Société

Le doigt à l’honneur

Avec son voyage à Saint-Martin (Antilles) en Septembre dernier, notre président a eu l’excentricité de remettre à l’honneur un symbole à priori aux antipodes du cadre politique : le doigt d’honneur.

Tweet sur Ponce Pilate et le débat Sarkozy Hollande 2012
Agora, Com & Société

« Ponce Pilate ! », mais pourquoi ?

 
Ce moment du débat présidentiel en a surpris plus d’un et à juste titre. Les deux candidats étaient alors parvenus à ce moment de leur « discussion », où était ressorti l’affaire DSK. M. Sarkozy accusait M. Hollande de très bien connaître la nature des vices de Dominique Strauss-Kahn, il lui répond donc : « comment vouliez-vous que je connaisse la vie privée de Dominique Strauss-Kahn ? Vous aviez des informations ? Moi je n’en avais pas ». Son débit oratoire est alors très rapide, et cela fait déjà plus de deux minutes qu’ils parlent en même temps et luttent pour prendre le dessus. On atteint clairement un moment où la tension culmine, et la réponse de M Sarkozy tombe alors, assortie d’un air désabusé : « Ponce Pilate ».
Petit rappel historique. Car, même pour nos lecteurs qui connaissent leurs références, il est important en l’occurrence de revenir sur ces détails. Il faut partir du principe qu’ici la référence est biblique, et non pas historique, et qu’elle est employée comme expression figée. Ponce Pilate est donc, selon l’évangile de Luc (3,1), gouverneur de Judée et il est resté célèbre grâce au rôle qu’il a joué dans l’arrestation et la condamnation de Jésus Christ. En effet, Jésus après avoir été trahi par Judas et condamné par l’assemblée législative traditionnelle du peuple juif (le Sanhédrin), doit encore être jugé par le tribunal romain, dont les autorités occupent Jérusalem. Ponce Pilate est le préfet en charge de ce procès, mais il reste sceptique quant aux motifs d’accusation : Jésus Christ est accusé d’avoir excité la révolte du peuple et d’être « le roi des juifs ». Se joue alors une scène d’une injustice flagrante d’absurdité ; Ponce Pilate lui demande : « Es-tu le roi des Juifs? » et « Jésus lui répondit: Tu le dis. » (Matthieu 27 :11). Il refuse ensuite de répondre à toutes les autres questions de Ponce Pilate, qui déclare alors : « Je ne trouve rien de coupable en cet homme. » (Luc 23 :4). Cependant il existe une coutume qui laisserait la liberté au peuple, durant les jours de fête, de libérer un prisonnier et un seul. Comme c’est le jour de Pâques, Ponce Pilate s’adresse à la foule et demande s’ils souhaitent libérer le « roi des juifs », et la foule excitée par le grand conseil et « les sacrificateurs » crie : « Qu’il soit crucifié! » ; le gouverneur ajoute: « Mais quel mal a-t-il fait? Et ils [crient] encore plus fort: Qu’il soit crucifié! » (Matthieu 27 :22-23). Alors Ponce Pilate se lave les mains devant eux et dit : « Je suis innocent du sang de ce juste. Cela vous regarde », et le peuple en accepte la responsabilité (Matthieu 27 :24).
Après cet examen poussé de l’histoire biblique, revenons au débat. La première remarque sans doute à faire, est que M. Sarkozy a comparé Dominique Strauss-Kahn à Jésus. Outre ce non-sens, on comprend cependant qu’il sous-entendait que M. Hollande défendait intérieurement Jésus Strauss-Kahn, mais qu’il « s’est lavé les mains » de sa condamnation et en a reporté la responsabilité sur autrui, de manière lâche et faible. Dans notre cas très particulier, on peut même comprendre, que dans un sens très large, Nicolas Sarkozy accusait François Hollande de faire lâchement l’ignorant en taisant sa complicité et sa connaissance des vices de DSK.
Et c’est après toutes ces explications que vient la véritable question que veut soulever cet article : POURQUOI ? Quels étaient les potentiels électeurs visés par cette accusation ? Est-elle volontairement allusive ? Quelles sont les personnes qui ne l’ont pas perçue comme pédante et/ou mystérieusement incompréhensible ? Pourquoi, en bref, Monsieur Sarkozy a cessé pendant quelques secondes de faire du « grand public » a un moment qui l’était pourtant tellement ?!
Solution n°1 : M. Sarkozy s’adressait à l’élite cultivée de cette nation, et même à la gauche caviar et sceptique, à ses bobos invétérés qui ont hurlé au scandale durant les épisodes du Sofitel, et qui sont allés au catéchisme quand « ils étaient jeunes ».
Solution n°2 : M. Sarkozy espérait qu’on admire aveuglément sa culture, pour contrecarrer l’image du –pourtant indélébile- « cass’toi pov’ con ».
Solution n°3 : il s’est laissé emporter par la tension qui grandissait alors dans le débat, il s’est laissé tenter par le clash, par la joie de la petite phrase charmante et bien placée, une que, même Giscard d’Estaing n’aurait pas osée, au temps de la première « petite phrase » médiatique. C’est bien une « vanne », et du clash, dans la mesure où ce n’est pas expliqué et soutenu par un réel argument, c’est simplement une « pique » comme on n’en fait plus. Intellectuellement c’était justifié, médiatiquement c’était un échec (et le pire des échec pour une vanne du débat présidentiel : l’indifférence et le silence de l’incompréhension).
La leçon de l’histoire ? La France laïque ne connaît plus la Bible ni ses Evangiles et Sarkozy ne sait plus « clasher ». De quoi « s’en laver la main »…
 
Marine Gianfermi
Sources :
Les passages des Evangiles cités (Matthieu ; Luc)
L’extrait du débat
La page Wikipédia de Ponce Pilate (à consulter si on s’intéresse réellement à l’histoire de Ponce Pilate, qui est tout de même considéré comme un saint par l’Eglise orthodoxe éthiopienne et les Eglises coptes)
Crédits Photo : les meilleures tweets sur Ponce Pilate avant et pendant le débat.

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