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"Nipsters" ou le relooking néo-nazi

“Nipster”. Le néologisme est lâché en janvier dernier par le quotidien allemand TAZ pour qualifier la tendance qui fait irruption chez les jeunes néo-nazis. “Nipster” pour “nazi” et “hipster”, pas évident tant l’association peut surprendre !
Jusque là marginal, le phénomène ne cesse de prendre de l’ampleur : boots militaires, crânes rasés, treillis et tatouages vindicatifs ont été mis au placard au profit de tote bags à message, baskets à lacets, pantalons serrés et casquettes/bonnets. On reconnaît sans peine l’attirail de la figure urbaine, ô combien plébiscitée, du hipster.

La photographie d’un rassemblement néo-nazi reprise par le quotidien TAZ, à l’origine du terme “nipster”
Pour faire face à l’interdiction des symboles manifestes du néo-nazisme et à la récurrence des arrestations policières mais aussi pour mobiliser de jeunes recrues et se forger une image plus soignée et moins radicale, les groupes néo-nazis (allemands principalement) se sont décidés à récupérer cette culture urbaine moderne. Oubliée la panoplie de skinhead, jugée – avec beaucoup de lucidité – assez peu discrète et rassurante.
Depuis, les journalistes raillent la tendance au travers de jeux de mots douteux tels que “Fachism Week” ou “Yolocaust”. C’est le magazine Rolling Stones qui produit en juin dernier un premier papier complet, sous le titre révélateur de “Heil Hipster” pour décortiquer le renouveau cosmétique de l’extrême droite allemande, ses enjeux et ses échos.

Détournements des internautes et journalistes face à ce mouvement.
A gauche : montage anonyme.
A droite :  extraits de la webcomic “Hipster Hitler” de JC et AKP
Fashion faux pas ou non, là n’est pas la question : le plus important reste de savoir quel effet ce rebranding a sur la diffusion de l’idéologie et son intégration par les publics.
Nouveau look pour une nouvelle vie ?
« Il faudrait enfin changer de priorités et s’adresser à un plus large public. Les marches funèbres et les cérémonies en mémoire de nos héros ne nous font pas gagner de nouveaux sympathisants, tout au plus quelques nostalgiques.” Voilà ce que pointait dans un récent rapport le portail web d’extrême droite Altermedia.
Aussitôt dit, aussitôt fait. Puisque le révolutionnaire doit être dans le peuple comme un poisson dans l’eau, ainsi que le rappelait Mao, certains partisans de l’extrême-droite se sont convaincus qu’être plus proches dans le paraître du citoyen moyen faciliterait l’expansion de leur idéologie. Et le look “hipster”, c’est l’espoir d’une image « cool » et rassurante, aux antipodes de celle du peu engageant skinhead. Cette incarnation stylistique d’une rébellion soft est plus encline à mobiliser de nouvelles classes sociales telles que la petite-bourgeoisie ou la classe-moyenne supérieure. Le criminologue Nils Schuhmacher l’assure : “Ainsi, une plus grande portée de l’influence est atteinte ».
Patrick Schroeder, un néo-nazi allemand et trentenaire, est la figure de proue de cette vague “nipster”. Parfois qualifié par l’étrange oxymore de “gentil néo-nazi” dans la presse, il est connu comme le porte-parole du mouvement et aime à rappeler sa volonté de donner “un visage plus amical et plus branché” à la jeunesse d’extrême-droite. .
Cette mutation esthétique n’est pas sans laisser certains perplexes et d’autres complètement sceptiques quant à l’efficacité de cette stratégie. Ainsi, l’expert Nils Schuhmacher juge discutable la portée bénéfique de ce relooking qui occasionnerait une perte d’identité claire pour les anciens partisans. Selon lui, si “le skinhead comme figure hégémonique de la jeunesse de droite a abdiqué”, l’avenir du “nipster” en tant que successeur est encore incertain.
Politologues et spécialistes en conviennent de rappeler aux plus naïfs que “à bien des égards, le contenu n’a pas changé. Seul l’emballage change radicalement » (Thomas Pfeiffer, en charge des questions d’extrême droite à l’Université de Bochum). Et à la politologue allemande Birgit Jagush de renchérir : “l’idéologie de ces jeunes gens est contre les musulmans, antisémite et raciste ».
A la conquête du web
Cette récupération des codes hipsters ne se limite pas au style vestimentaire et chez les “nipsters”, l’amalgame est roi! La défense de la cause animale, l’intérêt pour la préservation de l’environnement ou encore le goût pour la cuisine végétarienne sont autant de points d’entrée pour apporter leur idéologie dans de nouveaux cercles. Les outils du parfait petit hipster – ou du jeune urbain plus généralement – sont réinvestis pour diffuser les discours : blogs, selfies, tumblrs, tweets, hastags…rien n’est laissé au hasard.
Les réseaux sociaux deviennent alors des armes redoutables puisqu’ils donnent de la visibilité à des contenus qui ne sont pas ce qu’ils paraissent au premier abord : sous le couvert de pop-culture anodine, on retrouve un invariable fond idéologique extrémiste. L’édulcoration de la forme des productions médiatiques, qui va de pair avec celle du look, facilite la confusion et le mélange des genres : en apparaissant moins radicales de visu, elles sont mieux véhiculées et davantage diffusées.
Patrick Schroeder présente ainsi, chaque semaine, une émission YouTube de deux heures sur sa chaîne FSN TV. Sous des apparences de show mainstream, le fond n’en demeure pas moins bassement raciste. Entre une discussion sur une série télé et la diffusion d’un morceau de rock néo-nazi, le jeune homme clame ses revendications extrémistes à coup de « si le Troisième Reich était si terrible, il aurait été renversé » ou “Obama est le président nègre de l’Amérique ». Ces apparitions médiatiques, qui donnent une image moins violente du mouvement (sur la forme, bien entendu) que d’autres manifestations, ont permis à Patrick Schroeder de devenir une figure appréciée de l’extrême droite.

