Culture

Sinners : Entre ombre et lumière

Vous a-t-on déjà parlé de Robert Johnson ? L’homme à la guitare maudite, aux cordes envoûtantes, père du blues, de la country et du jazz, Johnson était un homme empli d’autant de talent que de mystère. L’histoire raconte qu’à la croisée d’un chemin, il aurait pactisé avec le Malin, vendu son âme en échange du génie et de la célébrité. Vrai ou faux ? À vous d’en décider.Pour cela, il vous suffit de regarder  Sinners, un film produit par Ryan Coogler, qui, pour le plaisir de nos yeux, met doublement en vedette Michael B. Jordan.Sorti en salles le 16 avril 2025, ce film inspiré de cette légende est un chef-d’œuvre mêlant avec habileté horreur, références culturelles et héritage musical. Amour déconstruit et vodou, ce film mérite une analyse précise… et c’est avec plaisir que FastnCurious s’en charge. Recontextualisation : Ryan Coogler remonte le temps, au Mississippi des années 1930, en plein cœur de la ségrégation raciale. C’est la terre natale des frères jumeaux Smock et Stack, les personnages principaux. Après avoir fait fortune à Chicago, ils reviennent avec un projet ambitieux : ouvrir un club de blues, un lieu de libération. Mais leur rêve se heurte à des forces maléfiques qui hantent le Mississipi, des vampires, pour ne rien spoiler.  Le péché d’aimer et d’être aimé ? image extraite du film Chez Ryan Coogler, le couple n’est jamais juste un duo amoureux. Dans Sinners, aimer devient un acte de transgression, il est politique, social, racial. Un péché, peut-être. En tout cas, un acte chargé. Coogler ne célèbre pas l’amour universel : il donne la parole à ceux qu’on préfère, bien souvent, ne pas voir aimer. Ceux dont l’existence même dérange l’ordre établi. Le couple formé par Stack et Mary illustre à merveille cette tension. Mary, bien qu’ayant des origines afro-descendantes, est perçue comme blanche aux yeux du monde. Une perception remise en question par la fameuse one-drop rule, héritée de l’histoire raciale américaine, selon laquelle une seule goutte de sang noir suffit à faire de vous un corps racialement « autre ». C’est dans cette ambiguïté que Coogler frappe et installe un couple mixte là où on ne l’attend pas, en jouant sur le regard social et nos propres lectures du corps. Leur relation, impossible à vivre au grand jour, fait écho à de nombreuses histoires invisibilisées. Ce n’est pas un hasard si Coogler les a faits vampires. Amoureux condamnés à l’ombre, Stack et Mary incarnent une métaphore assumée : l’amour illégitime selon la norme ne se montre pas ou alors à ses risques et périls.Mais le film ne se contente pas de constater cette invisibilisation. Il la défie. Dans la scène post-générique, le couple entre main dans la main dans un bar, à la lumière (ou presque). Ce plan, bref mais puissant, fonctionne comme une réparation fictionnelle. Coogler ne réécrit pas l’Histoire, il en propose une version parallèle : un espace mental où les Stack et Mary du passé et du présent ont enfin le droit d’exister, et d’aimer, pleinement. Cette évocation renvoie directement à l’affaire Loving v. Virginia, qui aboutit en 1967 à l’abolition des lois interdisant le mariage interracial aux États-Unis. Cette décision historique de la Cour suprême a marqué un tournant : elle reconnaissait enfin que l’amour ne devait plus être conditionné par la race. Comme Sinners, ce contexte rappelle à quel point l’amour a longtemps été, et reste parfois, un acte politique. Noire, grosse et aimée : Annie image extraite du film Parfois, le simple fait de voir un certain profil aimé et désiré à l’écran semble relever de la provocation. Ça gratte, ça dérange. Mais en vérité, difficile d’en vouloir totalement au public : quand un schéma est systématiquement dissimulé, contourné ou tout bonnement refusé par l’industrie, le jour où on choisit de le briser, ça coince. Pourquoi ? Car  nous avons tous été formatés. Allez, testons quelque chose : êtes-vous capables de citer trois femmes