Politique

L’immigration à l’ère Macron, droitiser pour mieux régner

C’est avec le projet de loi sur l’immigration, présenté jeudi 11 janvier 2018, qu’Edouard Philippe met en scène le durcissement de la politique migratoire française. Bien loin de la « grande société » rêvée par Alexis de Tocqueville, la justification de ce projet de loi semble attester d’une dynamique individualisante, et au demeurant égoïste. Réponse à un besoin sécuritaire, le gouvernement court-circuite ici les prétentions d’une droite en reconstruction avec une loi de circonstance.

Politique

Suppression de l'ISF: Petite ôde à l'impôt

La suppression de l’Impôt sur la Fortune (ISF) a été annoncée par Emmanuel Macron alors candidat pour l’élection présidentielle en février 2017. Cet impôt, auparavant nommé Impôt sur les Grandes Fortunes était apparu sous la présidence de François Mitterrand avant d’être abrogé puis réintroduit en 1988. Il est aujourd’hui question de l’instauration d’un Impôt sur les Fortunes Immobilières (IFI) prévue dans le projet de budget de 2018. L’instauration de ce nouvel impôt fait suite au constat de l’inefficacité de l’ISF : en 2016, il avait provoqué l’exil de deux familles par jour. Même si la rationalité économique souligne que cette taxe coûte plus à la collectivité qu’elle ne rapporte, la froideur de cet argument ne semble pas suffire à justifier sa suppression.

L’impôt a ses raisons que la raison ignore     
En effet, s’il existe une raison économique qui justifie le retrait de cet impôt, la façon de le suggérer n’a pas été des plus pertinentes. On peut identifier deux raisons expliquant l’échec de la communication autour de la suppression de l’ISF.

D’une part, la fiscalité tient d’une matière extrêmement technique. Elle est sujette à l’instrumentalisation par l’ensemble du personnel politique, c’est ce que l’on a pu constater durant la campagne présidentielle de 2017.
Ici, le problème est pris à l’envers. Au lieu de faire revenir les riches, il s’agit de ne pas les faire partir : cela serait possible en mettant l’accent sur la dimension contributive de l’impôt pour l’ensemble de la société. Or, Emmanuel Macron s’adresse plus aux individualités qu’à la collectivité. En opposant ceux qui réussissent et « ceux qui ne sont rien » (29 juin 2017, Discours d’inauguration d’un incubateur de start-up) le président valorise l’individu dans son aboutissement personnel en le distinguant clairement du reste de la société.
D’autre part, la mauvaise perception de l’ISF est la conséquence directe d’une défaillance de l’Etat. L’appareil public ne parvient pas à présenter comme nécessaire la participation de l’ensemble des individus dans le financement de l’activité publique.
Il est avéré que de faire comprendre aux citoyens que leur participation à l’impôt sert la collectivité et permet un plus grand assentiment à ce dernier. L’impôt permet de financer par exemple un système éducatif de qualité, et une population plus qualifiée -et de la même façon plus productive- est plus à même à participer à la vie démocratique, ce qui constitue une externalité positive pour la société.
On retrouve ici une des contradictions fondamentales de la communication macronienne. S’affrontent une volonté de satisfaire les classes moyennes et la suppression des contrats aidés ou la réduction des Aides Personnalisées au Logement (APL). La « pensée complexe » qu’avait faite valoir l’Elysée pour justifier l’absence du président dans les médias sert finalement des intérêts simples.

Marqué du sceau « Ami des nantis » 

Si la réforme de l’ISF pose problème, c’est également du fait de l’importante valeur symbolique de cet impôt. En plus du modèle « jupitérien » de la présidence Macron qui implique une grande prise de distance médiatique, le fait que cette réforme prenne tant de place dans l’espace médiatique conforte le président dans une déconnexion par rapport à la classe moyenne qui est loin des réalités que connaissent ceux qui sont assujettis à cet impôt.
Par conséquent, cette suppression contribue à créer un imaginaire de la technicité et de la distance d’un président croulant sous ses propres contradictions, tiraillé entre des interventions millimétrées dans les médias et un goût pour les phrases volées à l’occasion de ses différentes interventions.
Cette réforme renforce l’inquiétude que les richesses se concentrent à l’extrême, la répartition de celles-ci redevenant très inégalitaire. Effectivement, selon Thomas Piketty dans son livre Le Capital au XXIème siècle, depuis la fin du XIXème la part de la richesse accaparée par le 1% des plus riches a doublé pour atteindre aujourd’hui 20%. L’acrimonie sociale est aujourd’hui particulièrement vive contre des objets qui rentrent dans l’imaginaire collectif de la richesse : avec ce nouvel impôt, les yachts, voitures de luxe et lingots d’or seront épargnés de taxe.
Le « président des riches » sacrifie sur l’autel de la rationalité économique la paix sociale : la haine contre cette richesse ostentatoire devient palpable.
La présidence des riches, par les riches et pour les riches
     

