agir réagir accomplir
Invités

"Aux urnes citoyens"

 
Malgré l’importance croissante du Parlement européen, son rôle en tant que représentant des citoyens reste amoindri par une participation électorale en baisse constante, et ce depuis les premières élections directes de Juin 1979. La participation moyenne dans l’Union Européenne est ainsi passée de 63% en 1979 à 43,4% aux dernières élections en 2009. A titre de comparaison cynique, la Grande-Bretagne a recensé près de 11 millions de votants aux élections européennes en 2009, contre près de 23 millions pour l’élection du gagnant de Big Brother cette même année. On ne peut que constater la faiblesse d’une démocratie représentative qui peine à convaincre et un manque de communication évident pour permettre aux citoyens de se sentir enfin concernés par les débats européens.

C’est pourquoi, les institutions européennes ont décidé de riposter par le lancement en septembre 2013 d’une vaste campagne de communication à l’occasion des prochaines élections européennes. Ces dernières auront lieu en mai prochain et appellent aux urnes tous les citoyens des Etats membres de l’Union afin d’en élire les 751 députés. Le Parlement Européen a déboursé près de 16 millions d’euros (soit 0,0316 euros par habitant de l’UE) pour une campagne de communication diffusée en 24 langues différentes dans les 28 pays concernés ainsi que sur les réseaux sociaux. Le slogan – « AGIR. REAGIR. ACCOMPLIR » – entend montrer aux électeurs européens qu’ils peuvent utiliser leur pouvoir, par le biais des urnes, pour participer à la construction de l’Europe de demain.

AGIR en votant pour entretenir la vitalité du débat politique citoyen
Il s’agit de repenser la démocratie à l’échelle européenne et de rappeler au citoyen qu’il possède le pouvoir de décision dans un contexte où l’UE doit faire face à un déficit démocratique et une représentativité dépréciée. L’opacité institutionnelle pourrait partiellement expliquer le désintérêt supposé des individus, celui-là même auquel la campagne de communication tente de répondre en essayant de clarifier les enjeux des prochaines élections et d’objectiver la compréhension des débats actuels par cinq thématiques définies : économie, emploi, qualité de vie, finances et intégration mondiale de l’UE.
Le défi actuel de l’Union est bien de faire comprendre que les institutions telles qu’elles s’édifient actuellement sont les plus appropriées pour exercer une souveraineté accrue en Europe. Cependant, celles-ci demeurent éloignées du citoyen et difficiles à comprendre, impulsant de fait l’instauration d’un système européen élitiste qui tend à créer les conditions d’une représentation oligarchique du pouvoir : on est bien loin de la volonté politique initiale d’une démocratie fédérale.
REAGIR à la montée des extrêmes insufflée par le déficit démocratique constaté
On constate un paradoxe entre la volonté affichée de l’UE de renforcer son caractère démocratique et la concrétisation de cette dernière. En effet, les principes démocratiques se réalisent essentiellement dans le cadre étatique national, faute de l’existence d’un véritable peuple européen. D’ailleurs, qui se sent davantage citoyen européen que citoyen français..?
Chaque gouvernement est soumis à une « opinion européenne » supposée qui ne correspond pas tant à une conversation citoyenne émanant de la société civile mais plutôt à un processus hasardeux et illisible provenant d’une représentativité hypothétique. La désaffiliation se renforce alors entre les citoyens européens et la politique fédérale, ce qui se traduit actuellement par une montée de l’extrême droite partout en Europe.
Il convient ainsi de réagir face à cette montée des partis dits contestataires qui s’appuient sur une idéologie populiste et font d’une angoisse existentielle issue d’une perte de repères structurels liée au déclin de l’Etat-Providence le cheval de bataille d’un discours qui cristallise les peurs chroniques et le danger conjecturé que représentent les étrangers, désignés comme responsables des maux de la société.
ACCOMPLIR les changements nécessaires pour revaloriser un contrat social mutualiste
Le problème central de l’Europe résulte de l’incertitude de ses ambitions. Dès lors qu’on ne sait pas ce que l’on veut mettre en commun, on ne peut pas créer de véritables institutions nouvelles pour répondre à une envie commune définie. De fait, on assiste à la juxtaposition d’institutions prosélytes et anciennes, nationales et communes, encombrant le pouvoir décisionnel européen et fragmentant les populations.
L’Europe a besoin de se forger un destin commun, une histoire collective, une volonté politique unique qui permettrait de la repenser comme une entité à part entière venant répondre à une demande de stabilité. Il serait alors possible d’assurer la prospérité du vieux continent face à la montée des nouveaux pays émergents et à la menace qu’ils représentent pour l’équilibre économique, politique et social des Etats membres.
Le philosophe et sociologue allemand Jürgen Habermas, dans Après l’Etat Nation, y répond en instituant un « patriotisme constitutionnel » qui entend insuffler aux citoyens la passion des institutions démocratiques plutôt que celle de la Nation. Grâce à celle-ci, on peut alors repenser l’Europe fédérale à travers le développement d’une pratique commune de formation de l’opinion publique et de la volonté générale.
L’Europe serait donc un vaste espace de civilisation soumis à des règles uniformes, offrant d’immenses possibilités à des individus capables d’agir positivement selon ces mêmes règles, mais auquel il manque un corps politique mutualiste qui assurerait la « communauté de destin » et l’homogénéité du projet politique européen.
Mais une mobilisation ponctuelle des populations à l’approche de ces élections ne risque-t-elle pas de plonger un peu plus l’Europe dans une illusion démocratique qui ne servirait, en fait, qu’à asseoir une légitimité technique du pouvoir?
Quelle qu’en soit la réponse, aux urnes Citoyens, l’Europe n’attend plus que vous !
 
