Politique

Cartographie des flux migratoires : mode d’emploi pour faire paniquer l’Europe.

Eté 2015. Depuis 4 ans, le Nord de l’Afrique et le Moyen-Orient sont en proie à des mouvements insurrectionnels violents qui nourrissent les flux migratoires vers le vieux continent. Au sein de l’Union européenne, c’est la cacophonie : tandis que la chancelière allemande Angela Merkel semble ouvrir ses bras aux demandeurs d’asile, les pays en première ligne comme l’Italie ou la Grèce développent une rhétorique de l’invasion qui finit par innerver l’ensemble des positions politiques de l’Union. Dans les médias, les expressions “crise migratoire”, “crise des réfugiés” ou “tsunami migratoire” se développent. Dans ce contexte, des cartes en tous genres se multiplient pour tenter de comprendre et représenter la gravité de la situation. Or, en s’appropriant l’objet cartographique, certaines institutions et acteurs de la société civile modifient en profondeur la réalité des phénomènes migratoires. Car la carte est un objet complexe ; outil scientifique à part entière, elle est surtout une production humaine qui demande à faire des choix et qui ne peut donc totalement s’extraire de celui ou celle qui la conçoit. A travers cet article, il s’agira de comprendre que la carte ne peut qu’offrir une vision subjective de la réalité, celle de son auteur. Par de multiples exemples et analyses sémiologiques approfondies, on tentera d’expliquer comment la carte peut alors devenir un objet communicationnel, véritable outil de propagande au service d’une idéologie particulière. Enfin, pour sortir de l’impasse, il faudra esquisser une “cartographie de l’attention” pour représenter les phénomènes migratoires à des échelles bien plus fines. La Carte ne peut offrir qu’une vision subjective des territoires qui déforme la réalité et influence nos représentations.  La carte ne peut par définition être qu’un outil d’interprétation du monde. Si elle se propose en effet de représenter la réalité des territoires à différentes échelles sur un support facilitant son étude, elle ne peut cerner dans toute sa complexité et sa diversité l’essence même de l’espace. Oeuvre d’un cartographe-géographe, elle est donc le produit de ses choix et offre la vision d’un territoire sous le prisme de son auteur. Prenons une carte du monde ; on y voit l’Europe en son centre. Est-ce à dire que l’Europe est le centre du monde ? Au contraire, le modèle eurocentré selon la projection Mercator ne permet-il pas de légitimer un discours de domination de l’Europe sur le monde en affichant une place de centralité sur de nombreux planisphères ?  Un détour par la Chine permettra de mieux fixer notre réflexion. Le pays cherche en effet depuis plusieurs décennies à devenir une véritable puissance en Arctique comme en Antarctique. Mais la tâche est difficile, l’Empire du milieu se situant à 4 500 kilomètres du pôle Nord et plus de 11 000 kilomètres du pôle Sud. Il s’agit donc avant tout de légitimer sa place dans la gouvernance de ces régions. Pour ce faire, la Chine a développé le concept d’Etat du “proche arctique” et propose, par des représentations cartographiques, une vision à son avantage de la réalité. Le travail de Hao Xiaoguang (Figure 1) permet ainsi d’afficher la Chine dans une position de centralité mais surtout en proximité directe avec les pôles, le pays faisant graviter l’Arctique et l’Antarctique autour de lui. Les routes commerciales passant par l’Arctique apparaissent même beaucoup plus courtes que celles plus traditionnelles passant par le canal de Suez ou le canal de Panama. La réalité est ici exagérée par une projection qui agrandit les distances en périphérie de la carte.       