Dossiers et conférences

Qwant : la France à la conquête du web

 
Ce jeudi avec Edouard Deflandre, penchons-nous sur Qwant : nouveau bijou du web qui a la particularité d’être d’origine française. Si l’informatique n’a jamais réellement fait partie du patrimoine français, ce moteur de recherche pourrait bien permettre à l’Hexagone de rattraper son retard. Mais il semble difficile d’imposer, voire de créer un style Made in France sur ce marché complexe et largement américain.
Petit dernier de l’IT française (Information Technology), Qwant a produit à la fin de l’hiver ses premiers bourgeons. Il aura fallu deux ans à l’équipe de Jean-Manuel Rozan pour faire germer leur idée, dévoilant au public la version bêta de ce moteur de recherche nouvelle génération, alliant comme des pétales cinq champs de recherche associés aux couleurs des lettres du googlesque logo de Qwant : web (vert), live (orange), social (bleu), shopping (jaune) et media (rouge). Alors, Qwant représente-t-il le fleuron de l’industrie de l’information et de la technologie française, se pose-t-il en fleuret menaçant pointé vers les gigantesques séquoïas qui dominent la forêt du web, ou ne sera-t-il qu’un flirt éphémère entre la mode et le web voué à se faner lorsque l’hiver sera venu ? Quoi qu’il en soit, de rapport affectif en considérations stratégiques, la fleur Qwant génère un certain émoi dans la blogo-clairière depuis son éclosion.
Du social et du shopping
 
Ceux qui auront apprécié Inception se rappelleront sans doute de la métaphore de l’idée et de la graine : lorsque une idée prend racine, même le Round’Up Monsanto est impuissant à la désherber. C’est un peu pareil pour Qwant. Le moteur de recherche repose sur une idée en béton : le web s’est imposé comme la place publique globale et le plus grand centre commercial du monde, il faut donc adapter ses structures à ce constat. Éric Léandri et Jean-Manuel Rozan, bien conscients de cet état de fait, décident de construire un système dans lequel la part belle serait faite à ces deux mamelles du web des années 2010. Lorsqu’ on y pense, la question est incontournable : comment se fait-il que les moteurs de recherche ne permettent pas de s’informer directement dans les réseaux sociaux ? Tout le monde communique, Twitter est devenu la première source d’information d’un grand nombre d’internautes, et notamment des journalistes, friands d’information fraîche et fluide. Jean-Manuel Rozan déclare dans une interview que “Google nous cache des choses”, et soutient sa théorie, a priori fantasque, en avançant un argument de poids : le géant américain a (paraît-il !), des billes dans le marché des réseaux sociaux avec son poisseux Google+. Il rechignerait donc à publier, lors d’une recherche, les résultats provenant de ses concurrents Facebook et Twitter. Drôle d’idée, mais pourquoi pas ? Au printemps de la conspiration 2.0, plus rien ne nous étonne… L’autre pan de la montagne est l’e-commerce. La recherche de produits disponibles à la vente dans Google doit bien souvent s’accompagner du mot-clef “achat”, et les résultats sont insatisfaisants au point que les internautes se rendent directement sur eBay, PriceMinister, Amazon et consorts. Le business model de Google reposant sur les liens sponsorisés, on comprend bien qu’il est impossible au géant américain de se poser en comparateur équitable de produits et de services.

Alors mettons Qwant à l’épreuve de l’utilisation, et commençons par éprouver la concurrence : tapons “Cahuzac”, puisqu’il qui défraie la chronique ces jours-ci, dans Google. Résultat : les dix premières pages regorgent de liens vers des articles dans les médias et les blogs, et pas un seul provient des réseaux sociaux, pas une page de soutien au pauvre Jérôme, un appel à dons, une collecte charitable… On peut légitimement ajouter que l’internaute moyen ne se rend jamais en page 10 des résultats Google. On obtient des résultats similaires sur Bing. Côté Qwant, c’est bien différent : la modalité “Social” de recherche déploie les tweets éclairés d’Isabelle, Florian, Matthias, Valérie et “Mélenchon actus” sur le scandale fiscal,mieux, Cahuzac est en page d’acceuil de Qwant ! Le moteur dispose en effet, sous son champ de saisie, les recherches ou les liens les plus consultés, dont on notera qu’un certain nombre commencent par le musical, téléphonique et très social caractère “#”.
En ce qui concerne le shopping en ligne, on peut également se demander si Cahuzac est à vendre ! Et l’on découvre ainsi en première page dans la colonne jaune les oeuvres complètes de Louis Cahuzac, fameux clarinettiste français, compositeur de l’étrange “Arlequin”, disponible en un seul exemplaire sur Amazon.
L’interface et les fonctions
On l’aura compris, chez Qwant, l’innovation passe par l’interface, la mise en forme et la mise en relation comme vecteurs de production de sens et de valeur ajoutée : c’est l’optique de la cross-platform. Les recherches étant modales, il était indispensable que l’on puisse en moduler l’apparence. On peut ainsi y consulter les résultats de ses recherches en colonnes et scroller indéfiniment dans les tréfonds du web. On peut aussi opter pour la “mosaic”, un arrangement des résultats les plus pertinents en boîtes, ou enfin consulter uniquement les catégories “media” ou “people” pour trouver des images et des vidéos ou des profils d’utilisateurs sur les réseaux sociaux.
On trouve un allié utile à la recherche dans les champs d’affinage de chaque catégorie. On peut ainsi, en tapant “John” dans le champ principal, se concentrer sur John Wayne dans le web, John Travolta dans l’actualité, John Kennedy sur les réseaux sociaux et John Lennon sur les sites d’e-commerce, le tout sur la même page.
Qwant dispose d’un Qnowledge Graph, une rubrique encyclopédique (dont la source principale est Wikipédia) proposant des informations générales sur le sujet de la recherche, mais cette fonctionnalité ne constitue pas une innovation frappante : elle existe sur les moteurs concurrents.
Notons également que Qwant est équipé d’un player permettant de regarder des vidéos hébergées sur les grandes plateformes (YouTube, DailyMotion…) directement depuis le site, et de les partager sur les réseaux sociaux.
Ajoutons à cela la possibilité de mettre des liens en signet et les “hot trends” dont nous avons parlé précédemment et le tour est joué : l’expérience est inclusive et englobante.
La technique et la polémique
Dès les premières semaines, Qwant a été sévèrement attaqué par les blogs informatiques et technologiques pour la concordance presque parfaite de ses résultats avec ceux de Bing, le moteur de recherche de Microsoft. Devant ces accusations de plagiat pur et simple, la direction de Qwant dément et explique que son moteur fonctionne sur ses propres algorithmes d’indexation et qu’elle achète parfois des résultats d’images à Bing pour enrichir son contenu. Qwant ne repose cependant pas sur l’API de Bing (Application Programming Interface), programme payant sur une base régulière. L’accusation est donc fondée, mais reste quelque peu absurde dans la mesure où l’on ne peut reprocher à Qwant de produire dans sa colonne web des résultats semblables aux autres moteurs. Il serait plutôt inquiétant et obscur qu’on n’y trouve que des résultats différents.

