Publicité et marketing

Dress normal de Gap : quand la différenciation passe par la normalité

Dress « Normal » : sorry, what ?
Cet automne, ce ne sont pas seulement ses vêtements que nous vend la marque GAP avec sa nouvelle campagne Dress Normal, mais bien une véritable philosophie de vie. S’inscrivant totalement dans la tendance du Normcore qui encourage une « normalité » exacerbée, quatre vidéos mettent ainsi en scène des inconnus, réalisant des actions du quotidien dans des tenues constituées uniquement de basiques. Tout se joue dans l’atmosphère bichromatique chère à David Fincher, réalisateur et producteur américain connu notamment pour Seven ou Fight Club. Si le choix de cet artiste pouvait paraître étonnant de prime abord, il semble se justifier par l’adéquation entre l’esthétisme sombre de son univers et le message fort que veut faire passer la marque, sans fioritures ni ornements. Ainsi, on peut voir un jeune homme en chemise blanche monter les escaliers en courant, un couple en veste de cuir s’embrassant en bas d’un immeuble, ou encore une jeune femme en tee-shirt uni danser dans un golf, suivi du slogan « laissez vos actions parler plus fort que vos vêtements ».

 
Si on retrouve un peu plus de gaieté dans les prints, ainsi que des célébrités, le fil conducteur est similaire : la simplicité doit primer. Le choix de la discrète Elisabeth Moss pour incarner les valeurs de la marque est particulièrement révélateur de ce point de vue: quand la marque de luxe Burberry joue sur le glamour avec une Kate en trench et talons aiguilles, GAP préfère shooter Elisabeth souriante en pantalon et ballerines noires sur une plage. Si elles ont un nom en partage, les deux égéries incarnent des ADN de marque opposés l’un à l’autre, une différence sur laquelle GAP base sa campagne.

Une marque de vêtements qui joue sur la superficialité du style vestimentaire : un paradoxe ?
Avec ce parti pris, GAP surfe résolument sur une tendance actuelle, allant à l’encontre des philosophies hipster et des choix opérés dans la communication de l’industrie textile ces dernières années : choisir de se démarquer autrement que par son style vestimentaire, en refusant les injonctions normatives que semble nous imposer le monde de la mode. En nous proposant de mettre en valeur notre personnalité non par notre tenue, mais par nos actions, GAP fait donc le choix audacieux de vendre des vêtements en semblant nier leur importance dans un processus auquel ils ont toujours été associés : l’affirmation de soi. Ce ne sont plus ses produits que la marque promeut ici, mais ses valeurs et son état d’esprit, qu’elle veut résolument moderne et dans l’air du temps. Quand le président François Hollande affirmait être un « président normal » et que des personnalités comme Lady Gaga ou Rihanna s’exhibent sur twitter en jogging et sans maquillage, GAP se positionne comme la figure de proue de ce mouvement de « normalisation ». Dans cette optique, la marque prend le parti de valoriser la simplicité, là où l’originalité et la sophistication ont toujours été reines. Dress Normal, c’est finalement une campagne qui s’inscrit dans une actualité marquée par une lassitude générale face aux diktats de la mode, et par une recherche de confort et de naturel.
Le Normcore, une aubaine pour une marque déjà positionnée sur le marché des basiques.
Le 27 février dernier, soit au début de la tendance normcore, GAP plantait déjà les jalons de sa future communication, avec un tweet affirmant « We’ve been carrying your normcore staples since 1969 » : un moyen efficace de se positionner comme LA marque historique du normcore avec humour (nécessité d’autant plus grande depuis qu’H&M a sorti une collection d’ « essentiels » et que la marque Uniqlo connait un succès retentissant). Il faut dire que pour une enseigne qui a fait du basique sa spécialité depuis bien longtemps, cet éloge de la simplicité ne pouvait pas mieux tomber : au milieu de toutes les excentricités de la mode, le meilleur moyen de se démarquer semble plus que jamais de jouer sur la normalité, et GAP l’a bien compris. Mais être normal selon GAP, qu’est-ce que cela signifie exactement ? Il ne s’agit en fait pas de dénier au style vestimentaire toute capacité à parler de nous : cette campagne nous incite plutôt à trouver notre propre définition de la « normalité », celle qui nous correspond et dans laquelle nous nous sentons bien. Car c’est cela au fond que nous promet la marque en réintégrant les basiques au monde de la mode : la possibilité d’avoir du style tout en étant à l’aise dans ses baskets (ou dans ses talons aiguilles, à chacun sa normalité). Dans le monde de la mode où les apparences sont primordiales et les fautes de goûts durement sanctionnées (s’il ne faut en citer qu’un, pensons au film Le Diable s’habille en Prada), GAP nous promet l’authenticité, le confort, sans rompre pour autant avec la logique de différenciation qui préside aux choix vestimentaires. S’habiller normalement aujourd’hui, c’est toujours faire un choix esthétique qui dit beaucoup de nous. Ainsi, en portant des basiques, ne laissons-nous pas déjà parler nos vêtements pour nous, n’est-ce pas là un moyen d’afficher nos convictions, nos valeurs et notre conception de la mode ?
En achetant chez GAP, ce ne sont pas seulement des pulls ou des pantalons que nous acquérons, mais un état d’esprit et une vision du monde qui se veulent anticonformistes: voilà tout le message de cette nouvelle campagne publicitaire qui, qu’on la juge réussie ou non, aura au moins eu le mérite de faire parler de la marque (« plus fort » que de ses vêtements, la boucle est bouclée).
Sarah Revelen
Sources:
Grazia (version papier)
Lareclame.fr
Crédits photos:
vagabondnyc.blogspot.fr
fr.eonline.com

