Société

Longue vie au podcast audio

Si les origines du mot podcast restent mystérieuses (contraction d’ « iPod » et de « broadcasting » ou initiales de « Program On Demand » ?) plus personne ne doute de son succès. Enfant de la radio et du web, le phénomène podcast – apparu pour la première fois courant des années 2000 – est assurément un petit protégé de la famille des transmédias. Alliant la fluidité de l’oral et la souplesse du digital, ce média s’érige en symbole gagnant de la remédiation. Auparavant utilisé comme moyen de rattrapage des émissions radios manquées, il se définit aujourd’hui comme un média en tant que tel.
L’audio x le digital = équation gagnante de l’infotainment 
McLuhan disait « The content of any medium is always another medium ». En d’autres termes, toute médiation est par essence une remédiation : un contexte de média existant qui vient être transformé. Par exemple un film tiré d’un livre est une remédiation de ce même livre.

Dans le cas présent, les podcasts peuvent être décrits comme une version 2.0 de la radio. On y retrouve ainsi la relation d’animateur/auditeur (podcasteur/ auditeur). L’influence de la culture d’internet, toujours plus riche et variée, bouscule les programmes pour y proposer un large panel de sujets à la demande. Avec 80 millions de téléchargements, le reportage fiction Serial diffusé à l’automne 2014 aux Etats-Unis est le reflet de cet engouement pour les nouveaux formats audio qu’offre le podcast. Du divertissement à l’information, de la fiction au reportage, il mélange information et divertissement et cela plaît. France Inter, par exemple, a vu son nombre de téléchargements progresser de 50% entre les saisons 2013-14 et 2014-15.
Toutefois, bien que le podcast provienne en grande majorité du format radio, il sait également prendre ses distances de celui-ci !
Avec leur format où la parole s’étale, se nourrit du point de vue de l’auteur et invités, le podcast prône un retour à la slow information. Ses sujets sont généralement abordés avec un certain recul qui s’oppose à la culture de l’instantanéité que l’on retrouve sur la toile. Même rupture du côté de la publicité : elle est quasi-absente ! Seule l’auto-promotion – moins intrusive qu’une publicité en tant que telle – est pratiquée, bien souvent en indiquant un programme susceptible d’intéresser l’auditeur.
« Parole, parole, parole » au service du storytelling

À l’heure du règne de l’image que Régis Debray décrit comme étant la période « vidéosphère », le retour de l’audio et rien que l’audio peut surprendre. Pour autant, la parole et plus précisément la conversation s’est amorcée comme une tendance porteuse quand on voit les émissions de télévisions comme, par exemple, « conversations secrètes » de Canal Plus (où Michel Denisot se promène et converse avec son invité). Le format vidéo en moins, reste un réel engouement pour la conversation, cet acte pourtant quotidien. Et cela tombe bien puisque le podcast offre une plus grand liberté de parole : aucun format imposé que ce soit dans le style, le temps, ou encore le contenu.

« The Beautiful thing about podcasting is it’s just talking…it is one of the best ways to explore an idea » @joerogan #quotes #podcasting pic.twitter.com/A3jZMERqoH
— The Gospel Friends (@mygospelfriends) 23 décembre 2016

Face à la méfiance que peuvent avoir les publics quant aux manipulations médiatiques, le podcast plaît pour sa liberté, son authenticité. Il est question d’une polysémie et d’une primauté du podcasteur. Tous uniques, traitant le sujet à leur manière : de façon institutionnelle pour les grands noms de la radio tels que France Inter ou France Culture, ou encore et surtout avec de la subjectivité pour les billets et podcasts d’amateurs.
Ainsi, dans tous les cas, le résultat se veut humain, avec sa part d’imperfections, de spontanéité. La pratique peut aller d’un podcast improvisé (les conversations de Garance Doré dans « Pardon my french » ou celles de « Getting To Know You » de Radio Kawa) à un récit construit autour du storytelling (« Transfert » de Slate.fr, « Arte Radio : flux principal » de Arte).
L’authenticité propre au podcasteur et sa production confère à la relation avec l’auditeur un sentiment plus intime. Les enregistrements amateurs, par exemple, se font souvent dans des lieux privés (lieux domestiques, hôtels entre autres) à destination de publics qui les écoutent dans leur quotidien. C’est une relation plus personnelle qui s’instaure puisque pour un grand nombre de podcasts il n’y pas de public lors de l’enregistrement. Il n’y a pas non plus d’interventions d’auditeurs comme c’est le cas avec la radio. Cela donne l’impression à l’auditeur d’être le seul destinataire.
Enfin, la logique d’abonnement via les flux RSS (« Rich Site Summary ») renforce cette relation quasi fidèle. Étant abonnés, on retrouve une logique de communauté qui suit la conception de Walter Ong, pour qui les nouveaux médias sont censés permettre de reconstituer un lien social.
Finalement le podcast plaît pour son efficacité et sa simplicité : la fluidité de la langue couplée à la créativité d’internet. Plus qu’un simple média d’infotaiment, la liberté de ton qu’il accorde tend à le placer en instrument politique. On assiste d’ailleurs à sa réutilisation par des mouvements féministes comme « Génération XX » racontant le portrait de « wonder woman » « Badass » consacrée aux figures de femmes dans la Pop Culture, ou encore « La poudre »  de Nouvelles Écoutes où Lauren Bastide converse avec des figures féminines. Il est certain que le podcast a pris ses marques dans la pop culture.
Ophélie Lepert
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Sources :
• Media meeting «  Le podcast ou la délinéarisation réussie de la radio », écrit par Frédéric Courtine, publié le 1er Avril 2014.
• Le blog documentaire «  Nouveaux territoires de création documentaire : podcast mon amour ! » Écrit par Fanny Belvisi et publié le 27 septembre 2016.
• Konbini «  Le podcast, nouveau terrain de jeu des féministes ». Écrit par Valentine Cinier et publié Février 2017 .
• Wikipédia, RSS
Crédits :
• The average penguin
• Mygospelfriend sur Twitter

