Politique, Société

Sondages d'opinion: entre influence et critique, au cœur de la communication politique.

Le premier tour de la droite et du centre, les présidentielles américaines ou encore le Brexit. Point commun de ces scrutins: le grand raté des sondages. Cette réminiscence de la critique des estimations d’opinion en 2016 fait écho à d’autres scrutins majeurs comme celui du 21 avril 2002, premier tour des présidentielles. Des questions sur le rôle et l’influence des sondages se posent, ainsi que sur leur place dans la sphère médiatique et la communication politique.

Sondages d’opinions: encadrés mais critiqués
Selon la loi du 25 avril 2016 le sondage d’opinion ou sondage politique est « quelle que soit sa dénomination, une enquête statistique visant à donner une indication quantitative à une date déterminée, des opinions, souhaits, attitudes ou comportements d’une population par l’interrogation d’un échantillon ». Des obligations méthodologiques légales encadrent leur réalisation et la diffusion dans les médias. Par exemple, aucun sondage d’opinion ne doit être diffusé la veille et le jour d’un scrutin.
Leur interdiction à l’approche d’un scrutin est bien la preuve de leur influence sur l’opinion des électeurs. Et si les grands échecs sondagiers parlent d’eux-mêmes, de nombreux intellectuels se sont penchés sur les sondages d’opinions et leurs limites. Preuve que cette critique n’est pas récente, Herbert Blumer (sociologue américain) est à l’origine de la première critique des sondages en 1947 lors d’une session de l’American Sociological Association. Plus récemment Daniel Gaixe (politiste français) s’interrogeait sur l’exactitude des résultats notamment en ce qui concerne la faible proportion des non-réponses, qui ne selon lui ne permette pas une retranscription exacte de l’opinion publique. Patrick Lehingue quant à lui dans son ouvrage Sondages, souriez vous êtes manipulés (2011, ed. Graffic – Bruno Leprince) met en avant les répercussions possibles des sondages sur le vote.
Sondages d’opinions: plus de quantitatif, moins de qualitatif
Les sondages politiques, dont l’objectif premier est d’informer les citoyens et de jauger l’opinion à un instant T, ont un rôle central dans la sphère médiatique. Ils sont présents sur toutes les chaînes d’informations, journaux, sites internet, réseaux sociaux, qui les utilisent comme preuve ou comme point de départ à leurs débats. Le nombre important d’instituts de sondages (Elabe, Harris interactive, Odoxa, Opinionway, Ifop, BVA, Kantar-Sofres…) est une réponse à la forte demande des médias et de la population. Les sites d’information en continu sont friands de nouveaux sondages en permanence, pour avoir une évolution « en direct » de l’opinion publique suite à un meeting, une interview, un tweet. Le succès des sondages politiques est contradictoire avec l’essence du vote, personnel. Si les citoyens s’intéressent tant aux sondages, leur vote peut être influencé par les intentions de votes de leurs compatriotes. Dans ce cas, le vote de conviction est affaibli au profit d’un vote de réaction.
Par exemple, des études ont montré que la sous-estimation des intentions de vote pour Jean- Marie Le Pen en 2002 ont finalement conduit à son succès. Pensant que ce dernier n’allait jamais « passer » au second tour, une partie de l’électorat aurait voté pour lui, plus par contestation que par réelle adhésion à son programme politique et ses valeurs.

Sondages d’opinions: un instrument au service de la communication politique
L’influence des sondages sur le vote des électeurs est alors utilisée par les personnels politiques qui les intègrent dans leur stratégie de communication, tantôt pour appuyer leurs propos, tantôt pour les critiquer. Ainsi le New York Times, le jour de l’élection américaine (le 08/11/2016) a mis en ligne un sondage, estimant Hillary Clinton en tête avec 45,9% des intentions de vote contre 42,8% pour Donald Trump afin d’appuyer les propos allant dans le sens d’une victoire sans conteste de la candidate Clinton. La majorité des médias confirment ce qui paraît être une évidence, peut être pour ne pas prendre de risque ou parce que les sondages s’imposent aux journalistes comme seul indicateur de la dynamique de campagne. L’objectivation des propos par les sondages permet donc à des estimations d’être perçues comme des informations fiables et incontestables. Cette ambivalence dans la communication politique marque alors le pouvoir que peuvent avoir ces estimations chiffrées dans la campagne et donc l’élection d’un candidat. La vive critique qui leur est faite ne semble pas pour autant présager leur disparition du paysage politique et médiatique puisque courtisés ou critiqués, les sondages d’opinions font la Une.
Dans une société toujours à la recherche ou à la poursuite de chiffres, les sondages sont souvent pris comme valeur absolue. Suite aux quelques grandes erreurs, la confiance de l’électorat en ces estimations est affaiblie, peut-être est-ce un mal pour un bien, une défiance vis à vis des sondages synonyme d’une reprise de pouvoir des citoyens vis à vis de leur réflexion politique…
Xuan NGUYEN MAZEL
LinkedIn
Sources:
Direction de l’Information Légale et Administrative. Vie Publique. Les sondages d’opinion. Mis à jour le 2 mai 2016, consulté le 22/11/2016.
Association les amis du monde diplomatique. Compte rendu du colloque critique des sondages. Novembre 2001, consulté le 22/11/2016.
Gouvernement.fr. Service d’Information du Gouvernement (SIG). Consulté le 22/11/2016.
The New York Times, Latest election polls 2016, Wilson Andrews, Josh Katz et Jugal Patel. Mis en ligne le 08/11/2016. Consulté le 03/12/2016.
Crédits photo:
Unes Le Point, Daily Mirror, New York Post
Philippe TASTET
Azam

