Agora, Com & Société

Nike, la marque à plusieurs casquettes, à l’aise dans ses baskets.

Quel est le point commun entre Lewis Hamilton, Dassault, la reine d’Angleterre, Nike et Shakira ? Tous ont fait preuve d’une inventivité spectaculaire (ou ont payé quelqu’un pour le faire) dans un même but : payer moins de taxes.
C’est ce scandale que vous entendez depuis des semaines à la radio, à la télévision, que vous lisez dans le journal, qui fait inlassablement écrire les journalistes, et qui pourtant ne change absolument pas les mentalités de la population. Ces sociétés, qui extirpent des millions, voir des milliards d’euros grâce à un système appelé prudemment « évasion fiscale » par les autorités, n’ont en effet absolument rien à craindre pour leur image.
 
Drible, feinte et contrôle du ballon
Il y a quelques semaines, vous ne saviez pas que Nike n’était pas seulement doué pour fabriquer des baskets. En effet, la marque à plusieurs casquettes excelle aussi dans l’art de la tromperie légale. Pour faire simple, les fonds récoltés par la vente des produits Nike n’arrivent pas directement à Nike S.A.S, mais à deux sociétés. Pour les ventes qui passent par des revendeurs, la transaction se fait à la Nike European Operation Netherlands BV (NEON), et pour les ventes faites directement par la société à Nike Retail BV qui est une filiale. Puisque tous les revenus des ventes européennes arrivent aux Pays-Bas, la marque ne paye pas de taxes. De plus, dans le but de diminuer les profits faits par la société NEON, Nike se fait payer des royalties pour l’utilisation du logo, du nom, etc. Moins de profit = moins de taxes. Et en plus, ces royalties arrivent tout de même dans les caisses de Nike.
Et cela fait 10 ans que cela dure.
 

 
Tour de passe-passe en demi volée
Pourquoi un tel scandale ne rebute pas les gens ? Pourquoi acceptent-ils toujours de payer 100€ une paire de chaussures qui a couté tout au plus 25€ de fabrication ? Ok, il y a le prix psychologique, qui est le coût qu’un client est prêt à débourser pour un produit, ok, un prix élevé permet de donner de la valeur au produit, mais là, Nike va encore plus loin.
Dans les années 2000 la marque a réussi à relever la tête après les nombreux scandales l’accusant d’employer des enfants dans des conditions déplorables pour la fabrication de leurs produits. Même s’ils ont géré leur communication de crise, Nike y a laissé des plumes quant à leur image de marque. Sauf qu’aujourd’hui, on apprend qu’elle a carrément réussi à ne pas payer de taxes en Europe par des mécanismes aussi subtiles que perfides. Apparemment cela ne gêne personne. Les parents offriront quand même une paire de Jordan à leurs enfants à Noël. « C’est tout le paradoxe de cette affaire : le nom de la marque revient en boucle mais son image, elle, va rester intacte », nous dit Jean Michel Boissière à la tête de l’agence MC2 (Médias Coaching Communication) dans son du blog L’Entreprise et les médias de l’Express.
 