noires, grosses, réellement aimées au cœur d’une intrigue amoureuse au cinéma, sans qu’elles ne soient réduites à un fantasme pseudo-exotique façon Vénus ? (Petite pause culture : Saartjie Baartman, surnommée la Vénus, était une femme exhibée dans les foires européennes du XIXe siècle pour son corps, traité comme un objet de curiosité coloniale.) Non ? Toujours pas ? C’est normal, elles n’existent pas. Ou plutôt : on les empêche d’exister. Quand on daigne représenter des femmes noires grosses dans les médias, c’est souvent à travers le prisme de la souffrance ou de la monstruosité sociale. Prenez Precious (2009, Lee Daniels), par exemple : une jeune fille noire, grosse, abusée, en échec scolaire, presque privée d’horizon. Ce n’est pas une héroïne, c’est un corps-problème. Sa douleur devient spectacle. Et surtout, aucun désir ne l’effleure, encore moins une romance. C’est pourquoi le personnage d’Annie fait office de révolution. Annie est noire, grosse, sorcière (tant qu’à faire), et aimée. Vraiment aimée. Par un homme que la société considère comme « beau », comprenez : grand, musclé, charismatique. Et c’est précisément là que ça coince. Les réactions sur les réseaux sociaux ont été d’une violence désarmante : dès ses premières secondes à l’écran, certains ont pensé qu’Annie interprétait le rôle de la mère de Smock. D’autres, plus subtils mais tout aussi toxiques, ont exprimé leur « incompréhension » face à ce couple « incongru ». Bref : pour beaucoup, un homme aussi « désirable » n’a aucune raison de tomber amoureux d’une femme qui ne coche pas les cases du fantasme occidental standardisé. captures d’écran de posts X Et cette gêne n’est pas que virtuelle. Elle se glisse aussi dans la promo du film. Tandis que Hailee Steinfeld, plus célèbre, je vous l’accorde, mais tout de même dans un rôle secondaire, est invitée à débriefer sa love story fictive sur les plateaux télé, l’actrice incarnant Annie est, elle, soigneusement tenue à l’écart de ces discussions-là. Pas de canapé rouge, pas de blague sur leur « alchimie à l’écran », pas de compliments gênés sur la « tension sexuelle entre eux ». Le message implicite est clair : on peut tolérer la relation dans la diégèse, mais surtout pas dans l’imaginaire collectif. Pourtant, c’est là que Sinners marque un point. Il ne se contente pas de mettre un couple improbable à l’écran, il oblige à regarder ce que l’on n’a pas appris à désirer. Il confronte le spectateur à ses propres biais. Le couple formé par Annie et Smock n’est pas là pour cocher une case diversité, il est là pour nous faire comprendre une chose simple : l’amour, le vrai, ne devrait pas être un privilège esthétique. Louisiana, fille préférée de maman Vodou Impossible de parler de Sinners sans évoquer croyances, colonialisme et héritage culturel. Car ici, la musique n’est pas qu’une simple ambiance : c’est une mémoire vivante. Ryan Coogler puise dans les racines africaines pour composer son récit. Il rend hommage à une tradition qu’on a trop souvent voulu effacer à coups de Bible et de poudre à canon : celle des griots, figures majeures de la transmission du savoir en Afrique de l’Ouest. Les griots, ce ne sont pas seulement des musiciens ou des conteurs : ce sont des bibliothèques humaines. Entre le XIIe et le XIVe siècle, notamment dans l’Empire du Mali, ils incarnaient l’histoire orale. Pas d’école, pas de manuels, mais des chantres qui traversaient les villes pour raconter, enseigner, éduquer à coups de récits, de chants, de proverbes. Leur instrument de prédilection ? La kora, ancêtre direct de la guitare, élément central du film. Ce que Coogler souligne est simple : sans les griots, sans ces passeurs de mémoire, c’est tout un pan de l’héritage africain qui se serait éteint. Si le savoir a survécu, les croyances aussi. Il suffit de regarder le Vodou. Contrairement à ce que Hollywood a tenté de nous vendre pendant des décennies, non, le Vodou n’est pas une invention obscure de l’esclavage. C’est