Politique

Il était une fois Internet, les hommes et la démocratie

Une fameuse utopie, où, le légendaire Internet va révolutionner notre société afin d’y introduire un épanouissement total de la démocratie. Son avènement promettait un rêve fou : le pouvoir au peuple. Lol.
Bon, c’est vrai, Internet a changé la donne.
Il nous a permis de démocratiser notre société, l’exemple le plus pertinent étant la possibilité de répondre. En contradiction avec la théorie d’une parole – médiatique – sans réponse – de la part des masses que Baudrillard présente dans son ouvrage, Pour une critique de l’économie politique du signe, la société actuelle grâce à Internet et aux réseaux sociaux, est une société d’échanges d’informations.
A cet égard, le web est un outil démocratique, donnant à chacun un nouveau champ d’expression plus libre.

Au delà de ce droit de réponse, un des exemples phare qui affirme cette démocratisation que véhicule Internet est Wikipédia. Cette encyclopédie ouverte à tous, aussi bien dans la rédaction du contenu que dans la lecture de celui-ci, est symbolique de cette révolution : le savoir pour tous.
Il est indéniable qu’Internet engendre un changement de paradigme : d’un one to many à ce que l’on pourrait qualifier d’un « many to many. » Pourtant, cette révolution culmine davantage vers un glissement des forces en présence et une redistribution des pouvoirs allant à l’encontre du sens traditionnel de la démocratie : le pouvoir au peuple. « Le pouvoir relatif des internautes »  est exposé ici.
L’émergence d’une nouvelle classe. 
On parle bien souvent de la dimension participative d’Internet, permettant aux internautes d’intégrer une communauté, de donner son avis, de s’exprimer. A cet égard, La société met en exergue une soi-disant démocratisation du pouvoir, alors qu’en réalité, il n’y a qu’un transfert de ce pouvoir entre des groupes qui étaient déjà plus ou moins dominants.
Cyrille Frank, journaliste, formateur et consultant, explique dans son blog médiaculture.fr, qu’Internet engendre non pas un partage démocratique du pouvoir, mais plutôt l’avènement d’une « nouvelle classe de dominants ». Adieu, donc, l’utopie d’un pouvoir également distribué entre tous.
Historiquement, l’apparition de nouveaux déséquilibres sociaux est une conséquence inhérente à un changement de paradigme. Par exemple, la bourgeoisie supplanta l’aristocratie après la Révolution Française. L’apparition d’une nouvelle classe après une grande rupture est commun dans l’Histoire.
Dès lors, même si Internet comporte une vertu émancipatrice pour les internautes, il est important de souligner le fait que cela ne concerne pas tout le monde.

Cette nouvelle classe établit son pouvoir grâce à sa maîtrise des nouvelles technologies. Ces acteurs parviennent à s’adapter au temps technologique, afin d’en vivre. Plus concrètement, Cyrille Frank désigne cette nouvelle classe par : « les jeunes journalistes 2.0, communicants et marketeux technophiles, experts et consultants en réseaux sociaux, entrepreneurs du secteur technologique… ».
L’information est un levier de domination majeur dans la société actuelle : il est assez évident que ceux qui savent la manier seront puissants. 
Une illusion de pouvoir ? 
Par le biais de ce droit de réponse et de participer, les internautes ont également un pouvoir, une influence sur Internet. Cependant, sommes-nous influencés ou sommes-nous totalement libres de cette parole ?
On pourrait croire qu’il n’y a pas d’obstacle à notre liberté d’expression, et pourtant, il s’avère que nous sommes toujours influencés.
Prenons par exemple le système de réponse aux médias web, tel que le commentaire sur les articles ou bien sur les réseaux sociaux. On s’aperçoit que cette influence, ce pouvoir qui nous a été donné est en réalité réutilisé par les médias web dans leur propre intérêt. « Voici le pouvoir essentiel de la forme – en ce qu’elle est l’essence même de l’information. » explique Emmanuel Souchier, dans La mémoire de l’oubli. C’est en partie cette forme codifiée qui limite notre pouvoir, et qui permet aux médias web cette réappropriation. Prenons l’exemple de Twitter et ses fameux 140 caractères, qui influent malgré nous sur le contenu de l’information que nous transmettons. En effet, qu’est-ce que donner son avis en 140 caractères ? Notre influence est donc limitée à une forme qui est déterminée par les médias eux-mêmes.

