accomplissement scelle une longue métamorphose, si on se souvient des premiers pas de M. Valls en politique à la tête des jeunes socialistes européens. Toutefois, il ne suffit pas à étouffer certains paradoxes : il n’est en effet  pas rare de lire dans la presse que la femme du Ministre, Anne Gravoin, influence les prises de position de son mari avec, dernièrement, une sortie  sur la « tolérance zéro » envers les SDF “fleurissant” sur les trottoirs, suite à une brève agression de la violoniste dans la rue. Si le Ministère a assuré qu’il n’y aurait aucune mesure privative, on se souvient  des déclarations de Mme Valls cet été à propos de la femme de Jean-Marc Ayrault,  affirmant qu’il était plus glamour d’être violoniste que « prof’ d’allemand ». Autant de couacs qui pourraient finir par porter préjudice à l’image de son mari.

Dans un paysage politique où le Premier Ministre peine à incarner l’autorité auprès de ses ministres, Manuel Valls apparaît, d’une certaine manière,  comme son héritier naturel, se saisissant des valeurs de courage et de fermeté dans un contexte de violences urbaines. Il joue aussi le rôle de l’homme d’action dans  un gouvernement trop souvent taxé d’ « attentisme ».

 Danaé DM