une religion africaine ancienne, structurée, encore pratiquée aujourd’hui, et qui a traversé l’Atlantique avec les corps déplacés de force. Grâce à des figures de transmission comme Annie, la sorcière de Sinners, Coogler montre que ces croyances n’ont jamais disparu. Elles ont résisté. Et où ces croyances se sont-elles enracinées ? En Louisiane, évidemment. Terre d’exil, de croisements et de métissages, la Louisiane, et plus encore La Nouvelle-Orléans, est devenue l’un des foyers majeurs du vodou aux États-Unis. Il faut rappeler que la Louisiane fut l’un des principaux territoires de la traite transatlantique dans le Sud du pays. D’abord colonie française puis espagnole, elle a vu l’arrivée de milliers de personnes réduites en esclavage, notamment après la Révolution haïtienne. Mais cette mémoire ne s’arrête pas aux frontières de la Louisiane. L’État du Mississippi, situé juste à l’est, partage avec elle une trajectoire coloniale et esclavagiste semblable. Ces deux territoires voisins ont été profondément façonnés par l’économie de plantation, par le système esclavagiste et par les migrations forcées de populations africaines. C’est cette histoire commune qui explique pourquoi certaines croyances spirituelles africaines, comme le vodou, ont fini par traverser les rives du fleuve Mississippi. Si elles y ont pris racine de manière plus discrète qu’à La Nouvelle-Orléans, elles ont néanmoins survécu, notamment à travers des formes populaires comme le hoodoo.  Le choix de ce décor n’a donc rien d’anecdotique : il permet à Coogler de faire dialoguer passé et présent et de rendre à la spiritualité africaine toute sa complexité, sa dignité et sa beauté. Car non,  Annie ne fait pas peur. Elle protège. Son amulette, qu’elle donne à Smock, devient un symbole puissant : le Vodou comme outil de survie, pas comme menace. Et c’est là que Coogler frappe fort : il refuse de présenter le Vodou comme une croyance « exotique » ou marginale. Il le montre pour ce qu’il est, une spiritualité à part entière, un refuge, un outil de résilience. Une croyance comme une autre.  image extraite du film En miroir, Sinners critique ouvertement l’imposition violente du christianisme dans les plantations. La scène la plus marquante reste celle du baptême inversé entre Remmick (le vampire originel, figure du Mal) et Samuel. Remmick mime les gestes sacrés, cite Mathieu 6 : 9-13  (« Notre Père qui es aux cieux ! Que ton nom soit sanctifié ; que ton règne vienne ; que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel…») et détourne les codes chrétiens pour mieux en souligner les ambiguïtés. En faisant du Mal un personnage capable de réciter la Bible et d’utiliser ses rites, Coogler interroge l’autorité d’une religion imposée de force, et rappelle que selon les Écritures elles-mêmes, le diable n’est qu’un ange déchu. L’image du baptême, symbole de pureté et de renouveau, devient ici une scène de domination et de terreur : un geste censé sauver est vidé de son sens, retourné contre le corps noir. Par ce détournement visuel fort, le film fait apparaître les contradictions d’un discours religieux utilisé historiquement comme outil de soumission. Entre musique et héritage : rendons à César ce qui appartient à César On ne le répétera jamais assez : sans les Noirs, pas de musique moderne. Jazz, blues, soul, funk, rock, hip-hop, R’n’B, country, on pourrait presque, j’ai bien dit presque, dire que les cultures noires ont inventé la bande-son du monde occidental. Et Ryan Coogler le sait. Le moment le plus fort ? Sans doute cette scène où le temps se fige, littéralement, à la suite d’un rituel déclenché par Samuel.  Dans cette pause surnaturelle, un défilé musical s’enclenche. Comme un vinyle géant qui rembobine l’Histoire. Jazz , riffs de blues, échos de gospel, beats du hip-hop, soul, percussions africaines, chaque morceau rappelle d’où vient ce son qu’on consomme aujourd’hui sans même plus y penser. image extraite du film Coogler ne se contente pas de nous régaler les oreilles : il construit un manifeste sonore, une véritable cartographie des luttes, des deuils et des réinventions. Parce que oui, cette musique née de l’oppression, des champs de coton, des ghettos et des exils est devenue un pilier de la culture mondiale… tout en étant constamment pillée.  