1
Société

Hugo Chavez : le deuil inavouable

 
Le Venezuela fut en deuil une semaine durant. Une semaine pour se remémorer d’un homme devenu symbole, puis parti politique. Une semaine pour faire le deuil d’un homme et d’un idéal. Pour la grande majorité des vénézuéliens, ce décès se doit d’être commémoré afin ne pas oublier ce qu’était le courage politique, ce qu’était leur vision de la politique.
 
Mouton noir et loup blanc
Cependant, focalisons-nous ici sur le traitement de l’annonce du décès par les différents média. Le deuil se doit d’être respecté par le journaliste, le défunt semble devoir être considéré, coûte que coûte. L’annonce du média ne prendra pas de position politique mais tentera plutôt de mettre en lumière la complexité du traitement de l’action politique et de la difficulté de dresser le bilan d’un homme de façon aussi rapide.
Quelle belle hypocrisie que celle-ci ! Les lecteurs et les spectateurs n’ont-ils pas de mémoire ? Un homme, décrit comme un loup agressif, moralisateur, violent et sanguinaire durant tout son règne est devenu, le jour de sa mort, le symbole de l’Argentine moderne, l’homme qui a su donner au pauvre et qui a su rediriger les bénéfices du pétrole. Le mort est sacré, la figure du défunt est lavée de tout soupçon, son souvenir reconsidéré. Peut-on enterrer un homme avec de la haine ? Slate.fr a rapidement enlevé de sa première page l’article faisant le bilan économique de ce président pour le remplacer par un article nous présentant Chavez comme un homme cultivé et admirateur de la littérature française.
Chavez n’était pas un saint. Malgré les milliers de pleurs qui raisonnent dans la belle et dangereuse ville de Caracas, pas une seule voix ne se fait entendre pour reconsidérer le bilan de son action politique. Les pleurs annihilent la critique par leurs caractères passionnels.  L’image communique l’émotion, la douleur se répand. On ne peut pas admettre la critique de l’homme alors que le cadavre est encore chaud.
« L’encre coule le sang se répand. La feuille buvard absorbe l’émotion » comme disait IAM.
 