Société

L'Opinion : on change tout et on recommence

 
En 1996, le Monde Diplomatique lançait son site Internet, où l’on retrouvait, avec une esthétique très épurée, le contenu de ses articles papier. Depuis, toute la presse a épousé cette stratégie. Émotion, émulation, excitation d’un nouveau canal chargé d’un imaginaire fort en utopies : les années 2000 furent marquées par une fantastique idée du tout gratuit et du libre accès aux connaissances. Hélas, ce modèle, comme on le sait, s’est avéré peu rentable, a nui aux journalistes comme au journalisme tout court ; l’impératif du clic engendrant une course au « buzz » et au contenu vain et vaguement amusant, le LOL. Face à cette double crise dont on nous a déjà bien trop parlé, quelles alternatives ?
Certains décidèrent d’adapter le journalisme à cette nouvelle matière qu’est Internet, plutôt que d’opérer un simple transfert. Ils se saisirent des possibilités qu’il offrait : interactivité, objets dynamiques… C’est l’histoire de cette curieuse soucoupe que fut OWNI, un « pure player » (un média n’existant que sur Internet), avec un aspect graphique, fortement artistique et qui a été repris même dans les journaux papiers désormais. Un média qui prétendait à une information différente, en exploitant le mythe des données, supposées neutres et révélatrices de vérités. Le contenu n’en était pas moins intéressant, et l’on doit à cette initiative beaucoup d’innovations et une nouvelle conception de ce que peut être l’information à l’ère du Web. Seulement, OWNI a fermé cette année.
Quant aux autres grands titres, des déboires de Libération aux difficultés du Monde, en passant, si l’on fait un petit détour à l’international, par la fermeture de Newsweek, le modèle qui saurait concilier écrit et écran semble encore bien flou. Il y a bien le New York Times qui a adopté un “paywall”, un mur payant où l’on peut ne peut lire que le début des articles gratuitement – la page d’accueil se présentant comme une sorte de Une cliquable, assez surprenante. Mais n’importe qui n’est pas le New York Times, et il est peu probable que cette solution soit applicable à tous les médias.
Pourquoi ces échecs ?
Eh bien peut-être parce que les médias traditionnels ne se sont toujours pas saisis d’Internet. Ils l’interprètent encore comme un faible écho aux productions écrites. Certains prennent tout de même acte du fait que leurs lecteurs ont changé d’usage. Le Monde a récemment refondu sa page d’accueil, plus dynamique et mouvante, plus adaptée à la rapidité d’Internet tout en proposant en parallèle un temps propre à la réflexion avec des articles qui se rallongent dans son journal. On peut y trouver une carte qui permet de visualiser ce qui se passe dans le monde, ce qui serait impossible à réaliser sur papier.
L’Opinion tente d’aller encore plus loin. A l’heure où cet article est écrit (13 mai), on peut lire sur la page de présentation de ce tout nouveau journal : « ce média sera à la fois un site Internet, une application pour mobiles et tablettes, une chaîne vidéo et un journal papier. » Les sites d’information ont forgé un nouveau terme pour en parler : c’est un « média web-papier ».
Pour la première fois, les deux supports sont mis sur un pied d’égalité. Même, selon France Culture, c’est Internet qui prend le dessus : « son modèle économique est inédit, puisque pour la première fois, le papier n’est que l’extension d’un support web majoritairement payant. » Nicolas Beytout, créateur de ce nouvel ovni, souligne son caractère radicalement nouveau. L’Opinion sera présenté sous forme d’une grille radio : on donnera des rendez-vous à heures fixes aux lecteurs (une méthode qu’applique déjà le Huffington Post avec le 13h de Guy Birenbaum par exemple). On y trouvera des mini JT vidéo, où les journalistes se filmeront, et le journal à 22h pour les abonnés. Quant à la ligne éditoriale : « libérale, pro-business et pro-européenne », pour se démarquer.
Coup de com’ ou nouveau modèle économique viable ? Le magazine sortira en kiosque demain, distribué gratuitement. Ensuite, affaire à suivre…
 
Virginie Béjot
Sources :
Le Nouvel Economiste : L’aventure de l’Opinion, le nouveau journal de Nicolas Beytout
BFM TV : l’Opinion, nouveau site d’info pensé comme une grille de radio
France Culture : l’Opinion, nouveau modèle économique de la presse en ligne ?