Cette séquence est un rappel à l’ordre : rendez à César ce qui appartient à César. Ce n’est pas Elvis qui a inventé le rock. Ce n’est pas Justin qui a inventé la soul. Ce ne sont pas les majors qui ont inventé le rythme. En figeant le temps, Coogler rend la parole à celles et ceux qu’on a réduits au silence : les artistes, les griots modernes, les génies anonymes étouffés par les maisons de disques ou l’histoire officielle. Il montre que chaque note noire a un passé, une mémoire, une douleur, une puissance. Et quand on y pense, qui mieux que des vampires pour raconter une histoire de transmission, de cycle et de résurrection ? La musique n’est jamais morte, elle a juste appris à survivre. Coogler & Stallone : l’art pour l’art  Sinners, comme chaque réalisation de Ryan Coogler, est une lettre d’amour au cinéma. Et plus précisément à Sylvester Stallone. L’hommage est évident dans une scène où Coogler pastiche clairement Rambo, saga culte des années 1980. On y retrouve la figure de John Rambo, ancien soldat des forces spéciales traumatisé par la guerre du Vietnam, devenu une icône du héros solitaire, ultraviolent, invincible.  Dans cette scène de Sinners, Smock reprend tous les codes : le torse gonflé, les armes sophistiquées, l’endurance surhumaine et le regard fermé. Une masculinité de pierre, capable d’esquiver les balles avec une grâce presque chorégraphique. Coogler s’amuse, évidemment, mais il ne choisit pas ce modèle par hasard. Ce n’est pas la première fois qu’il convoque Stallone dans son œuvre. Dans Creed (2015), il relançait déjà la saga Rocky en racontant l’histoire du fils d’Apollo Creed, toujours interprété par Michael B. Jordan. Et ce n’est pas anodin si Jordan est le fil rouge de toute la filmographie de Coogler. Il représente un autre type de héros, plus complexe, plus moderne, qui vient rééquilibrer l’héritage un peu ennuyeux de l’homme fort à l’ancienne. À travers ces clins d’œil, Coogler rend hommage à ses influences tout en les rejouant à sa manière. La figure de Stallone est là, mais elle est déplacée, retravaillée, presque questionnée. Et même si l’ombre de Rambo plane, c’est bien Michael B. Jordan qui incarne l’avenir, avec bien plus de nuances. Enfin, Sinners, ce n’est pas juste un film de vampires noirs, comme certains pourraient le croire trop vite. C’est un film dense, plein de références culturelles, historiques et musicales, qui raconte bien plus que ce qu’il montre. Et si vous hésitez encore… on espère avoir suffisamment piqué votre curiosité. Parce que franchement, entre nous, Ryan Coogler ne mérite pas juste vos applaudissements, il mérite aussi notre argent. Sources :  Robert Johson :  Jazz Culture : Et le Diable a surgi – La vraie vie de Robert Johnson  de Conforth & Wardlow :  https://www.radiofrance.fr/francemusique/jazz-culture-et-le-diable-a-surgi-la-vraie-vie-de-robert-johnson-de-conforth-wardlow-7122714 SEB : Il a vendu son âme au diable ?  Le péché d’aimer et d’être aimé :  Documentaire HBO : The Loving Story (2011)  Film : Loving (2016) , Netflix :  https://www.netflix.com/title/80099974#:~:text=Inspir%C3%A9%20de%20l’histoire%20vraie,mixtes%20par%20la%20Cour%20supr%C3%AAme. Noire, grosse et aimée :  Livre : Amours silenciées : repenser la révolution romantique depuis marges (2022) Christelle Murhula  Film : Precious (2009) Lee Daniels  Louisiana, fille préférée de maman Vodou :  2 minutes pour comprendre le griot : DA KALI : The pledge of the art of the griot :  The Voodoo Renaissance of New Renaissance :  Uncovering the power of Hoodoo : An Ancestral journey  Eden Nsimba Nzinga
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Politique