Figure 1. Source : Hao Xiaoguang, http://www.hxgmap.com/imag3/1106north.jpg Ainsi, la carte devient un véritable outil de communication au service d’une politique particulière. Afin d’asseoir sa domination ou toute autre idéologie, la représentation d’un certain espace sur la carte permet d’influencer nos représentations et de légitimer certains discours. Faire une carte, c’est donc avant tout faire des choix. Opter pour une projection, une échelle particulière, un type de figuré ou même un titre, c’est produire une vision d’un territoire, non sa stricte représentation. En érigeant la carte comme un objet scientifique et institutionnel, à l’image de celle de Hao Xiaoguang reprise notamment par l’armée populaire de libération comme carte militaire officielle, la Chine fait valoir une réalité déformée à son avantage. Elle rend acceptable ce que Jack Goody appelle la “distorsion de l’espace”, soit les déformations engendrées par la représentation cartographique et les différents modèles de projection. De fait, la projection Mercator, centrée sur l’Europe, déforme les territoires aux latitudes les plus hautes : si le Groenland semble plus gros que l’Afrique, il est en réalité 14 fois plus petit que le continent. En affichant des modèles de représentation du monde, la carte influence notre conceptualisation de ce dernier, sa perception dépendant de l’outil cartographique. Comment alors faire comprendre que l’Europe n’est pas le centre du monde quand toutes les représentations de notre monde en font son centre ? Et Si d’autres projections plus fidèles existent, le rôle communicationnel de la carte reste encore lui très prégnant, comme le montre la cartographie des flux migratoires en Europe. Un “tsunami migratoire” vers l’Europe ? Ainsi, à partir de 2011 et du déclenchement du Printemps Arabe, l’Union européenne se trouve en proie à l’une de ses failles institutionnelles : la gestion et l’accueil des réfugiés et des migrants. Les tentatives de législation sur le sujet sont fortement critiquées à la fois par des Etats qui souhaitent garder la main sur leur politique migratoire mais aussi par les pays qui se retrouvent en première ligne face à la hausse du nombre de demandeurs d’asile, notamment ceux du pourtour méditerranéen. En 2015, ce sont 1,2 millions de demandes d’asile qui sont enregistrées en Europe, un chiffre deux fois plus élevé que l’année précédente. Devant l’ampleur du phénomène, les discours se durcissent et la carte devient le symbole d’une anxiété généralisée pour illustrer la situation. Or ces cartes sont souvent trompeuses, voire délivrent de fausses informations dont les partis anti-immigration tirent profit. En qualifiant cette hausse subite de l’immigration de “crise migratoire” ou “crise des réfugiés”, les partis politiques et médias européens utilisent l’objet cartographique comme illustration d’un phénomène dramatique à résorber. Maniant à leur guise échelle de représentation, code couleur ou encore types de figuré, il produisent une version déformée de la réalité et véhiculent un sentiment de peur au profit d’une idéologie politique particulière : celle de la fermeture des frontières.  L’étude sémiologique des deux cartes suivantes, publiées pendant la prétendue crise, permet de mettre en lumière certains des arguments mis en évidence plus haut et lève ainsi le voile sur l’outil de propagande que peut être la carte. La première carte (Figure 2), au titre évocateur, a été réalisée par Alberto Lucas Lopez en octobre 2015 et récompensée par plusieurs prix. Elle se veut être une représentation de l’exode syrien, véritable “marée de réfugiés” selon les dires de l’auteur. Si la carte a le mérite de représenter des flux migratoires en dehors de l’Europe, elle délivre au premier coup d’œil une vision erronée de la réalité. En effet, si la légende indique une multiplication par 24 de l’échelle des flux vers l’Europe par souci de visibilité, la taille et l’emplacement de la notation la rendent quasiment illisible. Il semble alors qu’un pays comme la France a accueilli plus de réfugiés que la Jordanie alors même que cette dernière a effectivement accueilli 630 000 exilés en provenance de la Syrie en 2015 contre seulement 30 000 pour la France. Notons également l’importance du bleu, tant dans la représentation des mouvements migratoires que dans le graphique au bas de la carte. En faisant écho à la “marée” du titre, le cartographe laisse présager un tsunami migratoire vers l’Europe. En voulant produire un document pédagogique devant faciliter la lecture de la réalité, l’auteur contribue à la création d’une appellation erronée, celle de “crise des réfugiés”. Ainsi, des études ont montré que les ressortissants syriens constituent 0,13 % de la population des 28 en 2016, contre plus de 16 % au Liban par exemple. L’appellation de crise semble donc largement exagérée au regard des situations extérieures.   