Quand la virgule marque des points
Alors forcément, Nike n’engage même pas de communication de crise. Il faut dire que sa marque a une telle image ancrée dans l’imaginaire des consommateurs qu’il en faudrait plus pour l’ébranler. Nike, c’est bien plus qu’une marque, c’est un état d’esprit, un manifeste à la vie, au dépassement de soi et à l’audace. Pas étonnant qu’avec des mots d’une telle portée les consommateurs achètent ses produits les yeux fermés. La marque ne se montre plus comme un simple modèle économique dans le seul but de faire du profit, mais comme un repère de valeurs et d’humanisme. Elle touche la population qui porte ce qui lui ressemble. Paradoxe, car on assiste de ce fait à un modèle complètement tourné vers l’individualisme, vers l’égoïsme d’un consommateur rationnel ne cherchant qu’à satisfaire ses propres besoins et intérêts. Qu’importe alors ce qui ne les regarde que de loin. Qu’importe si l’Etat ne touche pas les taxes qui lui sont dues, si une société qui fait déjà des dizaines de milliards de dollars de chiffre d’affaire cherche toujours à gagner plus. Qu’importe si la société triche, du moment que l’égaux si précieux du consommateur est satisfait, si la marque lui donne ce dont il a besoin : de la reconnaissance par l’acte de consommation.
C’est radical, il faut faire face au mécanisme de désintéressement de la population pour des affaires qui ne les touchent pas directement et pour une problématique qui semble au premier abord complexe et bourrée de subtilités. Cela semble rebuter un public qui ne sait même pas s’il doit vraiment s’indigner pour un tour de passe-passe qui n’a au final rien d’illégal. Pas de quoi s’émouvoir comme devant une photo d’enfant débraillé assis par terre et cousant un ballon au swot doré.
Pas de bad-buzz donc, pas de crise et de prise de conscience. D’ailleurs, la nouvelle Air Max 2017 vient de sortir, de quoi (se) faire un joli cadeau de Noël.
 
Elsa Soletchnik
LinkedIn : Elsa Soletchnik
 
Sources :

BARUCH Jérémie. « Paradise Papers » : les montages fiscaux agressifs de Nike pour éviter l’impôt en Europe. Le Monde. 06/11/17. Consulté le 22/11/17.
LUCET Elise. « Paradise Papers » : au cœur d’un scandale mondial, Cash Investigation. 07/11/17. Consulté le 22/11/17.
Annabelle. Etique. Comment Nike a été forcé de changer ses pratiques. Consoglobe.com. 11/01/2013. Consulté le 26/11/17.
THUILLIER Tiphaine. Paradise Papers : pourquoi Nike n’a rien à craindre pour son image. L’Express. 07/11/17. Consulté le 20/11/17.
Jean-Michel BOISSIERE. « Paradise Papers » : des entreprises à l’abri du fisc… et du bad buzz. L’Entreprise et les médias, l’Express. 07/11/17. Consulté le 20/11/17.

 
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Image de couverture : itep.org
Magasin nike : www.nbcnews.com

Société

Le phénomène « raffle », un nouveau marketing ?

Un phénomène au cœur de l’écosystème de la mode