 La défense de cette réforme revêt dans le discours présidentiel un aspect purement dogmatique. La parole du président devrait permettre que la surpression de l’ISF donne la possibilité aux français les plus fortunés d’investir dans les entreprises pour servir la croissance. Bien que sa posture donne de l’importance à son discours, être président ne semble plus suffire pour donner un effet concret à cette volonté. Il peut exister en plus de cela un effet d’aubaine qui détournerait la réforme de son essence : les plus riches ne sont en rien contraints d’investir leur argent dans les entreprises.

Il n’en demeure pas moins qu’Emmanuel Macron se pose dans une position autoritaire, comme si sa stature présidentielle à elle seule suffisait à donner du corps à son discours. Or, la position présidentielle n’est plus aujourd’hui un facteur de légitimation du discours, d’autant plus à l’heure de la démystification de la fonction politique. Ce sentiment est conforté par l’alimentation d’une « pensée complexe », l’intellectualité de la pensée du président serait un facteur de légitimation de son discours. La verticalité de sa parole contraste franchement avec les qualificatifs de « fouteurs de bordel » adressés aux salariés de GMS au début du mois d’octobre 2017.
Et pendant que la suppression de l’ISF nourrit cette passion bien française de dégout envers la richesse, l’extrême droite arrive en Autriche avec un président plus jeune qu’Emmanuel Macron, conséquence directe d’une distance grandissante entre ceux qui font les politiques et ceux que cela concerne. Juste sanction ou mauvaise colère?
Corentin Loubet
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Sources: 

AFP.  La suppression de l’ISF, une réforme sans garantie de résultat, Le Dauphiné . Publié le 23/09/2017 . Consulté le 19/10/2017
« A peine présenté, le nouvel ISF de Macron menacé par le «syndrome des yachts» » ,  Le Parisien. Publié le 28/09/2017. Consulté le 19/10/2017.
Michel Ricard,  ISF : l’art délicat de la communication, Le Point. Publié le 04/10/2017. Consulté le 20/10/2017.

 Jérome Leroy; Macron : une pensée complexe au service d’intérêts simples,  Causeur. Publié le 16/10/2017 , Consulté le 19/10/2017.

Pierre Rosanvallon, Relégitimer l’impôt.  CAIRN . Publié en 2007 . Consulté le 20/10/2017.
Denis Jeambar;  Emmanuel Macron, ce président qui sait tout sur tout. Publié le 16/10/2017.  Consulté le 24/10/2017.
Ludovic Galtier.  Pourquoi la réforme de l’ISF pose problème.  RTL.  Publié le 19/10/2017 . Consulté le 23/10/2017 
Arnaud Benedetti, Emmanuel Macron s’adresse aux individus plutôt qu’à la nation . Le Figaro.  Publié le 16/10/2017. Consulté le 24/10/2017
Thomas Vampouille.  Nous pas comprendre le président Macron,  Marianne.  Publié le 29/06/2017.  Consulté le 28/10/2017 
Economie des Politiques Publiques, Antoine BOZIO et Julien GRENET, Collection Repères, Edition La Découverte, P. 71-71
Thomas PIKETTY, Le Capital au XXIème siècle, Stock, 2013
Crédit photo
Une : YVES VELTER / GAZ OF HESITATION / 2013
Photo 1 : GIANGIACOMO SPADARI / ELEMENTI MECCANICI / 1971
Photo 2 : FRANK FREED / HAVE AND HAVE NOT / 1970
Photo 3 : ANNE CHRISTINE POUJOLAT / AFP / 2017