Sport et politique, une frontière illusoire ?

Tifo des supporters parisien en soutien à la Palestine, le 6 novembre 2024 (L’’Équipe) Le 7 novembre dernier, le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau a condamné le déploiement d’une banderole en soutien à la Palestine par les supporters parisiens lors du match de ligue des champions face à l’Atletico Madrid. Le ministre de l’Intérieur s’est exprimé sur X, en affirmant « Je demande au PSG de s’expliquer et aux clubs de veiller à ce que la politique ne vienne pas abîmer le sport, qui doit toujours rester un ferment d’unité. (…) ». Séparation entre sport et politique : un lieu commun ? Cette déclaration de Bruno Retailleau s’inscrit dans un discours assez répandu soutenant que sport et politique doivent être strictement séparés, car l’ingérence politique nuirait à l’esprit du sport. Comme en témoigne, le mécontentement de certains supporters parisiens outrés par ce tifo, promettant de ne plus remettre les pieds au stade dans ces conditions. L’un d’entre eux, interrogé par le journal l’Équipe, soupçonne le Qatar d’être à l’origine de ce message politique. Le sport discipline noble ? On présente le sport comme une discipline noble, chargée de valeurs positives comme le mérite, le respect, l’humilité, la santé, le dépassement de soi… Toutes ces valeurs créent les conditions pour une compétitivité saine. Le sport est donc vecteur de partage, d’universalisme, d’inclusion…; et constitue une pratique bénéfique pour le corps et l’esprit. Tous ces éléments confèrent une connotation extrêmement positive au sport. La politique néfaste par nature ? En revanche, la politique porte avec elles une série d’images négatives. Étant relative à l’exercice du pouvoir, il est commun d’entendre que la politique divise, crée des tensions, renforce les conflits. Il est vrai que la politique demande de l’engagement et des prises de position. Le fait de prendre parti, implique nécessairement des désaccords, exacerbés par la volonté de faire triompher son modèle de pensée. Ceux qui défendent une totale séparation du sport et de la politique, basent leur raisonnement sur une soi-disant volonté de préserver la discipline sportive des effets jugés négatifs de la politique. Autrement dit la politique apparaît comme un nuisible qui entache la pureté du sport. Focus historique Ce discours qui prône une séparation nette entre sport et politique, se nourrit d’un historique profond et peut ainsi être appréhendé grâce à l’Histoire. Alors, à travers trois exemples, faisons un petit retour historique pour savoir s’il est pertinent de dissocier ces deux arènes de pouvoir. Tommie Smith et John Carlos, lors de la remise des médailles du 200 mètres aux JO de Mexico en 1968 (Wikipédia) Tommie Smith et John Carlos, figures de la lutte raciale par le sport Le 16 octobre 1968, lors de la finale du 200 mètres aux Jeux olympiques de Mexico, les sprinteurs américains Tommie Smith et John Carlos, obtiennent respectivement la médaille d’or et de bronze.Ils montent sur le podium en chaussettes noires, symbole de la pauvreté des Afro-américain, vêtu d’un foulard symbole de l’oppression. Les deux athlètes américains baissent la tête et lèvent le poing ganté de noir, couleur des Black Panthers. Les différents signes réunis sur la photographie symbolisent un ensemble de revendications que prônent les afro américains. Ce geste de contestation apparaît dans des États-Unis marquées par les tensions raciales, et l’assassinat de Martin Luther-King Jr quelques mois plus tôt. Smith et Carlos, en profitant de la visibilité des Jeux, brisent le mythe d’un sport dépolitisé, et inscrivent leur combat dans l’histoire. Le Comité international olympique radie les deux sprinteurs des JO à vie. Preuve que l’institution tente d’imposer l’illusion d’une neutralité sportive. Aujourd’hui, cet acte est reconnu comme un moment clé du combat pour l’égalité raciale. Nelson Mandela brandissant la flamme olympique, aux JO de Barcelone en 1992 (Sport et société) Le sport outil de coercition pour les nations dissidentes Pendant des décennies, l’Afrique du Sud a instauré l’apartheid, un système de ségrégation raciale profondément ancré dans toutes les sphères de la société, y compris dans le sport. Les athlètes noirs sud-africains étaient systématiquement écartés des compétitions officielles, le pays envoyait uniquement des délégations blanches aux Jeux olympiques. Face aux pressions internationales et aux appels au boycott de plusieurs nations africaines, le CIO a fini par exclure l’Afrique du Sud des Jeux de Tokyo en 1964, suivie d’une interdiction permanente de participation aux JO à partir de 1970. Cet isolement sportif a constitué un levier symbolique contre le régime sud-africain, contribuant à son affaiblissement sur la scène internationale. Ce n’est qu’à partir de la fin officielle de l’apartheid en 1991, que l’Afrique du Sud réintègre les JO. Lors des Jeux de Barcelone en 1992, Nelson Mandela assiste en personne au retour de la nation arc-en-ciel dans la compétition, incarnant l’idée que le sport peut aussi être un moteur de réconciliation. La présence de Nelson Mandela, victime de l’apartheid et incarnation de la lutte contre le racisme, renforce le poids de la réhabilitation de l’Afrique du Sud au sein du Comité olympique. Cette sanction historique prouve bien