Politique

"Un président ne devrait pas dire ça": quand la langue présidentielle se lit et se délie

12 octobre 2016. L’Obs publie un entretien avec le Président de la République. Il y délivre une parole formelle, sérieuse, qui lance (peut-être ?) sa campagne pour 2017 avec sa déclaration « Je suis prêt ». Mais, coup de théâtre : le même jour, la parution du livre Un président ne devrait pas dire ça, Les secrets d’un quinquennat de Fabrice Lhomme et Gérard Davet produit l’effet d’une bombe. Ce livre est d’un tout autre registre que l’entretien dans L’Obs, celui de la confession. Tout ce que l’entretien construisait, ce livre le déconstruit, voire l’anéantit. Alors, coup de grâce ou coup de maître communicationnel ? Tout le monde s’interroge. Un véritable coup d’éclat médiatique, ça c’est sûr.
Un président qui n’a pas sa langue dans sa poche
La parution de Un président ne devrait pas dire ça questionne l’essence même de la parole présidentielle. À la maîtrise verbale normalement attendue d’un président, François Hollande y oppose une logorrhée qui interroge. Le président a en effet un devoir de contrôle de sa parole, car celle-ci représente la parole de l’Etat. Sa fonction de président impose une maitrise absolue de ses propos pour une communication efficace, qui incarne notre pays. Or, dans ce livre, il se prononce sur tous les sujets, parle sans filtre et longuement, puisque l’ouvrage fait 600 pages environ ; autrement dit, c’est un livre fleuve. Mais gare à la crue : quand le président parle trop, on ne l’écoute plus, et sa parole est discréditée. En communication politique, le silence est d’or.
Sur Radio Notre-Dame, l’avocat Louis Soris déclare « On a l’impression que c’est un candidat de télé réalité qui va dans le confessionnal et se livre sur son aventure présidentielle ». Sa parole n’est alors plus considérée comme la parole officielle, celle qui prend les grandes décisions et dirige la France. La confession ne fait pas partie des fonctions de la parole présidentielle, et le devoir de silence pour mieux communiquer s’impose. Il avoue ainsi avoir organisé des assassinats ciblés, ce qui relève pourtant d’une opération top secrète ! C’est un véritable strip-tease médiatique où le chef de l’Etat se met à nu, et permet à tous d’observer ses failles et de les fragiliser. Car au niveau de la réception du livre, il n’y a pas non plus de maîtrise de la situation. Les citoyens sont dans l’incompréhension d’une telle démarche, les personnalités politiques récupèrent l’événement pour achever politiquement François Hollande et prendre l’aval sur lui. Son blabla incessant devient un brouhaha de réactions, de polémiques. Débandade de mots, débandade de réactions, décidément tout lui échappe. Les auteurs du livre expliquent à ce sujet : « Il était inquiet, il ne maîtrisait pas le processus. C’est exactement ce qu’on voulait, qu’il ne maitrise pas le processus, il ne nous a pas choisis, c’est nous qui l’avons choisi ». Le problème majeur est que l’on attend justement du président qu’il maitrise son action, ce qui passe avant tout par une maitrise accrue de sa parole.
« Petit traité du parfait suicide politique » ?

Se confesser à des journalistes, de nombreux présidents l’avaient fait avant lui. Valéry Giscard d’Estaing, par exemple, était coutumier de cette pratique. Dans le cas actuel, la dissonance entre ses révélations dans le livre et ses propos officiels en tant que président est problématique. Ses confessions télescopent son travail politique, et c’est là que le bât blesse. Ses propos politiques sont alors discrédités et son action en tant que président de la République perd de sa crédibilité. Par exemple, ses dires sur l’immigration «Je pense qu’il y a trop d’arrivées, d’immigration qui ne devrait pas être là », sont en décalage avec sa politique à ce sujet.
Et dans sa forme même, l’ouvrage est un ovni politique. Le président choisit une expression indirecte, qui passe par la plume des journalistes, alors qu’on attendrait du premier représentant de l’Etat une expression directe avec les citoyens français. Les règles de l’oralité avec lesquelles s’exprime François Hollande sont sujettes à la déformation. La compréhension des propos passe par plusieurs prismes : celui des journalistes, puis celui des lecteurs. À la fin de ce processus, les paroles initiales sont faussées. De la même manière, ses révélations sont sujettes à la dérive quand elles sont sorties de leur contexte, certains journaux publiant même les « bonnes feuilles ». La phrase « La femme voilée d’aujourd’hui sera la Marianne de demain » a par exemple suscité une grande polémique du fait de son ambigüité. Tout un imaginaire est créé au sujet de ses propos supposément tenus, et le résultat est désastreux.
Parler c’est bien, faire c’est mieux. Le président parle beaucoup, mais agit-il vraiment ? Peut- être veut-il, à travers la chronique de son quinquennat, donner l’illusion d’avoir accompli beaucoup ? Le dessein d’ensemble n’est pas clair et les critiques sont plutôt sombres.
Un franc parler pour parler de la France