On retrouve également plusieurs tumblr neo-nazis – à l’image de Kindstattgross – qui proposent un savant mélange d’images doctrinales : photographies historiques, illustrations street modernes et saynètes instagramées à grand coup de filtre artistique. Et puisque ces images ne délivrent pas forcément leur message idéologique directement, soudain règne la confusion. Le danger de ces contenus esthétisés et détachés de tout (con)texte est qu’ils risquent d’être malencontreusement récupérés par des personnes qui n’en perçoivent pas la portée “cachée”. Certains messages restent toutefois limpides : on retrouve sans peine des contenus fascisants et racistes – « Mixing the races? no more white faces », “I love being white”…

Capture d’une vidéo de cusiniers néo-nazis végétariens. Le slogan pour la défense de la cause animale
« Kein mensch ist illegal » (Tout le monde a le droit d’exister) est inscrit sur leur tee-shirt au dessus du visage d’Hitler.
Vous avez dit ironique ?
Le paroxysme du mélange des genres et le summum de la confusion est atteint avec Balaclava Kueche, une chaîne de cuisine végétarienne. On y retrouve deux jeunes neo-nazis, cagoules et tee-shirts à l’effigie du Führer fièrement arborés, en train de donner leurs astuces cuisine et de soutenir les messages d’extrême-droite. La cohérence dans tout ça ? On la cherche encore.
On peut également noter le Harlem-shake, rattaché au mouvement, qui culmine à plus de 100 000 vues sur Youtube et prône, entres autres messages provocateurs, le sexe non-protégé avec des nazis. On peut aussi signaler l’arrivée et l’expansion du hastag #nipster sur Instagram et sur Twitter.
Simone Rafael, la rédactrice en chef du portail internet Netz Gegen Nazis (réseau contre les nazi donc), juge cette évolution esthétique et médiatique très habile car elle permettrait d’attirer l’attention du public de façon subtile et douce. Plus de soft power pour une idéologie plus ravageuse, en somme.
Si l’on observe indéniablement (et heureusement) un manque de cohérence et d’organisation au sein de ce nouveau mouvement, il s’agit de rester prudent face à la réalité du besoin d’identification des jeunes, à l’amalgame gargantuesque causé par internet et les réseaux sociaux et à la récupération inopinée de discours pour ne pas donner de nouvelles voix à une idéologie qui n’a de changé que la forme.
Pour s’épargner une chute consensuelle à base de “rappelons que l’habit ne fait pas le moine”, nous reprendrons l’expression très juste de Felix Dumont : si le loup a cessé de se déguiser en agneau, c’est qu’“aujourd’hui, il se déguise en mouton.”
Tiphaine Baubinnec
@: Tiphaine Baubinnec
Sources :

liberation.fr
thisisego.com
lalibre.be
slate.fr
rollingstone.com
Crédits images
nipsterwear.com
hipsterhitler.com
lalibre.be