que le sport peut être utilisé comme un outil diplomatique, capable de sanctionner un régime politique et d’engendrer une dynamique de changement. Contredisant ainsi frontalement, l’idée que le sport devrait rester à l’écart des conflits politiques. Kathrine Switzer lors du marathon de Boston en 1967. Kathrine Switzer la première marathonienne de l’histoire Le sport a également joué un rôle dans l’émancipation des femmes. Pourtant, le père des JO modernes, Pierre de Coubertin, s’opposait à leur participation aux compétitions sportives. Aux débuts du sport moderne, une multitude de préjugés entourait la pratique féminine, allant de la perte de féminité à une silhouette jugée trop masculine, en passant même par une supposée menace pour la fertilité. Ainsi, lors des premières compétitions, les femmes étaient systématiquement exclues.La lutte pour l’intégration des femmes dans le sport a été longue, mais elle a accompagné certaines évolutions sociales . En 1967, passionnée de course à pied, Kathrine Switzer décide de participer au marathon de Boston. Avec le soutien de son entraîneur, elle réussit à s’inscrire en ne renseignant que son nom de famille. Munie du dossard 261, elle prend le départ, mais après quelques kilomètres, un organisateur tente de l’arrêter en pleine course, donnant naissance à une photo devenue historique. Malgré cette tentative d’exclusion, elle devient la première femme à boucler les 42 kilomètres du marathon. En représailles, la fédération américaine d’athlétisme la radie, mais son geste marque les esprits. Propulsée en une des journaux du monde entier, elle devient une figure de l’émancipation féminine. Son acte de résistance contribue à changer la perception des femmes dans le sport et à ouvrir la voie à leur participation aux courses de fond, et plus largement, à leur reconnaissance dans le monde sportif. Séparation du sport et de la politique, un raisonnement absurde ? Ces exemples illustrent l’incohérence de l’idée selon laquelle, une séparation stricte entre le sport et la politique serait nécessaire. La politique englobe tous les enjeux, environnementaux, sociaux, économiques…; qui façonnent notre monde, et le sport n’y fait pas exception. Il ne se déroule pas dans une bulle hors du temps, exempte de toute influence politique. Dès lors, comment pourrait-on affirmer, comme l’a fait le communicant Franck Tapiro sur CNews en décembre dernier, que la politique « tue le sport » ? Ou un simple contre-sens ? Les personnalités politiques adoptant cette position tendent parfois à confondre un message de soutien contre une injustice ou une prise de position en accord avec les valeurs du sport, avec une instrumentalisation du sport à des fins politiques. Ou bien perçoivent très bien la nuance mais tentent seulement de satisfaire le plus large éventail de personnes, en reprenant les idées les plus répandues. Si le sport est utilisé comme un outil de propagande par des régimes fascistes, comme ce fut le cas lors des JO de Berlin en 1936, alors évidemment que la politique pervertit le sport. En revanche, lorsqu’il sert à combattre les inégalités et à promouvoir la paix, à l’image de la vision de Nelson Mandela, illustrée par sa présence aux JO de Barcelone en 1992, ce n’est plus la politique qui dénature le sport, mais bien le sport qui contribue à améliorer la politique. Aliénation par le sport ? Comme le soutient John Hargreaves dans Sport, Power and Culture, le sport présente cet avantage de divertir, de détourner le temps des matchs et des compétitions, la population de sujets plus graves qui polarisent la société. Le sport participe donc à détourner les individus des sujets politiques qui se répercutent nécessairement sur leur quotidien. Mais les grands événements sportifs peuvent également, être perçus non pas comme des facteurs d’aliénation, mais comme des moyens d’atténuer les tensions sociales et politiques, à l’exemple des JO de Paris 2024. L’effervescence de ces Jeux a quasiment fait oublier aux français la large victoire de l’extrême droite aux élections européennes du 9 juin dernier, ou l’absence prolongée de gouvernement durant cette période. C’est peut-être ici que se trouve le véritable enjeu qui nourrit les polémiques entre sport et politique. Sources : https://www.lequipe.fr/Football/Article/Le-tifo-free-palestine-a-fait-fuir-du-parc-des-princes-certains-supporters-du-psg/1523685 https://www.lequipe.fr/Football/Actualites/Nathan-supporter-du-psg-s-est-desabonne-apres-le-tifo-free-palestine-on-ne-remettra-plus-les-pieds-au-parc/1523669 Compte Twitter (X) de Bruno Retailleau Tommie Smith et John Carlos (Wikipédia, Brut, France TV) https://www.lefigaro.fr/sports/scan-sport/actualites/exclu-des-jo-pour-avoir-leve-le-poing-john-carlos-reclame-plus-de-liberte-d-expression-au-cio-1005926 Nelson Mandela (Site du CIO, Wikipédia) https://www.olympics.com/cio/news/nelson-mandela-une-voix-au-service-du-sport Kathrine Switzer (INA, France Info)
Histoire de la femme et du mouvement olympique
https://www.olympics.com/cio/pierre-de-coubertin/pourquoi-pierre-de-coubertin-etait-il-oppose-a-la-participation-des-femmes-aux-jeux-olympiques Nelson Mandela (Site du CIO, Wikipédia) https://www.olympics.com/cio/news/nelson-mandela-une-voix-au-service-du-sport Marcus Alexandre
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Politique