Le deuil totalitaire
Voilà donc un obstacle à la mémoire, à l’histoire et au décryptage de l’œuvre d’un homme. La surexposition médiatique de l’émotion et de l’unité nationale derrière le décès d’Hugo Chavez a empêché de construire un autre regard et de mettre en lumière les phases les plus sombres de son pouvoir. La communication gouvernementale passe ici par le deuil. Le gouvernement utilise l’évènement comme un moyen de perpétuer l’œuvre de l’homme. Heidegger dans Etre et temps, montre que le deuil doit avant tout être considéré comme un renvoi permanent au passé. Le fait que le corps de Chavez ait été embaumé souligne clairement cette volonté de perpétuer son œuvre passée et de le faire entrer dans le panthéon historique qui devient l’identité du pays. Le musée est ici la représentation du figé, et cette volonté de thésauriser l’homme politique dans les vitrines du musée nous amène à comprendre le souhait de créer une sorte de deuil perpétuel presque mystique.
En effet, le Venezuela est en train de construire un deuil qui va annihiler toute possibilité de contestation de l’œuvre de Chavez. La puissance passionnelle du deuil va être poursuivie afin de transformer le travail de cet homme en point de fondation de la vie politique du Venezuela. Ici, la communication gouvernementale tente de perpétuer le souvenir pour transmettre l’image la plus positive possible du pays. Un tel déni du passé et une telle sacralisation de l’homme prouvent que le Venezuela est encore un pays qui a besoin de s’affirmer et d’illustrer la légitimité de la révolution socialiste. Cette position politique et cette indépendance dans l’échiquier mondial est ici mise en valeur par le deuil,  par les cérémonies et ce dolorisme inavouable.
D’un point de vue communicationnel, le deuil est donc un outil puissant, qui affirme les bases du régime en rendant hommage à celui qui a réussi à faire évoluer le pays. Le deuil est aussi un retour perpétuel vers le passé, un regard en arrière peut-être nostalgique, mais avant tout conservateur. De plus, ce deuil s’est magnifiquement bien propagé aux médias occidentaux qui mettent en lumière le caractère de l’homme, son courage et parfois son intelligence bien plus que son populisme, son culte de la personne et son égo surdimensionné. Une telle manipulation utilise comme outil ce respect universel de la mort, de la mémoire. Et cet aspect est bien puissant.
 
Emmanuel de Watrigant
Rendez-vous la semaine prochaine avec Laura Garnier pour Irrévérences qui traitera du deuil de Stéphane Hessel.

Société

Le Vendée Globe ou l’écriture épique du Grand large

 
Le 10 novembre dernier, les vingt skippeurs au départ de la course du Vendée Globe nous avaient embarqués dans une rêverie collective que l’exploit de François Gabart, le vainqueur, a transformée en fantasme national.
 
Ces héros qui communiquent : la fabrique de mythes
Le périple de ces Conquistadores contemporains, aux compétences techniques et informatiques incroyables, a fasciné un demi-million de passionnés rassemblés sur la course en ligne Virtual Regata, mobilisé plus de 900 000 personnes au Sables-d’Olonne  venues acclamer leurs champions, généré plus de 650 000 ouvertures de session de lecture sur le flux vidéo du site officiel de la course à l’arrivée du vainqueur le 27 janvier.
Pour cette nouvelle édition, chacun des bateaux avait embarqué une caméra, ce qui a profondément renforcé l’intérêt pour cette course, permettant un flux d’images ininterrompu.  « Probablement que l’image est la nouvelle écriture du large. »  explique Kito de Pavant (Groupe Bel, abandon quelques heures après le départ). Au travers de résumés quotidiens, on a assisté lors de cette édition du Vendée à une véritable sérialisation du temps  réel. « Il semble que la voile, ou du moins le Vendée Globe, soit définitivement rentrée dans un processus de « sportification ». Ce barbarisme désigne ces sports qui ne l’étaient pas complètement, mais le sont devenus et sont totalement intégrés à la culture de la webcam et des réseaux sociaux» avance Cardon, sociologue et spécialiste des images. Le récit du large nous est désormais livré bien avant que les marins reviennent à terre, un virement de bord à la fois progressif et  incroyable pour ceux qui, avant, attendaient au ponton le récit d’une épopée inédite délivrée par les navigateurs, seuls détenteurs des péripéties de leurs traversées.
 
La parole suspendue
« Le silence est la condition de la parole. » écrivait le philosophe JB Pontalis. L’image, comme la performance, parle d’elle-même sans que le marin ait besoin d’en évoquer les contours. Le récit du large serait voué au romanesque et à la rhétorique de la parole suspendue. Suspendre le temps du discours comme pour laisser vibrer les rafales de vent dans les voiles et les vagues sur la coque. L’indicible du large suggérait- il que la rationalité de la parole doive céder le pas à la poésie de l’image? Ou au contraire, l’image « prêt-à-consommer » dissout-elle le mythe et la dimension romanesque de l’écrit ? Peut-on faire confiance à ce récit imagé, livré et produit par le héros lui-même ? La construction du mythe, issue de la fabrique audiovisuelle, ne serait qu’une illusion, dans la mesure  où « le marin donne à voir ce qui peut nourrir la couverture de la course. Mais il peut aussi en cacher une partie », sourit Kito de Pavant. En effet, suivant de près la stratégie de son mentor Michel Desjoyeaux, Gabart a préféré ne pas révéler le problème technique qu’il a rencontré dès le début de la course avec la pompe à injection de son hydrogénérateur de secours, une turbine permettant de faire de l’électricité avec le déplacement de l’eau et du bateau.
 
