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Miss Irak: ISIS, gloire et beauté

Les élections de Miss et autres concours de beauté ont été au coeur de l’actualité people de ce mois de décembre. Iris Mittenaere, couronnée Miss France le 19 décembre dernier, sèche encore ses larmes de joie; Miss Univers 2015 a eu un large retentissement médiatique, dû au moins en partie à l’énorme fail de l’animateur Steve Harvey, qui ne sait plus très bien où se mettre depuis. En revanche, l’élection de Miss Irak a davantage fait couler d’encre chez les spécialistes du Moyen-Orient que dans la presse à sensation.
C’est peut-être parce qu’elle impressionne peu ici, en Occident, où l’on est habitués à ces cérémonies terriblement kitsch, pleines de paillettes et de sourires forcés. Peut-être parce qu’on s’en fiche, au fond, de l’élection d’une pouliche dans un pays lointain. Mais l’histoire a montré que l’Irak n’est pas n’importe quel pays lointain. L’Irak, c’est la guerre contre Daesh, l’instabilité sociale chronique, les violences quotidiennes faites aux femmes. La tenue de Miss Irak 2015 n’est donc pas anodine. Et pour cause, pour la première fois depuis plus de quarante ans, l’Irak s’autorise cette fantaisie, ce spectacle qu’on veut présenter comme une bouffée d’air frais, la preuve que « la vie continue ». Une belle jeune femme de vingt ans du nom de Shaymaa Qassim Abdelrahman a été élue à Bagdad, choisie pour renvoyer au monde l’image d’une Irak moderne et dynamique. La Miss s’est déclarée « très heureuse de voir que l’Irak va de l’avant, grâce à dieu » (AFP). Message d’espoir ? Simple diversion ? On s’interroge.
Un message clair: Life goes on

Les élections de Miss diffusent rarement une image très positive de la femme, et comme le dit Faisal Al Yafai dans les colonnes du quotidien The National, « pas besoin d’être féministe pour détester les concours de beauté ». D’autant plus qu’on y célèbre la beauté féminine à l’occidentale, loin de déclencher un quelconque phénomène d’identification chez les Irakiens. Mais au-delà de ces considérations que l’on pourrait avoir dans bon nombre de pays du monde, il y a quand même la volonté – louable – de faire respirer un peu la population, de la faire rêver de tapis rouges et de reconnaissance internationale. Entre deux attentats-suicides, les Irakiens ont pu se plonger dans les grands yeux verts de Shaymaa Qassim et oublier un instant les morts et la violence. Certes, pas de défilé en maillots de bain. Évidemment, même toutes habillées, les candidates ont fait l’objet de nombreuses attaques; en ne portant pas le voile lors du concours, et voulant promouvoir l’image de femmes indépendantes et épanouies, elles ont régulièrement reçu des menaces de mort. Plus de 150 de ces candidates se sont retirées de la course, craignant pour leur vie. Donneurs de leçons, conservateurs et extrémistes religieux qui peuplent aussi le pays rejettent catégoriquement cette initiative de la femme moderne, trop occidentalisée, trop souriante peut-être.
Une élection-diversion au milieu du chaos

Si depuis 1972 aucune véritable élection de Miss Irak n’a eu lieu, c’est parce que le pays est plongé dans un chaos qui n’en finit pas de durer. L’invasion par les États-Unis en 2003, sous le fallacieux prétexte d’un maintien de la paix dans la région, a eu de lourdes conséquences sur le développement économique. L’Irak traverse depuis de nombreuses années une période désastreuse sur le plan humanitaire, qui empêche une élévation du niveau de vie moyen et perturbe la paix sociale. L’insurrection djihadiste, qui est finalement la conséquence de cette crise
prolongée, est une source supplémentaire de difficultés et monte sournoisement les irakiens les uns contre les autres. Il est évident que l’élection de Miss Irak n’a pas grand chose à voir avec ces problématiques géopolitiques. Mais il se trouve qu’elles ne sont pas sans lien avec le recul significatif des droits des femmes dans le pays ces quinze dernière années. La constitution post-2003 fait complètement abstraction des efforts de protection de la femme qui avaient existé jusqu’à lors, sous un statut juridique établi lors de la fondation de la République de 1958. Les protections légales contre le mariage précoce et le divorce arbitraire ont été complètement édulcorées et n’ont qu’une valeur à peine symbolique. Le congé maternité n’existe plus; sans parler d’un taux d’emploi des femmes désespérément bas.
Il a donc fallu à Shaymaa Qassim Abdelrahman un courage indéniable pour mener à bien sa candidature, et pour finalement parvenir à la victoire en ignorant les menaces de mort et d’enlèvement de Daesh. C’est d’ailleurs ce courage qui pourrait faire parler d’un signe de progrès, d’espoir, d’une bonne nouvelle en somme. Il est toutefois nécessaire de souligner que l’Irak devra actionner un long processus de mise en perspective de l’image de la femme pour espérer un jour que l’élection d’une Miss devienne aussi peu significative en Irak qu’en France.
Mariem Diané
Sources:
Courrier International, Moyen-Orient: Miss Irak est de retour et ce n’est pas une bonne nouvelle
The National, Why the Miss Irak beauty pageant offers merely a sham of stability
L’Express, Miss Irak: le pays a élu sa première reine de beauté depuis 45 ans
Clarionproject.org, ISIS Warns Iraqi Beauty Queen: Join Us or We Kidnap You
Crédits photos:
Reuters/Ahmed Saad Photo

Election de la première Miss Irak depuis 40 ans


Camp de civils en fuite des combattants djihadistes: © Gerard GUITTOT/REA