SOURIRE
Société

Le sourire est-il trop populaire ?

Si vous aussi on vous répète toujours de sourire sur les photos pour qu’on ne pense pas que vous faites la gueule, alors bienvenue au club. Quand est-ce que crier bêtement « cheese » avant la capture fatidique est devenu une norme, presque un rite de passage ? On savait que le fromage avait des vertus gustatives particulières mais au point de vous faire paraître heureux, vraiment ? On peut penser que le sourire transcrit le bonheur mais ne perd-t-il pas de son intérêt naturel par une capture qui n’a rien de spontanée ? Cheese ou smiley, analysons la place majeure et insoupçonnée de ce rictus.

Société

Le vintage-revival a enterré Kodak. Définitivement.

 
Kodak a annoncé le 22 décembre la vente de tous les brevets accumulés au cours de ses 131 ans d’existence. S’envole avec Kodak les débuts de la photographie amateur, les souvenirs de l’argentique, le plaisir de l’attente du cliché, le symbole de toute une génération. Pourtant la photo est loin d’être morte, et la photo vintage vit même son heure de gloire. La mode, qui a commencé avec le rush sur la lomographie, s’est poursuivie avec Instagram qui propose de vous faire revivre le caractère d’une photo à peine sortie de votre polaroid.
Nous semblons désormais être rentrés dans le règne sans partage du numérique sur le vintage mais avec tout de même cette étrange volonté de retrouver l’imperfection au travers de clichés saturés, flous et beaucoup trop contrastés. Alors que la science s’évertue à créer le capteur numérique parfait, le traitement d’image le plus fidèle à la réalité, l’utilisateur vient détruire ces clichés en les assaisonnant de telle sorte qu’ils deviennent les tristes témoins d’une photographique analogique aujourd’hui disparue. Le photographe actuel, est aussi créateur de l’imperfection, du bruit, et de la faiblesse technique de la photographie. Un tel grand-écart entre la recherche de la perfection photographique à coup de mégapixels et de sensibilité ISO et cette mode du vintage, souligne bien la recherche de l’émotion dans la photographie, dans le souvenir. L’aspect pratique vient comme adjuvant à la photographie, et non plus comme une motivation du cliché. Ersatz vulgaire d’une technologie passée qui ne recherchait pas la perfection, Instagram s’est révélé être une interface sociale du souvenir en lui apportant, l’émotion vintage du vécu.
Instamatic vs. Instagram.
Instagram devient donc un faire-valoir social qui illustre la capacité d’un individu à vouloir prouver l’authenticité de ses souvenirs, la puissance des instants passés et son souhait de les diffuser sur les réseaux sociaux. Alors que l’on passe de l’Instamatic de Kodak à l’Instagram, on développe la nécessité de partager son existence, ses moments de vie et d’émotion avec les autres. L’album photo thésaurisé se transforme alors en un flux direct d’une succession d’instants non-plus destinés à soi-même, mais à la multitude. Faussaire d’émotion et de vintage, Instagram s’impose donc aussi comme un objet puissant capable de combler les trois derniers étages de la pyramide des besoins de Maslow : reconnaissance par le groupe social, estime et réalisation de soi.
Le temps d’un instant.
Instagram s’est aussi imposé comme une double négation paradoxale du progrès et des « charges » qui s’imposent à celui qui recherche vraiment l’absolu dans la photographie. Faux puristes, les utilisateurs d’Instagram se sont libérés du temps de la photographie, de l’attente qui s’imposait à celui qui devait acheter la pellicule, la charger, prendre les 36 poses puis enfin attendre le développement. À présent, le message de la photographie n’est plus perturbé par le temps. Laswell nous montre que le message se caractérise principalement par l’impact sur le récepteur. Dans le cas d’Instagram, la vitesse de partage entre l’instant de la prise de vue et la diffusion est quasiment instantanée, ce qui renforce la notion de prise directe de l’information qui devient incontestable. L’utilisateur impose souvent son flux de photographie comme symbole d’une vie riche et remplie. Sommes-nous en train de faire dériver les média sociaux vers un monopole propagandiste de l’image au profit de la parole ?
La photographie argentique est indissociable de ces différents temps d’attente, de ces efforts qui amèneront au souvenir matériel d’un instant précis. Le rejet de la perfection est une part essentielle de la photographie amateur, car elle souligne les conditions de la prise de vue. Une plage trop ensoleillée conduisait à des clichés surexposés tandis que les photos de nuit prises avec l’aide d’un flash étaient souvent blanchies par la dure lumière. Ces problèmes techniques donnaient vie à la photo, en replaçant le contexte du cliché. Tout cela semble avoir disparu aujourd’hui. L’infra-ordinaire est omniprésent dans le travail photographique car le support, le matériel, les erreurs et réussites de prise de vue, conditionnent bon nombre d’informations qui font vivre le cliché au delà de la scène représentée. Que choisiriez-vous ? Une pellicule de 36 photos ayant toute une vie, une atmosphère, des ratés et des réussites non-escomptées ou une carte SD remplie de 8 Gb de photos parfaites ?
Clic-clac-fric ?
Cette question, les 80 millions d’utilisateurs d’instagram ne se la sont pas posée car l’application semble vouloir nous faire croire qu’elle a réussi à combler toutes les attentes artistiques et pratiques de la photographie amateur. Cependant, le scandale de la modification des CGU, Conditions Générales d’Utilisation, survenu le 19 décembre dernier a fait énormément jaser la sphère internet. Instagram s’est en effet donné le droit de monétiser les clichés des utilisateurs et de les vendre. Même après un rapide retour en arrière de la part de la société américaine, le scandale reste entier et pose la question de la propriété créatrice en photographie. Un tel choix d’Instagram semble s’inscrire parfaitement dans le fonctionnement de l’application : l’utilisateur se contente d’appuyer sur le déclencheur tandis que l’application va retravailler le cliché, le cadrer, resserrer les contrastes, appliquer le calque nécessaire qui permettra de créer à nouveau l’image. Le logiciel classe aussi le cliché, le thésaurise en le stockant en ligne et en le partageant. L’action de l’utilisateur est devenue faible par rapport au lourd traitement du logiciel. La balance du « qui a fait quoi ? » penche ici, du coté des ingénieurs d’Instagram qui semblent être les vrais créateurs de l’esprit de ces photographies retouchées.
Une photo en ligne appartient-elle toujours à celui qui a déclenché l’obturateur ? Le papier est-il plus durable que le Cloud ? Sommes-nous désormais de simples contributeurs d’une culture photographique mondiale et remasterisée sur des standards invariables ?
 
Emmanuel de Watrigant
Nous vous donnons rendez-vous demain dans la rubrique Flops à l’appui où Khady So reviendra en détail sur la polémique Instagram.

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