Instagram est-il un tremplin politique? Quand les internautes dénoncent le scandale des Ouïghours

Le 1er octobre 2020, vous ne l’avez sûrement pas raté, Instagram est devenu bleu. Sous l’impulsion d’un eurodéputé français, des dizaines de milliers d’utilisateurs ont montré leur solidarité envers les Ouïghours, une minorité musulmane persécutée et déportée dans l’est de la Chine, dans la province du Xinjiang. Retour sur une manifestation en ligne qui a secoué le monde médiatique et politique.
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Société

Réseaux sociaux : bonjour le fisc, adieu vie privée !

Le Ministre de l’Action et des Comptes Publics, Gérald Darmanin, a annoncé dans l’émission Capital sur M6 l’expérimentation de la lutte contre la fraude fiscale en surveillant les réseaux sociaux. Oui vous avez bien lu ! Cette mesure devrait entrer en vigueur au début de l’année prochaine alors il est encore temps de faire le tri dans ses photos Instagram, Facebook et Twitter avant que le fisc ne vous pointe du doigt.

Politique

Dehors ou le péril des exilés et des politiques migratoires

Un gros livre jaune, couleur de la trahison. Nous voici en présence d’une lettre ouverte écrite par un intellectuel polémique à un Président de la République à la popularité déclinante… « La colère est nécessaire. On doit l’utiliser non comme chef, mais comme soldat » écrivait Aristote. Dehors en est l’incarnation. Cet ouvrage s’inscrit dans notre histoire, celle d’une crise humaine dépassant les traditionnels États-nations, leur souveraineté et en principe, les clivages idéologiques.

Politique

Pluralisme VS complexité des règles : débat autour du Par Condicio en Italie

C’est décidé. Le 28 décembre dernier, le président de la République italienne, Sergio Mattarella, dissout le Parlement et arrête ainsi la date des prochaines élections législatives. Elles se tiendront le 4 mars prochain.
La 17ème législature a pris fin de cette manière et c’était d’ailleurs l’une des rares, en presque soixante-dix ans d’histoire républicaine, à être allée au terme de son mandat de cinq ans.
Mais rien de stable à l’horizon : le mode de scrutin laisse une large part à la proportionnelle et avec trois pôles peu enclins à toute forme de coalition (la droite, le centre gauche et le Mouvement 5 étoiles), cela n’annonce rien de bon pour le prochain Parlement.

Politique

L’immigration à l’ère Macron, droitiser pour mieux régner

C’est avec le projet de loi sur l’immigration, présenté jeudi 11 janvier 2018, qu’Edouard Philippe met en scène le durcissement de la politique migratoire française. Bien loin de la « grande société » rêvée par Alexis de Tocqueville, la justification de ce projet de loi semble attester d’une dynamique individualisante, et au demeurant égoïste. Réponse à un besoin sécuritaire, le gouvernement court-circuite ici les prétentions d’une droite en reconstruction avec une loi de circonstance.

Politique

Le off : règle ou exception

« D’après une source proche du dossier » « D’après un habitué des couloirs de l’Assemblée » « D’après un intime d’Emmanuel Macron » …
La politique est une affaire de calculs. Comment donner son avis sur un sujet sensible sans se mouiller ? Nos politiciens ont depuis longtemps trouvé la solution : le off.

Politique

Les citoyens qui écrivent l’information : réappropriation du discours politique

Avec l’augmentation très soudaine de la présence des politiques sur les réseaux sociaux, leurs discours sont devenus de plus en plus immédiats, de plus en plus directs, mais aussi de plus en plus relayés et commentés. Cette reprise de l’information politique ne se fait plus seulement par la presse et autres médias traditionnels mais aussi par les citoyens eux-mêmes.
Dans ce contexte, l’essor du journalisme citoyen est non seulement facilité par les nouvelles technologies, mais semble aussi plus naturel. En changeant le fond de la circulation de l’information, la dynamique de l’informateur et de l’informé est transformée à son tour, créant un nouveau challenge pour la communication politique.
     