Le Community Manager, acteur de cette « nouvelle classe dominante » dont parle Cyrille Frank, peut définir sa mission par trois verbes : fédérer autour d’un intérêt commun, animer en fournissant des informations aux internautes qui sont susceptibles de les intéresser, et modérer en régulant les conversations pour que les débats restent de qualité. Autrement dit, c’est lui qui va être face à nos réactions, à notre réponse. Les trois verbes qui définissent sa mission, prouvent que notre parole est influencée par l’action du Community manager. On nous amène subtilement d’un point A à un point B, de manière inconsciente. Il y a un mécanisme derrière le système du commentaire qui n’est pas synonyme de totale liberté et donc de vrai pouvoir.
D’autre part, d’un point de vue sociologique, notre choix est déterminé par plusieurs facteurs. Cette liberté d’expression pour tous, engendre un réel problème de visibilité. Certes, nous avons davantage la possibilité de nous exprimer, mais paradoxalement notre avis est dilué dans cet océan – nouveau – d’informations. Par conséquent partager son opinion via un commentaire relève également d’un relatif narcissisme. Il y a une volonté de sortir de la masse, d’être LE commentaire, et d’avoir raison. Cette problématique est d’autant plus réelle avec la possibilité de liker les commentaires. L’acte de réponse n’est donc pas totalement désintéressé, au contraire. Il se place comme fait social, c’est à dire comme une action qui n’est pas entièrement libre puisque partiellement déterminée. Par conséquent, la possibilité de réponse qui est donnée par les médias web est à double tranchant. Elle révèle à la fois la possibilité de participer, ce qui relève de la dimension démocratique du web, mais aussi une volonté d’attirer les internautes sur leur plateforme grâce au besoin des individus d’exister parmi les autres.
On peut parler de ré-appropriation d’un pouvoir des internautes par les médias web, et c’est cette récupération qui démontre dans le même temps la limite de ce pouvoir, que l’on a tendance à surestimer. 
Clémence Midière
LinkedIn
@clemmidw
 
Sources :
La démocratie électronique est-elle une illusion ? Par Hubert Guillaud sur Homo Numericus
Nouveaux médias : une nouvelle classe de dominants par Cyrille Franck sur Mediaculture
Qui a le pouvoir sur Internet ? Par Clément Mellouet sur FastNCurious
Crédits images:
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Computer Ethics
Emarketing.fr

tout interactif
Dossiers et conférences

Le tout interactif : mythe ou réalité ?