« Raffle » signifie en anglais « tombola », communément traduit par « tirage au sort ». Ce système a été créé dans le domaine du streetwear, qui connaît depuis plusieurs années une reconnaissance mondiale, notamment chez la génération connectée, addict de nouveautés. Une offre inférieure à la demande est au cœur de la stratégie marketing, dans le but de provoquer chez le consommateur une frustration et, de fait, une demande toujours plus croissante. Ce principe de sélection a d’abord été démocratisé par la marque Supreme, principal inventeur de cette stratégie. La marque somme ses clients de s’inscrire au préalable pour obtenir un numéro relatif à l’ordre de passage en boutique, c’est à dire, concrètement, à leur position dans la file d’attente. Ce principe a ensuite été décliné pour les « sneakers », lors de la collaboration entre Kanye West et Adidas pour les « Yeezy ». Ce système qui mise sur une sélection aléatoire a été inventé dans le but d’éviter les rassemblements intempestifs des consommateurs au moment des « cops », c’est à dire les jours de sortie d’un modèle. Cela sert aussi à désamorcer l’économie parallèle qui s’est constituée, notamment avec la revente des produits, souvent à des collectionneurs, dont le prix peut atteindre jusqu’à cinq fois le prix initial. Une des plus grosses « raffles » organisées fut celle de novembre 2017 à l’occasion de la collaboration entre Nike et le designer Virgil Abloh, créateur de la marque Off-White. 8000 paires de chaussures (THE TEN) ont été commercialisées à Paris dans plusieurs boutiques. Cela a suscité un vrai engouement. L’inscription se faisait exclusivement en ligne par le biais de plateformes créées pour l’occasion. Pour donner un ordre de grandeur, la boutique Nike Lab, à elle seule, a notifié 80 000 inscriptions.
Ce « jeu concours » n’a rien d’une tombola comme on l’entend communément, dans le sens où le consommateur ne gagne pas l’objet en lui-même, mais le droit de l’acheter dans une des boutiques partenaires (une paire de chaussures coûte, selon le modèle, entre 120€ et 250€). A travers un système horizontal qui se veut égalitaire, l’amateur a autant de chance d’acheter sa paire que le passionné. A cette logique, se substitue en filigrane un système vertical, qui n’est autre qu’une stratégie marketing.
Un dispositif « inédit »
Ce système complexe de tirage au sort répond tout d’abord à l’impératif de commercialisation de ces modèles. Cette étape s’articule autour d’un dispositif médiatique (la plateforme d’inscription), ce que Olivier Bomsel appelle des « protocoles éditoriaux » c’est-à-dire l’ensemble des opérations « servant à faire passer dans le réel, dans le public, dans le marché, les objets dont l’existence était jusqu’alors fermée, muette, invisible ». Il distingue alors deux phases : « l’accumulation » relative à la fonction d’ « auteur », que l’on peut appeler  la phase de pré-commercialisation, initiée par Virgil Abloh et Nike. Ces derniers ont communiqué sur l’événement par le biais de plusieurs campagnes, en profitant du rôle de nombreux influenceurs sur Instagram, notamment dans le milieu du rap américain. La seconde phase est celle de « la monstration » qui correspond à la fonction d’ « éditeur ».  Dans ce cas, les boutiques partenaires se servent de la plateforme et participent à l’étape de « dévoilement » qui a pour objectif de « dessiner une aura, un environnement qui charge le produit de significations ». Il y a nécessité pour les marques et les boutiques de faire événement à travers un dispositif « exceptionnel ». Dans le cas de cette collaboration, c’est la symbolique de la rareté qui est mise en avant au travers d’un ensemble de signes.

