Affiche Renault 14
Publicité et marketing

La poire de discorde

Il n’est pas toujours facile de faire fortune grâce au pouvoir symbolique d’un fruit. Qu’il soit croqué ou non.
En ce début d’année, revenons sur une des campagnes publicitaires faisant figure d’archétype dans notre domaine favori. Un exemple qui fait encore l’unanimité quand à la clarté et la qualité, si je puis me permettre, de son flop.
Nous autres étudiants n’étions pas encore nés pour avoir la chance d’assister, devant nos postes de télévisions, à ce fiasco désormais célèbre. Heureusement, n’importe quelle personne d’une classe d’âge supérieure à la nôtre se souvient de cet échec et peut nous en transmettre sa propre vision.
Cet exemple de ratage se libère donc de toute forme d’obsolescence par le simple fait qu’il rassemble les générations et que l’on entend encore aujourd’hui parler de lui dans les chaumières, lorsque les discussions en viennent à porter sur les échecs communicationnels.
Il s’agit de la campagne de Publicis réalisée en 1977 pour la Renault 14, ayant acquis sa triste notoriété sous le nom de La poire.
La Renault 14 remplaçait à l’époque la R6 et le projet se voulait porteur d’innovation grâce à l’installation d’un moteur transversal à l’avant du véhicule. Face aux faibles ventes lors des mois suivant le lancement, la marque au losange a fait appel à Publicis en commandant une campagne audiovisuelle afin de relancer l’image et les ventes de la voiture. Cette dernière n’a fait que desservir la marque.
Voici ce que l’on pouvait voir :

« La Renault 14 c’est comme une poire. A l’avant, un minimum de place pour le moteur transversal. A l’arrière, un maximum de place pour le confort »
Bien que le procédé de comparaison soit ici extrêmement lourd, l’idée de départ n’est pas si mauvaise : mettre en avant la forme innovante de la voiture, fine sur le devant pour souligner l’économie de place d’un nouveau moteur et « ronde » à l’arrière pour mettre en exergue le confort du supposé large habitacle. On retrouve bien, par le changement de formes et le mouvement des courbes, cette sensualité que peut véhiculer la poire et qui renvoie à cette idée de confort, de douceur et de bien-être souvent utilisée à bon escient dans des publicités alimentaires  (cf. campagne Nestlé dessert).

Mais voilà, l’erreur de cette campagne se trouve malgré tout dans le choix du comparant. Il s’agit là d’une faute autant rhétorique que sémiotique car ni l’argument de la poire « pour convaincre » ni la codification du « signe-poire » comme porteur de sens ne sont réellement efficaces ici. Le fait de prendre la poire comme image première associée et explicitement comparée à la Renault 14  sous-estimait le poids symbolique et culturel du fruit en France et en Europe, qui contrairement à son cousin la pomme, est pétri de références péjoratives difficiles à dépasser, même avec le plus travaillé des seconds degrés.
Car si la sensualité prend le dessus lorsque la poire est enduite de chocolat fondant, c’est le ridicule qui triomphe quand on l’imagine en tant que voiture. L’incontournable fait de « passer pour une bonne poire », expression ancrée dans la culture et l’inconscient collectif français, est ici négligé. Personne n’a en effet envie d’être cette bonne poire, c’est à dire l’individu naïf qui peut se faire aisément manipuler (sans doute par la publicité et donc par la voiture). En conséquence, l’hypothèse d’être pris pour une poire a dû inconsciemment réfréner l’envie de posséder cette voiture chez de nombreux acheteurs.
De plus, la poire a été historiquement un outil graphique de satire. Au XIXème siècle, le roi Louis-Philippe fut la cible de nombreuses caricatures qui visaient à transformer son visage en poire faisant de lui un imbécile manipulable. Dans les années 80, le chancelier allemand Helmut Kohl fut aussi portraituré sous l’apparence d’une poire. Le fruit devint même son surnom, évidemment péjoratif.
L’histoire symbolique du fruit joue donc également en défaveur de son image. Il est vrai qu’hormis ses courbes sensuelles, la pomme n’a pas grand chose à envier à la poire surtout sur le plan culturel. Tout cela rend la poire bien plus difficile à utiliser dans les stratégies de communication que sa cousine sphérique.
Le serpent n’a pas poussé Eve à croquer dans une poire et les hommes n’ont donc pas de poire d’Adam. Tout comme aucune poire n’a jamais semé le trouble dans le royaume de l’Olympe. De même que Blanche Neige ne croque dans aucune poire empoisonnée, de même, aucun enfant n’est haut comme trois poires. Il est alors difficile de trouver des poires d’amour dans les fêtes foraines. Et tout comme Newton qui n’a pas inventé la loi de Gravitation universelle après avoir reçu une poire sur la tête, Steve Jobs n’a pas créé la marque Pear.