 
Deux rédactrices se sont penchées sur une approche davantage culturelle et symbolique, en analysant les imaginaires liés aux questions du cross-média et du transmédia. En abordant notamment les problématiques de participation, d’interaction et d’interactivité.
Que nous dit l’essor des campagnes cross-média et transmédia de notre rapport aux médias ? La promesse d’interaction et de création de communauté est-elle tenue dans ces types de campagnes ? En effet, dans ces deux cas, les communicants recherchent une plus grande interactivité avec leur public. Ainsi, dans la campagne de Skip (1), la marque a voulu instaurer un dialogue avec les parents – et particulièrement les mamans – en leur proposant un jeu-concours photo. Skip met alors sur pieds une véritable histoire, à laquelle les parents sont invités à prendre part. Ces trois aspects, recherche d’interaction, gamification et interaction fondent le transmédia. Le cross-média, rappelons-le, est la superposition et l’interactivité de différents médias pour transmettre un message quand le transmédia crée un univers qui se déploie sur chaque média.
L’interactivité entraîne-t-elle de l’interaction ?
Pour éclairer la notion d’interactivité, étudions la définition de ce terme qui reste floue et pose problème (2). En revenant aux acceptions premières, on ne peut que constater la dimension technologique puisque le mot vient du monde informatique. « Interactivité » signifie premièrement les possibilités conversationnelles des technologies, liées à l’apparition des « machines à communiquer » de l’ingénieur et théoricien français Pierre Schaeffer. Le terme se rapproche du lien entre homme et machine, autrement appelé cybernétique.
Dans une campagne cross-média, les communicants recherchent, par le croisement des différents médias, le dialogue avec les consommateurs. Cela est rendu plus aisé avec l’apparition d’Internet qui accroît les possibilités d’interactivité entre l’homme et la machine, et donc entre le consommateur et la marque. En somme, il y a bien une interaction entre les différents médias, puisque ceux-ci sont liés les uns aux autres pour guider le consommateur.
Si aujourd’hui le terme d’interactivité a acquis un sens plus vaste, désignant également la coopération entre divers systèmes ou êtres, il n’en reste pas moins qu’il faut garder à l’esprit la connotation technologique de ce terme. Or, cette interactivité entraîne-t-elle un lien réel dépassant la « conversation » homme/machine ?
En somme, le lien recherché par les communicants permet-il une réelle interaction ?
Plus qu’interactivité, le terme d’interaction signifie une réciprocité des éléments les uns sur les autres, qui entraîne toujours des effets. En médecine par exemple, on peut citer les effets indésirables d’une interaction médicamenteuse. Pour le sociologue et philosophe français Edgar Morin, une interaction est « un échange entre deux entités sociales (…) modifiant le comportement ou la nature de ces éléments (…) en présence. ». La question est donc : lors de campagnes cross-médias ou transmédia, assiste-t-on à un réel échange, avec les effets qui s’ensuivent ?
Le mythe de l’interaction fonde les actions dans le cadre d’une campagne de cross-média. Les communicants cherchent à être en lien avec le consommateur le plus régulièrement possible. Ainsi, des relations sont créées entre les différents médias pour suivre le potentiel consommateur tout au long de sa journée. L’interactivité entre les différents médias prend donc le pas sur l’interaction entre le consommateur et la marque. L’interaction n’est donc pas recherchée pour elle-même mais simplement pour mieux connaître les envies du marché. En somme, les publics ne sont pas perçus comme des entités douées de réflexion mais bien comme des parts de marché à conquérir. Il s’agit davantage de susciter l’intérêt que d’engager un réel dialogue. En ce sens, on ne peut pas réellement parler d’interaction.
Le cas du transmédia est différent. Puisqu’il invite le fan d’une série à interagir avec la plateforme de jeu et à faire avancer l’histoire à son rythme, on peut parler d’interaction. L’échange entre l’homme et la machine a des conséquences, parfois même jusqu’à influencer la suite de la série. Notons enfin que les fans peuvent se réunir autour du jeu qui fait partie de la « recherche d’univers fictionnel complet » (3). Cela peut donc nous amener à nous demander si ces fans ou ces publics visés composent de véritables communautés.
Publics ou communautés ?
Transmédia et cross-média sont souvent désignés par l’expression de stratégie 360°. Une référence pertinente à la vision circulaire qu’impliquent ces deux pratiques. Il est tout à fait plausible d’imaginer l’individu au centre, entouré de ses différents terminaux en prolongement de son corps. Ceci dans un souhait de délinéarisation des contenus et d’interactivité.
Transmédia et cross-média passent, certes, par des moyens technologiques qui semblent, toutefois, tenir à se faire oublier au profit d’un contenu amélioré et de plus en plus personnalisé. Par ailleurs, ces mêmes moyens, par leur diversité, constituent différents points d’entrée qui permettent d’élargir les cibles et d’apporter un regard neuf voire complémentaire. En effet, chaque média est caractérisé par un contrat de lecture particulier, négocié avec son destinataire, une manière d’être regardé, consommé, utilisé.
Là où traditionnellement la télévision, à titre d’exemple, se destinait à être regardée dans un contexte familial, organisait les espaces domestiques et s’efforçait à fidéliser un presque public, non attentif, insaisissable, détenant le pouvoir au bout de sa télécommande. Cet usage de la démultiplication de supports s’applique, désormais, à susciter de l’implication et de l’engagement jusqu’à la création de communautés. Le simple public est encouragé à réagir, participer, interagir et relayer. Parfois, il est amené à faire tout ceci simultanément. En ce sens, les moyens technologiques à disposition de la plupart d’entre nous augmentent ces possibilités et nous y exposent, soit régulièrement, soit de manière plus ponctuelle.
Henry Jenkins, l’un des premiers observateurs de ce changement, tout d’abord survenu dans les cercles de fan-fiction, désigne cette tendance de « culture participative », portée par des communautés de consommateurs invitées à participer activement à la création et circulation de nouveaux contenus (la création étant plus adaptée au cas du transmédia) – des communautés sans co-présence, déverticalisées et virtualisées au même titre que les contenus. Celles-ci se distinguent du public également par la dimension dialogique qu’elles entraînent : on peut y retrouver de la sociabilité ou de l’entraide. On assisterait même à l’émergence de certains codes de comportements sensés organiser les relations au sein de celles-ci.
L’interactivité est le maître-mot sensé convertir le spectateur en spec’acteur, inspiré des pratiques marketing appliquées aux marchandises. Les produits culturels tentent, en outre, de s’imposer de la même manière, l’objectif étant toujours d’impacter le plus largement possible, de susciter l’intérêt, de le conserver, de le nourrir et éventuellement de le transformer en viralité.
Cependant, cette promesse d’interactivité est-elle toujours tenue ? Cette sur-sollicitation, renforcée par la diversité des supports ne se risque-t-elle pas d’entraîner de la saturation ? Nombreuses sont les marques qui s’évertuent à développer du contenu participatif, déclinable sur tous supports, téléchargeable, adaptable, consultable de partout.
Faire partie d’une communauté d’amateurs d’un produit culturel ou de consommation est certes un sentiment apprécié. Encore faut-il que l’appartenance à des dizaines de communautés selon les différents centres d’intérêt ne soit pas une source de quémandage constant de participation, susceptible d’être lassant. Ce fantasme du tout participatif nourri par les créateurs de contenus, représente une réelle aubaine : des utilisateurs comme travailleurs d’un nouveau genre, sans rémunération !
 