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Culture

Je parle donc je suis: l'Agora du 93 à l'honneur dans À voix haute

Seine Saint-Denis, c’est d’la bombe bébé. Et c’est ce que prouvent les jeunes participants d’Eloquentia, le concours d’éloquence du 93. Pour la quatrième année, l’amphithéâtre de Paris 8 se transforme en arène où s’affrontent des orateurs en jean-baskets. Avec une verve décapante, ils nous livrent des bribes d’humanité poignantes. Dans À voix haute, diffusé en novembre dernier sur France 2, Stéphane de Freitas suit de sa caméra discrète et sincère la préparation d’une dizaine de ces jeunes. Pendant plusieurs mois, avocats, slameurs et metteurs en scène leur enseignent les ressorts subtils de la rhétorique. Le documentaire qui en résulte est à couper le souffle, ou plutôt, il donne envie de le reprendre dans un seul but : en parler.

L’éloquence est un sport de combat
« J’avais l’impression l’année dernière quand je suis arrivée à la fac que toutes mes origines sociales, la catégorie socioprofessionnelle de mes parents, les établissements quelque peu douteux que j’ai fréquenté (…) ça se dessinait sur mon visage mais surtout sur ma parole. » Le documentaire s’ouvre sur ce témoignage, illustration flagrante de la violence symbolique du « marché linguistique » analysé par Bourdieu dans Ce que parler veut dire. Pour le sociologue, il n’y a de bonne ou mauvaise façon de parler qu’en regard de la norme en vigueur, imposée par les « dominants », légitimée par le système. La jeune fille poursuit en racontant comment sa manière de passer des graves aux aigus la désigne directement comme issue de banlieue : « l’habitus linguistique » est socialement déterminé. Les personnes ne maîtrisant pas la forme standard du langage subissent une exclusion provoquant parfois une « auto-disqualification » qui les contraint au silence. Ce fut d’ailleurs le cas pour l’un d’entre eux: alors qu’il se retrouve à la rue suite à l’incendie de son appartement, les mots lui manquent face au mépris de France Habitation. Pas question de s’apitoyer pourtant. Bourdieu nous a appris à voir la sociologie comme « un sport de combat » : avoir conscience des déterminismes, c’est avoir les armes pour se défendre. Loin de tout fatalisme, À voix haute est le récit de ce combat.

Le réalisateur, un Richard Hoggart du XXIème siècle ?
Le réalisateur Stéphane de Freitas a grandi au sein d’une famille d’origine portugaise en Seine-Saint- Denis. Sa passion pour le basket le propulse à l’adolescence dans les quartiers chics de l’ouest parisien. « Fils de garagiste » VS « fils d’héritier » : pas facile d’y trouver sa place. Quelques années plus tard, diplômé d’ASSAS et de l’ESSEC, il fonde une association pour faciliter le lien social et repenser une société plus collaborative : la Coopérative Indigo, à l’initiative d’Eloquentia. Cette ascension éclair rappelle celle du sociologue Richard Hoggart. Recueilli par sa tante dans une famille de la classe ouvrière du Nord de l’Angleterre, il fut le « contre-exemple exemplaire » d’un boursier issu des classes populaires devenu universitaire de renom dans les années 50. Dans La Culture du pauvre, Hoggart affirmait la non-passivité des classes populaires face à la culture de masse : leurs logiques de ré-appropriation culturelle déjouaient l’idée d’individus réceptacles de la « seringue hypodermique » médiatique (Lasswell). « A la fois proche et éloigné » (1957), entre familiarité et prise de recul, la posture d’Hoggart ne tombait ni dans l’écueil du mépris ni dans celui de la complaisance. Il en est de même pour Stéphane de Freitas. Pas de voix-off ni de métadiscours : les récits de vie s’entremêlent aux performances sans jamais tomber dans le pathos sur-joué du tv show. À voix haute est un cocktail explosif que l’on sirote avec le sourire.
Des philosophes antiques au 93 : la parole efficace et poétique
« Je parlais sans prendre en compte l’efficacité, le but de ma parole. L’objectif était de parler le plus possible, un peu comme des éjaculations de poulet ». Derrière la métaphore saisissante de ce jeune homme se retrouve l’importance de la performativité, étudiée dans les travaux de John Austin. Pour ce philosophe anglais, il est possible de « faire des choses avec des mots ». La force d’une énonciation est d’abord « illocutoire » : elle est dirigée dans un certain sens par l’énonciateur. Mais la visée ultime de tout acte de langage est surtout « perlocutoire » : il s’agit de l’effet produit sur l’interlocuteur. Bien qu’on ne puisse le contrôler, on peut l’anticiper. Se confronter à un auditoire est alors le meilleur exercice qui soit.

