la santé n'est pas un luxe
Société

Quand Médecins du Monde rencontre IAM

En cette fin d’année 2014, l’heure est au bilan : entre épidémies, catastrophes naturelles, conflits, pauvreté ou encore précarité, les nombreuses ONG se sont mobilisées afin d’aider au mieux les populations touchées. Du virus Ebola en Afrique de l’Ouest aux camps de réfugiés syriens, en passant par les populations des pays sous-développés, ces organismes ont pour but d’apporter l’aide nécessaire et d’améliorer les conditions de vie des populations dans le besoin à court et long termes. Pourtant, malgré leur présence, encore 1 personne sur 5 n’a pas accès aux soins. Et c’est encore trop.
La force des mots
C’est ce que dénonce justement la dernière campagne de Médecins du Monde, conçue par BETC : dans deux spots TV, entre autres, elle met en scène Luka, petit garçon à la rue et Myriam, jeune haïtienne, enceinte de sept mois vivant dans un bidonville. Face caméra, plan serré, le champ s’élargit : leur regard planté dans le nôtre et les mots prennent tout leur sens. Cette campagne rend aux paroles des classiques de la chanson française toute leur profondeur en les ancrant dans un contexte réel, celui de l’injustice.
Parce que « Médecins du Monde soigne aussi l’injustice », elle cherche à nous sensibiliser aux difficultés d’accès aux soins dans certains pays notamment en France. Ce qui nous paraît pourtant être le b.a.-ba n’est parfois pas une évidence pour certains. D’après le rapport de l’Observatoire de Médecins du Monde, la pauvreté touche plus de 3 millions de personnes en France et la précarité ne cesse d’augmenter.

Des chiffres alarmants en France
L’année dernière, 29 960 personnes dont 3 760 mineurs se sont déplacées dans les centres d’accueil et d’orientation de MdM dont 97% vivent en-dessous du seuil de pauvreté. Pour ces personnes, l’accès aux soins est rendu difficile par les démarches administratives et les pratiques abusives. D’autre part, une grande partie des patients de l’ONG sont des étrangers : de fait, ils sont écartés du système de soins de par leur situation irrégulière et à cause de la politique migratoire très répressive. Les jeunes ne sont pas, non plus, épargnés et le nombre de mineurs qui fréquentent les centres de l’organisation est en constante augmentation.
Ces personnes en difficulté rencontrent aussi des problèmes de logement. Face à l’augmentation des expulsions sans solutions de relogement, la plupart d’entre elles deviennent sans-abris, n’ont pas ou plus de couverture médicale et dans cette situation, se soigner n’est plus une priorité. Et c’est la raison pour laquelle Médecins du Monde veut sensibiliser les publics au problème de la précarité sur lequel nous sommes nombreux à fermer les yeux et aussi inciter aux dons en cette période de fêtes de fin d’année.
Un problème international
Si la France connaît actuellement une période de forte précarité, à l’international le problème est plus grave encore : risques sanitaires, épidémies et catastrophes naturelles. MdM est présente dans 44 pays allant de l’Amérique Centrale, à l’Europe de l’Est en passant par l’Afrique, le Moyen-Orient et l’Asie. Dans la plupart des pays concernés, la population vit en-dessous du seuil de pauvreté, où l’accès aux soins est tout aussi problématique que l’accès à une alimentation saine, à une eau salubre et à l’éducation. Par exemple, le risque pour un enfant de mourir avant l’âge de cinq ans est huit fois plus élevé en Afrique qu’en Europe. De plus, la proportion de personnel médical pour le nombre d’habitants est largement inférieure à celle d’autres pays: on trouve plus de 400 médecins pour 100 000 habitants en Norvège contre 5 au Burkina Faso. Cette inégalité face à la médecine ne fait que creuser le fossé de l’injustice que l’ONG tente de réduire à travers quatre grandes priorités d’actions : les soins aux migrants et déplacés, la promotion de la santé sexuelle et de la reproduction (SSR), la lutte contre le VIH, la réduction des risques et enfin, les crises et conflits.

Des campagnes toujours plus percutantes
MdM nous a toujours habitué à des campagnes chocs et touchantes dans lesquelles on retrouve toujours cette notion d’injustice. En effet, l’ONG nous pousse à nous poser des questions sur notre condition en tant qu’être humain mais surtout sur celle de nos voisins, celle des populations obligées de fuir leur pays en guerre ou encore celle des victimes de pandémies. Toujours empreint de sarcasme subtil, le message véhiculé par Médecins du Monde a pour but de faire réagir face aux problématiques démographiques et sanitaires d’aujourd’hui.

Cette campagne s’inscrit donc dans la continuité et se veut toujours aussi touchante. Ici, la force des mots alliée aux imaginaires liés aux classiques français lui confère profondeur et intensité. Une campagne qui se démarque par son originalité et sa mise en perspective. Un réel électrochoc en cette période de fêtes de fin d’année, haute-saison de prise de parole des ONG : avec Reporter sans Frontières et sa campagne « Great People » mettant en scène Vladimir Poutine, Amnesty International en décembre 2013 avec sa campagne de sensibilisation sur le sort des sans-abris ou encore Les Enfoirés qui se produisent sur scène (émission télévisée et tournée dans toute la France), la période des fêtes de fin d’année reste un véritable terrain d’expression pour ces organisations, qui misent sur notre générosité et sur notre propension à être plus sensible aux tourments de nos semblables.
Stratégie marketing ou simple altruisme ?
Enfin, pour ceux qui souhaitent faire un don, c’est par ici !
Alizé Grasset
Sources :
medecinsdumonde.org
who.int
Crédits photos :
meanings.fr
capitainecourageux.files.wordpress.com
cbnews.fr
z-factory.blogspot.fr

