Edito

Penser la déconnexion ou ramer

 
Plus de 60% des français ont « envie de se déconnecter », c’est une des conclusions d’une étude réalisée par Metrix Lab pour Havas Media ce mois. Cela a fait du bruit. Stratégies a notamment titré cette semaine : « la France des déconnectés », expliquant : « à la précédente fracture numérique est en train de substituer un fossé entre les surconnectés est les déconnectés volontaires. » Si raisonner en typologies est souvent intéressant, ce ne nous semble cependant pas être la méthode idoine ici.
En effet, quand plus d’un français sur deux exprime la même peur ou la même envie sans que cela ait été vu auparavant, il s’agit certainement de s’interroger de manière différente, et donc d’admettre qu’il y a sans doute un problème plus large et général avec Internet. La même enquête MetrixLab informe en effet que 74,8 % de ceux qui se déconnectent le font « car ils se trouvent trop sollicités, reçoivent trop de messages, de publicités ». Cette donnée nous semble être particulièrement intéressante. Qui, en effet, ne s’est jamais senti épuisé, ou du moins fatigué, face à la déferlante d’information et de sollicitations sur la toile ? Personne, ou presque, probablement.
Les communicants et publicitaires ne sont évidement pas seuls en cause, les phénomènes de saturation se produisant très bien sans eux, sur les réseaux sociaux notamment. Toutefois, ils doivent désormais s’efforcer de la jouer fine s’ils veulent marquer des points. C’est d’ailleurs une des conclusions de Dominique Delport, PDG de Havas Media France, qui préconise une communication digitale « subtile et travaillée » pour rattraper les déconnectés volontaires. En fait, ce conseil est probablement valable pour la quasi-totalité des internautes, les déconnectés volontaires étant sans doute des pionniers, dont la réaction exprime un malaise largement ressenti, ce que tend à prouver le chiffre, déjà mentionné ci-dessus, de 60 % de français envisageant de se déconnecter.
Internet et le Web sont très jeunes, les réseaux sociaux le sont encore plus. Tout est à apprendre et tout y évolue sans cesse. Les hommes et femmes politiques le savent d’ailleurs bien. Ils se souviennent du lynchage de Frédéric Lefebvre à son arrivée sur Twitter, ou des difficultés de Cécile Duflot à construire un positionnement adéquat sur le même réseau social à ses débuts au Ministère de l’Égalité des territoires et du Logement. Il s’agit donc d’admettre en premier lieu toute la difficulté de la réussite d’une communication digitale, tant du point de vue de l’émission que de la réception. Si Internet et le Web sont des outils très excitants, il est aussi tout à fait possible d’y gâcher son temps, son argent, voire sa réputation.
D’où l’intérêt de la recherche et de l’enseignement en communication. Loin des faiseurs de How-to books en tous genres, les chercheurs tentent d’appréhender les phénomènes de communication dans toute leur complexité, notamment sur Internet. C’est clairement la seule voie crédible dans ce métier, comme dans beaucoup d’autres. Si l’on imagine mal un ingénieur ou un médecin se montrer compétent et digne de confiance sans un bagage théorique solide et une mise à jour fréquente de ses connaissances, on a également du mal à penser qu’un communicant puisse réussir durablement s’il se contente de courir après les concepts à la mode, sans connaissances ni véritable compréhension de son métier.
Cette connaissance et cette compréhension font bien voir leur nécessité dans un cas comme celui de la déconnection volontaire des internautes. Alors que sont chantées depuis plusieurs années les louanges du numérique, que l’on annonce une révolution de la communication et du marketing toutes les deux semaines, et que certains font fleurir des concepts à une vitesse inversement proportionnelle à la densité de leurs réflexions, on se trouve soudain face à un problème qui renverse le tout et rend inévitable un vrai travail intellectuel. Seuls ceux qui seront en mesure de le faire, c’est-à-dire d’affronter la complexité des choses, seront en mesure d’apporter les réponses adéquates. Les autres ? Ils peuvent d’ores et déjà se mettre en quête d’un canot de sauvetage.
Romain Pédron