Mais cet exemple n’est-il pas la preuve d’une nouvelle communication en politique, d’un nouveau mode d’expression ? Le dessein des deux auteurs était de lutter contre la langue de bois politique. Pari réussi. Le temps d’un parler vrai des politiques a sonné, et François Hollande en est peut-être le pionnier. Ce livre donne à voir une nouvelle parole politique, portée par la recherche de la vérité.
Le chef de l’Etat se livre avec une franchise troublante. Cet ouvrage issu de longues discussions sur une durée de cinq ans permet à François Hollande de s’exprimer plus librement, et surtout plus profusément que dans une interview classique. Le discours n’est pas formaté, le président s’exprime sans filtre, sans contrainte, sans préparation antérieure. La longueur du livre permet de resituer l’action du président dans une chronologie, et dès lors de voir la cohérence – ou l’incohérence – de son action politique.
Alors, suicide politique ou avènement d’une nouvelle ère de communication politique ? La côte de popularité en baisse du chef de l’Etat a peut-être déjà tranché.
Diane Nivoley
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Sources:
« Pour la première fois, c’est sur sa personnalité que François Hollande désespère même ses proches », Le Huffington Post, 14/10/2016, Romain Herreros
«Un président ne devrait pas dire ça» : ce livre empêchera-t-il François Hollande de se pré- senter ? », RT, 14/10/2016
« « Un président ne devrait pas dire ça » : « la veille de la publication, François Hollande était inquiet » », Non stop politique, 13/10/2016, Ambre Lefeivre
« L’opération mea culpa de François Hollande (et ses limites) », Le Huffington Post, 12/10/2016, Geoffroy Clavel
« Les confessions de Hollande navrent ses amis », Le Monde, 14/10/2016, Cédric Pietralunga et Bastien Bonnefous
« Hollande se permet encore de carboniser les lambeaux de popularité qui lui restent », Le Monde, 15/10/2016
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Dessin de Cambon pour Urtikan.net

Contre bien-pensants : Houellebecq, Zemmour, Finkielkraut
Société

Le Déclinisme a la côte !

Ils sont partout : sur vos écrans, dans vos journaux, à la radio, sur les réseaux sociaux… Ils sont pamphlétaires, romanciers ou encore philosophes. Ils s’appellent Alain Finkielkraut, Eric Zemmour, Michel Houellebecq ou encore Michel Onfray. Ils se revendiquent contre bien-pensants et ont pour ennemi commun la bien-pensance.
L’ennemi commun
Les contre bien-pensants se définissent en opposition à ceux qu’ils désignent comme étant l’ennemi du peuple français : les bien-pensants. De Bernanos à Finkielkraut, en passant par France culture, Zemmour et Dieudonné ou encore la droite, le terme « bien pensant » semble être devenu un « mot-valise ». Ce terme fortement lié à une critique de l’immigration, désigne aussi le politiquement correct ou encore pour Finkielkraut, un refus de la réalité, « tout ce que l’on n’a pas le droit de savoir ». Pour ce dernier, le contre bien-pensant est un marginal qui risque d’être qualifié de raciste. Le bien-pensant semble donc plutôt de gauche et on lui dispute la légitimité de sa parole morale.
L’assaut de l’espace public
Aujourd’hui le contre bien-pensant est partout. Il fait la Une de nos journaux, il est invité dans de nombreuses émissions. Il y a peu de temps, Libération titrait « Nos réponses à Michel Onfray », Le Point quant à lui annonçait « Régis Debray achève la gauche ». Ou encore plus récemment, L’Express faisait son dossier sur « La grande colère des intellectuels, Alain Finkielkraut contre les bien-pensants ».
La programmation de l’émission « On n’est pas couché » est particulièrement révélatrice de cette place grandissante. Les invités des dernières semaines n’étaient autre qu’Alain Finkielkraut, Michel Onfray et Michel Houellebecq.
Les contre bien-pensants plaisent. Ils sont aussi incorrects que structurés. Ils écrivent des livres et siègent à l’Académie Française avec Alain Finkielkraut. On a beau les détester, on ne peut que l’admettre : ils parlent bien. Finkielkraut écrit particulièrement bien, et Zemmour est un orateur remarquable. Ce sont de véritables « intellectuels médiatiques », comme on peut le lire dans Le Monde.

