Société

Pourquoi camoufle-t-on nos prisons ?

Les récentes grèves qui ont fortement entravé le fonctionnement quotidien des prisons françaises ont été l’occasion d’un coup de projecteur sur notre système carcéral. En effet, souvent excentrées, les prisons sont -si ce n’est oubliées- pour le moins peu porteuses d’intérêt pour l’opinion publique. Quand on sait l’importance qu’avait la publicité de la répression dans l’histoire, il est intéressant de se pencher sur ce processus de camouflage de la sanction, donc des prisons en France.

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Dehors ou mort

 
Pasticheur et auto-proclamé successeur de Jacques Mesrine, Christophe Khider cherche à prouver encore une fois qu’il est au-dessus des lois, qu’il est le seul décideur de son futur. Le voyou communique, annonce lors d’un ersatz de conférence de presse, qu’il s’évadera, comme une évidence absolue, comme un devoir qu’il doit accomplir. Il joue, s’amuse de provoquer, de choquer et d’essayer de déstabiliser une justice qui, en plus d’être aveugle, restera sourde face à ses espiègleries d’amuseur public.
Pourtant nous l’écoutons, à moitié révoltés, amusés et presque respectueux d’une telle annonce. Le voyou dicte ses volontés comme dans un faux-semblant de testament, 2052 étant la date limite de sa vie carcérale. Vilain merle gazouillant son impertinence, Khider tente de se réapproprier le mythe du bagnard exploité afin d’envoyer la droite finale qui pourrait compléter la campagne de galvaudage de l’autorité carcérale, déjà entamée par l’évasion de Redoine Faïd il y a quelques jours.
La communication de ces numéros d’écrou est habile car elle utilise les codes de la conspiration pour faire croire que la justice ne serait qu’un colosse aux pieds d’argile, une citadelle prenable ; un système pourri par un millier de taupes assujetties au grand-banditisme. Monsieur Khider semble bien sûr de lui, il annonce avec fierté qu’il s’échappera, comme une évidence incontournable, un devoir à accomplir face aux injustices dont il fut victime.
Rien ne tient plus, les derniers barreaux des prisons se briseront par l’opinion publique. Faïd et Khider ont prouvé que la maison France est désormais à genoux devant un banditisme tout puissant et capable de tout. L’arrogance de ces condamnés agit directement sur la puissance aveugle de la justice en essayant de prouver que la privation de liberté est devenue une sentence abjecte et immorale.
La puissance de l’annonce renforce le plaidoyer de ces hommes qui refusent la sanction prononcée. Ils tentent de faire valoir leurs actes en soulignant le fait que la justice les a condamné à une peine offensant l’humanité. Génuflexion soumise des média par rapport à ces vauriens élevés au rang de héros. Le doute s’installerait presque. L’insolence cache-t-elle une part de vérité ? Le courage nécessaire pour annoncer de tels projets ne dissimulerait-il pas une évidence inavouable ?
Voilà le deuxième effet « Kiss-Kool » de cette confession de voyou trop heureux d’offenser rondement l’appareil législatif. Nous allons finalement nous rallier à la cause défendue par Redoine Faïd au moment où le journal télévisé de 20h nous annoncera son évasion. Nous serons fiers de lui afin d’oublier l’affront inacceptable, narcoleptiques insomniaques que nous sommes. Nous rejoindrons nécessairement sa cause en étant presque impressionnés de ses convictions réalisées.
Vivre pour une cause et mourir en la défendant : c’est de cette manière que le grand banditisme nous propose une utopie que nous serions prêts à défendre, nous, petit peuple sage à la vie ringarde et plate.
Ite missa est.1

Emannuel de Watrigant
 
1 « Allez, la messe est dite »

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Jacques a dit : prendre la parole libère

 
Rien ne peut autant illustrer le fameux droit à la liberté d’expression que l’interview d’un détenu. Christophe Khider, âgé de 41 ans, libérable en 2052 c’est-à-dire dans sa 80e année, clame dans le JDD son mépris pour l’incarcération, et ce depuis sa prison. L’évasion le taraude en permanence, avant tout comme un pied de nez à cette Justice injuste et sadique selon lui, qui préfère la mort lente des condamnations à rallonge plutôt que l’efficace peine de mort.
Quinze nouvelles années à l’ombre des miradors, voilà ce dont il écope jeudi, pour son évasion à l’explosif, en 2009, de la prison de Moulins. De l’interview, comme des divers portraits ébauchés dans la presse, ressortent les mêmes traits d’un caractère en acier trempé dans le fiel de la misère carcérale. Christophe Khider carbure à la détermination, et non plus à l’espoir. « Les gens qui vivent avec l’espoir se lestent d’un poids inutile. Pour les gens comme moi, il faut bien comprendre qu’on est comme en pleine mer, il n’y a pas de fond. Il faut battre des jambes en permanence. » De sorte que l’évasion ne devient plus le moyen de gagner sa liberté, mais une fin en soi.
Avant son évasion de 2009, Christophe Khider avait déjà trois tentatives à son actif. Il annonce à nouveau ne pas vouloir s’éterniser. Rien d’étonnant à cela. Tout l’intérêt de cette prise de parole est dans le défi de la peine infligée, dans l’assurance du futur, débarrassé du conditionnel, parce qu’il a pris du ferme. C’est du reste une parole plurielle, pour les autres. Elle dévoile les contours d’un lieu originellement exclu des regards. « Des évasions, il va y en avoir. Ça va exploser et il va y avoir des drames. J’entends des discours qui ont de quoi faire peur… Pas mal de mecs sont désespérés et sont prêts à passer à l’acte dans la violence. »
La prédiction d’une nouvelle cavale au sein de la presse n’est rien d’autre qu’une annonce publique résolue, et résolument publique. L’évasion commence par celle de la voix, celle des mots, transportés et publiés hors des murs. Ecrits noir sur blanc, ils se matérialisent dans un autre espace, médiatique, ouvert à tous. L’exact contraire de la prison.
Le JDD désamorce toute critique possible de la part du public, sur le droit ou non du détenu à pouvoir donner son avis, et le droit du journal à le recevoir, en annonçant : « Quel que soit le jugement que l’on porte sur lui, voici le récit brut d’une certaine réalité, de l’autre côté des barreaux… ». Le média se retourne sur lui-même, rappelle ce pourquoi il existe : donner la version « brute », non édulcorée de la réalité. Cependant si tout le monde a une voix, c’est bien l’espace médiatique qui la libère, la fait exister… ou bien la fait taire, en lui collant une étiquette dont elle ne peut plus se défaire. « Il y a eu les années de prison, rappelle Christophe Khider, mais aussi tout ce qu’il y avait autour. Mon image ne m’appartenait plus. Tout le monde – les journaux, la télé – m’a décrit comme un assassin. Tout de suite. » Cette image médiatique carcérale, il s’en évade ici d’une certaine manière, en prenant directement la parole.
 
Sibylle Rousselot
Sources

http://www.lejdd.fr/Societe/Actualite/Khider-Je-vais-partir-c-est-evident-interview-603141