the take application
Société

The Take : nouveau visage du placement de produit ?

Les lunettes portées par Scarlett Johansson dans Lucy vous ont fait de l’œil ? Nul besoin d’écumer les boutiques de produits dérivés à la recherche d’imitations cheap qui vous coûteraient deux points de vision. L’application pour smartphone The Take permet de les scanner dans le film et de vous les procurer, changeant le produit culturel en la plus pointue des boutiques. De quoi souffler sur les braises du débat autour du placement de produit au cinéma et dans les séries.

The Take, pour s’habiller comme dans les films américains
Lancée il y a quelques mois, l’application The Take permet d’acquérir des vêtements, des accessoires ou même l’adresse d’un restaurant repérés dans un film (profil blockbuster américain uniquement). Le principe est simple : grâce à la reconnaissance sonore, l’appli identifie le film qu’est en train de regarder l’utilisateur avant de lui proposer une sélection de modèles portés par les acteurs dans les scènes principales. Avec un hyperlien direct, le spectateur-shoppeur est ensuite conduit vers une plateforme de vente où il trouvera le produit identique ou, lorsque l’appli n’a pas réussi à le trouver, un produit similaire qui fera parfaitement illusion. Une sorte de Shazam vestimentaire, en somme. Voilà de quoi réjouir les fans et désoler les puristes réticents au placement de produit.

De l’efficacité du placement de produit : du cinéma au ciné-marque
Le placement de produit est profondément lié à l’histoire du cinéma, puisqu’il est déjà utilisé par les frères Lumière, puis industrialisé après le formidable succès des bonbons Reese’s Pieces, à la suite de E.T. : The Extraterrestrial de Steven Spielberg. Aujourd’hui, le placement de produit est de plus en plus plébiscité par les marques. En effet, il afficherait un ROI (retour sur investissement) moyen quatre fois supérieur à un spot publicitaire, ce qui se traduit par un gain de notoriété et une envie de se renseigner sur le produit bien supérieure. Comment expliquer le succès de cette publicité clandestine ?
Notre époque est à la saturation publicitaire : la plupart des publicités se confrontent à l’hostilité des spectateurs. Pour beaucoup, la pub, c’est la pause, le moment d’aller se chercher un café ou de zapper, pour ne peut-être jamais revenir, au grand damne des annonceurs. C’est en partie la raison pour laquelle la frontière entre la publicité et le film ou la série – jingle, écran noir ou encore petit garçon de Médiavision surfant gaiment sur son ticket de cinéma – tend à s’amincir et à devenir poreuse. Même au sein de cette distinction initiale, les genres se brouillent, quand certains films ressemblent à de gigantesques publicités et que les marques n’hésitent plus à réaliser de véritables courts métrages artistiques, comme La légende de Shalimar – Le film de Guerlain. Ainsi, les différentes strates du programme audiovisuel s’homogénéisent.
C’est ce double phénomène qui est conceptualisé par Valérie Patrin-Leclère, Caroline Marti de Montety et Karine Berthelot-Guiet sous le nom de « publicitarisation » et « dépublicitarisation ».

Valérie Patrin-Leclère, définit la publicitarisation comme « l’adaptation de la forme des médias, de leurs contenus, et des pratiques professionnelles dont ils procèdent, à la nécessité d’accueillir la publicité. »