Les algorithmes de Qwant sont les suivants : un crawler, Qwantify 1.0, programme qui explore le web automatiquement et collecte des données et des contenus, et un algorithme de ranking, yourank, qui produit un classement des sites et des pages selon leur poid, leur profondeur, le nombre de liens qui y renvoient…
En bref, Qwant propose, en plus des fonctionnalités qui en font l’originalité, le package complet des éléments de base qui composent l’architecture des moteurs de recherche, même si l’on peut légitimement supposer, les budgets investis étant inférieurs à ceux de la concurrence, qu’il faudra les améliorer et les développer.
Le business model
Un élément non négligeable de la constellation Qwant, c’est Pertimm. Actionnaire de Qwant, la société se spécialise dans la conception sur mesure de solutions de recherche (et donc d’indexation) pour les sites internet. La société compte parmi ses clients Meetic, les Pages Jaunes, Monoprix et elle a conçu – les détracteurs de Qwant à la critique facile apprécieront peut-être l’information – l’intranet de la NASA. Pas de quoi rougir donc pour une société qui met à la disposition des développeurs du moteur français, certains de ses savoir-faire (dont il est difficile de déterminer lesquels). Ainsi Pertimm, qui ne travaille pas dans le bénévolat, soutient Qwant parce qu’elle y voit probablement un potentiel acteur rentable du web de demain, le “3.0”. Alors le business model de Qwant en est encore, selon Jean-Manuel Rozan, à ses tâtonnements. On sait que la publicité y jouera le beau rôle dans les espaces que Qwant ouvre pour ses utilisateurs, notamment dans les signets et le player intégré au site, où devrions-nous dire LES players intégrés au site, puisqu’il s’agit (presque) à chaque fois d’une intégration de module YouTube, DailyMotion… Qwant ne dévoile donc pas encore toutes ses cartes, et les évolutions du web dans les années à venir produiront certainement des nouveaux moyens d’engranger des revenus, de nouvelles opportunités de monétiser l’expérience de navigation.
Pour en revenir au “made in France”, on peut affirmer que, si Qwant est fabriqué en France, il est développé en partenariat avec Pertimm, entreprise mondiale, et que les méthodes de travail et de management qui ont permis son existence sont typiquement américaines. Il est évident que dans les technologies de l’information et de la communication, nos amis d’outre-atlantique construisent les normes. On peut d’autre part saluer, ne serait-ce que pour la beauté du geste et l’originalité du projet, en attendant de voir s’il portera ou non ses fruits, l’initiative bien trempée de Jean-Manuel Rozan et d’Éric Léandri. Les deux aventuriers 3.0 font désormais face à la réaction du public, qui semble pour l’instant positive : 70% des utilisateurs de Qwant reviennent. Cela suffira-t-il a terme, à se faire une place face au quasi-monopole de Google sur la recherche en France (93%) et dans le monde (75%) ? Rien n’est moins sûr, mais la présence de Qwant dans 35 pays du monde et sa disponibilité en 15 langues différentes en font un « David » crédible face au « Goliath » américain. Quand à la polémique importante que Qwant a suscité dès ses débuts, on se demande si elle relève vraiment de la maladresse. Jean-Manuel Rozan répète à longueur d’interviews qu’une “bonne polémique vaut bien mieux qu’une mauvaise pub”… Il ne nous reste qu’à lui souhaiter qu’il ait raison, et à espérer qu’on étudiera un jour Qwant sur les bancs des grandes écoles de communication françaises, navarraises et d’ailleurs. Cocorico.
 
Edouard Deflandre