Société

Explicite : le nouveau média libre, indépendant et fier de l'être

Les médias sont omniprésents. Ils nous donnent à voir ce que l’on ne peut pas savoir, nous informent et nous divertissent. Mais dans un contexte politique, humanitaire et économique qui voit se multiplier les fake news, la manipulation des émotions pour créer une post-vérité, des hommes et des femmes ont décidé de faire prôner l’indépendance et la liberté, de se défaire du carcan télévisuel et de créer Explicite.
Explicitons l’originalité de ce nouveau média
Le 20 janvier 2017, Explicite nait sous l’impulsion de 54 ex-journalistes d’iTélé . Ces journalistes, qui ont quitté la chaîne d’information dirigée depuis peu par Vincent Bolloré après avoir fait grève pendant trente jours suite à la décision du nouvel actionnaire de la chaîne d’engager Jean-Marc Morandini, impliqué dans une affaire de corruption de mineur et utilisant des méthodes qui entravent la liberté du journalisme (censure de documentaire, ligne éditoriale stricte et imposée…). Olivier Ravanello, président de l’association des Journalistes associés, a expliqué la motivation de cette équipe de journalistes qui ont fait le choix de rester fidèles à leurs convictions idéologiques et de quitter iTélé pour faire vivre un journalisme indépendant: « Nous voulons nous remettre au service des gens et retrouver le lien avec eux sur les réseaux sociaux ». Le principal objectif de ces journalistes est donc de faire vivre l’information, de manière libre et d’être au plus proche, non plus des téléspectateurs mais des internautes. Le principe est simple: répondre aux interrogations de tous et produire des contenus journalistiques qui seront diffusés sur les réseaux sociaux. Ce choix réalisé dans un objectif d’originalité peut s’opposer au choix de « Les Jours », média en ligne sur abonnement, de créer des contenus informatifs sous forme de série et sur des « obsessions », thèmes choisis par les journalistes pour être développés. Le choix d’Explicite est donc, lui, d’être plus interactif avec son public notamment via Twitter. La page (@expliciteJA) créée en décembre 2016 et dont le premier post remonte au 16 janvier 2017 est déjà suivie par plus de 38000 abonnés.

Hey, on est de retour…
On a décidé de s’associer pour vous informer & vous écouter.
En toute indépendance 🙂
Bienvenue sur #Explicite 🎈
— EXPLICITE (@expliciteJA) 16 janvier 2017

Quel business model ?
Explicite se décrit comme un collectif de journalistes associés. Ce statut leur est cher puisque le portrait de chaque journaliste a été diffusé sur les réseaux sociaux. Tel un acte militant, chacun exprime son désir de s’associer et de participer à l’aventure du nouveau média indépendant. Pour autant, créé de manière spontanée et rapide, le business model de ce média est aux prémices de son élaboration. Les associés sont bénévoles et fonctionnent avec les moyens du bord pour pouvoir délivrer des contenus de qualité tout en limitant les frais. Pour maintenir le projet à flot, il leur faut pourtant réfléchir à une stratégie d’entrée de financement afin de rendre le projet pérenne, voire de le développer. Mais les contenus sur les réseaux sociaux ne peuvent pas être vendus, aucun espace publicitaire n’est présent et pour l’heure aucune aide publique n’est perçue. Rappelons qu’Explicite entre dans la catégorie des médias en ligne, ils ne ne peuvent ainsi espérer que 50 000€ de subvention par an pendant 3 ans. Seulement, pour faire vivre 54 journalistes et amortir les frais de production, il est nécessaire de trouver d’autres ressources, et si elles ne sont pas publiques, la solution est peut-être privée. En publication épinglée de la page Facebook d’Explicite, nous pouvons trouver un lien vers une cagnotte de crowdfunding sur la plate-forme kisskissbankbank. L’objectif à atteindre est de 150 000 € et les dons vont de 1 à 5 000€.

