Norman Crunch
Société

Stars du web : mythes et mystères

Les 7 et 8 novembre 2015 se tenait Porte de Versailles la Vidéo City de Paris, premier festival en France autour de la création de vidéos. 25 000 visiteurs sont venus rencontrer leurs youtubeurs préférés pour partager leurs créations, obtenir autographes et selfies, et assister en live à des shows exclusifs. Mais alors que ces stars du web semblent tout partager avec leurs intimes millions d’abonnés, un tabou subsiste : leurs revenus. Et si la justice commence à s’attaquer à ce sombre secret, c’est que tout n’est peut-être pas si clean.

Célébrités du net ou d’ailleurs, même combat
Quand on est star, c’est toute une communauté qu’on inspire. Et plus on a de fans ou d’abonnés à inspirer, plus on est susceptible d’être contacté par des sponsors. En France, la condition afin de pouvoir utiliser sa notoriété pour promouvoir une marque est, s’il y a rémunération, de préciser ouvertement que la marque en question nous a payés pour que l’on en fasse la publicité. Tant que Gad Elmaleh utilise son image à la télévision pour promouvoir la banque LCL, il n’y a pas de problèmes. En revanche, ils arrivent quand la youtubeuse EnjoyPhoenix étale ses derniers achats chez H&M ou que l’humoriste Cyprien sort une vidéo intitulée « La Wii U » dans laquelle il nous présente la nouvelle console de jeux de Nintendo.
EnjoyPhoenix et Cyprien ont-ils été sponsorisés par H&M et Nintendo ? Rien dans la vidéo ni dans le descriptif de celle-ci ne le précise, mais nos deux youtubeurs ont l’air très, très satisfaits des produits présentés… « Et pour finir, ma conclusion sur la Wii U : c’est bien », nous dit Cyprien. Voici justement ce qui a attiré les foudres de la Direction générale de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes (DGCCRF) : la publicité déguisée qui prolifère sur YouTube. En pensant se divertir, l’internaute regarde en réalité une vidéo-promotion, et se transforme en consommateur manipulé. La loi punit ce type de fraude de 300 000 euros d’amende et de deux ans de prison. Selon l’article 20 de la loi pour la confiance de l’économie, « Toute publicité (…) doit pouvoir être clairement identifiée comme telle ». Problème : comment distinguer le youtubeur secrètement sponsorisé de celui qui parle d’un produit en toute innocence ?
Le silence est d’or
Préciser qu’une vidéo est sponsorisée n’est avantageux ni pour l’annonceur ni pour le youtubeur. En effet, Youtube est avant tout une plateforme d’expression libre. L’arrivée des annonceurs sur cette plateforme signifie pour les internautes la mort de la liberté d’expression et surtout celle de la sincérité… Norman a été qualifié par certains de ses fans de « vendu » après avoir participé au défi de Crunch en 2013, Crunch sort Norman de sa chambre.

Kevin Tran, de la chaîne Youtube Le Rire Jaune, remarque en effet dans sa vidéo « L’Argent sur Youtube » le fait que faire du placement de produit dans une vidéo est très mal vu en France. Il explique intelligemment que tant que l’internaute n’a pas l’impression de se faire utiliser, le placement de produit doit être accepté car « ça fait partie du jeu » : les youtubeurs ont besoin d’argent, ne serait-ce que pour produire des vidéos de qualité. Kevin ne parle cependant pas de l’obligation de préciser que la vidéo contient un placement de produit et nous propose même une astuce pour pouvoir déterminer si la vidéo que nous regardons en contient un ou pas (si le youtubeur critique ne serait-ce qu’une fois le produit, ce n’est pas un placement de produit).
Ce qui prouve que préciser clairement que sa vidéo contient un placement de produit n’est pas considéré comme obligatoire par la communauté des youtubeurs. D’autre part, on remarque que les annonceurs interdisent à leurs intermédiaires de déclarer le montant de leur rémunération. Echapper aux impôts grâce aux failles du système YouTube ?