« Manifeste pour un journalisme citoyen »
Par conséquent, quand François Serrano affirme via Mediapart que : « Absolument tout citoyen ayant une conscience sociale et la volonté de s’exprimer a toute légitimité pour assumer la responsabilité d’informer ses concitoyens, avec ses propres mots, sur des sujets qu’il connaît », cela peut paraître évident. Mais le lancement de son nouveau média citoyen numérique (L’impertinent), écrit par « des personnes comme vous et moi », se fait dans un milieu où des noms sont déjà très connus, tels qu’AgoraVox. Et c’est justement parce que ce secteur est déjà occupé par des formes de médias similaires que la survie de L’Impertinent (et sa capacité à réellement influencer) s’annonce difficile. Cette situation est très représentative du changement de paradigme de la communication politique, où les sources se multiplient et se diversifient, au coût de la fidélité des informés.
Un changement double dans la parole

Mais cet élargissement de la légitimité dans le discours politique se fait souvent au détriment du fact-checking. La diversité des sources d’information en politique signifie que les nouveaux médias doivent marquer leur différence, leur originalité ; d’autant plus qu’accéder à l’information est facile et rapide. Les nouveaux médias sont donc surtout des médias d’opinion, dont les sources ne sont pas toujours fiables et où la prétention à l’objectivité est abandonnée. Cela est vrai pour les fameux médias de l’alt-right américaine (Breitbart News par exemple) tout comme pour les sites de presse alternative de gauche radicale française (tels que Fakir). On peut remarquer que ces deux exemples sont dirigés par des personnalités politiques : le premier par Steve Bannon, ancien conseiller stratégique de Donald Trump, et le second par François Ruffin, député France Insoumise. Quoique tous deux issus de la société civile, ils ont maintenant des agendas propres, même s’ils prétendent aller contre la « vérité officielle » des médias traditionnels (Fakir se réclamant n’être d’« aucun parti politique, aucun syndicat, aucune institution » et « largement rédigé, illustré et géré par des bénévoles »).
Le problème de la nouvelle communication politique : la fin de la propagande ?
L’information et donc la communication politique se sont fortement complexifiées depuis le début de la Vème République. L’idée ancienne de la « piqûre hypodermique » de Lasswell, selon laquelle il est possible d’injecter un message dans l’esprit de la population par les médias, semble définitivement passée de mode.
Pourtant Sophia Chikirou, directrice de la communication de Jean-Luc Mélenchon pendant la campagne présidentielle, déclarait encore en septembre dans Quotidien : « Quand je conseille Jean-Luc Mélenchon (…) en communication, je pense propagande. »
Il s’agit d’une conception très classique de la communication politique, celle qu’il suffit de persuader pour propager ses idées. Pourtant, aujourd’hui plus que jamais, le récepteur sélectionne les messages qu’on lui envoie au lieu de rester passif, plus proche aussi des effets « limités et indirects » de la communication théorisés par Lazarsfeld.
Un nouveau paradigme de « marketing politique »
Aujourd’hui la communication politique doit donc se faire plus indirecte, travailler sur une image de marque du parti (et du candidat). Pour ce faire, elle s’appuie sur une mise en scène de la personnalité de l’homme politique et sur le « buzz », dont un bon exemple serait le discours par hologramme de Jean-Luc Mélenchon. Non seulement a-t-il été relayé et repris par les réseaux sociaux, qui à leur tour ont influencé les médias traditionnels, il a aussi propagé une image très humaine de Mélenchon chez ses partisans, presque « adorkable » – à la fois décalée et attendrissante.

Si cette personnalisation du politique peut dériver vers une « peopolisation » où les scandales personnels des politiques sont repris à outrance, elle marque avant tout une réappropriation du discours politique et un élargissement du public qui se sent concerné. Tout en étant un enjeu pour les communicants politiques au travail complexifié, elle marque un changement positif dans l’exercice démocratique.
Léa Andolfi
 
Sources :
François Serrano, « Le manifeste pour un journalisme citoyen », Mediapart, 14 octobre 2017, consulté le 18 /10/17 
Rémy Rieffel, Sociologie des médias, Ellipses, septembre 2015
L’interview de Sophia Chikirou par Yann Barthès, Le Quotidien, 29/09/17 
Harold Dwight Lasswell, « Structure et fonction de la communication en société », 1948
Crédits de l’image de couverture :
Digital Vidya, consulté le 22/10/17