Figure 2. Source : The tide of refugees, Alberto Lucas Lopez Mais la grande majorité des cartes produites n’ont même pas le mérite d’étendre leur schématisation de l’espace et des dynamiques migratoires au-delà de l’Europe, participant ainsi d’une invisibilisation totale des autres flux migratoires, pourtant plus importants. C’est le cas de la deuxième carte sélectionnée (Figure 3), produite par Frontex, l’agence de surveillance des frontières extérieures de l’Union européenne. Conçue en 2015, la carte représente l’origine des personnes entrées de manière irrégulière en Europe entre juillet et septembre 2015. Le jeu des couleurs est une nouvelle fois révélateur : au bleu symbolisant le havre de paix qu’est l’Europe se superpose le rouge représentant les flux migratoires vers le continent, couleur associée au mal et à la peur dans notre imaginaire collectif. La grosseur des flèches laisse à penser l’importance du phénomène, renforcée par l’absence d’échelle ou de flux migratoires autres que vers l’Europe. Enfin, comme dans la carte précédente, le choix des flèches fausse la réalité des trajectoires migratoires et laisse imaginer un voyage facile et direct, d’un point A à un point B. Ici, la production d’une telle carte répond à des objectifs politiques ; les institutions européennes cherchent à se légitimer par l’émission de cartes. En véhiculant une image faussée de la réalité et eurocentrée, Frontex produit un tableau anxiogène de la situation et contribue ainsi de la création d’une panique morale complètement déconnectée de la réalité. Elle parvient de par cette occasion à justifier l’importance des fonds qui lui sont alloués : contre la menace que représente la migration, Frontex entend bien mettre un terme à ce qu’elle considère comme une invasion. Figure 3. Source : Frontex Ainsi, on l’a vu, la cartographie obéit à des logiques contradictoires qui rendent flous ses objectifs et les motivations de son auteur. Si la carte semble être un objet scientifique de description des territoires, elle peut aussi devenir un véritable outil de propagande au service d’intérêts divers. L’enjeu contemporain des migrations permet de révéler les dérives de l’utilisation de cartes à des fins politiques afin de légitimer des institutions particulières au détriment d’une vision claire et limpide de la réalité. Parfois, au contraire, c’est la trop grande simplification de cette réalité qui amène à une distorsion du réel. Pour faire face à ces écueils et sortir de l’impasse, une autre cartographie est possible, celle de “l’attention”. Il s’agit d’appliquer la méthode cartographique à des échelle bien plus fines afin de mieux cerner certains phénomènes en privilégiant une “prise en compte du singulier” (Olivier Clochard). Ainsi, représenter les trajectoires individuelles des migrants ou des réfugiés permet de resserrer le lien entre la carte et la réalité. En faisant apparaître les détails du parcours, les arrêts ou les détours, le cartographe peut produire un véritable travail scientifique et dépasser les attributs communicationnels de la carte qui peuvent lui nuire.  Pour aller plus loin et étayer notre réflexion, on conseille l’excellent ouvrage de Camille Schmoll Les Damnées de la mer qui centre sa réflexion sur les femmes dans les migrations et insiste sur la nécessité de rendre visible les phénomènes migratoires dans toute leur complexité aux échelles les plus fines. On conseille également les excellents articles suivants qui ont contribué à la réalisation de cet article et qui sont disponibles sur Géoconfluences : Comment cartographier les circulations migratoires ? Quelques pistes de réflexion à partir du cas des exilés syriens (David Lagarde) ; Le concept de troisième pôle  : cartes et représentations polaires de la Chine (Olga V. Alexeeva et Frédéric Lasserre). Enfin, pour mieux cerner le contexte de la dite “crise des migrants” en Europe, on recommande le dossier Comprendre la crises des migrants en Europe en cartes, graphiques et vidéos disponibles sur Le Monde (Les Décodeurs). Martin Clavel
4
Société

