Société

César 2017 : une prison dorée pour Polanski ?

Le mercredi 18 janvier, une révélation importante affectait le monde du cinéma : Roman Polanski, réalisateur franco-polonais au talent reconnu, est nommé président de la 42e cérémonie des César.
Réalisateur de renom certes, mais également acteur principal dans une affaire de viol sur mineure en 1977. L’affaire implique Polanski, alors âgé de 43 ans, et Samantha Geimer, 13 ans, qui l’avait accusé de l’avoir droguée puis violée. Alors qu’il devait être jugé aux États-Unis, Polanski s’enfuit pour échapper à son destin et est depuis poursuivi par la justice américaine. Criminel et fugitif, Polanski est appelé à devenir en 2017 président des César, nomination honorifique visant à applaudir l’ensemble de sa grande carrière cinématographique.
S’il a depuis renoncé à cette nomination, la polémique ne faiblit pas. Peut-on vraiment balayer une telle affaire d’un revers de caméra ?
En 2017, le cinéma français est toujours muet
Cette nomination interroge la séparation de l’œuvre et de l’artiste : Polanski doit-il être défini par sa filmographie ou par son passé judiciaire ? En France et aux États- Unis, deux perceptions s’affrontent.
Tandis qu’Outre-Atlantique la vie privée et la vie publique d’un artiste sont inséparables, la France sépare distinctement les deux. C’est ainsi que le réalisateur américain Nate Parker, accusé de viol il y a dix-huit ans, a vu son nouveau film The Birth of a Nation perdre toute chance d’être sélectionné pour les Oscars. La communication autour d’un film peut, dans certains cas, être intrinsèquement liée à l’image de son réalisateur, parfois même en dépit de la qualité de l’œuvre. En France, la figure d’icône du cinéma qu’incarne Roman Polanski semble justifier ce choix. Sacré plusieurs fois « meilleur réalisateur », il semble avoir acquis une immunité, celle de mettre entre parenthèses cet épisode de sa vie pour se concentrer sur ce qu’il y a de meilleur en lui, son talent cinématographique. On éclipse alors cette affaire pour l’amour du cinéma ; c’est ce que fait Alain Terzian, président de l’Académie des César, quand il qualifie Polanski d’ « esthète insatiable » qui « réinvente son art et ses œuvres au fil des époques ». La plupart des personnalités du 7e art a gardé le silence face à cette nomination, ou alors a pris la défense du Maître Polanski. Pour le petit monde que constitue le cinéma français, Roman Polanski est un demi-dieu, une référence. S’insurger contre le choix de l’Académie, c’est l’attaquer et renoncer à tout espoir de tourner un jour avec le réalisateur.
Nommer Polanski président, c’est le mettre sous le feu des projecteurs, sans égard pour son statut judiciaire, et nier toutes les victimes de viol. Le nommer président, c’est en quelque sorte l’excuser et le présenter comme modèle. C’est justement contre la représentation que ce titre suscite l’insurrection des féministes. La porte parole de l’association Osez le féminisme, Claire Serre-Combe, rappelle ainsi que « Choisir Polanski comme président, c’est le placer en tant que référent, autorité morale d’une cérémonie au cours de laquelle il va être mis en avant. ». Muet sur cette affaire, le cinéma français glorifie Polanski en tant que réalisateur, en montrant d’autant plus qu’il ne le sanctionne pas en tant que citoyen.
Twitter, ou le tribunal 2.0
À l’annonce de ce choix, quelques voix s’élèvent timidement pour protester. Par exemple, Laurence Rossignol, ministre des droits des femmes, réagit le 20 janvier sur France Culture et dénonce « une forme d’indifférence à l’égard de quelque chose qui reste aujourd’hui grave et que nous cherchons par ailleurs à combattre ».

Mais ces petites voix éparses sont vite rejointes par la grosse voix d’Internet. Là où la dénonciation individuelle n’a que peu de poids, Internet permet de s’opposer plus massivement. La polémique est ainsi rattrapée par les réseaux sociaux, et notamment sur Twitter. Le #BoycottCésar est lancé et largement utilisé, illustrant la prise de position de la twittosphère en faveur des féministes. En parallèle de ce mouvement sur Twitter, une pétition est apparue sur Change.org « Pour la destitution de Roman Polanski comme président des César » et a recueilli un grand nombre de signatures. Cette forte participation et la visibilité acquise par de telles actions témoignent du rôle puissant d’Internet dans la contestation, et ont probablement participé au renoncement personnel du réalisateur.