Une orchestration de la rareté
Cette stratégie marketing a pour principal but de ritualiser l’achat grâce à un processus en plusieurs étapes. Il y a d’abord l’inscription en ligne qui nécessite de saisir dans les champs correspondants, le nom, le prénom, l’adresse mail, le numéro de téléphone portable, la date de naissance et enfin la pointure du potentiel acheteur. On note ensuite, l’envoi d’un mail de confirmation, le résultat du tirage au sort envoyé par mail ou par appel téléphonique, et enfin le déplacement en boutique où le client doit être muni d’une pièce d’identité pour acheter le produit.
L’achat du produit est d’autant plus ritualisé que l’inscription en ligne est limitée dans le temps et apparaît, pour chaque modèle, sous la forme d’un décompte à la 24h Chrono. Alors qu’une séquence commerciale (en ligne ou hors ligne) s’étend sur une  période plus ou moins longue, la première étape du processus engage le consommateur à suivre toutes les étapes, et accélère ainsi la logique de l’achat. Bien que le dispositif mobilise ponctuellement des actions rapides, l’inscription pour chaque modèle s’étend sur une période d’un mois environ et est balisée par un calendrier d’inscription et de retrait.

Le consommateur est accompagné durant tout le processus et ne cesse d’être considéré avec bienveillance. En effet, il est tout à fait intéressant de s’arrêter sur la sémantique et le ton utilisé. On note des expressions exclamatives comme « Bonne chance ! », ou « Bon courage ! », un langage classique pour charmer le consommateur en le galvanisant. Le dénouement, s’il est positif, annonce : « Félicitations ! » comme s’il s’agissait d’un don. L’intérêt des boutiques partenaires est ainsi de mobiliser pour chaque « release », chaque sortie, l’attention du consommateur en le poussant à « tenter sa chance ». Chaque sortie fait l’objet d’une publication singulière qui est elle même relayée par les utilisateurs, ce qui engendre ce que Olivier Bomsel appelle l’effet de « résonance » qui résulte « de mécanismes d’écho, de reprise, de réverbération de l’effet de sens de la première apparition ». Le tirage au sort provoque un certain plaisir d’avoir été choisi parmi la multitude des candidats en amplifiant l’effet d’exclusivité. Le consommateur est ainsi élevé au rang de privilégié, exacerbant alors la logique d’appartenance à un groupe : celui des amateurs de chaussures, voire des gagnants.
En plus d’une ritualisation, on observe aussi une personnalisation du potentiel élu. Le résultat est souvent annoncé par téléphone, média éminemment personnel, et le numéro est souvent inconnu ce qui multiple le suspense. De plus, l’objet est réservé au nom de l’acheteur pendant une courte période, une manière de dire que l’objet n’attend que son propriétaire légitime.
Cette campagne tente ainsi d’infléchir la logique commerciale en y incorporant une logique du don, dans le sens où Marcel Mauss l’entend dans son Essai sur le don. Un don n’est pas gratuit, mais pris dans un ensemble d’obligations et de contraintes. L’une de ses obligations est la réciprocité, car un don est avant tout une intention à laquelle il faut répondre. En réponse à ce « privilège » accordé au consommateur, le client ne peut ainsi qu’acheter le produit. Cette stratégie marketing feint donc un échange proprement humain (notamment par le ton et les politesses utilisées) pour y substituer une logique commerciale. Même si nous vivons dans un monde économique, on ne peut, selon Mauss, éradiquer la réalité première de l’implication du lien humain. Bien vendre c’est entretenir cette illusion. Nike et Virgil Abloh l’ont bien compris.
Mathias Breteau
LinkedIn : Mathias Breteau
Sources :

Sneakers Addict 
Bomsel Olivier, Protocoles éditoriaux, qu’est ce que publier ?, Paris, Armand Colin, 2013
Citton Yves, Médiarchie, Paris, Seuil, 2017
Mauss Marcel, Essai sur le don : Forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques dans Sociologie et Anthropologie, PUF, Collection Quadrige, 1973

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Publicité, Société

Les trans et la publicité commerciale : entre militantisme, image de marque et opportunisme médiatique

En tant que reflet supposé de nos sociétés, la publicité à le pouvoir d’orienter l’opinion publique par les représentations qu’elle propose. Ainsi, le recours plus fréquent dans les campagnes publicitaires à des membres de la communauté LGBT, en l’occurrence transgenres (personnes qui se sentent appartenir à un autre genre que celui que leur attribue leur état civil à la naissance) et transsexuels (personnes entreprenant des transformations physiques pour appartenir au sexe auquel elles s’identifient), est loin d’être anodin.
Souvent décriées ou au contraire applaudies, ces campagnes laissent rarement indifférent. On peut
dès lors interroger le rôle joué par ces récentes publicités et l’influence réciproque entretenue avec les évolutions sociétales.
Si ces campagnes apparaissent a priori comme l’un des symptômes d’une évolution des mentalités, leur pouvoir dépasse la simple fonction de miroir : ces publicités peuvent se faire le moteur des transformations positives de l’opinion aussi bien qu’elles peuvent alimenter les pires stéréotypes ou être source de confusion.
De la visibilité à la « normalisation »
Dans le cadre de sa campagne « Unlimited » sortie à l’occasion des JO de Rio 2016, Nike choisit le jeune athlète triathlonien Chris Mosier pour porter son message de marque dans un spot intitulé « Unlimited Courage ». Premier transgenre à intégrer l’équipe olympique masculine des Etats-Unis, Chris Mosier est avant tout mis avant par la marque pour ses performances physiques, sa détermination et sa capacité inspirante à repousser ses limites et non uniquement pour avoir transitionné de femme à homme. Cette campagne offre donc un regard neuf et valorisant qui, en donnant davantage de visibilité aux transgenres, permet de sensibiliser l’opinion à une question de société qui peine sortir du tabou.

 
Dans cette même optique, le choix d’égéries transgenres réalisé par des marques peut contribuer à une médiatisation positive des trans. Cela permet d’engager un processus de « normalisation » des trans dans la société, devenant plus présents, plus visibles et mieux représentés médiatiquement.
L’iconique campagne AW10 de Givenchy illustre cela parfaitement, mettant en vedette le mannequin transsexuel brésilien Lea T sans mettre pour autant l’accent uniquement sur sa transidentité.