Cette histoire nous montre qu’en publicité, il peut s’avérer salvateur d’interroger la langue et l’environnement d’accueil d’une campagne afin de pouvoir, en cas d’incompatibilité entre le message et la culture des récepteurs, couper la poire en deux.

Ambroise 

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Campagne RATP et Publicis Conseil - Le buffle
Société

Jacques a dit « Bonjour… j'ai dit bonjour ! »

Maudire un voyageur qui refuse de se lever, bien que vous soyez à moitié assis sur ses genoux. Rêver de pouvoir couper le crachotement de ces hauts parleurs ou les cris de cet usager d’un simple claquement de doigts. Rattraper celui qui a lâché le lourd portillon du métro pile sur votre nez pour l’informer de votre douleur, et par la même occasion de votre existence. Oui, vous aussi avez vécu tout cela, car vous aussi prenez les transports en commun chaque jour.
Pour tenter d’améliorer la situation quotidienne de plus de dix millions de voyageurs, la RATP a lancé en Septembre 2011 une grande campagne « Contre les incivilités des transports ». De multiples slogans frappants inspirés de La Fontaine, comme « 2 bonjours font 1 bon jour » – réutilisant les couleurs des lignes de métro pour les chiffres – ont envahi quais et wagons des métros, RER, bus et tramways parisiens. Les affiches-miroirs de la campagne, représentant exactement ce qui nous entoure au moment où on les voit, nous mettent physiquement face au problème par des représentations animales de ces perturbateurs de tranquillité. Quelques spots télévisés ainsi que des actions dans des gares aussi diverses que Saint-Lazare, Torcy ou Nanterre sont venus parfaire cette campagne, qui avait tout pour frapper les esprits et nous faire prendre conscience des 9 999 999 voyageurs qui nous entourent.
Pourtant, environ deux portillons sur trois claquent aux nez tous les jours en sortant des quais, les portables sonnent plus fort que jamais et adolescents comme quinquagénaires continuent de s’avachir sur les strapontins dans une foule courroucée et épuisée. Non, on ne peut pas dire que cette campagne ait réellement changé les choses, bien que la RATP ait pleinement rempli son rôle (comme le pensent 90% des Franciliens¹). Les grèves et pannes quotidiennes (qui n’aident pas la diffusion de la bonne humeur et de la politesse dans les rames) n’étant pas une nouveauté, il semble bien que les parisiens d’aujourd’hui soient de nature tout aussi « incivile » qu’au début de cette campagne.
Il faut cependant noter les millions de personnes qui chaque jour ne se laissent pas décontenancer par ces râleurs – moins nombreux mais plus marquants. Laisser sortir avant d’entrer soi-même dans la rame, se lever de son siège quelques minutes avant de sortir pour éviter de trop gêner les autres ou encore céder sa place aux cheveux blancs ou aux ventres ronds sont des actes récurrents, mais peu observés et encore moins imités par les dissidents. Si l’on devait chercher une explication, on pourrait évoquer la psychologie classique propre à chaque être humain de voir en face de lui un « autre », qui gêne par son regard inquisiteur, observateur… Humain. Mais justement, c’est bien pour cela que recevoir un sourire plutôt qu’un regard glacial en sortant péniblement du train est une fonction communicative indispensable de la société, une lutte permanente contre la solitude impossible à mener dans la ferraille glacée de la voiture individuelle.
La campagne de la RATP prouve que cette fonction essentielle des transports en commun côtoie cependant bien des aspects pénibles, et qu’un peu de gentillesse, un simple sourire peuvent éclairer la journée de quelqu’un. Si le nombre (pas si minoritaire que ça) de voyageurs « civils » augmentait, le quotidien n’en serait que moins sombre en ces heures de crise, mais vu les faibles résultats observables de cette campagne on peut malheureusement penser que les perturbateurs de notre sérénité ont encore de beaux jours devant eux.
 
Héloïse Hamard
¹ d’après le Cabinet d’études TNS Sofres
Crédits Photos : ©Publicis Conseil/RATP

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