À l’inverse du collectif qui oublie facilement ou applique la politique de l’autruche, Internet n’oublie pas. Cette polémique est l’affaire du temps contre la justice. Audrey Azoulay, ministre de la culture, a déclaré : « Les faits en cause sont particulièrement graves. Mais ils sont aussi très anciens. »; tout comme Aurélie Filippetti qui a annoncé d’une même voix : « C’est quelque chose qui s’est passé il y a quarante ans. On ne peut pas à chaque fois relancer cette affaire. ». Pourtant, selon la twittosphère et son hashtag #BoycottCésar, le temps ne fait rien à l’affaire : Polanski doit être jugé ou ne pas être, et c’est en cela que la communauté Internet se révèle être le véritable juge du réalisateur coupable. Twitter, le tribunal de demain ?
Les grandes cérémonies : entre-soi ou porte-voix ?
Finalement, les grandes cérémonies comme les César et les Oscars ne seraient-elles pas l’occasion de revenir sur des problématiques sociétales dans le monde du cinéma ? En 2016, la cérémonie des Oscars avait fait face à la polémique sur le manque de diversité dans le cinéma américain, avec l’aide du hashtag #BoycottOscar, dont #BoycottCésar reprend tous les codes. Certes le cinéma est dans un entre-soi, à tel point qu’aucune personnalité du grand écran n’a dénoncé la nomination de Roman Polanski, mais il est malgré tout un porte-voix qui permet de s’exprimer sur une problématique actuelle et d’être entendu.
L’année dernière, pendant le Festival de Cannes, le maître de cérémonie Laurent Lafitte avait apostrophé Woody Allen en déclarant : « Ces dernières années, vous avez beaucoup tourné en Europe, alors que vous n’êtes même pas condamné pour viol aux Etats-Unis. », faisant ainsi implicitement référence à Polanski et créant une polémique. Le cinéma n’est peut-être pas alors totalement recroquevillé sur lui-même, et la scène des grandes cérémonies de récompense reste un lieu privilégié pour réfléchir sur les remises en question et les doutes que le cinéma traverse.
Même si aujourd’hui Polanski a renoncé à présider la cérémonie suite à cette polémique, cette affaire n’est pas réglée pour autant. Car tout cela n’est ni un film ni un roman, Polanski n’a pour l’instant jamais été jugé, et les États-Unis demandent toujours son extradition. Son procès s’est pourtant fait sur Internet et les juges ne sont autres que des twittos et des internautes, armés non pas de marteaux mais de hashtags et de pétitions…
Diane Nivoley
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Sources :
• Fabre Clarisse, « L’affaire Polanski rattrape les Césars », Le Monde, mis en ligne le 20/01/2017, consulté le 23/01/2017.
• Balle Catherine, « Roman Polanski peut-il présider les Césars ? », Le Parisien, mis en ligne le 21/01/2017, consulté le 23/01/2017.
• Lepron Louis, « Roman Polanski président des César : le gouvernement réagit enfin », Konbini, mis en ligne le 20/01/2017, consulté le 23/01/2017.
Crédits :
• Compte Twitter de l’Académie des César
• Capture d’écran de Twitter
• France Culture

Change
Société

Engagez-vous : cliquez

 
Qui aujourd’hui ne connaît pas Change.org, plateforme de pétitions en ligne créée en 2007, qui s’est s’imposée sur nos réseaux et nos « pages » ? Se revendiquant elle-même « la plateforme de pétition en ligne la plus puissante du Web », Change.org répertorie les pétitions tout en permettant à chacun d’en créer et, bien évidemment, d’en « signer ».
Change.org semble ainsi avoir pris acte de l’impossibilité aujourd’hui de passer à côté des réseaux sociaux et d’Internet. Fort de ce constat, le site adapte l’engagement pétitionnaire à l’écran, permettant ainsi une large diffusion et une rapidité d’action (en « un clic »).
Cependant ce choix de pratique, s’il accroît la visibilité des pétitions, et donc indirectement, on peut le supposer, le nombre de signataires, donne-t-il réellement plus de poids à la pétition ? Signer une pétition en cliquant sur un bouton, au même titre que lorsque l’on accepte les conditions d’utilisations (que personne ne lit) peut revenir à amoindrir le geste, à rendre l’engagement plus machinal et automatique. On s’éloignerait ainsi de la logique du soutien humanitaire ou de l’engagement politique que cristallise la plupart des pétitions. D’autant que Change.org se distingue également par une stratégie d’e-mailing que l’on pourrait juger intrusive pour un site de pétition. Car une fois encore, le poids d’une pétition se mesure au nombre de signatures, avec l’idée qu’en amont, chaque signataire a pris acte du sujet et a fait la démarche de signer. Avec Change.org, les pétitions sont répertoriées, certaines arrivent à nous dans notre boîte mail avec une certaine régularité, et ce pour nous présenter de nouvelles pétitions et nous sensibiliser à de nouvelles causes.