De même, la marque canadienne de soins de la peau pour ados Clean & Clear a choisi Jazz comme égérie de sa campagne de 2015, une ado de 14 ans née dans un corps de garçon. Si ce choix peut sembler audacieux pour une marque grand public, il apparait tout à fait cohérent avec le positionnement de la marque dont le slogan est « See The Real Me » et l’objectif affirmé est d’accompagner les ados dans leur construction identitaire et l’acceptation de soi.

Enfin, on peut également penser à la surprenante et créative campagne réalisée par la marque Thinx proposant des protections hygiéniques novatrices répondant aux attentes de chacun. Intitulée « People with periods », cette campagne met à l’honneur un homme trans, le mannequin Sawyer DeVuyst.

Toutefois, les marques ne se contentent pas de servir la cause des transgenres en leur offrant un espace médiatique valorisant. Elles tentent en effet de marier leur image de marque avec les valeurs symboliques associées au choix de ces modèles encore atypiques. Etant le ressort même du marketing, ce mécanisme n’est pas en soi négatif, pourvu que le recours à des personnes trans reste cohérent avec l’identité de la marque…
Un buzz médiatique à double tranchant
Ces campagnes devenant quasi immanquablement virales, elles sont source d’une très forte audience (près de 3 millions de vues pour le spot Nike Unlimited Courage et 800 000 vues en cinq jours pour celui de Clear & Clean).
Dès lors, les marques ne seraient-elles pas tentées d’instrumentaliser le recours à des transgenres dans leurs publicités dans le simple but de « faire le buzz » ou pour tenter de capter, non sans opportunisme, une partie des valeurs progressistes, de tolérance, d’accélération de soi, etc. et de renvoyer une image de marque « moderne », « en accord avec son temps » ?
C’est du moins le sentiment que peut donner la dernière campagne de Google qui relate « The Story of Jacob and City Gym ». Ce spot de 2:30 minutes retrace le parcours de Jacob Wandering et sa transition, tout en vantant les mérites d’une salle de sport qui selon la propriétaire n’a pas pour but d’être « réservée à certains groupes » mais qui pourtant doit être « un véritable lieu d’appartenance ». Le message porté par Google apparaît assez confus, oscillant entre une certaine valorisation des transgenres et une présentation qui tend à les enfermer dans une catégorie « à part » plutôt qu’à normaliser leur statut au sein de la société. En outre, le lien entre cette histoire et l’objet du spot n’apparait pas clairement : on peine à comprendre qu’il s’agit d’une publicité pour le service « My Business » de Google dont le but est de donner plus de visibilité aux entreprises.
Le lien entre ce service et les trans est tout sauf évident.
On peut dès lors questionner la légitimité du recours à des transgenres pour cette publicité et se demander si ce n’est pas essentiellement le fruit d’une pure stratégie marketing…

Un opportunisme commercial loin de favoriser une évolution des mentalités
De nombreuses publicités semblent effectivement ne faire intervenir des personnes trans que pour pour surfer sur la vague médiatique que cela génère
En jouant sur un effet de surprise certainement déroutant car rompant avec le schéma typique de l’univers automobile (une jolie fille sexy séduisant la gente masculine), la mise en scène du mannequin androgyne Stav Strashko dans le spot publicitaire de 2013 pour la Toyota Auris tend à décrédibiliser les transgenres. L’effet de surprise repose effectivement sur le fait que cette jolie fille, que l’on souhaitait tant voir se retourner pour pleinement en apprécier la physionomie, révèle finalement un torse plat d’homme… Ce spot laisse entendre que, ce trans n’est ni une « vraie » femme, ni un homme, ce n’est qu’un mauvais ersatz de la « bombe » habituelle des publicités automobiles. Ainsi, le personnage trans apparait comme un élément choquant et décevant.

