Politique

Poutine et le storytelling : une recette surannée ?

À l’heure où la Russie se positionne de façon de plus en plus belliqueuse sur la scène internationale, l’importance de la figure de l’homme providentiel ne faiblit pas aux yeux du Kremlin. Ainsi, la diffusion d’images grandiloquentes et les mises en scène épiques autour du chef de l’État Vladimir Poutine se poursuit avec vigueur pour défendre l’aura d’un leader viril à l’énergie inépuisable.
Poutine chevauchant un étalon sauvage dans les steppes sibériennes, Poutine aux bras de sept mariées de la Place Rouge, Poutine le fusil à la main lors d’une chasse aux tigres … Ces clichés véhiculant les « exploits » de l’ex agent du KGB sont autant d’images familières aux citoyens russes et aux observateurs internationaux qui perpétuent l’édification d’un mythe contemporain autour de la figure du président de la Fédération de Russie.
Derrière la profusion des mèmes à l’effigie du chef de l’État se trouve une stratégie communicationnelle soignée. Celle-ci se décline sous la forme d’un storytelling qui connaît ses premières heures en 2000, lorsque Poutine publie une première autobiographie qui retrace sa trajectoire depuis la petite délinquance dans les rues de Leningrad jusqu’aux dorures du Kremlin.

Un culte étatique de la personnalité
La relance économique de la Russie initiée par Poutine lors de son premier mandat est à l’origine de sa réputation de sauveur de la nation. Cette légitimité du chef de l’État contraste fortement avec celle de son prédécesseur Boris Eltsine perçu comme souffreteux et alcoolique. En découle un désir de la part du Kremlin de perpétrer ce statut à travers une « communication du charisme » particulièrement bien huilée.
Cette communication plonge ses racines dans la propagande communiste stalinienne mais sait exploiter comme il se doit les médias contemporains. En témoigne la forte présence de Vladimir Poutine sur le Web. La vidéo du chef de l’État s’improvisant crooner en 2010 lors d’un dîner mondain ou le clip de promotion d’une agence de publicité où Poutine apparaît en détenu sont par exemple sanctionnée par trois millions de vues en deux jours.
Ces deux vidéos montrent une habilité du Kremlin dans la mobilisation des médias 2.0 dans sa stratégie communicationnelle. Elles attestent également d’un désir de faire écran autour de la personnalité du dirigeant. Les crispations liées au durcissement du régime depuis le début du troisième mandat amènent le pouvoir à vouloir substituer à l’image de l’homme d’État parfois clivant, une personnalité proche du peuple russe.
Cette propagande permet à Poutine s’offrir une image de politicien sérieux et inexorable. Elle lui permet également de s’affirmer comme une figure éternellement juvénile et moderne, qui contraste fortement avec le conservatisme et l’austérité de la politique proposée sur le plan intérieur par l’administration dont il est la tête.
Un simulacre mal dissimulé
Néanmoins, force est de constater que même en Russie, on ne s’y trompe pas. Les ficelles communicationnelles tirées par le Kremlin sont loin d’être aussi novatrices qu’on veut bien le dire, et le succès de Poutine n’est pas tant lié à la qualité de l’image qu’il véhicule qu’au très fort contrôle autour des médias.
L’univocité du discours autour du chef de l’État est perçue par une part non négligeable de la société russe (plus de 20%), notamment la classe moyenne, comme une manipulation grossière. Des initiatives telles que l’érection d’un buste de Poutine en empereur romain en Crimée témoignent du simulacre.

Une grande part des urbains éduqués se détachent ainsi de la figure présidentielle. À travers le prisme des médias étrangers, ils mesurent l’influence du pouvoir russe sur le débat démocratique et constatent l’accentuation de l’autoritarisme malgré les tentatives de charme de la part des dirigeants moscovites.
La désignation par Poutine du nouveau CEO du principal réseau social de Russie (VKontakte) et la réappropriation par le pouvoir des agences de presse les plus importantes, à l’instar de l’agence Ria Novisti, montrent une emprise quasi omnipotente du Kremlin sur le discours tenu autour du dirigeant.
Une influence qui se maintient par delà les frontières
Si cette méfiance se renforce en Russie, il n’en demeure pas moins que l’influence de Poutine à l’international continue de croître. En atteste l’éditorial du Monde du 30 décembre qui l’érige au statut d’homme le plus important de l’année 2016.
« Si D. Trump a monopolisé la « une » de l’actualité en 2016, le véritable homme de l’année qui s’achève est Vladimir Poutine. La course de fond que le président russe a engagée depuis maintenant seize ans pour remettre son pays au centre du jeu est en train de porter ses fruits de manière spectaculaire. » (Éditorial du Monde, 30/12/16)
Une telle prise de position à contre courant des autres principaux quotidiens (Donald Trump est pour beaucoup la personnalité majeure) est due notamment au rôle de premier plan joué par le dirigeant russe. Il s’est illustré dans le cadre des dossiers internationaux et a su encourager également une spectacularisation sa personne au sein des médias et sur le web.
Fougueux, autoritaire et tendanciellement belliqueux, Poutine incarne désormais dans l’imaginaire collectif l’homme politique ayant réussi, de même que son homologue outre Atlantique, à se hisser au-dessus de la pâleur des politiciens internationaux. Il semble incarner désormais une action politique narrativisée à l’extrême au point de rappeler parfois la fiction du cinéma d’espionnage.
La « poutinemania » qui se manifeste chez les dirigeants internationaux, à l’instar de François Fillon, ainsi que chez les internautes, montre que la figure de Vladimir Poutine n’en finit pas de susciter admiration et/ou fascination. Aujourd’hui, nous sommes en droit de spéculer : peut-être y aura t-il a un jour une place pour le grand Vladimir dans le panthéon de la pop culture occidentale ? Son ami et hôte fiscal Gérard Depardieu l’y attend de pied ferme.

Etienne Brunot
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Sources :
« Poutine, Homme de l’année », Editorial, 30/12/2016, Le Monde
« Un buste de Poutine en empereur romain érigé en « reconnaissance de l’annexion de la Crimée », 16/05/2015, Le Monde
« Dans la tête de Vladimir Poutine », Mahieu Salma d’après Michel El, chaninoff, 08/05/2015, Le Figaro
« Une guerre de communication ? La Russie entre propagande d’État et stéréotype occidentaux », Vivien Chauffaille, 09/12/2014, Avril 21
« Poutine, la victoire du culte de la personnalité ? », Stéphane Wojcik, 12/03/2012, Avril 21
Crédits photos:
1. Ouest France, Moscou. Un troisième mandat pour le président Poutine, Modifié le 27/09/2013 http://www.ouest-france.fr/sites/default/files/styles/image-640×360/public/2013/09/27/moscou.un-troisieme-mandat-pour-le-president-poutine.jpg
2: Extra extra, « Vladimir Putin is riding », 10 juillet 2014, http://www.extraextra.fr/wpcontent/uploads/2014/02/poutine-470×245.jpg
3 : https://img.rt.com/files/news/3f/56/50/00/28.jpg, Cast in faux bronze: ‘Emperor Putin’ monument revealed outside St. Petersburg, 17 Mai 2015
4: http://cabelkawan.jallet.org/wordpress/wp-content/uploads/2015/03/poutinebiche-500×326.jpg, Cabel Hawan, « 15 ans de Poutine ! », 26 mars 2015