Société

Leak me

 
En dépit d’une législation controversée mise en place en France, on impute toujours la chute record des ventes physiques de disques au téléchargement illégal. Intéressons-nous à un pan de ce dernier, le leak. Le mot, « fuite » en français, désigne le fait qu’un album en entier est mis en ligne illégalement avant sa sortie officielle.
Le leak pose problème : il rompt complètement la chronologie de la sortie d’un album. Alors que jusqu’ici l’avis des critiques jouait beaucoup dans la décision d’achat, les utilisateurs peuvent se fonder sur leur propre avis, en amont de la sortie du disque. Lorsque le leak est très prématuré, l’utilisateur achètera-t-il quand même l’album s’il s’en est déjà lassé ? En outre, la qualité de cette édition est parfois hasardeuse. Alors qu’un fichier mp3 de qualité est encodé sur 360 kbits, le leak atteint rarement plus de 128 kbits. Sans parler de la mise en ligne de chansons non mastérisées, comme ce fut le cas pour Veckatimest de Grizzly Bear.
Ces nouveaux enjeux pénalisent indéniablement les artistes, d’autant plus qu’ils mettent à mal leur stratégie de communication. Qu’un artiste la planifie ou non, il y a toujours une montée de buzz en amont de la sortie d’un album. Les informations sont lâchées au compte goûte : longueur de l’album, nom des pistes, premier single, premier clip, premiers interviews, annonce d’une tournée… Les fans commentent, font monter le buzz, jusqu’au jour de sortie. Le leak vient perturber ce rythme. Pire, il rend superflue la stratégie visant, en premier lieu, à créer une forte attente auprès de la communauté musicale, symbole d’achat le jour de la sortie.
Le concept de jour de sortie change complètement de sens, d’autant plus que bon nombres d’artistes mettent l’album en streaming légal dès la sortie du leak pour offrir aux utilisateurs une expérience d’écoute en bonne qualité. Le jour si longtemps attendu ne devient plus que le jour où l’édition physique est disponible. Or, les artistes, longtemps pénalisés par le leak comprennent de plus en plus l’enjeu de cette nouvelle définition.
Si les vinyles sont de plus en plus populaires, c’est bien grâce à une demande croissante face à l’objet physique du disque. La pochette se fait œuvre d’art, d’où l’intérêt pour certains de la posséder en 12″, format rendant le plus justice à l’artwork.  Les artistes, poussés par le leak misent donc de plus en plus sur des formats vinyles. Cantonnés durant les années 90 et le début des années 2000 à la communauté alternative et indépendante, les vinyles sont désormais utilisés par des artistes davantage mainstream comme les Rolling Stones, Muse – qui sort aussi des clés USB – ou Lady Gaga, qui profitent de l’objet pour sortir des éditions ultra-collectors. On compte aussi de nombreuses rééditions de classiques en vinyles colorés, comme les Olivia Tremor Control proposant leur deux albums en vinyle orange  et violets, assortis de coupons de téléchargement proposant plus de trois heures de bonus par album.
En plus d’un regain d’intérêt pour le format physique, on distingue un travail de plus en plus approfondi sur les bonus offerts aux utilisateurs. L’album très attendu de Phoenix, Bankrupt ! a leaké le 26 Février, presque deux mois avant la sortie officielle. C’est sans doute pour répondre à ce leak prématuré que le groupe a annoncé une édition deluxe comportant 71 chansons de démo et de sketchs. De même, le groupe Deerhunter, suite au leak de leur album Microcastle est retourné au studio enregistrer dans le secret un nouvel album, Weird Era Cont. [1]. L’intérêt de ces versions deluxes et autres bonus est que ces versions n’ont pas à être envoyées à la presse, réduisant ainsi considérablement le risque d’un leak. La stratégie de communication peut alors faire son grand retour autour de ces éditions limitées voire surprises, créant une nouvelle émulation autour de la date de sortie.
Cependant, il faut se demander si le leak n’est pas cantonné à un certain public de niche : seulement les fans vont écumer les sites de téléchargement illégal pour récupérer en avant-première l’album de leur groupe fétiche. Dans cette optique, c’est bel et bien à eux que les artistes répondent en sortant des éditions collectors, plus onéreuses mais offrant plus de contenu : c’est une réponse de niche à un problème de niche.
 
Arthur Guillôme
[1] Lequel album fut mis en ligne accidentellement par le chanteur Bradford Cox.

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150 € l'exemple

 
Si je vous dis « Haute Autorité pour la Diffusion des Œuvres et la Protection des droits sur Internet », vous répondez, à juste titre : « Hadopi ! ».
Bien joué !
HADOPI a pour mission principale d’encourager l’offre d’œuvres légales sur Internet [i] et de lutter contre le « piratage ». Lorsqu’un voleur est repéré, il reçoit un courrier. S’il persiste dans cette pratique six mois plus tard, il reçoit un mail et une lettre recommandée. Enfin, si six mois après le malfrat fait encore le malin, il est convoqué par la Commission de Protection des Droits, qui décide ou non de porter le dossier devant la Justice.
La semaine dernière, un dangereux conspirateur de 39 ans a reçu une amende de 150 € pour avoir téléchargé illégalement deux titres de Rihanna sur son ordinateur. C’est la première personne condamnée pour téléchargement illégal depuis la mise en place du dispositif HADOPI en 2010. 150 € et un mal de tête causé par Rihanna, c’est beaucoup !
Faire fonctionner HADOPI, c’est cher. En apparence, ce n’est pas très efficace, puisque seulement 150 € rapportés à l’Etat en 2 ans, c’est un faible rendement. Mais pour sauver l’industrie musicale, qui souffre depuis l’avènement du numérique, force est de constater que ce « flicage » sur Internet et la peur qu’il induit chez les internautes-mélomanes-qui-ne-paient-pas-pour-ce-qu’ils-écoutent a des répercussions : en trois ans, le peer-to-peer a chuté de 35 %.
Au moment où Aurélie Filippetti, Ministre de la Culture et de la Communication, annonce que le projet de CNM [ii] ne verra pas le jour pour des raisons économiques, on a tout lieu de penser que l’application de cette première sanction est faite pour effrayer les internautes qui pensent que les mailles du filet d’HADOPI sont trop larges pour eux.
En ces temps où tant de bonnes sorties musicales approchent, nous espérons que vous ne serez pas la deuxième personne à recevoir une amende pour non-respect des droits d’auteurs sur Internet…

Thomas Millard
Plus d’information sur ce thème :

Les propos de Filippetti sur la Hadopi créent des tensions avec la filière musicale (http://www.lemonde.fr/technologies.html)

Hadopi : un premier internaute condamné (http://www.lefigaro.fr/hightech.php)

[i] http://www.hadopi.fr/hadopi-pro/labellisation-de-loffre-legale/presentation-de-la-procedure

[ii] Le Centre National de la Musique aurait eu pour but de fédérer et de soutenir la filière musicale sur le modèle du CNC (Centre National du Cinéma)

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