Les stars du net ont toujours le pouvoir
Cependant la marge de manœuvre des stars du net est encore totale. En effet, si rien ne les oblige à accepter les offres de sponsoring, elles sont également libres de n’accepter les offres que sous condition ou de les envoyer balader comme bon leur semble.
Ces questions épineuses ne touchant pas uniquement YouTube, prenons l’exemple du buzz récent d’une star d’Instagram. Essena O’Neills, 18 ans et 580 000 followers, a décidé de faire un pied-de-nez à ses nombreux sponsors en révélant ce qui se cache vraiment derrière ses photos : outre les problèmes liés au jeûne pour avoir un ventre plat et au mal-être dû à l’exhibition de son corps, des placements de produits rémunérés 2 000 dollars !

L’idée que les stars du web renvoient aux internautes est ainsi la suivante : ce ne sont pas les marques qui se servent de nous, mais nous qui nous servons des marques.
A l’heure du 2.0, fraude ou pas, ce sont les célébrités d’Internet qui ont encore le contrôle total de leurs actions. Mais dans le cas des youtubeurs, il est plus facile de refuser l’offre d’un sponsor quand on s’appelle Pewdiepie (première chaîne avec un revenu qui varie entre 4 et 7 millions de dollars par an) que quand on a un nombre d’abonnés plus modeste et que l’on ne crache pas sur quelques milliers d’euros. Le youtubeur lambda est donc tiraillé entre l’appât de l’argent facile et le désir de maintenir son image d’artiste libre et sincère, qui ne se sert pas de sa communauté de fans pour se faire de l’argent.
Et au-delà des belles intentions, Internet est bien trop vaste pour que la DGCCRF puisse condamner toutes les stars du web françaises qui auraient « oublié » de préciser que leur vidéo/photo contient un placement de produit.
Camille PILI
Linkedin
Sources :
« Pour montrer la réalité qui se cache derrières ses photos, cette célébrité Instagram édite ses photos « parfaites »  … C’est étonnant !  » in Espace buzz, mis en ligne le 05/11/15 – Disponible sur : http://www.espacebuzz.com/pour-montrer-la-realite-qui-se-cache-derriere-ses-photos-cette-celebrite-instagram-edite-ses-photos-parfaites-c-est-etonnant.html
Nathan Weber. « Une célébrité Instagram édite ses posts pour révéler la dure réalité qui se cache derrière ses photos « parfaites » … Edifiant ! » in Demotivateur, mis en ligne il y a un mois – Disponible sur :  http://www.demotivateur.fr/article-buzz/une-celebrite-instagram-edite-ses-posts-pour-reveler-la-dure-realite-qui-se-cache-derriere-ses-photos-parfaites-edifiant–3788
Kenny. « La répression des fraudes s’intéresse aux Youtubeurs » in Hitek, mis en ligne le 08/12/15 – Disponible sur : http://hitek.fr/actualite/repression-des-fraudes-youutbeurs_7813
Matthieu Delacharlery. « Des Youtubeurs dans le collimateur de la répression des fraudes » in METRONEWS, mis en ligne le 04/12/15 – Disponible sur : http://www.metronews.fr/high-tech/des-youtubeurs-dans-le-collimateur-de-la-repression-des-fraudes/mold!xA8EH5K4dOCA/
William Audureau. « La répression des fraudes s’intéresse à la publicité déguisée sur Youtube » in LE MONDE, mis en ligne le 21/12/15 – Disponible sur : http://www.lemonde.fr/pixels/article/2015/12/04/la-repression-des-fraudes-s-interesse-a-la-publicite-deguisee-chez-les-youtubeurs_4824504_4408996.html
Kévin Ebelle. « La répression des fraudes : enquête sur les revenus opaques des Youtubeurs » in Toolito, mis en ligne le 08/12/15 – Disponible sur : http://www.toolito.com/geek/youtubeur-enquete-repression-fraudes/
Sandrine Etoa-Andegue. « Vidéo City Paris : enquête sur le business des Youtubeurs » in France Info, mis en ligne le 07/11/15 – Disponible sur : http://www.franceinfo.fr/actu/societe/article/video-city-paris-enquete-sur-le-business-des-youtubeurs-744003
Crédits images : 
– Video City
– Capture d’écran Youtube
– Capture d’écran Instagram