Mais cette récolte de fonds sera-t-elle suffisante pour assurer un futur économiquement stable à Explicite ? D’autres médias en ligne exclusivement présents sur les réseaux sociaux ont été créés, citons Popular, The Shade Room, ou les producteurs de vidéos AJ +, NowThis et Insider, mais le recul n’est pas assez important pour savoir si le modèle est viable à long terme.
Un avenir prometteur mais incertain…
L’idée est belle, le projet est beau. Dans le contexte actuel où l’information est au cœur de toutes les affaires, avec l’augmentation des fake news et le manque de confiance des citoyens en ce qu’ils voient et entendent, la création d’un média indépendant, créé par des journalistes qui ont quitté un système qui pour eux ne correspondait pas aux valeurs du journalisme, semble prometteuse. Mais si notre regard se tourne vers le futur, l’horizon devient plus flou.
Au delà de la question économique qui n’est pas résolue, la mobilisation et la création d’une communauté fidèle et fiable se pose. L’objectif premier d’Explicite est de se créer une notoriété. Or, sa présence uniquement en ligne ne joue pas en sa faveur. En effet, les filter bubbles qui ne montrent à chacun que des contenus supposés leur plaire et cela en fonction des contenus recherchés, likes, partages, sont le risque de n’être connu que par un cercle restreint d’amateurs de journalisme et du monde de la communication, adepte des réseaux sociaux.
Qu’en est-il du grand public ? Un journalisme libre et indépendant, répondant aux interrogations de ses lecteurs ne serait-il pas accessible à tous ? Et à long terme, Explicite court le risque de voir une ligne éditoriale s’imposer à lui notamment s’il s’associe avec Yahoo ou d’autres sites d’agrégations de contenus qui ont eux-mêmes des lignes éditoriales. La ligne éditoriale peut également être influencée si les journalistes associés s’engagent dans d’autres médias, comme Antoine Genton, ex-journaliste d’i-télé, associé au projet Explicite, engagé par France 5 comme chroniqueur hebdomadaire de l’émission « C l’hebdo »;    son implication dans un nouveau projet ne va-t- elle pas avoir comme conséquence un relais d’Explicite au second plan ? Il y a deux options quant à l’avenir d’Explicite: engouement croissant du public, engagement des journalistes et pérennité économique ou instabilité financière, essoufflement du projet et de sa visibilité. Affaire à suivre.
Xuan NGUYEN MAZEL
LinkedIn
Sources :
• Alexandre Piquard, « Explicite », le nouveau média d’information sur les réseaux sociaux d’anciens d’i-Télé, Le Monde, mise à jour le 17/01/2017, consulté le 18/02/2017.
• Benjamin Pierret, Ces nouveaux médias qui se déploient uniquement sur les réseaux sociaux, RFI, mis en ligne le 19/01/2017, consulté le 18/02/2017.
• Legifrance, Décret n° 2009-1340 du 29 octobre 2009 pris pour application de l’article 1er de la loi n° 86-897 du 1er août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse, mis en ligne le 30/10/2009, consulté le 18/02/2017.
• Anais Moutot, Ces nouveaux médias présents uniquement sur les réseaux sociaux, Les Echos, mis en ligne le 01/05/16, consulté le 18/02/2017.
•Lionel Durel, Leader des grévistes d’iTELE, Antoine Genton arrive sur France 5, 24matins, mis en ligne le 17/02/2017, consulté le 18/02/2017.
Crédits :
• Page Twitter d’Explicite Plateforme kisskissbankbank d’Explicite

Politique

DSK – 20 kilos

Nous sommes en mai 2011, la France et le monde sont secoués par une affaire qui aura des répercussions au sein des plus hautes institutions et auprès d’hommes politique haut placés : vous l’aurez deviné, c’est l’affaire DSK.
Les médias s’en saisissent à l’aide d’image de surveillance, d’images de “reconstitutions” (souvent floues, couleur sépia comme dans un épisode d’Enquêtes Impossibles sur NT1). Mais un média s’est fait connaître à ce moment-là pour avoir entièrement recrée la scène en animation, j’ai nommé le média taïwanais Next Media Animation.
Next Media Animation : le futur de l’info ?
La première fois que NMA s’est fait connaître à l’international, c’était effectivement avec l’affaire DSK en 2011. Malgré la gravité de l’affaire, la reconstitution réalisée par ce média est extrêmement comique. Le premier détail étonnant que nous pouvons relever a trait à la femme de chambre, censée représenter Nafissatou Diallo : son avatar a la peau blanche. Il est peu probable que NMA veuille faire preuve de racisme. Ils ont surement juste des avatars pré-établis qu’ils réutilisent pour chaque animation. Ou peut-être n’ont-ils pas considéré ce détail come important. Autre détail, DSK semble étrangement bien plus mince que d’ordinaire. C’est amusant mais cela montre encore une fois un manque flagrant de réalisme.

