Société

Nike, la marque à plusieurs casquettes, à l’aise dans ses baskets.

Quel est le point commun entre Lewis Hamilton, Dassault, la reine d’Angleterre, Nike et Shakira ? Tous ont fait preuve d’une inventivité spectaculaire (ou ont payé quelqu’un pour le faire) dans un même but : payer moins de taxes.
C’est ce scandale que vous entendez depuis des semaines à la radio, à la télévision, que vous lisez dans le journal, qui fait inlassablement écrire les journalistes, et qui pourtant ne change absolument pas les mentalités de la population. Ces sociétés, qui extirpent des millions, voir des milliards d’euros grâce à un système appelé prudemment « évasion fiscale » par les autorités, n’ont en effet absolument rien à craindre pour leur image.
 
Drible, feinte et contrôle du ballon
Il y a quelques semaines, vous ne saviez pas que Nike n’était pas seulement doué pour fabriquer des baskets. En effet, la marque à plusieurs casquettes excelle aussi dans l’art de la tromperie légale. Pour faire simple, les fonds récoltés par la vente des produits Nike n’arrivent pas directement à Nike S.A.S, mais à deux sociétés. Pour les ventes qui passent par des revendeurs, la transaction se fait à la Nike European Operation Netherlands BV (NEON), et pour les ventes faites directement par la société à Nike Retail BV qui est une filiale. Puisque tous les revenus des ventes européennes arrivent aux Pays-Bas, la marque ne paye pas de taxes. De plus, dans le but de diminuer les profits faits par la société NEON, Nike se fait payer des royalties pour l’utilisation du logo, du nom, etc. Moins de profit = moins de taxes. Et en plus, ces royalties arrivent tout de même dans les caisses de Nike.
Et cela fait 10 ans que cela dure.
 

 
Tour de passe-passe en demi volée
Pourquoi un tel scandale ne rebute pas les gens ? Pourquoi acceptent-ils toujours de payer 100€ une paire de chaussures qui a couté tout au plus 25€ de fabrication ? Ok, il y a le prix psychologique, qui est le coût qu’un client est prêt à débourser pour un produit, ok, un prix élevé permet de donner de la valeur au produit, mais là, Nike va encore plus loin.
Dans les années 2000 la marque a réussi à relever la tête après les nombreux scandales l’accusant d’employer des enfants dans des conditions déplorables pour la fabrication de leurs produits. Même s’ils ont géré leur communication de crise, Nike y a laissé des plumes quant à leur image de marque. Sauf qu’aujourd’hui, on apprend qu’elle a carrément réussi à ne pas payer de taxes en Europe par des mécanismes aussi subtiles que perfides. Apparemment cela ne gêne personne. Les parents offriront quand même une paire de Jordan à leurs enfants à Noël. « C’est tout le paradoxe de cette affaire : le nom de la marque revient en boucle mais son image, elle, va rester intacte », nous dit Jean Michel Boissière à la tête de l’agence MC2 (Médias Coaching Communication) dans son du blog L’Entreprise et les médias de l’Express.
 
Quand la virgule marque des points
Alors forcément, Nike n’engage même pas de communication de crise. Il faut dire que sa marque a une telle image ancrée dans l’imaginaire des consommateurs qu’il en faudrait plus pour l’ébranler. Nike, c’est bien plus qu’une marque, c’est un état d’esprit, un manifeste à la vie, au dépassement de soi et à l’audace. Pas étonnant qu’avec des mots d’une telle portée les consommateurs achètent ses produits les yeux fermés. La marque ne se montre plus comme un simple modèle économique dans le seul but de faire du profit, mais comme un repère de valeurs et d’humanisme. Elle touche la population qui porte ce qui lui ressemble. Paradoxe, car on assiste de ce fait à un modèle complètement tourné vers l’individualisme, vers l’égoïsme d’un consommateur rationnel ne cherchant qu’à satisfaire ses propres besoins et intérêts. Qu’importe alors ce qui ne les regarde que de loin. Qu’importe si l’Etat ne touche pas les taxes qui lui sont dues, si une société qui fait déjà des dizaines de milliards de dollars de chiffre d’affaire cherche toujours à gagner plus. Qu’importe si la société triche, du moment que l’égaux si précieux du consommateur est satisfait, si la marque lui donne ce dont il a besoin : de la reconnaissance par l’acte de consommation.
C’est radical, il faut faire face au mécanisme de désintéressement de la population pour des affaires qui ne les touchent pas directement et pour une problématique qui semble au premier abord complexe et bourrée de subtilités. Cela semble rebuter un public qui ne sait même pas s’il doit vraiment s’indigner pour un tour de passe-passe qui n’a au final rien d’illégal. Pas de quoi s’émouvoir comme devant une photo d’enfant débraillé assis par terre et cousant un ballon au swot doré.
Pas de bad-buzz donc, pas de crise et de prise de conscience. D’ailleurs, la nouvelle Air Max 2017 vient de sortir, de quoi (se) faire un joli cadeau de Noël.
 
Elsa Soletchnik
LinkedIn : Elsa Soletchnik
 
Sources :

BARUCH Jérémie. « Paradise Papers » : les montages fiscaux agressifs de Nike pour éviter l’impôt en Europe. Le Monde. 06/11/17. Consulté le 22/11/17.
LUCET Elise. « Paradise Papers » : au cœur d’un scandale mondial, Cash Investigation. 07/11/17. Consulté le 22/11/17.
Annabelle. Etique. Comment Nike a été forcé de changer ses pratiques. Consoglobe.com. 11/01/2013. Consulté le 26/11/17.
THUILLIER Tiphaine. Paradise Papers : pourquoi Nike n’a rien à craindre pour son image. L’Express. 07/11/17. Consulté le 20/11/17.
Jean-Michel BOISSIERE. « Paradise Papers » : des entreprises à l’abri du fisc… et du bad buzz. L’Entreprise et les médias, l’Express. 07/11/17. Consulté le 20/11/17.

 
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Image de couverture : itep.org
Magasin nike : www.nbcnews.com