Par ailleurs, le jeu plus ou moins fin sur des stéréotypes que l’on aimerait autant voir totalement disparaître ne s’arrête pas là. Certaines campagnes, et parmi les plus décriées, n’hésitent pas à se moquer des personnes trans à travers une jolie compilation de clichés et de stéréotypes rétrogrades, le tout en introduisant une grande confusion entre transsexuels, transgenres, non-binaires et travestis.
On peut notamment penser à la publicité pour tampons de la marque Libra. Suggérant qu’une femme trans n’est pas véritablement une femme, le spot a par la suite été clairement reconnu comme étant transphobe avant d’être finalement retiré des écrans.

Le clip publicitaire ayant été supprimé, il n’est plus visible que sur la page web suivante : http://www.gentside.com/
Ainsi, si une apparition plus fréquente des trans dans les campagnes publicitaires peut casser certains tabous, leur utilisation marketing semble moins favoriser une évolution des mentalités que contribuer à la perpétuation des stéréotypes.
Jouissant d’une influence non négligeable, les campagnes publicitaires font bien plus qu’accompagner les évolutions sociales. Par les représentations qu’elle propose des membres de la société, la publicité conserve donc le pouvoir d’orienter de manière plus ou moins insidieuse le degré d’ouverture des esprits.
Maïlys Vyers

linkedIn
Pour aller plus loin:
http://lareclame.fr/127660-magnum-travestis-competition-xavier-dolan

Culture Week – Des chats, des chiens, des enfants et des trans

Une publicité diffusée pendant Fierté Montréal choque la communauté trans [Le Devoir]


Sources :
« Nike’s Latest Ad Stars Chris Mosier, the First Transgender Athlete on a U.S. National Team Part of brand’s ‘Unlimited’ series », Kristina Monllos pour Adweek le 8 novembre 2016

« Un premier athlète trans en vedette dans une pub de Nike », Arti Patel pour The Huffington Post Canada le 8 novembre 2016
« Team USA’s Chris Mosier Is First Transgender Athlete Featured in Nike Ad », Mari Brighe pour Advocate, le 8 novembre 2016

« Find out the touching story behind Lea T’s Givenchy ad », Zing Tsjeng pour Dazed, le 8 novembre 2016

« Pour la 1ère fois, une ado trans est l’égérie d’une marque grand public », Ludivine D. pour La Réclame le 8 novembre 2016

« Thinx, la marque de protections hygiéniques, sort sa pub avec un homme trans », Juliette Von Geschenk pour MadmoiZelle, le 8 novembre 2016

« Meet the Gym Owner Featured in Google’s Transgender Ad », Suzanna Kim pour abc News, le 8 novembre 2016

« Une publicité retirée des écrans car elle se moquait des trans », Quentin Girard pour Libération, le 8 novembre 2016

 
 

birkenstock
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Mettre le mauvais goût à l'ordre du jour : le pouvoir des marques de luxe.