Eugénie Mentré
Sources :
Change.org

Facebook
Société

Marches Facebookiennes

 
A la suite de la victoire du Front National aux élections européennes du 25 mai dernier, un jeune lycéen marseillais, Lucas Rochette-Brelon, a créé un évènement Facebook intitulé « marche citoyenne contre le F Haine », donnant rendez-vous à ses contacts le jeudi 29 mai. Le jour de la mobilisation prévue, l’ensemble des évènements prévus dans la plupart des grandes villes de France rassemblait 24 000 personnes qui comptaient participer. Or, ce n’est finalement que la moitié de ce chiffre qui a manifesté dans toute la France.
En revanche, si ces marches citoyennes n’ont pas suscité une forte mobilisation, elles ont su inspirer les internautes les plus taquins. Ainsi, si on trouve une critique directe : « Marche citoyenne contre les marches citoyennes », certains ont été plus inventifs avec des intitulés tels que « Marche citoyenne contre la pluie, la haine et la mort de Dumbledore » (plus de 8 000 personnes inscrites), ou la « Marche citoyenne contre les Lannister » (qui rassemble plus de 28 000 personnes).
Ces déclinaisons –en plus de leur caractère humoristique- soulignent bien le caractère virtuel de la démarche. Cliquer sur le simple bouton « Je participe » est bien plus facile que de se déplacer pour manifester dans la réalité, mais donne une illusion d’engagement, comme l’inscription à une pétition.
Après cette multiplication des marches citoyennes lancées sur Facebook, la question de l’engagement sur les réseaux sociaux se pose encore plus fortement qu’avant. L’engagement est-il sincère ou s’agit-il d’un simple élément de langage sans acte réel derrière (on parle bien d’engagement lorsque le fan d’une marque s’implique par un like ou un commentaire), d’une posture face à ses amis ou ses followers ?
Astrid Gay
Sources :
Lemonde.fr
Lexpress.fr

