Politique

En rase campagne

 
Alors qu’il ne nous reste plus qu’une poignée de soirées endiablées à passer avec la tata mélenchoniste et l’oncle bleu marine pour savoir quel billet glisser dans l’urne, de nombreux sondages convergent vers une tendance commune : les Français ne s’intéressent pas à cette campagne présidentielle — ou du moins peu.
En effet, un rapide comparatif entre les chiffres de 2007 et de 2012 permet de jauger ce décrochage en matière d’intérêt. Une étude de la TNS Sofres datée du 4 avril 2007 (avec un premier tour qui se tenait déjà un dimanche 22 avril) révèle que 78% des interrogés se déclaraient alors « intéressés par la présidentielle ». Une étude similaire menée par CSA pour BFM TV le 2 avril 2012 place le curseur une douzaine de points plus bas avec 66% d’ « intéressés ».
Plus inquiétant que l’écart en lui-même, la dynamique des résultats de ces sondages s’avère être préoccupante. En 2007, on pouvait observer un intérêt croissant à mesure que l’échéance électorale approchait. Pour la campagne qui se joue aujourd’hui sous nos yeux c’est tout le contraire qui semble se passer. La plupart des instituts de sondages (TNS Sofres, CSA ou Opinion Way) dévoilent des chiffres qui indiquent clairement un désintérêt croissant pour la présidentielle de 2012. Ce recul s’est opéré au début du mois de mars. En effet, Opinion Way note un repli de plus de 6 points en terme d’intérêt sur les deux premières semaines de mars — même constat pour TNS Sofres (4 points de perdu en deux semaines).
À rebours, les résultats de 2007 faisaient de ce tournant de février/mars le moment clé où l’intérêt pour la présidentielle décolle : en effet, en l’espace de ces deux mêmes semaines, on assistait à un gain de 8 points, pour ensuite atteindre son apogée lors de l’entre deux tours.
Plusieurs raisons peuvent être évoquées pour tenter d’expliquer ou de dédramatiser ce snobisme assumé des Français envers leur campagne présidentielle.
Tout d’abord, il faut prendre garde à ne pas forcer les comparaisons entre les élections de 2007 et celle de 2012. En effet, celle qui s’apprête à se jouer est avant tout l’élection d’un potentiel renouvellement de mandat pour un candidat Sarkozy quasiment assuré d’être au second tour. Dans le même temps, son principal adversaire — François Hollande — a été placé par médias et instituts de sondages dans la position parfois peu confortable du favori incontesté. Ainsi l’élection — les premiers et seconds tours — semble être jouée avant même l’ouverture des bureaux de vote plaçant les électeurs dans une douillette salle d’attente où il serait de toute façon trop tard pour changer les règles du jeu.
Au contraire, en 2007, le renouvellement politique s’apprêtait à être total avec la potentialité de voir revenir la gauche au pouvoir après plus de 12 ans d’absence ou bien avec l’avènement d’une nouvelle génération droitière incarnée par Nicolas Sarkozy et d’autres jeunes loups de l’UMP tels Jean-François Copé. L’excitation et l’enjeu en étaient alors sûrement renforcés.
Ensuite, les derniers évènements — notamment l’affaire Merah et ses suites — ont déplacé le curseur des thèmes de campagne vers le sécuritaire et la défense de la République délaissant ainsi crise économique et dette. Le candidat de l’UMP — et président sortant — mène désormais la danse et impose le tempo évitant soigneusement de s’égarer vers l’économie étant donné l’état de son bilan, pas vraiment reluisant sur ces sujets.
François Hollande choisit lui de laisser parler, se projetant déjà dans une position de président hypothétique au-dessus de la meute, évitant ainsi le débat avec son principal concurrent dans une course qui a du mal à s’accélérer. Le candidat de la rue de Solférino ayant fait de l’anti-sarkozysme son axe de campagne principal a évincé de fait les huit autres participants de la fête — s’auto-persuadant de sa présence au second tour. Alors, il entend garder ses cartouches pour la confrontation directe de l’entre deux tours qui l’opposera — selon lui — à Nicolas Sarkozy.
Lionel Jospin avait en 2002 opté pour cette même stratégie, en restant fixé sur le rendez-vous du deuxième tour face à Jacques Chirac avec la réussite désormais légendaire que l’on connait. À force de ne pas occuper le terrain, « Yoyo » s’était retrouvé évincé du duel final par Jean-Marie et son oeil de verre — aidé par l’affaire du Papy Voise et l’éclatement des voix à gauche.
Enfin, il serait aussi possible de pointer le rôle du CSA qui assure une répartition strictement égale du temps de parole entre les dix candidats pour le dernier mois de campagne .Certes, d’un point de vue strictement démocratique, la démarche est louable et sans doute souhaitable notamment pour permettre aux petits candidats d’exister. Cela a pu notamment permettre à chacun d’entendre Jacques Cheminade narrer le rôle de la Reine d’Angleterre dans le trafic d’opium mondial ou encore l’absolue nécessité de conquérir Mars. Avec cette image encore tenace d’une Elizabeth II fusionnée avec un Al Pacino époque Scarface, cette répartition stricte rend effectivement moins visibles les confrontations et clivages de campagne entre les principaux candidats.
Ainsi la campagne perd un peu son souffle puisque chacun se trouve avec la possibilité d’exprimer ses thèmes respectifs, menant à une impression de fouillis avec d’innombrables débats annexes qui empêchent de fixer des enjeux clairs sur lesquels chaque candidat pourrait exprimer ses différences et convictions — projet que François Bayrou tente de mener à terme en proposant un débat avant le premier tour avec les dix aspirants présidents. Reste enfin à savoir si ce désintérêt latent mènera à une abstention record pour l’élection pivot d’un pays centré sur les présidentielles.
 
PAL
Crédits photo : ©AFP PHOTO PHILIPPE

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