Charlotte Bavay
Sources :
Portail du Parlement Européen
Pour aller plus loin :
Pierre Manent, La raison des Nations
Jurgen Habermas, Après l’Etat Nation, une nouvelle constellation politique

Flops

Un beau projet boit la tasse

 
Le 10 décembre 2013 le Parlement européen a rejeté la proposition visant à interdire le chalutage en eaux profondes et ce malgré une communication rondement menée par l’ONG Bloom.
Petit rappel des faits
Vous avez forcément vu cette pétition précédée d’une BD très drôle et très pédagogique postée par Pénélope Bagieu sur son blog. Vous ne l’avez pas forcément signée, mais il y a au moins une de vos supers copines trop impliquée qui l’a fait. Cette pétition a beaucoup tournée sur les réseaux sociaux, générant quelques 799 749 signatures. Cette pétition appelait à la mobilisation du Président de la République contre cette pratique du chalutage en eaux profondes, un appel laissé lettre morte par le Président.
L’association avait toutes les chances de son côté grâce à la très talentueuse Pénélope Bagieu. Fini le texte de pétition barbant, Pénélope impose son style et son humour tout en expliquant très clairement ce qu’est cette pratique, et surtout ses conséquences.

La victoire semblait assurée, raconte l’ONG Bloom sur son site internet, alors quelle ne fût pas la surprise de voir la proposition rejetée<
Une communication trop axée sur le public ?
Faire signer une pétition c’est bien, faire voter les députés européens, c’est mieux. Ce focus sur les électeurs aurait pu être bénéfique s’il avait été mieux suivi par une pression sur les députés concernés. Ces derniers sont sous pression mais après-coup, l’ONG a révélé que ce vote était en fait « une erreur » : des députés se seraient trompés de vote. Mais ce recomptage de la part de l’ONG n’a aucune valeur aux yeux de la loi, même si elle annonce la victoire par 343 contre 330, après 20 corrections de vote, sur son site internet. L’explication détaillée que Bloom donne sur son site internet : les députés ne savaient pas qu’il fallait rejeter l’amendement 62 de la proposition pour pouvoir amener l’interdiction. Ils l’ont donc accepté, et cet amendement a fait tomber les autres, faisant passer à la trappe l’interdiction. Facile de s’y perdre, n’est-ce pas ? Encore plus facile de se perdre dans le site du Parlement Européen, mais voici le fameux amendement :

Difficile de savoir exactement à qui revient le flop dans cette histoire. Bloom avait mené cette affaire d’une main de maître, mais a, par principe, refusé de jouer complètement au jeu du lobbying, ce que des grandes entreprises comme Intermarché ne se sont pas privées de faire. L’association affirme avoir « fléché » le parcours aux députés, mais pas suffisamment, par manque de temps et peut-être d’organisation.
Flop pour les députés qui se discréditent face aux électeurs ? Ce genre de communication n’est pas la bienvenue avec une élection de députés européens en 2014. Cet écart entre opinion public et vote des députés pourrait finir de détourner totalement les électeurs des urnes, pensant qu’ils n’ont de toute façon aucune prise sur les décisions prises au Parlement européen. Cette complexité du vote européen pourrait aussi finir de détourner les citoyens de cette institution qu’ils ne comprennent pas et qui semble prendre des décisions trop complexes et trop contraignantes sur de nombreux points.
Mais derrière chaque flop se cache un ou plusieurs vainqueurs … Et dans ce cas c’est du côté des entreprises qu’il faut tourner la tête. Intermarché est plus qu’impliqué dans le chalutage en eaux profondes car 6 des 11 navires européens le pratiquant lui appartiennent. Magnifique occasion pour les concurrents, Casino en tête, de prendre le contrepied. Casino affiche une politique de pêche responsable et informe ses consommateurs qu’à partir du 1er janvier 2014 l’enseigne ne vendra plus cinq espèces de poissons vulnérables vivant en eau profondes. Les entreprises veulent montrer l’exemple et montrer leur réactivité face à l’opinion publique. Ce qui profite à tout le monde, quand on y réfléchit : les entreprises font des efforts de transparence et gagnent des clients. De l’autre côté il est plus facile pour une ONG de faire pression sur des entreprises que sur le gouvernement, le Président ou le Parlement, parce que les associations environnementales peuvent assez facilement mobiliser les associations de consommateurs… Ou quand l’argent est source de pouvoir reposant sur un talon bien fragile.
 
Paola Paci
Sources
LeMonde
Libération
Parlementeuropéen
PénélopeJolicoeur