 
Les marques de prêt-à-porter de luxe et Haute Couture se définissent chacune par un « ADN » qui leur est propre, lié à l’héritage d’un défunt couturier, à une histoire de savoir-faire et de transformations successives parallèles aux évolutions d’une société. Cet ADN est mis en scène par un univers visuel distinct ou un domaine particulier, tel que l’imaginaire de l’équitation chez Hermès, décliné à travers toute la gamme de produits de la maison.On aurait alors tendance à penser qu’une marque de luxe serait cantonnée à son image habituelle et qu’il ne lui serait alors pas permis de lancer un produit considéré comme hors de sa légitimité.
Mais les évolutions des images de bon nombre de marques au cours de ces derniers mois nous prouvent que la mode est toujours pleine de surprises, pour le meilleur comme pour le pire.
Ce qui fut un jour considéré comme « inconcevable » dans le monde du luxe ou même dans les chaînes de grande distribution de prêt-à-porter, est devenu, en l’espace de quelques saisons « indispensable ».
On peut prendre pour exemple les chaussures Birkenstock, longtemps connues pour leurs vertus orthopédiques mais surtout pour leur aspect peu flatteur aux pieds. L’été dernier, Céline, une des marques les plus influentes actuellement dans le monde du luxe, en a présenté d’étranges copies poilues.
Un an plus tard, cette image auparavant perçue comme étrange a bien évolué dans les mentalités, à coups d’apparitions répétées dans les magazines de mode, de campagnes publicitaires, d’approbation par des influenceurs importants (pour le cas présent, on peut citer entre autres les sœurs Olsen ou encore la bloggeuse Garance Doré. Mais surtout, on assiste à la reprise de la chaussure par les magasins de grande distribution  : une copie quasi conforme des sandales Céline est disponible dès à présent sur les boutiques en ligne de Zara, Asos, etc.
 Un autre exemple est l’actuelle popularité du sportswear. Entre vêtements de jogging et autres sneakers, autrefois synonymes de négligence ou de banlieue malfamée, le sportswear est aujourd’hui devenu l’apanage de tous, de la rédactrice de mode au hipster, en passant par n’importe quel lycéen suivant simplement les remous de ces tendances venues d’« en haut ».
Ce qui est curieux, c’est que si l’on peut attribuer cette vague du sportswear à une accumulation de collections inspirées d’uniformes sportifs divers (le maillot de basket d’Isabel Marant, les empiècements cuirs types quaterback chez Alexander Wang…), leur succès et leur relative pérennité au sein de la sphère mainstream contribue à déterminer les lignes créatives, publicitaires et commerciales des maisons de luxe.
On peut prendre pour exemple la collaboration entre Givenchy et Nike pour ce printemps, qui est bien loin des codes de la vénérable maison héritée du comte Hubert. Elle portera le nom de « NIKE R.T » (initiales du directeur artistique de Givenchy, Riccardo Tisci). Et il y a fort à parier que son succès sera imminent.
Mais la Haute Couture n’est pas en reste. Définies par des critères stricts de savoir-faire qui s’accompagnent bien souvent d’une virtuosité des créations, les maisons de Haute Couture ont été malgré tout influencées par cette tendance du sportswear.
En témoignent les collections Haute Couture de ce printemps des prestigieuses maisons Chanel et Christian Dior, qui ont présenté des sneakers et autres genouillères décorant des robes et ensembles d’une grande finesse.

Ainsi, l’imprégnation des imaginaires s’effectue dans les deux sens,  les marques de luxe récoltant au final ce qu’elles ont semé. Le processus peut prendre du temps et passe par des canaux multiples : les images diffusées par les collections, les publicités des marques de luxe, leur relais par la presse et, ultimement, par les usagers même de ces nouveaux codes vestimentaires et visuels. Une véritable chaîne hiérarchisée qui s’avère au final tenir davantage du cercle.
 Ce qui est étonnant, c’est la démesure dont se sont dotées les lignes directrices des maisons de prêt-à-porter de luxe au cours des dernières saisons. En repoussant toujours plus loin la limite de ce qui tenait auparavant du mauvais goût, les maisons de luxe peuvent se vanter de leur fort pouvoir sur un public qui finit presque inévitablement par les suivre. Sans oublier que ces changements de positionnement créatif peuvent potentiellement attirer de nouvelles cibles.
 Cependant, l’accumulation de « bizarreries » contradictoires avec les codes du luxe et de la Haute Couture et surtout avec les lettres de noblesse des maisons elles-mêmes, semble avoir enclenché une course à l’insolite, voire au grotesque.

Légende : Défilé Moschino Automne-Hiver 2014-2015
On ne peut empêcher une marque d’évoluer, selon l’époque dans laquelle elle s’inscrit, selon ses directeurs artistiques et selon les problématiques communicationnelles, économiques et sociales qui l’entourent. Cette envie de remettre absolument au goût du jour ce qui, collectivement, était défini comme laid ou dépassé, reflète peut-être une problématique actuelle, liée à une certaine recherche d’attention qui passerait davantage par l’excentricité et le buzz, que par la créativité. Jusqu’où alors peut donc aller une marque sans se perdre elle-même ?
 