Un article à quatre mains,
Salma Bouazza et Mathilde Vassor
(1) « Communiqué – Nouvelle campagne Skip : une opération de cross media entre Lagardère Publicité et TF1 Publicité »
(2) GUÉNEAU Catherine, L’interactivité : une définition introuvable, Communication et langages, n°145, 3ème trimestre 2005, pp. 117-129
(3) PAGNOL Rémi, « Le transmédia, ou la simultanéité de la réalité et de la fiction », 11 février 2014

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Jacques a dit "La tour Paris 13, ou l'intégration bien pensée du digital et du collaboratif"

 
Depuis le 1er octobre, la tour Paris 13, un ancien immeuble d’habitations de 9 étages voué à la démolition, est accessible au public.
Il a été entièrement envahi par 100 street artistes du monde entier qui ont pu laisser libre cours à leur créativité, et nous sommes invités à aller visiter gratuitement le lieu pendant un mois avant que le bâtiment soit détruit. L’idée parait déjà intéressante, mais elle l’est d’autant plus qu’elle se double d’un dispositif digital et collaboratif pensé dans ses moindres détails.
En effet, un site Internet avec une version déclinée pour les tablettes permet une visite interactive de la tour dans ses moindres détails et d’obtenir des informations et témoignages inédits sur les artistes. Un hashtag #tourparis13 a été créé pour l’occasion, et un documentaire de 52 minutes est déjà prévu sur France Ô en 2014 pour témoigner de cette opération de grande ampleur.
Mais ça ne s’arrête pas là, puisque les internautes sont invités à participer de manière plus importante dans le projet.

Le collaboratif au cœur du dispositif
Le collaboratif est maintenant remixé à toutes les sauces, avec plus ou moins de succès, et cette opération n’a donc pas échappé à cet incontournable.
Il sera donc proposé aux internautes pendant dix jours après la fermeture du site de cliquer pixel par pixel sur les œuvres qui leur auront plu. Le bâtiment étant voué à la démolition, les œuvres sélectionnées garderont une existence digitale sur le site Internet de la Tour Paris 13. Alors que l’avenir des expositions est généralement un poster dans sa chambre ou un beau-livre à afficher dans sa bibliothèque, il s’agit cette fois d’un moyen astucieux de pérenniser l’expérience de la visite, en impliquant réellement les internautes. C’est d’autant plus intéressant qu’il s’agit ici de street art, un art particulièrement éphémère.
Toutefois on ne peut manquer de noter le côté légèrement hypocrite de cette opération, qui transparaît notamment à travers l’expression employée dans le communiqué : « venez sauver la Tour Paris 13 ». On joue ici sur l’ambiguïté avec le vrai sauvetage d’un monument voué à la destruction. Aller jusqu’au bout de l’opération aurait été permettre aux internautes de décider (ou non) de la sauvegarde de cet immeuble comme un nouveau lieu dédié au street art, mais celui-ci sera de toute manière détruit, pour construire quoi à la place ? On se garde bizarrement bien de nous le dire.
En définitive, une opération culturelle innovante et de grande ampleur pour ceux qui pourraient accuser la « ville-musée » d’être à la traîne. Paris affirme son inventivité dans le domaine artistique, et l’on espère que ce genre d’initiatives ne sera pas isolée !
 
Judicaëlle Moussier