Communication humanitaire - médecin du monde
Société

Mea Culpa et course aux likes : les nouveaux ressorts de la communication humanitaire

 
Deux regards noirs, presque accusateurs. Voilà comment Médecins du monde s’associe à l’agence Meanings pour sa nouvelle campagne de communication lancée début décembre 2013. Des yeux qui nous fixent et un slogan évocateur – « Médecins du monde, médecins de tout le monde » – qui permettent d’interpeller le public, de l’inclure, de le faire se sentir concerné. Les ONG l’ont bien compris : la période des fêtes est un moment clé pour faire appel à la générosité des gens, en témoigne la présence massive des bénévoles les plus convaincants à la sortie des magasins dans lesquels on vient de se ruiner en cadeaux. Se servir de « la magie de Noël » pour stimuler les dons, une pratique certes efficace, mais aussi dérangeante.
A qui la faute ?
Dans le cas de la campagne de Médecins du Monde, il semble surtout que l’on cherche à nous rappeler à l’ordre, voire à nous faire culpabiliser. Or cette culpabilisation des publics paraît être un levier de mobilisation de plus en plus utilisé par les ONG, seul moyen d’escompter une réaction suffisante. Face à un public extrêmement sollicité, presque blasé, et pour répondre à des prérogatives financières de taille, on n’hésite plus à tomber dans le pathos quitte à perdre de vue l’objectif d’information sur l’action menée. De plus en plus minimaliste, cette partie purement indicative qui permet de comprendre le champ d’action d’une organisation est délaissée au profit de slogans laconiques sur fond d’images choc. C’est d’abord d’un point de vue éthique qu’il faut interroger ces méthodes de sensibilisation qui font d’un citoyen un acteur cynique transformé en « juge pénitent » à l’image de J.-B. Clamence (cf. La Chute, de Camus).
Cette question est d’autant plus délicate qu’elle amène à parler conjointement d’humanitaire et de « stratégie » marketing et communicationnelle, des termes qu’il semble malsain d’associer. Diabolisée et assimilée à de la manipulation pure, la communication est pourtant centrale pour les ONG qui existent grâce aux dons et qui sont donc tributaires de leur image. Nombreuses à intervenir dans l’urgence, elles sont obligées d’être réactives pour mobiliser rapidement (on pense à Haïti ou aux Philippines cette année).
L’humanitaire 2.0
Heureusement, les avancées technologiques font bien les choses, et les réseaux sociaux représentent aujourd’hui un terrain privilégié pour sensibiliser l’opinion publique. Ils permettent à la fois de donner une voix aux organisations dans l’instant, pour le cas des catastrophes naturelles par exemple, et de maintenir un lien permanent avec les utilisateurs qui « suivent » ou « aiment » leur page. Les ONG prouvent par là qu’elles sont dans l’air du temps et leur approche les rend plus susceptibles de capter un large panel de personnes, lesquelles sont par là très accessibles. En un simple « like », chacun peut affirmer son soutien, voire parfois même « donner » un euro à une cause. L’emploi des guillemets est bien de circonstance puisqu’on ne donne pas directement d’argent à titre individuel, comme on le voit pour le partenariat entre la Fondation de France et l’entreprise américaine de médicaments Vicks. Ici, à chaque « like », l’entreprise s’engage à verser un euro à la Fondation de France. On se doute que le geste du citoyen n’a pas de réelle incidence et que le partenariat financier est déjà scellé entre les deux protagonistes, qui se sont accordés sur la somme maximale de 30 000 euros (cf. en bas à droite de l’affiche). Cette campagne « participative » sert simplement de vitrine à ce mariage de courte durée (nous n’avons qu’un mois et demi pour cliquer !).

De l’activisme désengagé
Si elle permet de fédérer un plus grand nombre de personnes pour une cause, cette pratique achève aussi de dématérialiser l’action humanitaire. On en vient à réduire l’engagement à un simple « like », purement fictif donc quelque part futile. Ce militantisme exclusivement virtuel est désigné sous le nom de slacktivisme, contraction de « slacker » – comprenez « fainéant » en anglais – et d’activisme. Par le simple fait de publier une photo, de signer une pétition en ligne ou de re-tweeter, on peut se donner bonne conscience en se satisfaisant d’avoir fait un geste soi-disant solidaire. Déculpabilisé, l’internaute peut donc s’en retourner à sa vie réelle sans scrupules après avoir effectué sa BA du jour.
Le grand expert en la matière, c’est le site avaaz.org, ONG cybermilitantiste qui « permet aux citoyens de peser sur les décisions politiques » par le biais notamment de pétitions. Si la méthode peut effectivement se montrer efficace (Amnesty International l’a prouvé maintes fois), elle n’offre pas de réponse concrète aux populations en détresse, ce qui est peut-être la véritable priorité.
Cette course aux likes fait dévier les campagnes de sensibilisation vers une communication du vide, qui, passée l’émulation des débuts, pourrait finalement nuire aux ONG.
 
Elsa Becquart
Sources :
AVAAZ.org
Owni.fr – Gladwell, réseaux sociaux et slacktivisme
Cassandria.wordpress.com – Quand la com des ONG dessert les humanitaires
Meanings.fr
Crédits photos :
Campagne d’affichage Meanings (Nicolas Moulard)
Campagne Vicks « Soigner, soulager et accompagner les nouveau-nés, les enfants et les adolescents gravement malades ou en fin de vie »