Montcuq
Agora, Com & Société

À 46€/Litre : Montcuq ne manque pas d'air

 
« Je respire à pleins poumons l’air (pur) de Montcuq », déclarait d’un ton goguenard à la caméra l’humoriste Daniel Prévost en 1976. C’était lors d’un reportage mythique du « Petit Rapporteur » consacré à cette minuscule bourgade lotoise au nom bien potache : le village de Montcuq.
Daniel Prévost était alors à mille lieues de se douter que, pas moins de 37 ans plus tard, en novembre 2013, un ancien étudiant en communication de Toulouse, Antoine Deblay, lui donnerait la réplique en décidant de commercialiser pour de bon « l’air (si) pur » de
Montcuq. Mais alors, pour reprendre la vanne de Prévost, « quelle est la spécialité de Montcuq », si ce n’est, justement, la communication autour d’un nom qui prête à sourire ?
Quelle est la « spécialité de Montcuq », si ce n’est, dès lors, de proposer un marketing territorial assez inédit, un marketing purement toponymique ? Et d’ailleurs, plus généralement, ce coup de pub insolite n’est-il pas révélateur du pouvoir incontestable de la Communication, indépendamment-même de l’objet dont elle fait la promotion ? 
C’est ce que nous vous proposons de voir à travers l’étude de ce coup de com incroyable.
L’Air de Montcuq, une spécialité insolite ?
C’est ainsi qu’Antoine Deblay, originaire dudit village, a décidé de prendre au mot le sketch de Prevost et de mettre véritablement en vente en ligne des boîtes de conserve d’une contenance de 250 ml remplies de l’« air pur » (et certifié « 100% bio »!) de Montcuq. En effet, dès fin juin 2013, le site de financement participatif Kisskissbankbank lui avait permis de faire appel à l’humour et à la générosité des internautes et de récolter ainsi plus de 800€ en l’espace d’un mois. Il a immédiatement investi cette somme rondelette dans la commercialisation (mise en boîte, étiquetage, maintenance du site web – pages Facebook et Twitter, également-) de cette fragrance lucrative pour le moins insolite, l’« Air de Montcuq ».
 

Zoom sur Montcuq
Zoomons sur la boîte.
Emmagasiné dans des boîtes de conserve de petite contenance (250 mL), cet air frais certifié « 100% bio » serait, rappelons-le quand même, « conditionné à la main à Montcuq ». Or, Antoine Deblay, en bon fanfaron et en commerçant consciencieux, pousse la plaisanterie jusqu’à satisfaire aux exigences du développement durable. Il déclare limiter scrupuleusement à 10 litres le prélèvement hebdomadaire du précieux gaz. Pour « ne pas vider Montcuq de son air », semble-t-il. Brasser de l’air « 100% bio » n’est pourtant pas donné : 5€ (auxquels il faut ajouter des frais de ports de 5€50). Ce qui nous fait du 42€ le litre d’« air pur » de Montcuq. Malgré ce prix exorbitant, les commandes affluent et les billets pleuvent : 70 boîtes ont été vendues à ce jour. Mais comme on dit, l’argent n’a pas d’odeur, alors que l’air de Montcuq, lui, oui.
 
L’Air de Montcuq, que du vent ?
Trêve de plaisanteries. Ce commerce florissant aux allures de poisson d’avril est tout à fait révélateur du pouvoir de la communication.
Aussi révélateur que peut l’être ce célèbre conte de Hans Christian Andersen, « Les habits neufs de l’empereur », réinterprété – il est vrai – assez librement. Dans ce conte, deux talentueux charlatans parviennent à faire se balader le roi entièrement nu après avoir prétendu qu’ils lui ont vendu un tissu précieux fait d’une étoffe quasi transparente. La morale, à nouveaux frais, est très simple : une bonne communication, même autour de rien et d’une absence de produit, peut beaucoup.
Est-il alors nécessaire de rappeler cette fameuse campagne d’affichage publicitaire de 1953, campagne « GARAP » lancée en l’honneur de de la Semaine mondiale de la publicité ? La vérité de cette campagne finit par se savoir, ce produit « GARAP » dont tout le monde avait nécessairement très vite entendu parler et que tout le monde avait fini par convoiter n’existait pas, et le mystérieux acronyme ne signifiait rien. C’était une campagne simplement destinée à signifier la (toute-)puissance de la publicité en ce milieu de XXe siècle.
Osons l’irrévérence, l’air de Montcuq n’est pas simplement le point de cristallisation d’une infra-ordinarité qui surpasse ses droits et qui fait de l’air un produit de luxe. L’air de Montcuq est un véritable objet d’art, insaisissable, unique et authentique (« à ne consommer qu’une fois » rappelle la boîte de conserve). La boîte d’air de Montcuq (2013) d’Antoine Deblay comporte donc quelque chose d’insaisissable et de purement contemporain – outre la cristallisation insolite des infinies potentialités de la publicité en régime médiatique -, à la croisée d’une non-oeuvre telle que l’«exposition sur le vide» (1957) de Klein (dont elle aurait pu être un bibelot) et de la banalité vulgaire du ready-made « Fontaine » (1917) de Duchamp.
Après ce coup de pub récent et lucratif, coup de com génial signé Deblay, en 2013, une chose est sûre : Montcuq a bon dos et ne manque pas d’air. Voilà au moins de quoi, pour ce patelin au nom de postérieur, asseoir un moment sa postérité.
 
Matthieu Parlons
Sources :
France3 Midi-Pyrénées
Wikipedia
Crédits photos :
Image de Une : Plaque d’entrée de la ville de Montcuq, le 6 octobre 2007 (TRAVERS ERIC/SIPA).
Boîte d’air de MontCuq : Site d’Antoine Deblay – airdemontcuq.fr