La « neutralité du Net »… on en a déjà entendu parler, c’est le genre d’actualité à laquelle on ne prête pas vraiment attention, un peu comme le conflit israélo-palestinien et toutes ces autres choses qui paraissent beaucoup trop compliquées pour que l’on daigne ouvrir nos écoutilles. Et pourtant, ce n’est pas faute de couverture médiatique, de nombreux travaux journalistiques tentent d’expliciter cette affaire et de sensibiliser le public à cette cause, sans grand succès.
Alors la neutralité du Net, qu’est-ce que c’est ? C’est l’un des principes de base de l’Internet : un Internet neutre où toutes les informations circulent à vitesse égale à travers les « bandes passantes », ces immenses tuyaux qui font circuler l’information en ligne. Ainsi, que l’on soit un membre des « GAFA » ; acronyme désignant à l’origine Google Apple Facebook et Amazon, mais qui est de plus en plus utilisé comme un synonyme pour désigner tous les géants du Net à mesure qu’ils se multiplient, comme Twitter et Youtube par exemple ; ou une petite entreprise, ou une association, ou encore un particulier, nous empruntons tous la même autoroute de l’information. Seulement, il y a de plus en plus de poids-lourds sur la route, Youtube par exemple occupe 13% des bandes passantes pour ses contenus vidéos volumineux et très fortement consultés. Cela entraîne un surcoût pour l’entretien et le développement des bandes, et c’est ainsi qu’aux Etats-Unis, l’organisme en charge des télécommunications, la Federal Communications Commission (FCC), entreprend de réformer l’accès à aux bandes, notamment par la création d’offres différenciées.
Certes, aujourd’hui le débat est centralisé dans le pays de l’oncle Sam, c’est à cause de l’arrivée de Netflix et de son accaparement de 32% des bandes passantes, selon le cabinet Sandvine, mais puisqu’Internet est partout, sa neutralité nous concerne tous. En 2012 par exemple, les spécialistes du numérique s’interrogeaient déjà sur le sujet sur le site Owni.
AVOIR FACEBOOK SANS AVOIR INTERNET
La fin de la neutralité du Net ce serait donc des offres différenciées, un système de péage, amenant à un Internet à deux vitesses, entre ceux qui pourront payer plus cher un débit de connexion plus rapide et un accès illimité, et les autres.
Concrètement, cela instaurerait un filtre dans lequel seuls les grands groupes marchands, comme les GAFA, pourraient entrer. Les petites boutiques en ligne et les sites à but non-lucratif (associations, forums, blogs) n’auraient pas les moyens de s’offrir la voie rapide sur Internet et seraient relégués sur les petites routes départementales. L’accès à Internet ne leur serait pas refusé mais leurs sites seraient si longs à charger qu’à terme ils finiront par perdre en visibilité et par disparaître. En effet, les internautes ont perdu l’habitude d’attendre que la page charge et ne tardent pas à aller voir ailleurs. De nos jours, Internet et rapidité vont de pair, alors ralentir quelque-chose revient pratiquement à le faire disparaître. Quant à nous, internautes, nous aurons à choisir entre plusieurs forfaits Internet. Comme le vendeur en informatique nous demande ce que nous recherchons comme type d’ordinateur, le fournisseur d’accès nous demanderait quel usage on souhaite faire de l’Internet : les mails, Facebook, Wikipédia, les sites d’information, Youtube… Vous pourriez avoir Facebook sans avoir Internet, ou envoyer des mails qui, pris dans les embouteillages, mettront plusieurs heures voire jours avant d’atteindre leurs destinataires.
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Les bandes passantes sont saturées, elles demandent plus d’entretien, la FCC a besoin de lever de nouveaux fonds, sa réforme tient, en tous cas sur le papier. Dans les faits, elle se heurte à plusieurs réalités.
– A terme, cet Internet à deux vitesses se transformerait en une immense galerie marchande, où tous les sites se devraient d’être ou commerciaux, ou bardés de publicité, pour rentabiliser le péage versé aux « FAI » pour fournisseurs d’accès à Internet.
– Il n’y aurait plus d’Internet du savoir, d’Internet des connaissances, d’Internet citoyen et participatif. Cet Internet-ci serait tellement lent que les internautes finiraient par ne plus s’en servir.
Et pour une fois, citoyens et grandes entreprises se rangent du même côté : comme Google qui a récemment pris position pour la défense de la neutralité du Net, la plupart des entreprises de la Silicon Valley ont un système économique qui est fondé sur les contenus postés par les utilisateurs. Ce sont les « UGC » pour User Generated Content, dont ces entreprises se font les curateurs, les éditeurs, les hébergeurs et les distributeurs. Comme Youtube qui attend qu’un internaute poste une vidéo et nous oblige à visionner des publicités avant de pouvoir y accéder, toutes ces entreprises ont besoin de la créativité des internautes pour la monétiser et être rentables. Sans la masse d’internautes elles ne seraient rien. Ainsi, sans la neutralité du Net elles ne seraient rien non plus.
Et c’est ainsi que le 10 septembre 2014, le mouvement Internet Slowdown a été lancé : aux Etats-Unis, des milliers de sites se sont mis à fonctionner au ralenti le temps d’une journée, afin de montrer à leurs utilisateurs à quoi ressemblerait l’Internet de demain et les sensibiliser à la cause. Parmi eux : Tumblr, Netflix, Digg, Mozilla, YouPorn, Etsy, Kickstarter, Vimeo… Google a également récemment pris position pour défendre l’Internet innovant et citoyen qui est permis par la neutralité du net.
En définitive, imposer un accès différencié, autant dire discriminé, au Net, irait à l’encontre des principes fondamentaux de l’Internet et des libertés. Internet construit comme outil de démocratisation de la culture, permettant au savoir et à la connaissance de circuler à travers les distances géographiques mais surtout par-delà les frontières sociales, serait bafoué. Et l’opinion publique qui se forme en ligne, serait complètement modulée par les acteurs dominants du réseau, soit, pour poursuivre le raisonnement précédent, de grands groupes commerciaux. C’est pour toutes ces raisons que depuis le 12 mars 2012 le Conseil National du Numérique – CNNum – invite le gouvernement français à reconnaître le principe de neutralité du Net comme « principe fondamental nécessaire à l’exercice de la liberté de communication et de la liberté d’expression ».
Internet est un réseau de communications où freiner revient, ni plus, ni moins, à censurer.
Marie Mougin
@Mellemgn
Sources:
HBO – Last Week Tonight with John Oliver: Net Neutrality
France 4 – Internet va t-il coûter plus cher ?
France Culture Plus – La neutralité du net, cheval de Troie de la Silicon Valley ?
Le Monde blogs – Netflix et YouTube seront-ils épargnés par la remise en cause de la neutralité du Net ?
Le Monde blogs – Neutralité du Net : Google sort enfin de son silence
Libération – L’Internet pour les riches, des JPG pour les pauvres
Les Echos – La neutralité du Net sur la sellette
Slate – Pourquoi ça rame quand je veux regarder une vidéo YouTube avec Free
RTBF – Internet Slowdown Day
La Quadrature du Net – Les failles fatales de la neutralité du Net selon le CNNum
La Quadrature du Net – Net Neutrality
Owni – La guerre des tuyaux
Owni – La neutralité cachée d’Internet
CNNum – Avis sur la neutralité du net
Sénat – Union européenne et monde numérique
Crédits Gifs:
Conférence Cross Campus (Santa Monica)
Battleforthenet.com