La Paris-matchisation des vainqueurs : une rafale médiatique inédite
Cette édition du Vendée Globe aura été la plus rapide (78j 02h 16min) mais également la plus couverte par la presse qui s’est appliquée à construire cette admiration que suscitent les marins du Vendée Globe. Le philosophe Laurent de Sutter expliquait dans Libération : « L’admiration est une étrange émotion. Elle consiste à ressentir comme un bien le fait qu’il y ait  plus grand que soi. (…) Puisque nos héros, dans le cas des stars, nous semblent de plus en plus fabriqués, nous préférons nous tourner vers ceux qui restent, à nos yeux, porteur d’une aura d’authenticité. » Mais quand bien même nos derniers héros seraient ces marins à l’allure authentique, il semblerait que cette édition aurait également annoncé le processus irrémédiable de « peopolisation », ou de « paris-matchisation » de ces figures mythiques. En témoigne le numéro hebdomadaire de Paris-Match du 30 janvier, où figure en couverture la famille Gabart enfin réunie avec François, Henriette et Hugo (tel Ulysse, Pénélope et Télémaque) sous le titre «  Le Petit Prince des Océans ».
Pour poursuivre sur cette vague homérique, voici comment la présentatrice de France 2, Catherine Ceylac, accueillit Gabart et Le Cléac’h (dauphin du Vendée) sur le plateau de Thé ou Café le 9 février dernier :
« Nous avons deux invités, alors vraiment des invités, euh très performants. Ce sont des héros. Vous en avez entendu parler, nécessairement, vous les avez déjà peut-être vu, déjà entendu, mais je pense qu’ils vont nous dire des choses différentes. Ce sont nos héros du Vendée Globe : c’est François Gabart et Armel Le Cléac’h. (…) et je me suis dit en le voyant (Gabart) dans les coulisses, en fait, il est normal le garçon! On imaginait un surhomme, 2,20m, 100kg. »
 La présentatrice entendait peut-être par « dire des choses différentes » des révélations sur la libido des deux marins durant la course quand elle leur a posé sobrement la question « Pratiquez-vous l’onanisme en mer ? », qu’elle a dû traduire de façon plus explicite aux jeunes hommes qui ne comprenaient pas le terme biblique employé pour parler de masturbation. On peut se demander si cette question a véritablement sa place sur une chaîne du service public et plus encore dans un média généraliste de masse.
Cette médiatisation s’éloigne du personnage silencieux, rugueux, de la figure littéraire, comme avait pu l’incarner Tabarly et comme l’incarne toujours Francis Joyon (qui avait été victime d’un accident en mer suite à son refus d’accoster à Brest à son arrivée de la traversée de l’Atlantique pour éviter les journalistes et les fans). Ces jeunes navigateurs, charismatiques et hypercommuniquants, ont dû affronter des océans déchaînés et des tempêtes indomptables. Mais c’est en passant la ligne d’arrivée qu’ils se seront confrontés à la plus redoutable des intempéries : la rafale médiatique.
Pendant ce temps, les retombées médiatiques de cette Odyssée ont été évaluées à près de 145 millions d’euros. Double performance : sportive et médiatique ; qui devient ainsi mythique.
 
Margaux. Le Joubioux – envoyée très spéciale  du Celsa Voile aux Sables-d’Olonne.
                    
Le Celsa voile est l’association de voile du Celsa qui rassemble une quinzaine d’étudiants engagés dans la 45eme édition de la Course Croisière EDHEC. Cet évènement sportif étudiant se déroulera à Brest en Avril, et sera l’occasion de porter les couleurs et les valeurs de leur école sur l’eau, aux manœuvres d’un Dufour 34, ainsi qu’à terre lors de tournois sportifs. Si vous souhaitez soutenir le Celsa Voile, n’hésitez pas à rejoindre l’équipe sur Facebook et à nous contacter par mail celsa.voile@gmail.com
 
 
Sources :
-Libération- articles du journaliste sportif Jean Louis Le Touzet
– Emission du Thé ou Café sur France 2
– Le site officiel du Vendée Globe