Charlène Vinh
Sources :
Lauradunn.com
Telegraph.co.uk
Inandout-blog.com 

Com & Société

Just don’t do it

 
Afrique du Sud, le mercredi 14 février dernier, Reeva Steenkamp, célèbre mannequin, est retrouvée morte dans sa salle de bains, avec quatre balles dans le corps. Et l’accusé numéro un sur la liste des suspects est son compagnon, Oscar Pistorius. Il tente de se défendre en racontant qu’il a pris Reeva Steenkamp pour un cambrioleur et l’a poursuivie. Nous ne mènerons pas une enquête à la Hercule Poirot, mais nous verrons comment, en une soirée, Pistorius devient à la fois la cible préférée de la police et surtout celle des médias.
Rappelons-le, Oscar Pistorius, le 1er athlète amputé à courir avec les valides aux JO de Londres, est né sans fibula (péronés). Amputé des deux tibias à l’âge de onze mois, il apprend à marcher avec des prothèses à deux ans et s’entraîne à courir avant de devenir le 1er médaillé handisport. Pistorius est à la fois une figure emblématique en Afrique du Sud, un modèle à suivre pour les sportifs handicapés et le symbole même du courage, de la ténacité. Ses exploits ont donné un nouvel élan à l’handisport et aux Jeux Paralympiques. Au début de l’année 2013, le magazine Times le classe parmi les 100 personnes les plus influentes du monde et le présente comme « la définition même de l’inspiration au niveau mondial. » De quoi parfaire son image de l’athlète que rien n’arrête.
Quatre balles plus tard et le mythe s’écroule : « Blade Runner » perd toute son envergure de héros national, en devenant aux yeux de tous le « Bad Runner ».
L’affaire n’éclabousse pas seulement le sportif mais aussi ses sponsors, éléments moteurs de la célébrité… Oakley, British Telecom, Össur, Thierry Mugler et Nike plus particulièrement.
Celui-ci vient de retirer de son site une campagne publicitaire produite par l’agence Wieden+Kennedy en 2011. Campagne qui comparait les exploits de Pistorius sur une piste à ceux d’une balle tirée d’une arme. Le slogan très justement trouvé à l’époque : « I am the bullet in the chamber », sonne désormais comme le glas. Certains y voient la préméditation de l’acte de Pistorius, ce qui ne fait qu’empirer l’image de l’athlète et de son sponsor. Leur étroite dépendance devient risquée et même si Nike n’est pas accusé de meurtre, il ne semble pas y avoir de différenciation entre l’homme et la marque qui le promeut.
Ironie du sort, Nike n’en est pas à son premier épisode douteux : Tiger Woods et ses aventures extraconjugales, Lance Armstrong et le scandale du dopage. Et le slogan « Just do it » ne fait qu’accentuer ces polémiques, comme si la marque encourageait les athlètes à commettre des actions répréhensibles. Or, toute la stratégie de communication de Nike repose sur l’athlète qui est mis en scène dans un combat personnel pour faire du sport à tout prix. Pour donner cette envie au consommateur, la stratégie adoptée par Nike est de lui montrer le parcours du sportif qui servira de modèle de réussite dans l’imaginaire du consommateur.


Le risque pris par la marque est énorme. D’une part, rien n’est fixé à l’avance, l’homme est faillible et d’autre part, une campagne de publicité représente un coût considérable. L’argument économique s’impose aussi aux autres sponsors, qui sont intervenus de manière implicite il y a quelques jours en déclarant qu’ils attendaient les résultats du procès pour décider de poursuivre ou de rompre leurs contrats avec l’athlète. La marque 

Nike espère gagner du temps en jouant la carte de la présomption d’innocence. Peut-être espère-t-elle que les avocats de Pistorius, connus pour être des ténors du barreau, réussiront à l’innocenter. Ou peut-être veut-elle partir sur la pointe des pieds et se détacher de l’image entachée d’Oscar Pistorius.
Pour l’heure, les marques qui sponsorisent l’accusé ne se précipitent pas et restent sur leur garde en attendant l’issue du procès : wait and see est leur mot d’ordre.
 
Félicia de Petiville
Sources :
Site officiel d’Oscar Pistorius
Stratégies
Le Monde