Société

Un passé qui ne passe pas

Le Frankfurter Allegemeine Zeitung a lâché une véritable bombe le 26 avril dernier: Horst Tappert (1923-2008), l’homme qui a incarné pendant un quart de siècle (1974-1998) et 281 épisodes le célèbre inspecteur allemand Derrick, aurait été, en 1943, engagé dans les Waffen-SS.
Quand la banalité du mal se cache derrière celle du bien
Le coup est d’autant plus rude que la série est chargée en symboles. Diffusée dès le début des années 70, elle a contribué à améliorer l’image du pays, marqué par la « banalité du mal », notamment à travers les valeurs incarnées par son personnage clé : un peu terne, conservateur mais honnête et travailleur. Diffusée dans 102 pays, la série illustrait le succès du « made in Germany ».
A l’annonce de la nouvelle, la consternation est grande, particulièrement en Allemagne, où Horst Tappert est une icône télévisuelle. En Bavière, on envisage de lui retirer le titre de « commissaire honoraire de la police bavaroise » qui lui avait été décerné en 1980. Les différentes chaînes de télévision déprogramment les épisodes qu’elles devaient diffuser. « Nous ne voulons pas honorer un acteur qui a menti de cette façon sur son passé », explique le producteur de la chaîne norvégienne Max. Ces décisions suscitent nombre de polémiques.
Entre éthique et politiquement correct
Il ne faut bien sûr pas omettre le devoir de mémoire. Un tel passé ne peut être mis sous silence, et à coup sûr, les habitués de la série auraient désormais porté un autre regard sur leur inspecteur préféré. L’affaire pose en effet un problème d’éthique : peut-on continuer à accepter sur nos écrans un ancien nazi ? D’autant que la série fait face à un paradoxe assez gênant, puisque Derrick se caractérisait par son pacifisme, sa volonté d’éviter l’usage des armes, et sa lutte quotidienne pour la justice. Clin d’œil sadique du nazi, ou marque d’un caractère pacifiste en rédemption ? La réponse est peut-être effrayante… ou non. C’est bien ce qui dérange : on n’en sait rien.
C’est pourquoi les médias et les politiques sont accusés de ne réagir que conformément à la « bien pensance », en tenant le même discours diabolisateur. Le politiquement correct prend (encore) le pas sur l’analyse et la réflexion. Or on est à même de se demander si le passé certes trouble, mais non complètement élucidé, de Horst Tappert justifie cette diabolisation. « Les documents dont nous disposons pour le moment ne permettent pas de comprendre les circonstances de son engagement, ni s’il a été soumis à des pressions au moment de s’engager », explique au Spiegel l’historien Jan Erik Schulte. De fait, la réponse n’est pas simple.
Une polémique née de faits encore flous
Historien spécialiste du nazisme, Guido Knopp estime qu’«on ne doit pas se précipiter pour le clouer au pilori», en rappelant que la Waffen SS était une «troupe criminelle» mais que tous ses soldats n’étaient pas forcément coupables d’exactions. En effet, de grandes zones d’ombre demeurent ; Tappert a-t-il intégré cette division par conviction ou par pressions ? En effet, si jusqu’en 1940, la Waffen-SS est exclusivement constituée de volontaires devant prouver leur filiation aryenne, ce n’est plus aussi vrai trois ans plus tard. Face au manque de troupes, elle renonce à l’engagement volontaire et élargit le recrutement.« La pression pour devenir Waffen-SS était très forte en 1943, surtout sur les jeunes hommes », souligne l’historien allemand.
Pourtant, cette complexité de l’affaire ne transparaît pas dans les médias, au vu des titres de presse de ces derniers jours. La communication est claire : le sujet est tabou. 70 ans après, il effraie toujours, ce qui explique l’ampleur des réactions ; Tappert est un nazi, on l’enterre et on n’en parle plus. La honte d’avoir encensé un nazi pendant des années, de n’avoir rien vu, la peur de ces souvenirs qui hantent encore notre inconscient collectif,… beaucoup de choses expliquent la construction de ce tabou. La prégnance dans les esprits européens d’un passé qui ne passe pas est encore bien visible.
D’ailleurs, cette posture pseudo-éthique oublie non seulement que l’on ne connaît pas toute l’histoire, mais oublie plus largement l’Histoire elle-même en alimentant le portrait manichéen de cette Allemagne du début du siècle : les soldats allemands semblent avoir, aux yeux des journalistes européens, acquis le monopole international de l’horreur. Or il est peut-être dangereux de réduire la barbarie humaine au nazisme.
D’où les interrogations qui entourent l’arrêt des diffusions de Derrick : peut-on aller jusqu’à bannir complètement un acteur et sa série ? Peut-on s’asseoir sur la série, instrument de la réhabilitation d’une Allemagne salie par les crimes du nazisme ? Nier complètement cette deuxième existence de Tappert, celle que l’on connaît le mieux, ne pourra pas, à priori, nous apporter la « rassurance » dont on a encore besoin.
 
Bénédicte Mano