Edito

Fail de Fringues

 
C’est déjà la rentrée pour les Celsiens et les rédacteurs sont ravis de reprendre le travail. Le blog nous a manqué et nous espérons que vous serez nombreux à nous suivre lors de cette reprise. Après un mois de vacances quasiment coupée du monde, il m’a semblé très difficile de trouver un sujet approprié pour cette rentrée et pourtant ! C’est au détour d’une page du dernier Elle qu’un sujet s’est imposé à moi.
Pour la plupart d’entre nous, Kookaï n’est qu’une marque de vêtements pour jeunes femmes parmi d’autres. Que l’on aime ou pas, c’est également une marque qui fonctionne bien. Cependant, il semblerait que celle-ci ait une histoire plutôt mouvementée quand il s’agit de communiquer vers le grand public. Dès la fin des années 90, Kookaï pouvait se vanter d’avoir fait parler d’elle avec sa saga mettant en scène l’homme objet sous l’emprise du Girl Power. Si le ton de la marque se faisait plus discret ces derniers temps avec de mignonnettes campagnes illustrant la femme Kookaï toujours plus ingénue, il n’aura fallu qu’un seul visuel pour replacer la marque aux côtés de provocateurs comme Benetton… Mais comme Benetton, c’était peut être la campagne de trop. L’année dernière, les visuels des chefs politiques aux bouches délicatement appuyées ont fait le tour du monde. Reste à espérer que ce ne sera pas le cas de la dernière campagne Kookaï, déjà largement visible dans les magazines féminin du type Elle, Grazia…
Voici les 3 visuels constituant la campagne « Cool but Chic » :

Trouvez l’intrus !
Et voici comment la marque présente elle-même cette nouvelle campagne sur sa page facebook :
« Nous découvrons la femme KOOKAÏ, tout au long des visuels, dans ses contradictions qui en font ce qu’elle est : Une femme vraie et glamour. Tous ses petits défauts sont sublimés par sa classe incontournable. Cool but Chic représente ce mariage talentueux entre authenticité et sophistication ! »
Vous l’aurez sûrement deviné, l’image qui dérange est la troisième car même si les deux premières ne présentent pas de grand intérêt (en particulier si l’on s’attarde sur la traduction se voulant fine et espiègle) elles rentrent plus ou moins dans les codes actuels de la communication du secteur. Loin de moi l’idée qu’il faille rester dans les codes, au contraire, je pense que le public est ravi d’être surpris par toujours plus d’audace. Avant de foncer tête baissée dans le débat sur l’anorexie, la mode, les mannequins russes de 14 ans qui tombent comme des mouches, j’aimerais prendre une seconde pour essayer de comprendre ce qui a bien pu se passer dans la tête des concepteurs de cette campagne. On est en droit de se demander si la marque s’est sentie l’âme créative et s’est lancée elle-même dans la réalisation ou bien si une agence se cache véritablement derrière ce travail (auquel cas ce serait très inquiétant). Ma lecture la moins négative de ce message différera peut être de la vôtre. Il m’a semblé que la marque cherchait à dire que cette jeune fille était « affamée » (cf la traduction si délicate) car elle préférait dépenser ses sous pour s’acheter des vêtements chez Kookaï. Cependant alors que j’écris ces mots, j’ai peine à croire que l’on puisse se planter autant. Car il est évident que la première signification de ce message est : « affamez vous pour être maigres donc chics ». Et d’ailleurs, après avoir publié les trois visuels sur sa page Facebook, la marque a du faire face à deux plaintes de ses fans concernant la jeune fille « Hungry but chic ».
Voici la plus pertinente d’entre elles :
« I think this is so wrong on so many levels, I know that it’s just an advertising but hungry is not chic, hunger is not chic, and by making this ad you are promoting the ugly fashion industry that is growing, thinner models, saying that you need to be skinny to be chic and encouraging young girls to starve themselves. »
Traduction : « Il y a tellement de choses qui ne vont pas avec ce visuel, je sais que c’est juste une publicité mais être « affamée » n’est pas chic, la faim n’est pas chic, et en réalisant cette pub vous faites la promotion de l’hideuse industrie de la mode qui entretient des top models de plus en plus minces, en disant qu’il faut être maigre pour être chic et en encourageant de jeunes filles à s’affamer ».
Et voici la réponse du community manager en charge de la page :
« Bonjour,
Certain(e)s d’entre vous ont réagi au visuel HUNGRY BUT CHIC. Cette affiche montre comment se faire pleinement plaisir tout en restant élégante, même prise en flagrant délit de gourmandise… L’image véhiculée par notre publicité montre une femme moderne et mode, à la personnalité affirmée, qui garde un certain décalage humoristique en toutes circonstances. Cette campagne comporte 3 visuels qui vont dans le même sens : la femme du visuel MESSY BUT CHIC assume le désordre de son sac à mains tout en restant élégante et SINGLE BUT CHIC montre une femme qui sait rester mode, même en changeant le pneu sa voiture.
Voici de quoi vous rassurer sur l’intention de notre marque.
Bonne journée à tous nos fans !
KOOKAÏ”
Je ne sais pas si vous êtes rassurés mais c’est loin d’être mon cas…
Affaire à suivre…
Marion Mons
Sources :
Et Kookaï sortit de l’anonymat par Véronique Richebois – 02/08 – Les Echos
Page Facebook de Kookai

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