Mais ces animations révèlent quand même un fait nouveau : les reconstitutions de la sorte sont un nouveau média. D’ailleurs le nom “Next Media Animation” met en avant d’un point de vue sémiotique annonce l’aspect futuriste du studio par le mot “next”. NMA serait une nouvelle source d’information.
“C’est une autre culture”
Prenons un évènement, plus récent, aussi reconstitué par NMA : l’attentat évité de justesse dans le Thalys, le 21 août 2015. À en croire la vidéo, le tireur était torse nu, Mark Moogalian se serait pris (et aurait survécu à) une balle dans la tête et le tireur aurait fini ligoté comme une paupiette. En somme, l’animation simplifie et fausse considérablement les faits.
Les faits sont d’autant plus échenillés qu’ils sont accompagnés de textes colorés avec des effets “pop”, voire même cinématographiques à vocation de parodie de blockbuster. Par exemple, Spencer Stone, un des soldats ayant désarmé le terroriste est renommé en toute simplicité “GI Joe” avec un effet chromé.

Mais cette abondance de typographies ne nous est pas étrangère. Elle est en effet très fréquente dans tout type d’émissions de télévision au Japon, à Taïwan, en Chine ou encore en Corée du Sud. Ces pays ont une forte culture de l’image accompagnée d’idéogrammes colorés et animés. À l’inverse, les Européens prennent le parti de la sobriété. Nous pouvons prendre l’exemple de BFMTV dont le code couleur est relativement sobre et ne change pas : des lettres blanches sur une bannière bleue située en bas de l’écran. La culture occidentale sous-tend donc une autre sémiologie de l’information et de l’image. Mais dans le cas de NMA, il ne s’agit plus uniquement de sémiologie, il s’agit d’une toute nouvelle façon d’informer.
Divertir vs. Informer
Dans le cas de Next Media Animation, il s’agirait donc peut-être d’une nouvelle forme d’information, le studio taïwanais a passé des accords avec TomoNews, une chaîne Youtube qui se présente comme étant la chaîne réunissant “les nouvelles les plus divertissantes d’internet”. Ils accolent donc des micro-faits d’information avec des évènements qui changent la face du monde. De plus, l’idée de “nouvelle divertissante” semble peu adéquat, surtout quand cela traite de sujet très sensibles, tels les attentats de Paris, le 13 novembre.
TomoNews US relaie dorénavant toutes les vidéos d’informations de NMA et les attentats de Paris n’y échappent pas. Ils ont donc publié “Paris terror attacks : woman played dead over an hour survive Bataclan theater shootout” (Les attentats de paris : femme joue la morte plus d’une heure survivre fusillade du théâtre Bataclan). La reconstitution est plus que sortie et tout aussi erronée. Selon la reconstitution, deux des terroristes seraient arrivés par la scène : une information complètement fausse. Ensuite les images donnent une tournure presque mélodramatique à l’évènement. La musique, un morceau de piano digne de scènes de tromperies dans un soap opera, aspire la dernière once de réalisme.
L’horreur est mise à distance, voire supprimée, nous passons à une reconstitution 3D digne du jeu vidéo Desperate Housewives. Pourtant, la notion de “news” y est affichée. La frontière entre l’information et le divertissement est effacée : ils ont bel et bien la vocation d’informer. Néanmoins, il dénaturent l’information, notamment à cause de la scène de fin.

Cette image est pour le moins extravagante, la Mort tient une glace à la fraise et prend un selfie avec un obèse en chemise léopard, pendant qu’une sorte de géant vert tape la pose, allongé sur le logo de TomoNews.) De quoi retirer toute crédibilité aux faits que le média prétend reconstituer.
Colombe Courau
Sources :
Chaine Youtube TomoNews US
Crédits images :
Captures d’écrans de vidéos de Next Media Animation