Communiquer la peste (et les épidémies en général)

Pour nombre d’entre nous, le concept d’épidémie est associé au souvenir du cours d’histoire médiévale suivi au collège, et en particulier à celui de la peste. Souvent fascinés par la peste noire, rares sont les élèves qui n’ont pas eu l’occasion de voir au moins une reproduction des dessins scientifiques de l’époque, détaillant les symptômes physiques des malades (en particulier les bubons !) et mettant en scène des médecins de peste aux terrifiants masques d’oiseaux. Entre 1347 et 1352, la peste noire a tué entre 30 et 50 % de la population européenne, faisant environ vingt-cinq millions de victimes. Si le souvenir de cette épidémie en particulier est aussi vif dans l’inconscient collectif plus de sept-cent ans après, c’est d’une part parce qu’elle a été particulièrement dévastatrice, mais aussi parce qu’elle est la première épidémie de l’histoire à avoir fait l’objet d’une description documentaire par les chroniqueurs contemporains et non plus seulement scientifiques.

Inévitables et imprévisibles, la plupart du temps traversées d’incertitude, de confusion et d’urgence, les périodes d’épidémies sont synonyme d’angoisse. La communication, notamment médiatique, est un enjeu crucial dans la gestion de ces crises. C’est particulièrement évident quand celle-ci échoue, en étant trop peu alarmiste par exemple, et retardant alors les contrôles sanitaires. Ce type d’erreurs dégradent fortement la confiance des populations envers les institutions de santé publique responsables, et génèrent des tensions sociales aux conséquences économiques et politiques désastreuses. Jean-Baptiste Fressoz fait un comparatif historique stimulant entre l’échec de la campagne de vaccination contre le virus H1N1 (la fameuse « grippe aviaire ») en 2009 et l’inoculation de la variole au XVIIIe siècle, en s’intéressant à la gestion des individus par l’idée de « risque ». Au-delà de la question de la gestion des corps, on peut se demander, en gardant à l’esprit l’échec fracassant de la communication sur la grippe aviaire, génératrice à la fois d’un climat d’angoisse et d’une vaccination marginale, les conséquences qu’aurait eues une mutation du virus H1N1 en un virus porteur de symptômes aussi graves que ceux de la variole…

Pendant des siècles, les stratégies de communication adoptées par les autorités publiques dans la gestion des épidémies de maladies infectieuses ont été fortement basées sur le déni et les grandes déclarations sensément rassurantes, suivies plus tard par des mesures de restriction s’imposant aux individus (quarantaine, isolation, hospitalisation obligatoire) et des sanctions sévères pour les personnes récalcitrantes. On observe depuis la Révolution Industrielle des efforts davantage concentrés autour de l’éducation et les messages prescriptifs. Néanmoins, force est de constater que c’est souvent dans l’extrême inverse que versent aujourd’hui nos sociétés contemporaines.
« Tout éclatement de pandémie ou flambée de maladie de grande ampleur devient rapidement un sujet brûlant d’actualité : la recherche se lance à folle allure, les résultats sont incertains, le traitement regorge parfois de détails saisissants, des mesures sont prises pour limiter la propagation. Une actualité débordante, venant trouver un terrain fertile, bien sûr, grâce à une dose de peur. » affirment Fang Xuanchang, Jia Hepeng et Katherine Nightingale sur SciDev.net. C’est dans les premières phases d’une épidémie que de nombreuses opportunités de « buzz » s’offrent aux journalistes. Avec des possibilités démultipliées d’interview de chercheurs et de médecins, et plus généralement la prédisposition des rédacteurs en chefs à publier des articles scientifiques en potentiel liens avec la nouvelle maladie, l’épidémie prend des proportions énormes dans le traitement de l’actualité sur une période donnée.
Il s’agit donc de trouver le juste équilibre entre une information efficace de la population relativement aux risques de la maladie en cours d’évolution, et le maintien d’un calme relatif. Dans un rapport de Médecins Sans Frontières sur une année de lutte contre Ebola, « peur » et « panique » sont les mots qui reviennent le plus fréquemment. « L’insistance des messages de prévention sur la gravité de la maladie a amené la population à penser que puisque celle-ci est toujours mortelle, il est inutile d’amener les malades aux centres de soins. Ceci, quand elle ne croyait pas, en plus, que les centres de soin accéléraient le décès » décrit Bernard Seytre dans une réflexion sur la stratégie de communication dans la gestion d’Ebola.

Mais malgré leur caractère globalement assez néfaste, il semblerait que la demande d’articles sensationnalistes soit bien réelle. Quelques heures à peine après le lancement d’alerte sur la propagation du virus Zika, le nombre de papiers sur la question était déjà vertigineux. « Zika : le monde en alerte face à cette épidémie mortelle » titre Le Figaro du 6 février 2016. Difficile de ne pas céder à l’inquiétude, ou au moins à curiosité face à un titre pareil. Alors on clique, on achète le magazine, et l’objectif est atteint. La question d’un traitement journalistique responsable des épidémies se pose alors légitimement. Expliquer les fondamentaux de la maladie, poser clairement l’état des connaissances scientifiques sur celle-ci, et d’emblée chercher à donner une certaine pertinence locale à une actualité internationale pour limiter les risques de diffusion peuvent constituer de premiers éléments de réponse.
Mariem Diané
Sources:
Sante-Afrique.fr
Scidev.net, comment communiquer sur une épidémie ou une pandémie,
Wikipédia, Peste noire
La vie des idées, Le risque et la multitude, Jean-Baptiste Fressoz, 16 mars 2010
Images:
Atlantico
AP Photo/Kyodo News
Democracy in Guina – Over Blog