Politique

La NRA versus Chasse et Pêche

 
C’est un autre monde que l’on découvre si l’on s’intéresse de plus près au débat qui fait rage aux États-Unis concernant la vente libre des armes à feu. C’est aussi une histoire complexe et des entrelacements entre les différentes sphères qui régissent cette société, car c’est un débat politique, économique et financier, mais aussi sociétal. Le  but n’étant pas ici de le résumer, de l’expliquer, ou de prendre parti, il est tout de même intéressant de constater les différences culturelles et communicationnelles entre la France et les États-Unis concernant l’univers des armes à feu.
Le 14 décembre dernier, la fusillade de Newtown a relancé le très vieux débat sur la vente libre et le port  des armes à feu aux USA. Ou plutôt, ce tragique événement (le 25e en cinq ans) a multiplié sa visibilité à l’international, comme on peut le voir notamment dans les médias français. Des pétitions de part et d’autres du conflit fusent pour ou contre le « Ban guns », et le président Obama se voit obligé d’intervenir.
Mais si le puissant lobby américain des armes, la NRA (National Riffle Association) reste plutôt silencieux après la tuerie de Newtown, malgré une proposition de poster un policier armé devant chaque école, ce sont les partisans du second amendement qui font entendre leur voix. Les dernières vidéos sur la chaîne Youtube de la NRA datent en effet de la dernière élection présidentielle américaine ou de plus de huit mois . C’est en fait sur les réseaux sociaux que tout se passe. Des associations « pro guns » postent quotidiennement des vidéos et images qui parlent d’elles-mêmes. Ainsi pour exhorter les américains à les rejoindre, ces dernières proposent, comme National Association for Gun Rights (640 000 likes), de gagner 600 dollars d’ « Ammo » (munitions) en s’inscrivant (non gratuitement) à NAGR, ou de recevoir des cadeaux tels que des autocollants d’armes, des « flashlights » à insérer sur une arme et autres gadgets spécifiques. C’est une communication que nous n’avons pas l’occasion de voir en France. Et cette communication porte ses fruits puisqu’une autre association, I love my Gun Rights, créée le 28 décembre dernier, compte aujourd’hui plus de 165 000 fans et partisans de la pétition en faveur du second amendement de la constitution américaine. On y trouve des publications telles que « Click « like » if you love your gun! » ou encore « We don’t blame cars for drunk drivers, why do we blame guns for violent criminals? ».
Les militants ne se cantonnent pas à Facebook ou Twitter, mais, et c’est encore plus parlant, on peut voir sur le site américain The Atlantic Wire une compilation de clichés pour la plupart d’Instagram, prises pendant les fêtes de Noël, du cadeau reçu sous le sapin, avec des commentaires tel que  « N’essayez pas d’entrer dans cette maison ». Des jeunes et moins jeunes Américains ont posé avec leur nouvelle arme devant le sapin de Noël. Ces photos ont fait l’objet de nombreux articles sur la toile commentés par des internautes français « choqués ». Ces photos révèlent en effet à quel point les armes à feu sont banalisées aux États-Unis, et font partie d’un quotidien loin du nôtre.
Si l’on devient curieux et qu’on visite le site officiel de la NRA, on est servi. Sans être naïf, le dépaysement est quand même conséquent. Les services proposés balayent tous les besoins d’un « porteur d’arme ». Un projet concernant une école intégrée à la NRA est en cours  The National School Shield proposant un « Education And Training Emergency Response Program » (un programme d’éducation et d’entraînement en réponse à une urgence). Mais la NRA organise aussi des compétitions, des événements, des réunions de clubs, des packs séjours dans des hôtels dédiés au tir, des interventions de la mascotte NRA dans les écoles…
Et si l’on ne fait plus tout à fait attention aux bandes de publicités défilantes sur Internet, celles que l’on peut voir sur les sites américains, ou dans les journaux, sautent aux yeux d’un Français. C’est en effet assez atypique de voir un Père-Noël offrant des réductions sur toute arme achetée dans un magasin (notons que cette publicité en question se trouvait sur la page traitant de la fusillade de Newtown dans le journal Rock Hill Herald, qui a présenté ses excuses par la suite).

C’est aussi étonnant de voir, sur le côté de notre page internet, des publicités pour bouchons d’oreilles préservant l’audition de tout tireur.

Les lois françaises sur le port d’armes sont tellement réglementées et restrictives qu’elles ne sont pas connues de tous. Divisées en huit catégories d’armes, seules quelques unes sont autorisées à la vente, et encore, sous contrôles psychologique, judiciaire et pour une durée de détention déterminée. Mais les lois françaises sur la publicité pour les armes à feu sont encore plus restrictives que cela. Car les armes à feux de catégorie autorisée, « ne peuvent être proposées à la vente ou faire l’objet de publicité sur des catalogues, prospectus, publications périodiques ou tout autre support de l’écrit, de la parole ou de l’image que lorsque l’objet, le titre et l’essentiel du contenu de ces supports ont trait à la chasse, à la pêche ou au tir sportif » selon la Loi n° 85-706 du 12 juillet 1985 relative à la publicité en faveur des armes à feu et de leurs munitions. Mais en plus de cela, ces publicités ne peuvent être envoyées ou distribuées qu’aux personnes qui en font la demande.
Voilà un secteur économique très profitable pour les États-Unis, et presque absent sur le sol français. Comme il est difficile pour les Américains de se départir de cet amendement datant de 1787, il serait tout autant ardu pour les Français de voir leur paysage publicitaire devenir un champ de bataille. L’arme fait peur, mais son image grand public presque plus. Enfin, pas à tous.
Pour en savoir plus sur la surmédiatisation de la tuerie de Newtown, rendez-vous demain avec Clémentine Malgras pour Irrévérences.
 
Marie-Hortense Vincent 
Sources :
Didoune.fr
Le site de la NRA
Legifrance.gouv.fr
Bloomberg
Meltybuzz
La page Facebook de la NRA…
… et celle de la pétition anti-Ban Gun
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