Com & Société

My name is…

 
En juillet dernier, James Bond et la reine Elisabeth d’Angleterre tombaient du ciel en parachute pour ouvrir les Jeux Olympiques de Londres. Moment mémorable qui marque bien l’ancrage du mythe James Bond dans la culture britannique et qui annonce implicitement le nouveau film de Sam Mendes. C’est dit, Skyfall est sorti le 23 octobre en avant-première à Londres. Ont alors commencé à pleuvoir les gadgets de communication du super-héros ou plutôt de sa super production.
Le 50e anniversaire des James Bond au cinéma constitue le discours d’accompagnement, le prologue de la campagne de communication pour promouvoir le film. Une campagne qui joue sur une reprise par lesannonceurs du personnage principal. Ou comment se parer pour la sortie du prochain film. Coca-Cola Zéro exhibe sur ses canettes collector ultra design la silhouette de Daniel Craig en smoking noir et blanc suivi du slogan « Unlock the 007 in you » comme pour inciter à l’action d’un super-héros, ou mieux, celle d’un super-consommateur.
Rien de mieux pour une marque que de revêtir le costume de l’agent secret pour fidéliser son public.
Certaines marques y voient aussi l’opportunité de lancer de nouveaux produits comme les vernis OPI avec ses nouvelles teintes intitulées « Golden Eye » dorée, « Casino Royale » violette et « Skyfall » aubergine. Bollinger, connu pour être LE champagne fétiche de Bond, a, quant à lui, créé un coffret spécial en forme de silencieux noir qui s’ouvre à l’aide du code 0, 0 et 7… Heureux hasard.
Si vous rêvez encore de devenir James Bond (ou James Bond girl), le site officiel du tourisme du Royaume-Uni exaucera vos 36 000 volontés. Visit Britain propose aux internautes une série de missions en ligne pour tenter de gagner un séjour à Londres sur les traces de l’agent secret avec des incantations telles « Live like Bond », « Accept your mission », ou un défi « Have you got what it takes ? ». Le site propose également un film publicitaire vantant les qualités de James Bond et de l’Angleterre, confondues et décrites comme «  emblématiques», « authentiques », « exaltants », « époustouflants » jusqu’au jeu de mot « You’re invited. Bond is Great… Britain ».Visit Britain mise sur un transfert de l’imaginaire des fans de James Bond sur le Royaume-Uni.
D’autres marques profitent même du film et y placent leurs produits, qui deviennent pour certains des symboles, comme l’Aston Martin ou la montre Omega présentes dans chaque film. Les symboles changent aussi au fil des annonceurs : désormais l’agent secret ne boit plus sa vodka martini « shaken not stirred » mais une bière Heineken ! Les temps ont bien changé ! Le personnage est utilisé à des fins publicitaires : en utilisant le nouveau smartphone X Peria T de Sony, il  incite le consommateur à faire de même.
Alors, y aurait-il un glissement du personnage mythique vers une marque à part entière ?
James Bond n’est plus un produit de la Guerre Froide ou une conséquence des Trente Glorieuses. Alors que ses gadgets annonçaient une société de consommation d’après-guerre et sa voiture l’essor de ce moyen de transport, James Bond évolue aujourd’hui plus vite que la musique et que les avancées techniques. Le personnage des romans et des films devient peu à peu une marque qui a une importance non négligeable sur le marché. Les atouts propres au  personnage et aux films deviennent des outils de marque. Par exemple le logo, le sigle 007, le slogan « My name is Bond », la musique, le générique qui se dessine toujours sur le même scénario (James Bond tire avec son pistolet et atteint sa cible), ses James Bond girls. On reconnaît un générique de James Bond comme on reconnaîtrait une publicité. Les valeurs véhiculées par cette marque sont sans cesse réaffirmées dans les films : James Bond incarne l’éternel gentleman au courage sans limites, son humour anglais capable de survivre à n’importe quelle situation.
Sa facilité de s’accommoder au fil du temps et de perdurer depuis 1962 est un accompagnement du spectateur, celui-ci a grandi entouré de l’univers de James Bond. Dans le monde fragile dans lequel nous nous trouvons, rien de mieux que de suivre les péripéties d’un homme d’action, voulant agir pour le bien de sa patrie tout en profitant des biens terrestres.
James Bond assure et rassure. God save communication.
 
Félicia de Petiville
Sources :
Le Figaro et vous
The Guardian « The Skyfall’s the limit on James Bond marketing»
Stratégies « James Bond, une marque, une vraie ! »