vigipirateASYM FNC
Politique

La France de la terreur

A la suite des faits divers survenus au commissariat de Joué­-Les-­Tours où deux policiers auraient été poignardés par un individu clamant sa radicalisation ainsi qu’à Nantes en décembre dernier, le premier ministre Manuel Valls a déclaré « jamais nous n’avons connu un aussi grand danger en matière de terrorisme ». S’il s’agissait d’actes isolés les uns des autres, ces faits divers ont effectivement alimenté la glose médiatique par leur proximité avec le phénomène du djihad (« l’effort » en Arabe). Or, la réaction très directe du premier ministre, ainsi que d’autres acteurs politiques comme Florian Philippot sur le plateau de RTL, amène à questionner l’état actuel de la société française quant à son islamophobie au sens large puisque la représentation du « péril terroriste » alimente notre quotidien médiatique et politique, en faisant du terrorisme notre plus grande peur. Certes, c’est par le vote anticipé de plusieurs lois antiterroristes ainsi que par le renforcement sécuritaire, à l’œuvre en France, que l’étau se resserre un peu plus sur la peur du djihad. Par qui les Français sont-­ils vraiment terrorisés et en somme qui nous terrorise ?

 
Un attirail législatif en écho aux faits divers
En raison de l’engagement français dans la lutte contre l’État islamique en Irak et au Levant, ou encore de la participation dans la coalition internationale pour combattre le djihad en Syrie, en Libye mais surtout au Mali et en Centrafrique, le risque d’attentats et la menace terroriste à l’encontre de la France se font, chaque jour, de plus en plus sentir. Ce sont, ainsi, plusieurs mesures qui ont été mises en place afin de réduire ce risque, de le contrer, de le prévenir.
Il s’agit, d’une part, d’un projet de loi initié en juillet 2014 en réponse directe à la multiplication de faits divers relatifs au terrorisme, notamment à la suite de l’affaire Mehdi Nemmouche devant le musée juif de Bruxelles ou encore les assassinats perpétués par Mohamed Merah à Montauban et Toulouse.
Ce dispositif législatif n’est, en réalité, qu’un renforcement puisque 14 lois antiterroristes existent déjà depuis 1986. La nouveauté de la loi votée le 4 novembre 2014 autour d’un consensus des sénateurs socialistes, UMP, radicaux et centristes réside d’abord dans l’interdiction de sortie du territoire d’un individu suspecté de velléités djihadistes à l’étranger. Cette interdiction serait rendue possible par une confiscation des papiers d’identité pour une durée renouvelable de six mois à deux ans. Cette interdiction s’applique également à l’entrée sur le territoire dès lors qu’il s’agit d’un ressortissant de l’Union Européenne ou d’un membre de sa famille. Ce nouvel article pose problème puisqu’il évoque le danger que représenterait la présence de ces individus pour la sécurité des publics. Au-­delà du non­-respect des libertés individuelles, beaucoup de juristes s’inquiètent de l’interprétation qui peut découler d’une telle interdiction surtout en ce qui concerne la communauté rom en Europe.
Ensuite, c’est bien en réponse aux faits divers de ces dernières années, ainsi que du mois de décembre à Nantes ou Joué­-Les-­Tours, que le texte prévoit de parer les « entreprises terroristes individuelles » avec la fermeture de sites faisant l’apologie du terrorisme sur Internet mais aussi en anticipant la radicalisation d’un individu agissant seul ou en groupe. Il s’agirait de surveiller la détention d’armes ou d’explosifs ou la formation au maniement de ces objets. Quid de la présomption d’innocence ou des libertés individuelles ?
De fait, Christine Lazerges, présidente de la commission nationale consultative des droits de l’homme, soulignait dans une interview au Monde que les projets de loi en matière de lutte contre le terrorisme étaient désormais toujours initiés par le ministère de l’intérieur et non le ministère de la justice quelle que soit la majorité au pouvoir. Certes, c’est bien dans une logique d’actualité et de terreur que ces lois sont élaborées de sorte qu’elles provoquent un consensus large au sein des différentes factions politiques au Parlement. L’émotion provoquée par un fait divers ne peut, effectivement, qu’encourager un vote sécuritaire. Toutefois, il s’agit bien d’anticiper un risque et non de le punir. C’est pourquoi ces lois vont à l’encontre même de notre système démocratique et répondent au sensationnel sur un rythme très médiatique sans prévoir les conséquences à plus long terme ou ce qu’un changement politique pourrait entraîner si on les appliquait avec le flou laissé en suspens autour de leur interprétation.