Une alternative aux politiques ?
Il y a quelques semaines, Valeurs actuelles faisait sa Une avec Zemmour et cette exclamation : « Zemmour Président ! ». Les penseurs médiatiques semblent avoir pris une telle place dans l’espace public, qu’on pourrait les envisager à la tête du pays : « Les hommes politiques ont peu d’importance, et plus on avance et plus ils reculent », scande Zemmour. La présence politique grandissante de Zemmour ou encore d’Onfray reflète le contexte de notre époque. La défiance dans notre pays est telle que l’on en vient à penser que ces personnes seraient sans doutes mieux placées pour nous gouverner, exit l’ENA. Une chose est sûre, ces intellectuels prennent désormais plus de place dans l’espace médiatique que les politiques.
Mais pourquoi ? Pourquoi sont-ils partout à l’instar des politiques ? Dans le milieu de la télévision on le sait, il ne faut pas trop de politiques, personne ne veut les regarder. Les raisons pour lesquelles ces intellectuels font systématiquement la Une de nos journaux sont similaires : nul doute que les ventes du Point se portent particulièrement bien en ce moment.

Les contre bien-pensants un mouvement ?
Dans son ouvrage Ce pays qui aime les idées. Histoire d’une passion française, Sudhir Hazareesingh, professeur à Oxford, soutient que ce qu’il se passe actuellement avec les contre bien-pensants en France est très particulier. D’abord parce que cela s’apparente à un mouvement très bien construit, « mouvement quasi philosophique du déclin ». Il s’agit d’un pessimisme qui s’inscrit dans une sorte de tradition nationale que nous connaissons bien : amour des raccourcis, de la diabolisation et des visions apocalyptiques qui tendent à dire que la France est en déclin. Si il existe beaucoup d’anti-modernes nostalgiques d’un certain âge d’or, d’une culture passée à travers l’Europe, cela reste des idées réactionnaires de droite. En France, ce n’est plus le cas. Il s’agit plus d’un mouvement à l’ambition intellectuelle au delà des clivages politiques, notamment avec Michel Onfray, dont certains se demandent si il n’est pas passé à droite. De plus, ce mouvement est très franco-français. En effet, Zemmour, Onfray ou encore Finkielfraut sont très peu lus à l’étranger. Ils écrivent à destination des français. La vie intellectuelle française est maintenant centrée sur la France et son rayonnement international relayé au second plan.
Une dynamique réactionnaire dépassée
Il ne fait aucun doute que nous avons besoin d’une critique construite de la bien-pensance. Le politiquement correct ne doit pas réduire de manière drastique notre liberté d’expression. Néanmoins, on peut douter de l’efficacité et de la justesse de celle des contre bien-pensants. Le plus étonnant chez eux, c’est qu’ils se réclament républicains et laïcs. Or, cela paraît en opposition totale avec leurs idées anti-modernes. Les valeurs républicaines ne sont-elles pas bâties sur la foi en le progrès et l’égalité ?
Ce mouvement s’est construit par opposition. Ces intellectuels élevaient leurs voix contre tous, se posaient en marginaux. Est-ce encore le cas ? La bien-pensance n’est plus le discours dominant en France, bien au contraire. Face à cette véritable invasion de l’espace public par les contre bien-pensants, qui y a-t-il en face ? Il n’y a plus de débat, car plus de contre-discours. Ces intellectuels contrairement à ce que beaucoup croient, n’ont pas un discours libérateur. C’est ce dont témoigne leur volonté avide d’ordre et de retour en arrière.
Yasmine Guitoune
Sources : 

Le Monde, « A droite comme à gauche, la bien-pensance n’est plus le discours dominant », Nicolas Truong, 26.09.2015.

Le Monde, « Quand les polémistes supplantent les politiques », Thomas Wieder et Ariane Chemin, 26.09.2015.

Le Monde, « Les antimodernes ont cannibalisé l’espace public », Thomas Wieder, 26.09.2015.

L’Express, « La grande colère des intellectuels », N°3353 semaine du 7 au 13 octobre 2015.

Marianne, « Réacs et bien-pensants », Jacques Juilliard, 10.10.15.

Crédits images : 

Photo de une : marclarge.fr. 
Libération
L’Express
Le Point
Valeurs actuelles