Masterpiece
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Masterpiece : la télé réalité qui tourne la page ?

 
Qui n’est jamais tombé en zappant sur une des innombrables émissions de télé-réalité mettant en scène danseurs, chanteurs, cuisiniers, experts en tous genres, ou autre phénomène abrutissant ? A y réfléchir, on aurait l’impression d’avoir fait le tour…L’Italie nous prouve le contraire avec un programme de reality-show encore inédit qui mêle deux terrains que l’on imaginait jusqu’ici peu cohabiter.
En effet, « MasterPiece, talent scrittori » (littéralement « Chef d’œuvre, écrivains de talent »), la première télé-réalité consacrée aux écrivains, se met en quête de dénicher le succès littéraire de demain. Le premier épisode diffusé le 17 novembre dernier, sur la célèbre chaîne Rai3, a permis de faire connaissance avec les 12 premiers candidats sélectionnés.
Un principe de télé-réalité pas si extraordinaire…
Si MasterPiece se détache des nombreuses autres émissions, c’est uniquement par son angle d’attaque, la littérature, car le principe d’organisation et de fonctionnement reste similaire à celui des habituelles télé-réalités. Les candidats ont répondu en masse à l’appel et c’est parmi plus de 5000 manuscrits envoyés, que la Rai a sélectionné les 70 finalistes. Et les téléspectateurs seront à peine surpris en constatant que les concurrents recouvrent des profils très variés, allant de la serveuse, à l’adolescent prodige, ou encore l’ouvrier, la retraitée, jusqu’à l’handicapée…Un large panel qui se veut refléter la société « globale » et dans lequel nous sommes susceptibles de nous identifier. Jusqu’ici, l’émission ne dépasse en rien ses consœurs internationales.
Le direct est bien évidemment de mise : les textes rédigés par les candidats sont retransmis et visibles par les téléspectateurs qui peuvent suivre l’évolution du processus d’écriture. Et MasterPiece ne serait pas un véritable talent-show sans sa salle de confessionnal, haut lieu de la révélation, de l’exacerbation des sentiments : des doutes sur son manuscrit, un reproche envers un autre candidat, la réaction à son élimination, rien n’échappe au téléspectateur, invité là encore à rentrer dans la sphère intime de ceux qu’il se plaît à examiner, de l’autre côté du petit écran.

Les épreuves ne manquent pas pour démarquer les participants et une nouvelle fois, l’inspiration envers les formes actuelles de télé-réalité est flagrante : les candidats sont notamment invités à vivre une « expérience en immersion » de type mariage ou retrouvailles avec des amis, qu’ils doivent ensuite retranscrire par écrit. A l’issu des différentes épreuves, le jury devra éliminer celui ou celle qui lui aura semblé le moins compétent. Et pour trancher, trois personnalités reconnues dans l’univers du livre*. A côté de cela, le suspense tient le spectateur en haleine avec la fameuse épreuve du « repêchage » permettant à l’un des candidats désignés pour l’élimination, de se rattraper illico presto. Une motivation, quand on sait que le grand gagnant verra son texte édité à 100 000 exemplaires par la maison d’édition Bompiani. Verdict en février pour Masterpiece.
La Télé-réalité : un genre fourre-tout ?
Ainsi donc, la télé-réalité aura épuisé une bonne partie de nos centres d’intérêts pour se consacrer à présent à la littérature. Mais peut-on vraiment parler de tout à l’occasion d’un talent-show ? Le principal défi ici pour les réalisateurs est d’entremêler l’intime de l’écriture et la brutalité du direct. L’époque de l’écrivain solitaire, tapis dans sa chambre au-dessus de sa machine à écrire, semble alors révolue, pour laisser place au désir de notoriété convoité par tous. A l’époque de la mise en avant de soi, le talent ne s’arrête plus aux frontières du local. De la réflexion, à la mise en ordre, jusqu’à la mise à l’écrit du texte, la promesse de tout nous dévoiler peut nous laisser dubitatifs. Nous attendons de pénétrer la pensée de l’écrivain en herbe, de comprendre ses mécanismes intellectuels avant de découvrir l’objet matériel, achèvement ultime l’émission. « Le vrai défi était là » nous confirme Andrea de Carlo : ne pas brusquer le processus par essence lent et réfléchi de l’écriture par les exigences du direct, avide de faux-pas et de rebondissements suivant les ficelles d’une trame se disant spontanée.
De la promotion de l’auteur à la promotion de la lecture…
Ce qui vaut ici la peine d’être noté repose sur la confrontation du succès de l’individu face à celle de l’activité de la lecture. En clair, nous avions jusqu’ici l’habitude d’être servis par des émissions de télé-réalité répondant aux aspirations majeures d’une société –pour ne prendre qu’un exemple, nous pourrions ici citer la passion bien française pour la cuisine, que l’on retrouve à foison dans nos télés avec MasterChef, TopChef, Le meilleur pâtissier, etc… Dans le cas de MasterPiece, la logique inverse paraît servir la population italienne. Et pour preuve, dans un pays où seulement 46% des italiens ont déclaré avoir lu au moins un livre sur toute l’année 2012, faute n’est pas d’essayer d’y remédier. Les promoteurs de MasterPiece espèrent donc inciter les italiens à la lecture. Allier littérature et divertissement : un inédit qui aura le mérite de montrer si le succès associé aux gagnants des reality-show peut véritablement faire se précipiter les italiens vers les librairies.
Quant à l’arrivée d’un reality-show de ce type en France faisant côtoyer un Marc Lévy à Nabilla, ceci est une autre histoire…
 
Laura Pironnet
*Il s’agit de Giancarlo De Cataldo, auteur de Romanzo Criminale et scénariste, Andrea de Carlo -également écrivain, récompensé- et Taiye Selasi, auteure et photographe britannique.
Sources :
L’Express
Vanitiy Fair.it
Crédits photos :
Candidats finalistes : Rai3
Jury : Europa Quotidiano