D’autre part, la liberté d’expression est également fragilisée puisque la loi contraint les hébergeurs de sites faisant l’apologie de l’islamisme à la fermeture. S’ils sont une menace de propagande importante, ils sont aussi un moyen d’information quant à l’idéologie djihadiste et les fermer ne représente en rien une défense de la démocratie contre la radicalisation, sinon une répression punitive ayant à voir avec les méthodes djihadistes.
Vers une société paranoïaque
Ce renforcement législatif est également accompagné d’un plan Vigipirate comprenant 300 mesures confidentielles à activer selon la gravité de l’alerte. Si elles sont jugées « indispensables » pour Le Figaro, ces lois reflètent également le climat de terreur dans lequel vivent les citoyens français. En pratique, c’est en effet, une multitude de signes qui rappellent la menace : contrôles d’identités, fouilles et patrouilles dans les lieux publics indiquent bien un risque et provoquent par conséquent la peur.
Certes, cette peur se matérialise par la traque d’un ennemi intérieur et elle rapproche notre démocratie de l’enfer décrit par George Orwell dans 1984.
Islam et djihad sont, en effet, associés dans les représentations médiatiques mais également dans les faits puisque les opérations Vigipirate s’appuient sur des contrôles discriminatoires. Dès lors, c’est en traquant le terrorisme que l’on terrorise la population. D’une part, la population musulmane qui subit l’amalgame entre sa religion et un courant criminel et barbare qui s’oppose totalement à la sagesse que peut enseigner l’Islam. D’autre part, ceux qui craignent autrui et finissent par accepter une concession face à notre système démocratique pour mieux se protéger. Pis, ces mesures pourraient à terme ressembler au Patriot Act des États-­Unis mis en place après les attentats du 11 septembre et qui légitime la surveillance d’un citoyen dès lors qu’il représenterait une menace pour la sécurité du pays. Les dérives des agences de surveillance mais surtout la capacité de contrôler nos données personnelles nous orientent alors davantage vers une société paranoïaque puisqu’elle pousse beaucoup de citoyens à douter de l’État de droit et à croire aux théories du complot.
En conséquence, ces mesures préventives isolent d’elles-­mêmes une partie de la population qui n’est pas logée à la même enseigne que le reste des citoyens français à tel point qu’il est bon de se demander si les Musulmans se sentent en sécurité en France à l’heure actuelle. Ces représentations de l’intégrisme religieux poussent, d’ailleurs, de plus en plus de jeunes français à se radicaliser, qu’ils soient d’ailleurs Musulmans ou non. Ce sont ainsi plus de 1089 français impliqués dans des filières vers la Syrie et l’Irak à la date du 23 octobre 2014 d’après le socialiste Sébastien Pietrasanta, rapporteur du texte à l’Assemblée nationale. Or, dans la plupart des cas, ces individus sont présentés comme déséquilibrés ou empêtrés dans un axe du mal. Pourtant, ce sont bien les conditions sociales et l’isolement de ces personnes qui les amènent au fondamentalisme et à s’engager dans une voie où ils n’ont plus rien à perdre. Le retour de ces Français est souvent vu comme une menace à exterminer plutôt qu’une blessure à guérir. Leur détresse n’est jamais prise en compte et leur réinsertion n’est pas envisagée de sorte que la peur entraîne la haine puis l’exclusion d’une jeunesse qui ne trouve plus sa place en France.
Ainsi, c’est à travers un travail d’information sur ce qu’est le djihad et d’intégration solidaire qu’un vrai travail idéologique doit être mené en France afin que subsiste notre démocratie. Ce sont des films comme Timbuktu où la figure du jeune djihadiste Mamby rappelle que le choix de l’islamisme n’est pas rationnel et que ces jeunes qui choisissent le départ restent des êtres humains. Dès lors, si c’est la dignité et les droits de l’homme que l’on cherche à protéger en s’opposant au djihad, encore faut-­il que notre État les respecte.
Marie Vaissette
Sources :
Lesechos.fr
Rue89.nouvelobs.com
Youtube.com
Le Monde 1, 2 , 3 & 4
Lefigaro.fr
France2.fr
Ladocumentationfrançaise.fr
Libération.fr