Eddy Moniot, vainqueur d’Eloquentia 2016.
Comme Flaubert dans son gueuloir, Eddy fait parler ses textes sur les dix kilomètres séparant son village de la gare la plus proche. Pour Jakobson, on trouve du poétique dans la quotidienneté du langage. Choisir une tournure de phrases plutôt qu’une autre parce qu’elle « sonne mieux », c’est déjà user de la fonction poétique.
Discours, plaidoirie, slam, théâtre… A Eloquentia, l’expression n’a pas de limite. Un point commun : la parole. D’après la distinction Saussurienne, la parole se distingue du langage et de la langue par son caractère éminemment personnel. Parler, c’est donc « se révéler aux autres, et surtout à [soi-même] » déclare le réalisateur. Par là même, les jeunes deviennent « les héritiers de Cicéron ». Cet homme d’état et auteur latin, du 1er siècle av. JC, prône en effet la cultura animi, ou culture de l’âme. De même que l’on peut cultiver son champ, on cultive par la pensée ses idées : l’orateur est celui qui se dévoile à travers le langage.
Leïla et Victor Hugo – A voix haute – INFRAROUGE

Comme l’enseignait Platon dans le Gorgias, un orateur doit avoir la subtilité des dialecticiens, la science des philosophes, la diction des poètes, la voix et les gestes des plus grands acteurs. Alors, à Eloquentia, le corps lui aussi « parle » : on apprend à se servir de la kinésique (gestes et mimiques) et de la proxémie (le positionnement dans l’espace).
De l’importance de l’éloquence

Emmanel Macron hurle  HURLE – Heavy metal  (remix)

« On fait campagne en poésie. On gouverne en prose. » : lors des primaires qui l’opposaient à Barack Obama, Hillary Clinton avait repris cet aphorisme de Mario Cuomo (ancien gouverneur de l’État de New York). Elle cherchait alors à le dépeindre comme un candidat dont la rhétorique ne pourrait se traduire en réalité… On voit bien où ça l’a menée ! Marc Antoine, Martin Luther King et Charles de Gaulle l’avaient bien compris : un discours peut renverser le cours des choses. Mais de l’envolée lyrique à la moquerie générale, il n’y a qu’un pas. C’est ce qu’a prouvé Emmanuel Macron dans son récent meeting, largement parodié en chanteur de hard rock ou en loup en détresse à cause d’une voix un peu éraillée. A la radio, la sentence est particulièrement sévère ; Sonia Devillers l’avoue sur France Inter : « Nous passons notre temps à éliminer des invités parce qu’ils ne parlent pas assez bien ». Alors que les anglo-saxons refont du « public speaking » une discipline à part entière, les français restent maîtres dans l’art de l’élucubration soporifique. Remettre l’accent sur l’éloquence permettrait certainement de (r)éveiller les esprits… alors, qu’est-ce qu’on attend ?
Alice Fontaine
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Sources:
•  A voix haute, Un documentaire écrit et réalisé par Stéphane de Freitas / Co-réalisé par Ladj Ly 
(le documentaire 
n’est malheureusement plus disponible en replay)
•   Claude Grignon, « Richard Hoggart ou les réussites improbables », La Vie des idées, 24 
février 2016. ISSN : 2105-3030.
•  Barbara CASSIN, « ÉLOQUENCE », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 22 décembre 2016.
•  Sonia DEVILLERS – L’instant M « Concours d’éloquence dans le 93 : la parole comme une arme » – France INTER, 5 décembre 2016
•  Alban DE MONTIGNY, « Stéphane de Freitas, créateur d’Indigo, réseau social solidaire », publié sur La Croix le 30/08/2016
Crédits photos:
• France 3 Régions
• Julien Pebrel / MYOP pour NEON
•  Eddy Guilloux