La notion de « dépublicitarisation », développée par Caroline De Montety renvoie quant à elle à l’action des marques qui développent des dispositifs médiatiques et culturels dans lesquels l’aspect promotionnel est relayé au second plan.
Alors que nous sommes agacés par l’intrusion de la publicité sur nos écrans, et donc sur notre défensive vis-à-vis des marques, nous adoptons une attitude tout à fait bienveillante devant notre programme. Autrement dit, c’est le moment idéal pour une marque de se soumettre à notre regard énamouré.
  Un des multiples placements de produit dans Plus belle la vie.
Et le spectateur est étonnement tolérant ! Une enquête menée par Publicis révèle par exemple que 96% des spectateurs estiment que le placement de produit ne nuit pas à la liberté de création ni à la qualité de l’œuvre et 85% reconnaissent qu’il facilite la mémorisation de la marque.
La relation complexe entre les marques et le cinéma
Le cinéma et les marques entretiennent une relation amour-haine due à leur dépendance réciproque. Le cinéma a bien souvent besoin d’un financement externe : la liberté de création est permise par un investissement des marques, qui influencent également le processus de commercialisation du film, c’est-à-dire sa promotion.
Evidemment, la réussite du placement de produit dépend de l’équilibre entre les intérêts divergents de l’annonceur et du réalisateur. L’annonceur recherche la centralité et la visibilité, tandis que l’auteur du film qui accepte le placement a généralement intérêt à ce que le produit se remarque le moins possible, au contraire, se fonde dans le décor pour ne pas dénaturer le projet artistique initial. Et pour le spectateur, rien n’est plus irritant que d’être ramené à la réalité par un gros plan sur la montre Omega de James Bond au beau milieu d’une scène d’action. Nous voilà embarqués dans une furieuse chasse aux marques pour le restant de la séance, comme s’il s’agissait de « trouver l’intrus ».
Le placement de produit le plus efficace est celui qui s’insère pertinemment dans la fiction, qu’il soit là par simple réalisme (une voiture au logo flouté retient d’avantage l’attention qu’autre chose) ou qu’il serve l’histoire. Une marque est souvent un signe à part entière dans la construction d’un personnage. Elle en dit long sur son origine sociale ou ses revenus, sur son attachement ou son rejet de la mode, facilite l’ancrage de l’action dans un cadre spatio-temporel précis et permet aux spectateurs de se reconnaître en ces personnages. Là, la marque devient désirable car elle ne détonne pas outrageusement. C’est le spectateur qui va entreprendre la démarche de se renseigner sur le produit. C’est là qu’intervient The Take, qui pourrait instaurer une forme de placement de produit alternative et moins indigeste.
L’achat par smartphone, un marché à saisir
Nombre de marques et de producteurs ont décelé le potentiel d’une telle application. Initialement annoncée pour début 2015, l’application Shazam Fashion propose ainsi d’indiquer la provenance des vêtements et accessoires que portent les présentateurs télé et d’accompagner l’achat du spectateur. Ce qui est intéressant, c’est que Shazam Fashion ne fonctionne pas par reconnaissance visuelle du vêtement mais grâce à un système de partenariats avec les producteurs de télévisions américains. Il y a plusieurs années déjà, Andrew Fisher, le PDG de Shazam déclarait dans les pages du Guardian avoir « engagé des partenariats avec plus de 160 émissions de télévision ».
Ce n’est évidemment pas l’amour du 7ème art ou quelque philanthropie qui incite à la création de ces applications mais le marché prometteur de l’achat depuis les smartphones, en nette hausse. Selon une étude, 70% des consommateurs américains ont ainsi effectué un achat depuis leur téléphone portable dans les six derniers mois, contre 59% en 2013. Si les chiffres sont moins impressionnants en France, la tendance est néanmoins identique. C’est ainsi qu’on observe des applis de mode « sourcing » se développer sous diverses formes.
Asap54, par exemple, propose à ses utilisateurs de retrouver l’origine d’un vêtement vu sur un passant à partir d’une simple photo. Une fois la correspondance trouvée, elle redirige l’utilisateur vers le site marchand en question. Et si son système de scan ne parvient pas à trouver de correspondance exacte, plusieurs équivalents proposés. On peut aussi penser à BrandsOnAir et son système de partenariats avec les marques, ou encore à WhereToGet et sa communauté de passionnés qui mènent l’enquête pour trouver la provenance des vêtements photographiés. Cette dernière entretient également un rapport étroit avec les marques, que rien n’empêche d’être des membres à part entière et donc d’encourager les internautes à acheter leurs produits à travers un tracking des recherches et un système de pistage du profil des internautes.

Ces applications de fashion sourcing font du monde une vaste boutique, de chaque passant un ambassadeur d’une marque et de tous les instants une occasion de consommer. C’est d’ailleurs sur cette tendance que Comptoir des cotonniers avait surfé lors de sa campagne Cette page est une boutique.
Louise Pfirsch
@: Louise Pfirsch
Sources :
www.e-marketing.fr
konbini.com
lemonde.fr
histoiredesmedias.com
Valérie Patrin-Leclère, Caroline Marti de Montety, Karine Berthelot-Guiet, La fin de la publicité ? Tours et contours de la dépublicitarisation
Crédits images :
lemonde.fr
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konbini.com